N’hésitez pas à venir traverser l’Atlantique à bord du paquebot Virginian, afin d’y assister à la naissance d’un prodige du piano lors d’un voyage où la musique et la poésie finissent par se confondre sur un océan transformé en partition.
Enfant abandonné sur un navire traversant l’Atlantique, Lemon Novecento grandit sans jamais poser le pied à terre, mais en construisant progressivement sa légende de pianiste virtuose. Élevé par un marin puis par l’équipage, il devient en effet très vite un pianiste d’exception, jouant pour les passagers de toutes classes, du grand salon aux cales du navire, se nourrissant des récits des voyageurs et transformant les mouvements de la mer en musique. Son histoire, racontée par Tim Tooney, trompettiste et ami fidèle, prend la forme d’un monologue vibrant, mêlant amitié, admiration et le souffle du jazz.
Alessandro Baricco compose ici une œuvre où la musique n’est pas seulement un décor, mais la matière même du récit. Le texte, écrit pour le théâtre, épouse le rythme de l’océan : balancements, silences, crescendos et improvisations. Chaque page résonne comme une partition où les mots deviennent notes, les phrases des arpèges et le lecteur, un auditeur en apnée. Voguant entre les terres, suspendu aux 88 touches du piano de ce virtuose sans rivage, le lecteur se laisse volontiers envoûter, tel Ulysse succombant au chant des sirènes dans l’Odyssée d’Homère.
La dimension poétique est omniprésente lors de ce voyage rythmé par les vagues de l’océan, là où l’infini, la solitude et la quête de soi se côtoient. Lemon Novecento, personnage lunaire, incarne la pureté de l’artiste qui préfère l’immensité rassurante de l’océan à la vertigineuse complexité du monde. Sa musique, décrite comme « d’un autre monde », traverse les genres, du jazz à la mélodie classique, devenant très vite le langage universel de l’émotion.
La structure du récit, monologue théâtral, renforce l’intimité et la magie. Le lecteur se retrouve en effet convié à écouter, à ressentir et à se laisser porter. Les scènes de duel musical avec Jelly Roll Morton sont à ce titre d’une virtuosité narrative rare, traduisant en mots l’exaltation de l’improvisation et la puissance de la création.
Si le roman séduit par sa musicalité, il touche aussi par sa poésie. Alessandro Baricco tisse une fable sur le choix, la liberté, l’infini des possibles et la peur de se perdre. La mer, le piano, l’amitié, tout devient métaphore d’une existence suspendue entre deux mondes, le récit d’une âme insaisissable, enfant du piano et de la mer.
Ce court texte inclassable est un bijou littéraire, une ode à la musique et à la poésie, un conte moderne qui laisse une empreinte durable. On referme ce livre comme on sortirait d’un concert : ému, émerveillé et… avec le risque de souffrir encore longtemps du mal de terre.
Novecento : pianiste, Alessandro Baricco, Folio Bilingue, 192 p., 10,50 €
Elles/ils en parlent également : Anne-Sophie, Domi, Lali, Petit gateau, Petite Balabolka
