Parmi les nombreux standards américains que les Beatles ont repris à leurs débuts, « Anna (Go To Him) » occupe une place particulière. Ce titre, écrit et enregistré en 1962 par Arthur Alexander, est bien plus qu’une simple adaptation : porté par la voix intense et déchirante de John Lennon, il devient l’un des moments les plus poignants de Please Please Me, le premier album du groupe.
Retour sur cette interprétation bouleversante, où la douleur d’une rupture amoureuse se mêle à l’énergie naissante de la Beatlemania.
Sommaire
- Un classique du rhythm and blues revisité par les Beatles
- Une session d’enregistrement légendaire
- John Lennon, entre douleur et intensité
- Une ballade aux accents tragiques
- Des performances live marquantes
- Une influence sous-estimée mais essentielle
- L’héritage de « Anna (Go To Him) »
Un classique du rhythm and blues revisité par les Beatles
Lorsque Arthur Alexander publie « Anna (Go To Him) » en 1962, il ne le sait pas encore, mais ce titre va traverser l’Atlantique pour devenir l’un des morceaux fétiches d’un jeune groupe de Liverpool.
À l’époque, les Beatles puisent largement dans le répertoire américain, notamment dans la soul et le rhythm and blues, styles encore peu représentés dans la scène britannique. Alexander, chanteur et compositeur talentueux mais méconnu, exerce une forte influence sur le groupe. Lennon, en particulier, est captivé par son style mélancolique et sa façon de chanter avec une émotion brute.
Dès la sortie du single, les Beatles l’intègrent à leur répertoire live, en l’interprétant dans les clubs de Liverpool et de Hambourg. Ils sont alors loin d’imaginer qu’ils l’enregistreront quelques mois plus tard lors d’une session historique à Abbey Road.
Une session d’enregistrement légendaire
Le 11 février 1963, dans les studios d’Abbey Road, les Beatles enregistrent dix chansons en une seule journée, dans une ambiance frénétique et sous la direction du producteur George Martin. « Anna (Go To Him) » fait partie de cette session marathon et est captée en trois prises seulement.
Le morceau est enregistré en direct, sans overdubs majeurs, ce qui en restitue toute la spontanéité. George Harrison, qui doit remplacer la ligne de piano de la version originale de Floyd Cramer, adapte la mélodie sur sa guitare électrique, ajoutant une touche plus mordante à cette ballade mélancolique.
Mais ce qui rend cette version des Beatles si spéciale, c’est bien l’interprétation vocale de John Lennon.
John Lennon, entre douleur et intensité
Dès les premières notes, la voix de John Lennon capte l’attention. Contrairement à d’autres chansons plus enlevées de Please Please Me, « Anna (Go To Him) » repose entièrement sur son interprétation.
Lennon y met une intensité rare, notamment dans le pont central, où il pousse sa voix dans ses retranchements :
« All of my life I’ve been searching for a girl, to love me like I love her… »
Ce passage, chanté légèrement au-dessus de sa tessiture habituelle, est particulièrement chargé en émotion. Son timbre rauque, probablement accentué par la fatigue de l’enregistrement marathon, ajoute une authenticité douloureuse à cette complainte amoureuse.
« La voix passionnée de Lennon atteint son sommet dans le pont central. En chantant légèrement au-dessus de son registre normal, il ajoute une profondeur émotionnelle au morceau. » (Notes de l’album On Air – Live At The BBC Volume 2).
Ce que peu de gens savent, c’est que John Lennon, au moment de l’enregistrement, traverse lui-même une crise personnelle. Il est alors en couple avec Cynthia Powell, qu’il a épousée en août 1962 après avoir appris qu’elle était enceinte de leur fils Julian. Mais Lennon, encore jeune et insouciant, ressent une forme d’enfermement dans cette relation, et son interprétation d’ »Anna » pourrait bien refléter ses propres doutes amoureux.
Une ballade aux accents tragiques
Si « Anna (Go To Him) » fonctionne aussi bien, c’est en grande partie grâce à son texte d’une simplicité dévastatrice. L’histoire est celle d’un homme qui accepte à contrecœur de laisser partir celle qu’il aime, car elle en aime un autre.
« Anna, tu viens me demander, fille,
De te laisser partir, fille,
Tu dis qu’il t’aime plus que moi,
Alors je vais te laisser partir,
Va avec lui… »
L’ambivalence des paroles est frappante : l’homme accepte le choix de la femme qu’il aime, mais on sent bien que cette décision lui brise le cœur.
Lennon, avec son timbre rugueux, fait passer toute la douleur de ce renoncement, transformant cette simple ballade en un véritable cri de résignation amoureuse.
Des performances live marquantes
« Anna (Go To Him) » n’a pas seulement marqué l’album Please Please Me : elle a également fait partie des sets des Beatles à la BBC.
Le groupe l’enregistre notamment :
- Le 17 juin 1963 pour l’émission Pop Go The Beatles (diffusée le 25 juin).
- Le 1er août 1963, toujours pour Pop Go The Beatles (diffusée le 25 août), version qui sera incluse dans la compilation On Air – Live At The BBC Volume 2 (2013).
Ces versions live montrent une interprétation toujours intense de Lennon, bien qu’un peu plus retenue par rapport à la version studio.
Une influence sous-estimée mais essentielle
Si Arthur Alexander n’a jamais connu le même succès que les Beatles, son influence sur le groupe est indéniable. Outre « Anna (Go To Him) », les Fab Four reprendront « Soldier of Love » et « Where Have You Been (All My Life) ».
Paul McCartney et George Harrison évoqueront plus tard leur admiration pour Alexander, regrettant qu’il n’ait pas bénéficié d’une plus grande reconnaissance de son vivant.
Le choix de reprendre cette chanson dans leur premier album est aussi révélateur du goût des Beatles pour les ballades émotionnellement chargées, un style qu’ils développeront encore dans des titres comme « This Boy » ou « If I Fell ».
L’héritage de « Anna (Go To Him) »
Aujourd’hui encore, « Anna (Go To Him) » reste l’une des grandes reprises des Beatles, une chanson où le groupe, et particulièrement John Lennon, parviennent à transcender l’originale pour en faire une œuvre unique.
Cette ballade déchirante est une preuve précoce du génie émotionnel de Lennon, capable d’injecter une sincérité brute dans une simple chanson d’amour perdue.
Et si les Beatles allaient bientôt révolutionner la musique pop avec leurs propres compositions, leur interprétation de « Anna (Go To Him) » rappelle qu’avant d’être des icônes, ils étaient avant tout des amoureux du rock et de la soul, capables de s’approprier un standard pour le rendre encore plus poignant.
