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L’importance de l’autodétermination

Publié le 30 octobre 2025 par Lana

Il faut vraiment que je parle de la phrase que l’on nous assène régulièrement comme un mantra: Ton trouble ne te définit pas.

Je vais parler ici des troubles psychiatriques et du neurodéveloppement, et les exemples que je donnerai seront tous tirés d’expériences personnelles ou de celles de mon cercle élargi.

Bien évidement, cette phrase semble bien intentionnée. Nous ne sommes pas qu’une maladie, nous sommes bien d’autres choses, et la plupart d’entre nous le savons d’ailleurs très bien. Le problème avec les bonnes intentions, et particulièrement en psychiatrie, c’est qu’il est difficile de s’y opposer puisque « c’est pour notre bien » et que nous sommes considérés comme des personnes qui ne savent pas ce qui est bon pour elles.

Mais la réalité derrière cette phrase est bien moins rose. Les personnes qui nous rappellent cela sans arrêt sont en réalité les premières à nous enfermer dans une maladie ou un trouble. Eh oui, une injonction paradoxale de plus dans le monde merveilleux de la psychiatrie, qui n’en est plus à cela près.

Le premier problème à répéter cette phrase sans arrêt, c’est qu’on dénie à la personne le droit à l’autodétermination. Si je dis Je suis autiste et non pas une périphrase ridicule comme Personne porteuse d’un trouble du spectre de l’autisme ou Personne avec autisme, c’est parce qu’il se trouve que j’ai réfléchi à la question et toute la communauté autiste avant moi (je sais c’est incroyable

🤭
mais nous avons un discours pensé, réfléchi et cohérent sur notre condition). On naît autiste et on meurt autiste, la structure de notre cerveau est différente, l’autisme n’est pas une chose semblable à un petit animal en laisse qui pourrait nous attendre à la sortie (comme le suggère l’expression Personne avec autisme). Nous ne sommes pas non plus atteints d’autisme puisque ce n’est pas une maladie. La communauté autiste préconise d’utiliser l’expression Être autiste. Le fait que la plupart des professionnels et des familles ne le fassent pas ne montrent pas qu’ils veulent éviter qu’on se réduise à ce qu’ils appellent un trouble, même si c’est le discours officiel, mais plutôt qu’ils considèrent l’autisme comme une tare et le mot autiste comme une insulte. Nous devrions donc nous définir en fonction de leur regard, alors que c’est dans leurs yeux qu’est le problème.

Il y a aussi une grande hypocrisie dans cette phrase et celles qui s’y apparentent (On ne veut pas mettre d’étiquette, Il ne faut pas mettre les gens dans une case). Pendant quasiment trois ans, j’ai eu un psychiatre et un psychologue qui utilisaient la psychanalyse et ils me répétaient ad nauseam la phrase On ne veut pas mettre d’étiquette, pour éviter de répondre à mes questions, me laissant dans l’incertitude la plus absolue sur ce qui m’arrivait (est-ce que ça pouvait aller mieux ? est-ce que j’allais finir ma vie dans un HP ?). C’était d’une grande violence pour moi et j’en souffrais énormément. Cela le serait pour n’importe qui, donc je vous laisse imaginer l’effet sur un cerveau autiste qui a besoin de comprendre, d’analyser, de croiser les sources, de limiter les imprévus, etc (ah, mais pardon, je suis en train de me réduire à mon trouble

🤣
!). A côté de ça, je trouve qu’il n’y a rien de plus réducteur que les concepts psychanalytiques, qu’on applique à tout le monde comme des vérités révélées, sans jamais se remettre en question ni évaluer la pertinence et l’efficacité de ce qu’on propose aux patients, ni bien sûr rediriger vers un professionnel qui utilise une autre approche devant l’échec flagrant de ces mesures. Et surtout, pour me prescrire des neuroleptiques, là il n’y avait pas d’hésitation.

