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Frankenstein de Mary Shelley

Par Etcetera
Frankenstein Mary Shelley

C’est pour notre Cercle de lecture que nous avons choisi « Frankenstein » de Mary Shelley (1797-1851), un roman horrifique bien connu, du début du 19e siècle. Je n’avais encore jamais envisagé de le lire, n’étant pas adepte d’habitude de romans gothiques ou de littérature de l’effroi. Mais je n’avais finalement rien contre la découverte de ce classique qui a eu une si grande influence sur le genre fantastique et sur celui de l’horreur, et qui a fait couler beaucoup d’encre depuis deux siècles !

N’ayant encore jamais lu Mary Shelley, cette lecture s’inscrit également dans le défi « un classique par mois » organisé par Etienne Ruhaud du blog Page Paysage.

Note Pratique sur le roman

Editeur : Le Livre de Poche
Année de publication initiale : 1818 (de cette traduction) 1978
Edition de Jean-Pierre Naugrette
Traduit de l’anglais par Joe Ceurvorst
Nombre de pages : 327

Rapide présentation de l’histoire

Le roman se présente sous forme de récits imbriqués. Victor Frankenstein est un jeune scientifique, avide de percer les secrets de la nature et les mystères de la biologie. Il étudie auprès des plus grands savants et s’approprie leurs connaissances. Il réussit même à les dépasser en se lançant dans la création d’un être vivant. Il lui donne une stature gigantesque et une physionomie horrible. Le monstre prend vie et ne tarde pas à disparaître dans la nature. Frankenstein est soulagé que la créature se soit volatilisée. Mais des événements funestes commencent à frapper le jeune scientifique, ou plutôt son entourage proche. (…)

Mon Avis

Le style de ce roman est très marqué par le romantisme (noir), avec pas mal de scènes qui se déroulent dans des cimetières, beaucoup de tempêtes ou d’orages, de nombreux paysages de montagnes, de banquises polaires, de glaces, de déserts et, bien sûr, de fréquentes scènes nocturnes. Par dessus tout, les états d’âme du héros sont sans cesse rappelés, soulignés, répétés : il est dans le désespoir, il est dans le délire, il ne supporte pas sa misérable existence, etc. Ces répétitions peuvent avoir un effet un peu lassant sur le lecteur mais, comme l’histoire est par ailleurs très prenante, que le suspense reste toujours fort, nous arrivons à passer sur ces répétitions et sur ces manifestations émotionnelles effrénées.
Il y a plusieurs fois l’idée que, certes, le monstre est un démon, un être malfaisant, un criminel ignoble, mais qu’il y avait, à l’origine, au fin fond de son cœur, la sensibilité et l’élan vers la vertu qui auraient pu faire de lui une bonne créature ; c’est parce que la société l’a rejeté sans chercher à le comprendre qu’il en est arrivé à commettre ces actes affreux. Une idée sans doute inspirée de Rousseau et des philosophes des Lumières.
Ce monstre n’est donc pas décrit comme totalement mauvais et irrécupérable, parfois Frankenstein le prend en pitié et semble se rendre à ses arguments – on pourrait même dire qu’il se met à sa place, pendant de brèves périodes – avant de le repousser définitivement, en le soupçonnant de complète perversité.
Il y a pas mal de points communs entre Frankenstein et sa créature monstrueuse : tous les deux sont malheureux, tous les deux se sentent isolés, à l’écart, tous les deux sont incompris par le commun des mortels. Tous les deux doivent vivre dans la dissimulation de leur secret commun : Frankenstein ne peut pas révéler qu’il a créé un monstre, au risque de passer pour un fou délirant, et le monstre est obligé de vivre caché car il suscite l’horreur et la haine dès qu’il se montre. Par moments, on pourrait penser que ce monstre est l’alter ego de Frankenstein, son double, sa face sombre. J’ai parfois eu dans la tête « Docteur Jekyll et Mr. Hyde » au cours de ma lecture.
Le sous-titre du livre établit un lien entre Frankenstein et Prométhée : en effet, ce héros devient capable de créer une étincelle de vie, de fabriquer un être de toutes pièces. Il devient l’égal des dieux. Comme Prométhée, il va être puni pour cette audace sacrilège. Peut-être qu’il y a un écart similaire entre Dieu et l’homme, d’une part, et entre Frankenstein et sa créature, d’autre part, ce qui permet de faire certains parallèles entre notre humanité et, d’un côté, la perfection divine, de l’autre, la monstruosité.
J’ai lu qu’il y avait eu des interprétations psychanalytiques de ce roman et, effectivement, plusieurs péripéties en relation avec la féminité ou avec la sexualité peuvent attirer l’attention, par exemple lors de la nuit de noces de Frankenstein, qui est un moment crucial et tragique de l’histoire.
Un roman que je suis contente d’avoir lu, bien que ce soit tout de même assez daté, un peu indigeste.
Mais ça reste un classique important, une sorte de monument. Il vaut la peine d’être découvert.

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Un extrait page 142

Je quittai le banc sur lequel je m’étais assis. Les ténèbres devenaient plus opaques, de minute en minute, et, tandis que l’orage prenait de la violence, le tonnerre gronda soudain, au-dessus de ma tête, en un étourdissant fracas. Ses échos se répercutèrent du côté de Salève, des monts jurassiens et des Alpes savoyardes. Des éclairs fulgurants m’éblouirent et illuminèrent le lac, lui donnant l’apparence d’une immense nappe de feu. Puis, pendant quelques instants, tout fut plongé dans les ténèbres les plus épaisses, jusqu’à ce que mes yeux se fussent habitués à l’obscurité. L’orage, comme cela arrive souvent en Suisse, avait éclaté de plusieurs côtés à la fois. Il sévissait le plus fort au nord de la ville, au-dessus de la partie du lac qui s’étend entre le promontoire de Belrive et le village de Copêt. Un autre orage projetait de faibles lueurs sur le Jura, tandis qu’un autre encore éclairait et assombrissait, tour à tour, le Môle, une montagne escarpée qui se dresse à l’est du lac.
Tout en observant la tempête, à la fois si belle et si terrifiante, je marchais d’un bon pas. Ce noble combat des forces de la nature, déchaîné dans le ciel, m’exaltait.
Je joignis les mains et clamai bien haut : «William, cher ange, voilà le chant de tes funérailles ! » Comme je prononçais ces paroles, j’aperçus dans la pénombre une silhouette qui surgissait de derrière un bouquet d’arbres, non loin de l’endroit où je me trouvais. Je m’immobilisai, le regard intense. Il n’y avait pas d’erreur possible. Un éclair vint l’illuminer, révélant clairement ses traits. Sa stature gigantesque et la difformité de son corps, plus hideux que tout ce qui existait dans la nature, me révélèrent instantanément que c’était bien le misérable, le répugnant démon auquel j’avais donné la vie. Mais que faisait-il donc en cet endroit ? Se pouvait-il – je frémis d’y penser – qu’il fût le meurtrier de mon frère ? À peine cette idée m’eut-elle effleuré que j’en acquis la conviction. Mes dents claquaient, et je dus m’appuyer à un arbre pour ne pas tomber. La silhouette me dépassa rapidement et alla se perdre dans la pénombre. (…)


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