Le 30 novembre 1970, un événement majeur marquait la scène musicale : la sortie de All Things Must Pass, le troisième album solo de George Harrison, précédée de quelques jours par une publication aux États-Unis. Ce projet colossal n’a pas seulement confirmé l’exceptionnel talent de l’ex-Beatle en dehors du groupe, mais il a aussi fait entrer Harrison dans la lumière en tant que compositeur et artiste indépendant. L’album se distingue non seulement par son contenu musical d’une richesse rare, mais aussi par sa portée philosophique. À travers ce disque, George Harrison invite l’auditeur à une méditation profonde sur la vie, la finitude et l’intemporalité, le tout enveloppé dans une production ambitieuse et un jeu d’instruments de très haute qualité. Retour sur une œuvre unique, aussi riche en histoire qu’en mélodies intemporelles.
Sommaire
- La Philosophie et les Inspirations Spirituelles Derrière l’Œuvre
- La Genèse de l’Album : Une Naissance Longue et Difficile
- Une Production Monumentale : L’Influence de Phil Spector et des Collaborations Exceptionnelles
- Un Message Universel
- L’Héritage d’Un Disque Incontournable
La Philosophie et les Inspirations Spirituelles Derrière l’Œuvre
L’une des caractéristiques les plus marquantes de All Things Must Pass réside dans sa dimension philosophique, portée par des influences spirituelles de premier plan. Le titre éponyme, et l’album dans son ensemble, sont imprégnés des enseignements du Tao Te Ching, texte fondamental du taoïsme. George Harrison, passionné par les philosophies orientales depuis ses années avec les Beatles, a trouvé dans le Tao une source profonde d’inspiration. Le titre All Things Must Pass résonne comme une méditation sur la nature transitoire de la vie, un thème qui traverse toute l’œuvre de l’artiste.
L’élément déclencheur de cette œuvre semble être une phrase du philosophe américain Timothy Leary, qui traduisait ainsi un passage du Tao Te Ching : « All things pass / A sunrise does not last all morning / All things pass / A cloudburst does not last all day. » Ce vers a profondément marqué Harrison, comme il le confia dans une interview à Billboard en 1970. Bien que la citation provienne de Leary, l’idée de transience était présente dans les écrits de mystiques et penseurs de tous horizons, ce qui explique pourquoi George Harrison y a vu un message universel et intemporel.
Le processus créatif autour de cette chanson, et de l’album en général, fut marqué par une démarche de réconciliation intérieure et de recherche spirituelle. Harrison, comme beaucoup de musiciens de l’époque, explorait les frontières de la conscience et de l’esprit, à travers ses lectures et ses rencontres. Il affirma ainsi que la composition de All Things Must Pass était aussi influencée par l’album Music From Big Pink du groupe The Band, qui avait une approche musicale et lyrique empreinte de mysticisme. Cette fusion d’influences diverses – de la musique américaine à la philosophie orientale – se retrouve dans la grandeur musicale de l’album.
La Genèse de l’Album : Une Naissance Longue et Difficile
L’idée de All Things Must Pass prit forme bien avant la sortie du disque en 1970. L’histoire de sa naissance est marquée par plusieurs tentatives infructueuses de la part de Harrison pour enregistrer cette chanson avec ses anciens camarades des Beatles. Dès février 1969, Harrison enregistra une démo de la chanson pour ses propres besoins. Ce fut l’occasion pour lui d’explorer des pistes personnelles qu’il avait longtemps réprimées au sein du groupe, et de se rendre compte qu’il avait des choses importantes à dire en dehors de la sphère de John Lennon et Paul McCartney.
Lors des sessions du projet Get Back (futur Let It Be), Harrison tenta à plusieurs reprises d’intéresser ses compères aux compositions qu’il avait écrites, dont All Things Must Pass. Cependant, l’album n’a jamais vu le jour dans le cadre du groupe, faute d’une adhésion totale de la part des autres membres, accaparés par leurs propres visions musicales. À cette époque, Harrison n’était encore qu’un membre secondaire au sein des Beatles, souvent relégué à la composition de morceaux secondaires dans les albums du groupe.
