Magazine Culture

Ringo Starr : L’album Sentimental qui bouscule l’héritage des Beatles !

Publié le 28 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En mars 1970, Ringo Starr surprend le public en sortant Sentimental Journey, un album de standards pré-rock qui tranche avec son image de batteur des Beatles. Accompagné par l’orchestre de George Martin et une série d’arrangeurs prestigieux, Ringo revisite des classiques des années 1930-1940, rappelant avec émotion son enfance à Liverpool. Enregistré entre octobre 1969 et mars 1970, cet album singulier, diffusé en pleine tourmente des Beatles, offre une parenthèse intime et historique, malgré une réception critique mitigée et des ventes modestes. Un ex-Beatle en quête de renouveau sincère et fort


Lorsque Ringo Starr sort Sentimental Journey en mars 1970, le public l’associe encore immédiatement à son rôle de batteur des Beatles. Or, cet album prend de court une grande partie des critiques, et même des fans, puisqu’il ne s’agit ni de compositions rock originales, ni d’une suite logique au style Beatles. Au contraire,

Sommaire

  • Ringo propose une collection de standards “pre-rock”
  • George Martin
  • CONTEXTE : L’ENVOL DE RINGO APRES LES BEATLES
  • Mais c’est bien la première fois qu’il enregistre un album complet où il ne joue pas de batterie
  • UN CHOIX D’ARRANGEURS PRESTIGIEUX
  • Richard Perry
  • Chico O’Farrill
  • Ron Goodwin
  • Maurice Gibb
  • Klaus Voormann
  • Paul McCartney
  • Oliver Nelson
  • Quincy Jones
  • Elmer Bernstein
  • Les Reed
  • ENREGISTREMENTS ET PROJET MORCELé
  • Billy Preston
  • John Dankworth
  • LES TITRES AU PROGRAMME
  • «Sentimental Journey»
  • «Night And Day»
  • «Whispering Grass (Don’t Tell The Trees)»
  • «Bye Bye Blackbird»
  • «I’m A Fool To Care»
  • «Stardust»
  • «Blue, Turning Grey Over You»
  • «Love Is A Many Splendoured Thing»
  • «Dream»
  • «You Always Hurt The One You Love»
  • «Have I Told You Lately That I Love You?»
  • «Let The Rest Of The World Go By»
  • UNE POCHE TTE éVOCATRICE : L’EMPRESS PUB à LIVERPOOL
  • pub Empress
  • Richard Polak
  • UN CALENDRIER DE PARUTION TUMULTUEUX
  • 27 mars 1970 au Royaume-Uni
  • Paul McCartney
  • l’album
  • Let It Be
  • des Beatles
  • RéCEPTION ET IMPACT COMMERCIAL
  • 7e place
  • 22e place
  • Greil Marcus
  • NME
  • précurseur
  • UN ALBUM POUR S’EN SORTIR
  • cet album lui a permis de ne pas sombrer
  • UNE ŒUVRE à REDéCOUVRIR
  • premier disque post-Beatles
  • FICHE TECHNIQUE
  • Titre
  • Artiste
  • Label
  • Date de sortie
  • Producteur
  • Type
  • Musiciens principaux
  • Pistes notables
  • UNE PASSERELLE INATTENDUE VERS L’APRèS-BEATLES

Ringo propose une collection de standards “pre-rock”

, constituée de morceaux populaires des années 1930 et 1940, qu’il a choisis en souvenir de son enfance à Liverpool. Produite par

George Martin

, la réalisation de Sentimental Journey s’étend sur plusieurs mois, alors même que les Beatles traversent leurs derniers soubresauts et que la dissolution du groupe devient inévitable. C’est un disque à part, qui tranche avec les voies expérimentales empruntées par John Lennon ou George Harrison, et qui montre Ringo dans un rôle inhabituel de simple chanteur, reprenant des chansons qui ont bercé son environnement familial.

Dans cet article, nous allons revenir sur la genèse de l’album, ses conditions d’enregistrement, sa réception critique et sa place singulière dans la chronologie post-Beatles.