Parce que dans les faits, ça donne quoi les applications pratiques des personnes qui nous répètent cette phrase à tout va ? Eh bien, c’est très simple : si on ne peut pas se définir par notre trouble, eux ont tous les droits de nous y réduire (ce sont deux choses différentes, j’y reviendrai). Ils vont nous refuser un diagnostic sous prétexte de ne pas nous enfermer dans une case, nous privant de la possibilité de nous renseigner sur le sujet et de partager avec des gens qui ont un vécu similaire. Attention, je ne parle pas du cas où il n’y aurait réellement pas de diagnostic, où le médecin n’a pas d’explication, ce qui peut bien sûr arriver, mais de celui où il s’est fait son idée mais refuse de la partager à un patient qui en fait la demande. Ils vont nous dire qu’on ne doit pas trop sympathiser avec les personnes avec qui on est hospitalisé ou qu’on n’a pas besoin de fréquenter des lieux où des usagers se regroupent entre eux et sans la supervision de soignants. Et également aussi qu’on ait des amis un peu plus dans la norme. Ils vont nous dire que fréquenter des groupes d’entraide en ligne, c’est s’enfermer dans un ghetto. Ils vont refuser de parler de groupes comme les Entendeurs de voix à des personnes désespérées, parce qu’ils ont décrété que de toute façon c’était inutile. Ils vont nous donner des médicaments pendant des années, ne se concentrant que sur les symptômes de notre pathologie, en ignorant notre vécu, y compris des éléments fondateurs de notre histoire. Ils ne nous donneront pas les outils adaptés à nos particularités, puisque ce serait nous mettre une étiquette sur le front. Ils ne nous aideront pas à traiter nos traumatismes (au contraire, même, ils en provoqueront de nouveaux), parce que c’est plus simple d’augmenter un peu la dose de neuroleptiques. Ils seront plus que réticents quand on voudra diminuer notre traitement, voire l’arrêter, parce que notre maladie c’est à vie, il faut prendre des médicaments aux effets secondaires très lourds parce que C’est plus sûr (pour eux). Ils nous dissuaderont d’aller voir un psychologue quand on voudra mieux comprendre notre histoire, parce que ce n’est pas bon de remuer des choses difficiles. Ils traiteront les pair aidants comme de petites choses fragiles à surveiller, mais les stigmatiseront quand ils rechuteront. Ils s’en serviront comme d’un alibi pour redorer leur image, les exposant comme modèle de réussite de leurs traitements et les utilisant pour mieux faire avaler leurs couleuvres aux patients, mais ne les considèreront pas de la même façon que les autres membres de l’équipe. Et ils nous pousseront à l’euthanasie quand leurs traitements maltraitants se seront montrés inefficaces. Quand on sera persuadé d’être un cas désespéré, d’avoir tout essayé (alors qu’on ne nous aura proposé que du purement médical), qu’on n’aura plus aucune estime de nous même et aucune énergie vitale, on pourra se faire euthanasier, là on trouvera quelqu’un pour nous accompagner.

Donc voilà, de façon très concrète, ce que font les personnes qui nous reprochent de nous définir par notre trouble. Ils nous y réduisent de la façon la plus violente sous des discours soi disant positifs et bien intentionnés.

Je voudrais apporter quelques précisions au sujet des notions apportées dans ce billet. Premièrement, se définir par quelque chose ne veut pas dire que c’est définitif. Je suis la première concernée, je me suis définie comme schizophrène alors que ce diagnostic était erroné. Mais la façon de se définir peut fluctuer dans le temps, comme dans le cas d’une personne qui se dit hétérosexuelle parce que c’est ce que la société attend d’elle, avant de comprendre qu’elle est homosexuelle, ou simplement parce que son orientation est fluctuante. Ensuite, se définir par quelque chose ne veut pas dire que l’on s’y réduit. Je n’ai jamais entendu personne pousser les hauts cris quand je dis que je suis romaniste ou que je suis un femme, ce sont aussi pourtant des manières de me définir. Mon autisme influence énormément la façon dont je perçois le monde, à travers mes sens notamment, ma façon de communiquer, mon rapport aux autres, ma sensibilité aux injustices, la façon d’investir mes centres d’intérêt, donc bien sûr que si, ça me définit. Les troubles de santé et le handicap qui y sont associés, et qui sont là notamment parce qu’il n’a jamais été pris en compte, justement, ont modifié pour toujours mon rapport à la douleur et à la souffrance, mes projets de vie, ma façon de voir celle-ci, ont influencé mes amitiés, m’ont confrontée à des questions de vie et de mort avant ma majorité, à la stigmatisation, à la remise en question permanente. Tout cela m’a brisée un nombre incalculable de fois et exposée à des maltraitances répétées. Donc, bien sûr que si, ça me définit et ça a changé et change encore ma manière d’être au monde.

Mais je le répète, être défini par quelque chose ne veut pas dire s’y réduire. J’ai mon histoire, mon caractère et ma personnalité, comme chacun d’entre nous. Et cette chose peut nous définir un moment et puis plus du tout. Elle peut aussi changer de nom. Elle ne veut pas dire que rien d’autre ne nous définit. On a, comme tout un chacun, un très grand nombre de qualificatifs pour nous définir. Je ne suis pas qu’autiste. Je suis de nombreuses choses. Et je ne veux pas que les gens décident quelles choses sont acceptables pour me définir et lesquelles ne le sont pas. C’est à nous de choisir comment on se définit, pas à un psychiatre du haut de sa tour d’ivoire qui assène les mêmes injonctions à tout le monde et fait le contraire de ce qu’il dit, car non seulement il nous définit par notre trouble mais il nous y réduit violemment. Et les injonctions paradoxales, on le sait, ça rend fou.


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