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« Honey Pie » : Le clin d’œil rétro des Beatles sur l’Album Blanc

Publié le 07 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 22 novembre 1968 au Royaume-Uni, puis le 25 novembre aux États-Unis, sort un double album qui allait marquer l’histoire du rock : le fameux White Album des Beatles, officiellement intitulé The Beatles. Parmi ses trente titres éclectiques, on trouve une pépite singulière, « Honey Pie », qui se distingue par son charme rétro et sa nostalgie assumée pour le music-hall britannique d’antan. Paul McCartney, grand admirateur du style vaudeville, y livre un véritable hommage aux artistes des années 1920-1930, avec un zeste d’humour et une pincée de fantaisie.

Sommaire

Un goût prononcé pour le music-hall

Dès les premières mesures de « Honey Pie », l’oreille se transporte dans l’univers feutré des cabarets d’autrefois. Paul McCartney l’a confié lui-même :

« Both John and I had a great love for music hall, what the Americans call vaudeville… Je tenais à recréer cette atmosphère particulière, la voix de crooner fruitée, tout ce qui rappellerait les fredaines de la scène et la magie du cinéma hollywoodien. »
(Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles)

En réalité, « Honey Pie » ne partage que le nom avec un autre morceau de l’album, « Wild Honey Pie », beaucoup plus expérimental. Ici, c’est la sophistication qui prime. Paul explique avoir composé la chanson pour une femme imaginaire, star du grand écran, qu’il surnomme « Honey Pie », et à laquelle il adresse une véritable lettre d’amour musicale :

« ‘Honey Pie’, alors, est un retour aux années 1930, voire aux années 1920, l’époque des flappers et d’Hollywood. »
(*Paul McCartney, The Lyrics: 1956 To The Present)

Des débuts en mode démo

Avant même l’enregistrement officiel, « Honey Pie » avait déjà pris forme lors d’une session démo chez George Harrison, à Esher, juste avant le début des séances du White Album. Cette version préliminaire, aujourd’hui disponible sur Anthology 3, révèle des paroles légèrement différentes et ne comporte pas l’introduction qu’on entendra sur l’album final. C’est pourtant ce bref enregistrement qui jette les bases de l’ambiance rétro et donne le ton nostalgique caractéristique du morceau.

Au cœur des studios Trident

Le véritable travail d’enregistrement commence le 1ᵉʳ octobre 1968 aux studios Trident, dans Wardour Street à Londres. Un seul take complet est réalisé ce jour-là, même si l’on suppose plusieurs essais préalables, effacés au fur et à mesure. La configuration instrumentale se révèle particulièrement intéressante :

  • Paul McCartney : piano et chant principal
  • John Lennon : guitare électrique (lead) et guitare rythmique
  • George Harrison : basse (une Fender à six cordes)
  • Ringo Starr : batterie

Paul McCartney enregistre plus tard sa partie vocale définitive, tandis que John Lennon ajoute un solo de guitare pour le moins surprenant :

« John played a brilliant solo on ‘Honey Pie’ … sounded like Django Reinhardt or something. It was one of them where you just close your eyes and happen to hit all the right notes. »
(George Harrison, Guitar Player, novembre 1987)

Le résultat : un climat parfaitement raccord avec l’univers jazzy, hérité du swing des années 1920-1930.

L’apport précieux de George Martin

L’un des secrets de la réussite de « Honey Pie » tient à l’arrangement de bois (woodwind) concocté par le producteur George Martin. Après le premier enregistrement, Martin élabore une orchestration digne d’une revue de l’entre-deux-guerres, avec cinq saxophones et deux clarinettes. Les musiciens réunis pour l’occasion – Dennis Walton, Ronald Chamberlain, Jim Chester, Rex Morris, Harry Klein pour les saxophones, et Raymond Newman, David Smith pour les clarinettes – renforcent le cachet « rétro » de la chanson.

Cette session supplémentaire a lieu le 4 octobre 1968. On y ajoute notamment un effet sonore évoquant l’ancien temps, comme si on écoutait un disque 78 tours un peu usé :

« We put a sound on my voice to make it sound like a scratchy old record. So it’s not a parody, it’s a nod to the vaudeville tradition that I was raised on. »
(Paul McCartney, Many Years From Now, Barry Miles)

Le résultat est bluffant : la voix de McCartney se pare de crépitements caractéristiques, et l’on a l’impression de voyager un demi-siècle en arrière.

Un regard personnel sur la nostalgie

Si « Honey Pie » revêt une tonalité légère et divertissante, elle témoigne aussi de l’admiration profonde de Paul McCartney pour les grandes figures du spectacle et du cinéma. Fred Astaire, Nat King Cole, Fats Waller… tous ces noms résonnent comme des modèles de style et de prestance. McCartney dit ainsi :

« I was definitely thinking of Fred [Astaire] and the whole world of the silver screen when I was writing ‘Honey Pie’… Si je devais choisir un artiste à incarner, j’adorerais qu’on me considère comme héritier de Nat King Cole, Fats Waller ou Fred Astaire. »

Ce clin d’œil appuyé à l’âge d’or d’Hollywood et au music-hall britannique s’inscrit dans la ligne audacieuse que les Beatles adoptent tout au long de l’Album Blanc, naviguant à travers une multitude de genres musicaux. « Honey Pie » renforce cette versatilité : après des titres rocks, folk ou expérimentaux, le groupe démontre qu’il peut embrasser la tradition du jazz et des comédies musicales avec tout autant de crédibilité.

L’héritage dans la discographie des Beatles

Disponible sur le White Album et ressurgi plus tard dans Anthology 3, « Honey Pie » est souvent cité comme l’une des expériences les plus réussies des Beatles pour explorer des courants rétro. Elle ouvre une brèche vers un univers moins rock et bien plus théâtral, sans rien perdre de la verve et de la maîtrise musicale qui caractérisent le quatuor de Liverpool. En plus d’être l’un des morceaux les plus « vintage » du catalogue du groupe, il est la preuve du talent protéiforme de Paul McCartney, capable de passer du rock psychédélique à l’élégance surannée d’une chanson de cabaret.

Conclusion : un savoureux parfum d’antan

Plus d’un demi-siècle après sa sortie, « Honey Pie » reste un incontournable pour qui veut comprendre l’âme inventive des Beatles en 1968. Entre la nostalgie palpable, l’instrumentation soignée et l’humour omniprésent, ce titre offre un véritable voyage dans le temps. À l’écoute, on a le sentiment de plonger dans une salle enfumée, quelque part dans les années folles, tandis que McCartney, en parfait entertainer, nous susurre des mots doux avec un clin d’œil complice.

Ainsi, en quelques minutes, « Honey Pie » parvient à réconcilier deux époques : celle du swing et de l’âge d’or hollywoodien, et celle de la révolution pop qui a fait la renommée des Beatles. Un brillant hommage, tout en légèreté, à une époque révolue… mais jamais oubliée. 


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