CONTEXTE : L’ENVOL DE RINGO APRES LES BEATLES

L’idée d’un album solo de Ringo prend forme au moment où John Lennon annonce (en interne) son intention de quitter les Beatles, à l’automne 1969. Même si la nouvelle ne sera pas rendue publique immédiatement, Ringo, comme les autres membres, comprend que la fin est proche. Il se retrouve alors dans un état de flottement, ne sachant pas quoi faire de sa carrière. Encouragé par sa famille – notamment sa mère et son beau-père – et par ses camarades Beatles, il décide de se lancer. Dans un premier temps, Ringo envisage d’enregistrer un album de country, style qu’il concrétisera plus tard en 1970 avec Beaucoups of Blues. Mais, avant cela, il opte pour un projet plus “sentimental” : revisiter des standards d’avant le rock’n’roll, en hommage aux chansons qu’on chantait dans les fêtes familiales et de quartier à Liverpool.

Ringo aborde George Martin, producteur emblématique des Beatles, pour superviser le projet. Malgré son rôle de batteur dans le groupe, Ringo a déjà démontré qu’il pouvait chanter et était apprécié pour sa voix “naturelle” (notamment sur «With a Little Help From My Friends»).

Mais c’est bien la première fois qu’il enregistre un album complet où il ne joue pas de batterie

, se contentant de poser sa voix tandis qu’un orchestre s’occupe de l’accompagnement.

UN CHOIX D’ARRANGEURS PRESTIGIEUX

Pour donner une touche variée à l’ensemble, Ringo et George Martin décident de confier chaque morceau à un arrangeur différent. Ainsi, chaque standard bénéficie d’une signature orchestrale propre. Parmi ces arrangeurs, on retrouve des personnalités aussi diverses que :

  • Richard Perry

    (qui travaillera plus tard avec Ringo et d’autres grands noms comme Carly Simon)

  • Chico O’Farrill

    , arrangeur jazz

  • Ron Goodwin

    , connu pour ses musiques de films

  • Maurice Gibb

    des Bee Gees

  • Klaus Voormann

    , ami de longue date des Beatles et graphiste de la pochette de Revolver

  • Paul McCartney

    , qui se charge par exemple d’écrire l’orchestration de «Stardust»

  • Oliver Nelson

    , jazzman et saxophoniste

  • Quincy Jones

    , futur producteur emblématique de Michael Jackson

  • Elmer Bernstein

    , célèbre compositeur hollywoodien

  • Les Reed

    , grand compositeur et arrangeur britannique

Cette multiplicité d’arrangeurs donne à l’album un aspect “kaleïdoscope”, chaque chanson adoptant une couleur sonore différente. Le fil conducteur reste la voix de Ringo, secondé par l’orchestre de George Martin, baptisé «The George Martin Orchestra».

ENREGISTREMENTS ET PROJET MORCELé

Les sessions de Sentimental Journey s’étalent d’octobre 1969 à mars 1970, interrompues par les activités parallèles de Ringo :

  • Sa participation au film The Magic Christian (avec Peter Sellers),
  • Les ultimes séances d’enregistrement des Beatles (notamment «I Me Mine» et «Let It Be» en janvier 1970),
  • Diverses collaborations avec George Harrison, Billy Preston, Leon Russell ou Doris Troy.

En dépit de la logique de l’album (qui veut qu’il s’agisse de chansons douces des années 1930-1940), les sessions se font dans différents studios, parfois en envoyant les bandes d’un arrangeur à un autre. Sur certains titres, Ringo intervient avec un grand orchestre en direct, tandis que pour d’autres, il se contente de poser sa voix sur un arrangement déjà enregistré. Il ne jouera que rarement de la batterie lors de ces séances, préférant se focaliser sur le chant.

Billy Preston

participe à certaines pistes, au piano ou à l’orgue.

John Dankworth

, fameux saxophoniste britannique, ajoute sa patte sur «You Always Hurt The One You Love». Quant à George Martin, outre la production générale, il assure lui-même l’orchestration de «Dream», entre autres.

LES TITRES AU PROGRAMME

SENTIMENTAL JOURNEY aligne douze chansons, toutes issues de l’âge d’or de la variété et du swing américain, avant que le rock’n’roll ne vienne bouleverser la scène musicale. Parmi elles, on trouve :

  1. «Sentimental Journey»

    – Bud Green, Les Brown, Ben Homer (arrangé par Richard Perry)

  2. «Night And Day»

    – Cole Porter (arrangé par Chico O’Farrill)

  3. «Whispering Grass (Don’t Tell The Trees)»

    – Fred & Doris Fisher (arrangé par Ron Goodwin)

  4. «Bye Bye Blackbird»

    – Mort Dixon, Ray Henderson (arrangé par Maurice Gibb)

  5. «I’m A Fool To Care»