En revanche, ce qui était resté sous forme de démos personnelles fut peaufiné dans les studios EMI dès mai 1970, après la séparation du groupe. Bien que la chanson All Things Must Pass ne fasse pas partie des premiers morceaux enregistrés par Harrison pour son album, la phase d’enregistrement en juin 1970 en studio a été décisive. La chanson a pris forme progressivement, avec une production qui allait être marquée par l’implication de Phil Spector, producteur légendaire, et de nombreux musiciens invités.
Une Production Monumentale : L’Influence de Phil Spector et des Collaborations Exceptionnelles
L’un des aspects les plus marquants de All Things Must Pass est la production du disque, orchestrée par Phil Spector. Le producteur, connu pour sa « wall of sound », une technique qui empile de manière dense et riche les couches sonores dans une chanson, donna à cet album une dimension sonore impressionnante. Le travail de Spector sur ce projet fut exceptionnel. Mais ce n’était pas une simple aventure technique : c’était un mariage de talents créatifs. Le travail de l’ingénieur Ken Scott, aux côtés de Spector, ainsi que la contribution des musiciens invités, contribua à faire de All Things Must Pass un disque à la fois profond et vaste, qui n’a jamais été relégué dans le rôle de simple album « solo » mais a réellement été conçu comme un projet majeur.
Les musiciens invités sur cet album sont issus de la crème de la scène rock et blues de l’époque. Eric Clapton, ami proche et collaborateur de Harrison, apporta sa guitare distinctive et ses harmonies vocales à de nombreuses chansons de l’album, notamment All Things Must Pass. Clapton, qui avait déjà joué sur plusieurs projets solo de Harrison, donna une couleur particulière à cet album en y apportant sa touche personnelle. Le claviériste Bobby Whitlock, également membre de Derek and the Dominos, et Klaus Voormann, le bassiste emblématique de l’époque, ajoutèrent une profondeur musicale indéniable à l’album.
Les percussions, souvent dominées par l’approche sobre de Ringo Starr, sont soutenues par l’excellente section rythmique de Jim Gordon, connu pour ses collaborations avec Clapton et d’autres grands noms du rock. Les interventions de Pete Drake à la pedal steel guitar et la touche de grandeur apportée par des instruments à vent et à cordes offrent une dimension épique à la chanson-titre All Things Must Pass, et à l’album dans son ensemble.
Un Message Universel
La chanson All Things Must Pass ne se contente pas d’être un morceau musicalement remarquable ; elle est aussi un message universel sur l’impermanence de toute chose. L’une des citations les plus célèbres de George Harrison à propos de cette chanson reste : « Quand j’ai écrit All Things Must Pass, je voulais faire une chanson à la manière de Robbie Robertson et The Band. Et c’est ce que cela est devenu ». Harrison, toujours en quête d’équilibre entre ses racines musicales rock et ses aspirations mystiques, réussit ici à tordre la forme de la chanson rock classique pour en faire un hymne au changement et à la résilience.
À travers les paroles de All Things Must Pass, Harrison livre un cri de sagesse et de réconciliation avec le monde, qu’il soit vu sous un angle spirituel ou plus terre-à-terre. La phrase « All things must pass » évoque la finitude des choses et l’acceptation de ce cycle de naissance et de mort. C’est une méditation sur la fragilité de l’existence, mais aussi sur la beauté et la nécessité du passage.
L’Héritage d’Un Disque Incontournable
Au fil des ans, All Things Must Pass est devenu bien plus qu’un simple album. C’est une œuvre qui a su capter l’essence du changement des années 1970 et la quête de vérité spirituelle qui animait Harrison à cette époque. Non seulement cet album a marqué un tournant dans la carrière de George Harrison, mais il a aussi laissé une empreinte durable sur la musique rock, la pop et la culture musicale en général.
Avec ses mélodies envoûtantes, ses arrangements somptueux et ses textes introspectifs, All Things Must Pass reste une référence essentielle pour comprendre l’évolution de la musique post-Beatles et la dimension spirituelle qui s’en dégage. Plus qu’un album, c’est un testament musical et philosophique d’un artiste qui, après la fin de l’un des groupes les plus influents de l’histoire, a su trouver sa propre voix, sa propre voie.
