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Les ombres

Par Lebibliomane

"Le retour du professeur de danse" Henning Mankell. Roman. Editions du Seuil, 2006.
Traduit du suédois par Anna Gibson.
Stefan Lindman est policier dans la ville suédoise de Borås. Âgé de trente-sept ans, il vient d'apprendre que la grosseur qui a poussé sur sa langue est une tumeur. Mis en arrêt de travail par son médecin, Lindman se voit soudain confronté à une éventualité pour le moins désagréable : l'éventualité de sa propre disparition avant même d'avoir atteint quarante ans.
Avant d'entamer les premières séances de radiothérapie, Lindman bénéficie de trois semaines de liberté. Il hésite alors entre rendre visite à sa soeur qui habite Helsinki ou prendre un avion pour Majorque.
Finalement, le sort en décidera autrement. Dans la salle d'attente de l'hopital il tombe par hasard sur un tabloïd dans lequel un article relate l'assassinat d'un homme âgé de soixante-seize ans dans le nord du pays. Or, cet homme, Lindman l'a bien connu : il s'agit en effet de Herbert Molin, policier en retraite avec qui Lindman avait travaillé auparavant pendant quelques années à la brigade criminelle.
Herbert Molin, qui s'était retiré dans une maison perdue au fin-fond de la forêt et s'adonnait à la passion des puzzles et du tango, a été retrouvé à proximité de chez lui, vraisemblablement battu et fouetté à mort. L'assassin semble s'être acharné sur le corps avec une rare sauvagerie, allant même jusqu'à esquisser quelques pas de tango avec la dépouille de sa victime.
Qui pouvait en vouloir à un vieil homme paisible et solitaire. Est-ce l'acte d'un fou ou au contraire un crime savamment organisé ? Les éléments trouvés sur place par la police locale tendent plutôt vers la seconde hypothèse, celle d'un crime habilement prémédité.
Renonçant à ses projets de voyage, Stefan Lindman va se rendre dans le Norrland afin de tenter de comprendre ce qui a bien pu arriver à son ancien collègue.
Parallèlement à l'enquête officielle menée par la police locale, Lindman – qui n'a aucune accréditation pour cela – va essayer de découvrir les causes de cet assassinat. Il va devoir pour cela faire la lumière sur le passé d'Herbert Molin, cet homme discret et taciturne qui, même vis-à-vis de ses collègues policiers, entourait sa vie privée d'une aura de mystère.
Ce que Lindman va découvrir dépassera tout ce qu'il aurait pu imaginer. Herbert Molin, sous une apparence banale, cachait en fait tout un pan de son passé, un passé sombre et violent dont les motivations premières remontent aux heures les plus noires de la seconde guerre mondiale. Le terrible secret d'Herbert Molin est-il à l'origine de son assassinat ?
Approfondissant son enquête, Lindman va ouvrir la boîte de Pandore et exhumer de bien douloureux souvenirs qui vont le ramener à sa propre histoire personnelle. Car derrière les apparences convenables d'une certaine frange de la société se cachent d'épouvantables fantasmes idéologiques qui ne renient rien des actes barbares perpétrés il y a plus d'un demi-siècle par les nazis.
Avec « Le retour du professeur de danse » Henning Mankell nous offre un polar qui, une fois encore, nous livre en filigranes un apreçu de la société suédoise contemporaine, une société bien éloignée des clichés véhiculés à son sujet, une société calme, tolérante, harmonieuse, portée par un modèle social prétendument exemplaire qui fait l'admiration (justifiée?) de certains de ses partenaires européens. Mais avec Mankell, le « modèle scandinave » vole en éclats. Sous l'apparence d'une nation policée et vertueuse digne d'être montrée en exemple se cache en fait une société qui, en ce qui regarde les problèmes sociaux, n'a rien à envier à ses voisins.
Loin de l'image véhiculée par Ikéa et les meubles en bois blanc qui sentent bon la résine de pin, la Suède, comme tout autre pays d'Europe, est confrontée au chômage, à la précarité de l'emploi,à la peur de l'immigration, à la xénophobie et au délitement du tissu social. On le voit par exemple, de manière discrète, par l'entremise du personnage de la réceptionniste de l'hotel où loge Lindman. Cette jeune femme est présente à son poste quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, fait donc office de réceptionniste mais aussi de serveuse dans le restaurant attenant, à tel point que Lindman en vient à se demander si elle ne prépare pas également les repas en cuisine. Ici comme ailleurs, la vie est dure pour les employés et il faut travailler dur pour un salaire à peine convenable.
C'est ainsi, par petites touches, que Henning Mankell, au fil de ses romans, nous livre une photographie de la société suédoise contemporaine, une société qui n'a donc rien à envier à ses voisins en ce qui concerne les problèmes sociaux et qui tente tant bien que mal (ici, c'est plutôt par le mal) de remédier à ceux-ci.
Quant à l'aspect strictement« polar » du roman, que dire, si ce n'est que le récit est encore une fois rondement mené et que le lecteur se laisse aisément embarquer dans cette enquête pleine de rebondissements, de détours et de fausses pistes qui tiennent en haleine jusqu'au déroulement final. C'est, après tout, tout ce que l'on exige d'un bon roman-policier et en cela Henning Mankell ne nous déçoit pas dans ce récit qui, une fois entamé, ne se lâche plus.

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