    – Ted Daffan (arrangé par Klaus Voormann)

  6. «Stardust»

    – Hoagy Carmichael, Mitchell Parish (arrangé par Paul McCartney)

  7. «Blue, Turning Grey Over You»

    – Andy Razaf, Fats Waller (arrangé par Oliver Nelson)

  8. «Love Is A Many Splendoured Thing»

    – Sammy Fain, Paul Francis Webster (arrangé par Quincy Jones)

  9. «Dream»

    – Johnny Mercer (arrangé par George Martin)

  10. «You Always Hurt The One You Love»

    – Allan Roberts, Doris Fisher (arrangé par John Dankworth)

  11. «Have I Told You Lately That I Love You?»

    – Scott Wiseman (arrangé par Elmer Bernstein)

  12. «Let The Rest Of The World Go By»

    – Ernest Ball, Karen Brennan (arrangé par Les Reed)

Ce choix de chansons est très lié à l’enfance de Ringo à Liverpool. Comme il le dira plus tard, ces standards étaient chantés dans les soirées de quartier, les réunions de famille, et son beau-père l’encourageait à les reprendre.

UNE POCHE TTE éVOCATRICE : L’EMPRESS PUB à LIVERPOOL

La pochette de l’album est un clin d’œil explicite aux origines de Ringo. Elle montre le

pub Empress

, situé dans le quartier du Dingle à Liverpool, non loin de la maison natale de Ringo (9 Madryn Street). Pour l’occasion, le photographe

Richard Polak

immortalise le bâtiment, puis on incruste Ringo en costume dans l’embrasure de la porte. Par ailleurs, plusieurs membres de la famille de Ringo apparaissent “superposés” dans les fenêtres, ce qui donne au visuel un côté “montage photo” à la fois rustique et sentimental.

Ce choix souligne encore la démarche : l’album est un “sentimental journey” (voyage sentimental) vers son passé, là où ces chansons résonnaient dans les maisons familiales du voisinage.

UN CALENDRIER DE PARUTION TUMULTUEUX

Si l’album sort le

27 mars 1970 au Royaume-Uni

(et un mois plus tard aux états-Unis, le 24 avril), c’est en pleine tourmente chez Apple, la maison de disques des Beatles.

Paul McCartney

s’apprête à sortir son premier album solo McCartney (paru le 17 avril 1970), tandis que

l’album

Let It Be

des Beatles

est, lui, programmé pour le 8 mai (et sa bande originale le 24 avril aux états-Unis). Allen Klein, manager de fortune imposé par John Lennon et George Harrison, cherche à éviter que les disques de chaque Beatle ne se gênent mutuellement.

Ringo se retrouve au milieu d’un imbroglio : on lui demande éventuellement de décaler son album, mais surtout, c’est Paul qui refuse qu’on retarde la sortie de McCartney. L’histoire se conclut par un incident célèbre : Ringo, envoyé par John et George, se rend chez Paul pour lui demander de reporter son disque, ce qui provoque une vive dispute. Paul finira par renvoyer Ringo de chez lui sur un ton très agressif, rompant encore un peu plus la cohésion du groupe.

Au final, Sentimental Journey sort un peu en catimini, dix jours avant McCartney, et se retrouve vite effacé par l’actualité : non seulement le premier album solo de Paul va faire couler beaucoup d’encre, mais c’est surtout l’annonce publique du départ de Paul des Beatles qui suscite un tollé médiatique.

RéCEPTION ET IMPACT COMMERCIAL

Malgré ces perturbations, l’album parvient à atteindre la

7e place

des charts britanniques et la

22e place

aux états-Unis. Les ventes initiales sont correctes, sans être un triomphe fulgurant. En l’absence de single porteur, la promotion se limite à quelques passages télévisés, dont un clip réalisé pour la chanson-titre, filmé au Talk of the Town (une salle de spectacle londonienne), où Ringo chante en live sur une base orchestrale dirigée par George Martin.

Dans l’ensemble, la critique est assez tiède. Beaucoup s’interrogent : pourquoi Ringo, ex-Beatles, publie-t-il soudain un album de standards sans innovation rock ? Certains fans jugent même l’initiative embarrassante, loin des compositions audacieuses de Lennon ou Harrison.

Greil Marcus

, dans Rolling Stone, juge le disque «épouvantable mais classe» (“horrendous, but at least it’s classy”). D’autres, à l’instar de l’

NME

, soulignent la qualité des arrangements, trouvant la voix de Ringo plutôt honnête.

