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Drive My Car : Le virage audacieux des Beatles vers une nouvelle ère

Publié le 01 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsque Rubber Soul sort le 3 décembre 1965 au Royaume-Uni, puis le 15 juin 1966 aux États-Unis, il marque un tournant décisif dans l’évolution artistique des Beatles. Loin de la pop acidulée de leurs débuts, l’album révèle un son plus sophistiqué, des paroles plus matures et une approche plus aventureuse en studio. Dès les premières notes de Drive My Car, qui ouvre le disque, le ton est donné : un groove irrésistible, une basse puissante, et surtout une inversion des rôles traditionnels dans la narration des chansons d’amour.

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Une chanson qui défie les conventions

Jusqu’alors, les Beatles chantaient principalement des histoires de romance idéalisée, où l’homme courtise la femme. Drive My Car renverse cette dynamique en racontant l’histoire d’une femme ambitieuse et déterminée qui veut faire de son interlocuteur son chauffeur… en échange de faveurs non dites. Il ne s’agit pas d’un simple récit de romance naïve, mais bien d’un dialogue piquant entre un homme et une femme aux ambitions divergentes. L’audace du texte est soulignée par des sous-entendus clairement sexuels : « You can do something in between » et surtout, l’expression Drive My Car, issue du blues américain, qui était une métaphore explicite pour le sexe.

Paul McCartney, qui a écrit l’essentiel du morceau avant que John Lennon ne l’aide à le finaliser, raconte avoir eu du mal à trouver une ligne directrice convaincante. La première version de la chanson parlait de bagues en or :

« Les paroles étaient désastreuses et je le savais… C’est une des rares chansons où John et moi avons frôlé la panne sèche. Ce que j’avais écrit parlait de bagues en or, et je savais que c’était une impasse. ‘Rings’ rime toujours avec ‘things’, et c’est une mauvaise idée. » – Paul McCartney, Many Years From Now

Après plusieurs tentatives infructueuses, une pause s’impose. Puis, subitement, l’inspiration surgit : « Drive My Car » remplace les bagues en or et la chanson prend un virage mordant et ironique. McCartney et Lennon trouvent alors la touche d’humour noir qui leur manquait : la femme promet monts et merveilles à son interlocuteur, pour finalement avouer qu’elle n’a même pas de voiture. Un retournement malicieux qui rappelle l’ironie de Norwegian Wood.

Une rythmique inspirée d’Otis Redding

La force de Drive My Car ne réside pas seulement dans ses paroles, mais aussi dans son groove irrésistible. George Harrison, grand amateur de soul américaine, venait d’écouter le morceau Respect d’Otis Redding, un titre au rythme syncopé porté par une ligne de basse dominante. Inspiré, il propose d’adopter une approche similaire :

« J’ai aidé à structurer pas mal d’arrangements. Sur ‘Drive My Car’, j’ai joué cette ligne de guitare, qui est vraiment une variation d’un riff d’Otis Redding, et Paul l’a doublée à la basse. » – George Harrison, Crawdaddy, 1977

Le résultat est une rythmique énergique, où la basse et la guitare jouent des lignes identiques, conférant au morceau une assise puissante et résolument funky. Paul McCartney, qui prend souvent la guitare lead à cette époque, joue ici un solo tranchant qui renforce l’intensité du morceau.

Une session nocturne sous haute tension

Enregistré le 13 octobre 1965 dans les studios d’Abbey Road, Drive My Car donne du fil à retordre aux Beatles. La session débute à 19h et se prolonge jusqu’à 00h15, marquant la première fois où le groupe dépasse minuit en studio. La mise au point du morceau demande plusieurs prises, et il faudra quatre essais pour capturer la bonne version du backing track.

La composition du groupe en studio est révélatrice des tensions et des dynamiques de l’époque. Contrairement aux souvenirs de Harrison dans Anthology, où il prétend avoir joué la basse, c’est bien McCartney qui s’en charge, tandis que Harrison et Lennon se partagent les parties de guitare et de piano. Ringo Starr, quant à lui, assure une batterie solide et ajoute une touche distinctive avec le cowbell (cloche de vache), élément rythmique emblématique de plusieurs chansons des Beatles.

Une réinvention moderne dans Love

En 2006, Drive My Car trouve une nouvelle vie sur l’album Love, un projet de remix officiel créé pour le spectacle du Cirque du Soleil. Ce mashup audacieux fusionne la chanson avec des éléments de The Word et What You’re Doing, ainsi que le solo de guitare de Taxman et les cuivres de Savoy Truffle. Ce montage posthume révèle à quel point le morceau s’intègre naturellement dans le puzzle musical des Beatles, preuve de la cohérence et de la richesse de leur catalogue.

Un héritage indélébile

Si Drive My Car reste l’une des chansons les plus emblématiques de Rubber Soul, c’est parce qu’elle incarne à elle seule l’évolution des Beatles en 1965 : un humour plus acéré, des paroles plus sophistiquées, et un son plus marqué par les influences noires américaines. Avec ce titre, le groupe amorce une transformation qui culminera dans Revolver et Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band.

Aujourd’hui encore, Drive My Car reste un incontournable du répertoire des Beatles. Son rythme implacable et son esprit mordant continuent de séduire les générations successives, rappelant pourquoi Rubber Soul est souvent considéré comme le véritable point de bascule entre la Beatlemania et l’âge d’or créatif du groupe. Plus qu’une simple chanson d’ouverture, Drive My Car est le premier tour de roue d’une aventure musicale qui allait bientôt explorer de nouveaux horizons inexplorés.


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