Prince a vivement critiqué l’utilisation des voix d’artistes décédés, jugeant cette pratique « démoniaque ». Il dénonçait notamment Free As A Bird des Beatles, issue d’une démo de John Lennon retravaillée en 1995. Son inquiétude sur l’exploitation technologique de la musique s’avère aujourd’hui prémonitoire avec l’essor de l’intelligence artificielle.
Prince, artiste visionnaire et inclassable, a toujours été réticent à l’idée d’exploiter les nouvelles technologies à des fins qu’il jugeait artificielles. Lui qui savait si bien naviguer entre les genres et repousser les limites de la pop music avait pourtant une ligne rouge qu’il refusait de franchir : la manipulation des voix d’artistes décédés. En témoigne son réquisitoire cinglant contre « Free As A Bird » des Beatles, chanson ressuscitée en 1995 à partir d’une démo de John Lennon. Pour Prince, cette utilisation technologique était purement et simplement « démoniaque ».
Sommaire
- Une réunion inédite sous le sceau de l’absence
- Prince et sa méfiance vis-à-vis de la technologie
- Un malaise partagé au sein des Beatles
- Une prémonition sur l’IA et la musique
- Un débat toujours d’actualité
Une réunion inédite sous le sceau de l’absence
Au milieu des années 1990, alors que la nostalgie entourant les Beatles était à son paroxysme, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr se réunissaient pour le projet Anthology. Cette entreprise pharaonique visait à proposer des archives inédites du groupe, accompagnées de nouveaux morceaux basés sur des démos laissées par John Lennon. Parmi celles-ci figurait « Free As A Bird », une chanson inachevée de Lennon que les « Threetles », comme les avait surnommés la presse, ont décidé de finaliser.
En utilisant les technologies alors naissantes, les Beatles survivants ont intégré la voix de Lennon à leur enregistrement, réalisant une sorte de jam posthume avec leur ami disparu. Pour certains fans, c’était un miracle musical ; pour d’autres, dont Prince, il s’agissait d’un affront à l’éthique artistique.
Prince et sa méfiance vis-à-vis de la technologie
Dans une interview accordée à Guitar World, Prince ne cachait pas son mépris pour ce type d’expérience. « C’est la chose la plus démoniaque imaginable. Tout est comme il doit être, et il faut l’accepter. Si j’avais dû jouer avec Duke Ellington, nous aurions vécu à la même époque. Ce concept de réalité virtuelle… c’est démoniaque. Et je ne suis pas un démon. »
Ses propos ne se limitaient pas à une simple critique de la chanson des Beatles. Il exprimait une inquiétude plus large sur la direction que prenait l’industrie musicale, où la technologie risquait de déshumaniser l’art et d’exploiter les artistes au-delà de la mort.
Un malaise partagé au sein des Beatles
L’idée d’utiliser la voix de Lennon n’était pas exempte de doutes, même parmi les Beatles eux-mêmes. Paul McCartney se souvient avoir demandé l’accord de Yoko Ono, en lui disant : « N’impose pas trop de conditions. C’est déjà assez difficile émotionnellement. Si ça ne fonctionne pas, on arrêtera. » Ringo Starr, quant à lui, reconnaissait la complexité du projet : « Nous avons d’abord pensé à faire de la musique instrumentale, car que pouvions-nous faire d’autre ? Nous étions quatre Beatles, et il n’en restait plus que trois. »
Même George Martin, producteur emblématique des Beatles, exprimait son malaise face à cette « collaboration » avec un John Lennon d’outre-tombe.
Une prémonition sur l’IA et la musique
Près de trente ans plus tard, le point de vue de Prince résonne avec encore plus d’acuité. L’avènement de l’intelligence artificielle générative a déjà conduit à la reproduction de voix d’artistes décédés — souvent sans leur consentement ou celui de leurs ayants droit. En 2023, Paul McCartney annonçait la sortie d’une ultime chanson des Beatles, « Now and Then », en utilisant des techniques d’IA avancées pour extraire la voix de Lennon d’une démo dégradée.
Prince, qui s’est toujours battu pour le contrôle absolu de son art, aurait probablement dénoncé cette tendance. Son mot d’ordre était clair : « La technologie est formidable, mais il faut l’utiliser plutôt que de la laisser nous utiliser. » Sa crainte que la créativité humaine soit dépossédée au profit d’un ersatz artificiel semble aujourd’hui plus réaliste que jamais.
Un débat toujours d’actualité
La question posée par Prince en 1995 reste d’une brûlante actualité. Où tracer la limite entre hommage sincère et exploitation douteuse ? Jusqu’où la technologie peut-elle intervenir dans l’acte créatif sans le dénaturer ? Les Beatles, en pionniers, ont initié une réflexion qui continue de diviser. Pour Prince, la réponse était sans équivoque : il était hors de question que sa musique soit un jour manipulée de cette façon.
Alors que les labels et les ayants droit scrutent les possibilités infinies offertes par l’IA, la mise en garde de Prince résonne comme une prophétie : l’artiste doit rester maître de son oeuvre, même dans l’au-delà.