Au fil du temps, Sentimental Journey apparaît comme un

précurseur

d’une tendance où des artistes pop-rock se lancent dans l’interprétation de standards, qu’il s’agisse de Harry Nilsson (A Little Touch of Schmilsson in the Night) ou, plus tard, de Rod Stewart et sa série The Great American Songbook.

UN ALBUM POUR S’EN SORTIR

Ringo admettra plus tard que, dans le contexte de l’éclatement des Beatles,

cet album lui a permis de ne pas sombrer

. Ne sachant plus quoi faire après la fin du groupe, il s’est raccroché à ces chansons chères à son enfance : «Elles m’ont remis le pied à l’étrier.» à peine Sentimental Journey bouclé, Ringo enchaînera avec Beaucoups of Blues, son projet country, avant de signer des singles plus rock comme «It Don’t Come Easy» ou «Back Off Boogaloo».

Avec le recul, Sentimental Journey se pose donc en album transitoire. Il désarçonne, il surprend, mais il permet à Ringo de retrouver le plaisir d’enregistrer, en se fixant un défi plus intime que commercial.

UNE ŒUVRE à REDéCOUVRIR

Pour les fans des Beatles, il peut être intéressant de se pencher sur Sentimental Journey comme un témoignage de la période de crise en 1970. On y retrouve Ringo dans une posture sincère, sans ambition rock ou avant-gardiste, mais avec un attachement profond à la musique de sa jeunesse. Loin d’être un “must-have” absolu pour qui recherche le meilleur de la discographie solo des ex-Beatles, l’album n’en constitue pas moins un jalon historique :

  • C’est le

    premier disque post-Beatles

    sorti par un membre du groupe à s’inscrire dans la chanson “populaire” traditionnelle, à des années-lumière des travaux expérimentaux de John et Yoko ou de la pop sophistiquée de Paul.

  • Il témoigne d’une grande affection pour des standards que certains jugeaient déjà “passés de mode” en 1970, anticipant la vague de disques de reprises jazz ou big band que d’autres stars du rock (Harry Nilsson, Linda Ronstadt, Rod Stewart, etc.) sortiront par la suite.

Au final, Sentimental Journey incarne un Ringo fragile mais plein de bonne volonté, se tournant vers ses racines pour traverser une période incertaine. Un acte de foi personnel, couronné d’un succès modeste en son temps mais qui, dans la perspective historique, demeure l’un des exemples les plus précoces de star du rock osant embrasser la musique traditionnelle de l’ère pré-rock.

FICHE TECHNIQUE

  • Titre

    : Sentimental Journey

  • Artiste

    : Ringo Starr

  • Label

    : Apple Records

  • Date de sortie

    : 27 mars 1970 (Royaume-Uni), 24 avril 1970 (états-Unis)

  • Producteur

    : George Martin

  • Type

    : Album de reprises de standards pré-rock

  • Musiciens principaux

    :

    1. Ringo Starr : chant
    2. The George Martin Orchestra : instrumentation
    3. Billy Preston : piano/orgue sur certains titres
    4. John Dankworth : saxophone
  • Pistes notables

    :

    1. «Sentimental Journey»
    2. «Night And Day»
    3. «Whispering Grass (Don’t Tell The Trees)»
    4. «Bye Bye Blackbird»
    5. «I’m A Fool To Care»
    6. «Stardust»
    7. «Blue, Turning Grey Over You»
    8. «Love Is A Many Splendoured Thing»
    9. «Dream»
    10. «You Always Hurt The One You Love»
    11. «Have I Told You Lately That I Love You?»
    12. «Let The Rest Of The World Go By»

UNE PASSERELLE INATTENDUE VERS L’APRèS-BEATLES

Si on devait décrire l’album d’un mot, on pourrait dire «inattendu». Ringo, alors qu’on attend de lui un prolongement Beatles ou un nouveau souffle rock, choisit de se plonger dans des standards qui lui tiennent à cœur. Résultat : Sentimental Journey ne deviendra pas une référence incontournable, mais il reste un jalon important, un témoignage sincère et chaleureux d’un musicien tentant de se réinventer juste au moment où la plus grande aventure collective de l’histoire du rock touche à sa fin. à ce titre, il mérite une écoute attentive, ne serait-ce que pour mieux comprendre la trajectoire personnelle d’un ex-Beatle encore en quête de sa propre voix.


Retour à La Une de Logo Paperblog