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Deux Poèmes de Mahmoud Darwich

Par Etcetera
Deux Poèmes Mahmoud Darwich

Après avoir lu le recueil d’entretiens de Mahmoud Darwich, j’ai eu envie de lire une anthologie de ses poésies et, dans ma librairie habituelle, je suis tombée sur celle-ci, intitulée « Et la terre se transmet comme la langue« , qui venait justement de paraître cette année chez Actes Sud.
Certains poèmes sont un peu plus difficiles d’accès que d’autres ; aussi, la lecture préalable de son recueil d’entretiens ne m’a pas été inutile : une fois qu’on est familiarisé avec sa pensée et ses notions de commencement, d’origine, d’ennemi, d’étranger ou d’exil, il me semble qu’on entre plus aisément dans ses poèmes. Du moins, on est plus conscient de l’arrière-plan et des croyances de Mahmoud Darwich.
Un certain nombre de ses poèmes sont longs de plusieurs pages, animés par un souffle qui ne faiblit jamais, qui ne connaît aucune pause : le lecteur est emporté par ce flux continu, par la beauté des images, par l’universalité intemporelle des sensations exprimées.
Une poésie qui, certes, englobe des impressions politiques, historiquement et géographiquement situées, mais qui s’adresse surtout au plus profond de chacun, à la sensibilité des lecteurs, quels qu’ils soient.

Note pratique sur le livre

Éditeur : Actes Sud
Année de publication : 2025
Traduit de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar
Nombre de pages : 140

Note biographique sur le poète

Mahmoud Darwich est né en 1941 à Birwa près de Saint-Jean-d’Acre en Palestine.
En 1948, son village est détruit par les forces sionistes et sa famille se réfugie au Liban. Mais il revient clandestinement la même année en Palestine pour y faire ses études.
Il commence très jeune une carrière de journaliste tout en publiant ses premiers poèmes. Engagé dans le combat politique, il milite dans le parti communiste israélien, ce qui lui vaut d’être emprisonné à plusieurs reprises de 1960 à 1970 et d’être assigné en résidence à Haïfa. Mahmoud Darwich quitte Israël en 1971 et choisit de s’exiler d’abord au Caire, puis à Beyrouth, à Tunis et Paris. Membre du comité exécutif de l’OLP, il démissionne en 1993 et partage son temps entre Amman et Ramallah.
Il s’est éteint le 9 août 2008 à Houston, Texas.
(Source : Site internet de l’éditeur)

Quatrième de couverture

L’identité palestinienne est au cœur de l’œuvre de Mahmoud Darwich : Que signifie faire partie d’un peuple forcé au déracinement ? Et comment écrire un pays qui ne figure pas sur les cartes du monde ?
Dans les poèmes au souffle épique réunis ici, l’auteur revient sur les mythes que le passé a inscrits dans sa mémoire, seule possibilité pour lui de surmonter le tragique de l’exil et répondre à la question de l’après.
Emprunts d’une douce mélancolie, ces textes portent la voix d’un enfant de Galilée qui a, plusieurs fois, échappé à une mort certaine. Ils semblent être des témoins, quelques pierres au bord d’un chemin qui rappellent le destin d’hommes et de femmes sacrifiés dans l’étau de l’Histoire.

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Deux Poèmes

(Page 137)

ILS N’ONT PAS DEMANDÉ
QU’Y A-T-IL PAR-DELÀ LA MORT

Ils n’ont pas demandé
Qu’y a-t-il par-delà la mort.
Ils retenaient la carte du paradis mieux
que le livre de la terre.
Une autre question les taraudait :
Que ferons-nous avant cette mort ?
Près de notre vie,
nous vivons et ne vivons pas.
Comme si notre vie
n’était que parcelles du désert disputées
entre les dieux fonciers et nous,
les voisins disparus de la poussière.
Notre vie est un fardeau pour l’historien :
« Chaque fois que je les fais disparaître,
ils ressurgissent de l’absence… »
Notre vie est un fardeau pour le peintre :
« Je les dessine,
je deviens l’un d’eux
et la brume me dissimule. »
Notre vie est un fardeau pour le général :
« Comment le sang coule-t-il d’un fantôme ? « 
Notre vie est d’être comme nous le voulons.
Nous voulons vivre un peu, pour rien… par respect
de la résurrection après cette mort.
Ils ont spontanément cité le philosophe :
« La mort ne veut rien dire pour nous.
Nous existons
et elle n’existe plus.
La mort ne veut rien dire pour nous…
Elle existe
et nous n’existons plus. »
Puis ils ont réorganisé leurs rêves
et se sont endormis debout !

2004

*

(Page 93)

ICI… ET MAINTENANT

Ici et maintenant…
L’Histoire ne se soucie ni des arbres ni des morts.
Aux arbres de s’élever,
de ne pas se ressembler en majesté et en taille.
Aux morts, ici et maintenant,
de retranscrire leurs noms,
de savoir comment mourir, chacun.
Aux vivants de vivre en groupes,
de ne savoir vivre sans une légende écrite…
qui les préserve des écueils du réel mou
et de la rhétorique du réalisme.
À eux de dire :
Nous sommes toujours là
guettant une étoile dans chaque lettre de l’alphabet.
À eux de chanter :
Nous sommes toujours là,
portant le fardeau de l’éternité.

2008

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