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Maxwell’s Silver Hammer : la comptine macabre qui a divisé les Beatles

Publié le 10 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsqu’on évoque Abbey Road, dernier chef-d’œuvre enregistré par les Beatles, certains morceaux s’imposent immédiatement : Come Together, Something, Here Comes The Sun… Pourtant, derrière ces incontournables se cache un titre bien plus controversé, une chanson qui a exaspéré autant qu’elle a fasciné : Maxwell’s Silver Hammer. Imaginée par Paul McCartney, cette ballade à l’allure innocente dissimule un texte étonnamment sombre et a provoqué d’importantes tensions au sein du groupe. Retour sur la genèse et l’héritage d’un morceau singulier.

Sommaire

Une genèse pataphysique

Si Maxwell’s Silver Hammer a été enregistrée en 1969, ses racines remontent en réalité à plusieurs années auparavant. McCartney aurait écrit une première version de la chanson dès 1968, lors de son séjour en Inde avec les autres Beatles. Il consignait alors ses idées dans un carnet intitulé Spring Songs Rishikesh 1968, où l’on retrouve notamment les premiers vers de ce qui deviendra Maxwell’s Silver Hammer.

Mais l’inspiration originelle de la chanson remonterait encore plus loin, à 1966. Cette année-là, Paul McCartney découvre à la radio une adaptation d’Ubu Cocu, une pièce du dramaturge français Alfred Jarry, figure de proue de la pataphysique. Ce courant artistique et littéraire, fondé sur l’absurde et le non-sens, séduit immédiatement le musicien. Paul fréquente alors Barry Miles, membre du Collège de Pataphysique et proche du groupe Soft Machine, et la notion se retrouve directement dans les paroles du morceau : Joan was quizzical, studied pataphysical science in the home… Une référence que McCartney lui-même considère avec amusement comme un pied de nez érudit au monde du rock.

Un tournage cauchemardesque dans les studios de Twickenham

L’histoire de Maxwell’s Silver Hammer au sein des Beatles commence véritablement en janvier 1969, lors des sessions de Get Back, filmées dans les studios de Twickenham. On y voit McCartney tenter d’imposer sa chanson au reste du groupe, sans grand enthousiasme de la part de ses camarades. Ce moment, capturé dans le documentaire Let It Be, illustre déjà la fracture croissante entre McCartney et ses acolytes. John Lennon, en particulier, semble réfractaire aux morceaux qu’il juge trop légers ou trop « pop ».

Le 3 janvier 1969, Paul s’acharne à enseigner la chanson au groupe. Mal Evans, fidèle roadie des Beatles, participe même aux percussions. Mais au fil des répétitions, la lassitude gagne du terrain. George Harrison finit par quitter temporairement le groupe le 10 janvier, excédé par l’ambiance pesante et par l’attitude de McCartney qu’il trouve trop directive. Maxwell’s Silver Hammer, malgré l’acharnement de Paul, ne convainc pas et est mise de côté… pour un temps.

L’enregistrement sous haute tension

Quelques mois plus tard, en juillet 1969, les Beatles retournent en studio pour enregistrer Abbey Road. McCartney n’a pas renoncé à son idée : il tient absolument à inclure Maxwell’s Silver Hammer dans l’album et ambitionne même d’en faire un single. Cette fois-ci, le contexte est encore plus tendu. John Lennon, convalescent après un accident de voiture, assiste passivement aux séances et refuse catégoriquement de jouer sur le morceau. Harrison et Ringo Starr, eux, se plient aux exigences de McCartney, mais sans enthousiasme.

Le processus d’enregistrement, étalé sur trois jours (les 9, 10 et 11 juillet 1969), est laborieux. Ringo doit frapper un véritable enclume pour illustrer le sinistre coup de marteau de Maxwell, et George Martin, fidèle producteur des Beatles, ajoute quelques arrangements à l’orgue Hammond. McCartney, perfectionniste, impose de nombreuses prises et peaufine les moindres détails, au grand dam de ses collègues. « C’était le pire morceau à enregistrer », confiera Ringo Starr en 2008. « Paul voulait absolument en faire un tube, mais il nous a juste fait perdre un temps fou. »

Le 6 août, McCartney finalise la chanson en y ajoutant une partie de synthétiseur Moog, un instrument encore peu utilisé à l’époque. Alan Parsons, alors ingénieur du son, se souvient du défi que représentait cet enregistrement : « Paul jouait du Moog en utilisant le ruban, comme un violoniste cherchant la bonne note. C’était impressionnant. »

Une chanson trop « sucrée » pour un texte macabre

L’un des aspects les plus fascinants de Maxwell’s Silver Hammer réside dans son contraste saisissant entre mélodie et paroles. À première écoute, la chanson ressemble à une comptine enjouée, portée par une instrumentation légère et une structure classique. Pourtant, le texte raconte l’histoire d’un étudiant en médecine, Maxwell Edison, qui assassine plusieurs personnes à coups de marteau d’argent. La chanson évoque d’abord le meurtre de Joan, une jeune femme que Maxwell invite au cinéma, puis celui d’un professeur et enfin celui d’un juge. Une absurdité morbide que McCartney décrit comme une métaphore de ces coups du sort inattendus qui bouleversent une existence.

Ce décalage entre mélodie et contenu n’est pas sans rappeler certaines chansons du répertoire des Beatles, comme Run for Your Life ou Happiness Is a Warm Gun, mais ici, l’effet comique prime sur la noirceur. Un choix que Lennon, Harrison et Starr peinent à comprendre et qui leur donne l’impression que McCartney cherche à infantiliser leur musique.

Une réception mitigée et un héritage controversé

Lors de la sortie d’Abbey Road en septembre 1969, Maxwell’s Silver Hammer divise immédiatement critiques et fans. Certains louent l’ironie du morceau et son orchestration élaborée, tandis que d’autres y voient un exercice de style sans âme. John Lennon n’aura de cesse de critiquer la chanson, la qualifiant de « foutaise totale ».

Avec le temps, Maxwell’s Silver Hammer est devenue un morceau culte, souvent citée comme l’un des titres les plus polarisants du répertoire des Beatles. Si certains l’adorent pour son aspect décalé et son humour noir, d’autres la considèrent comme l’incarnation du perfectionnisme excessif de McCartney. Quoi qu’il en soit, cette chanson demeure un symbole des tensions internes qui mèneront à la séparation des Beatles l’année suivante.

Aujourd’hui encore, Maxwell’s Silver Hammer reste un objet de fascination. Son étrange alchimie entre légèreté et violence en fait une anomalie savoureuse dans la discographie du groupe. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, elle témoigne d’un moment charnière dans l’histoire des Beatles, où la cohésion du groupe vacille et où chacun commence à suivre sa propre voie musicale. Une comptine funèbre qui résonne comme un adieu voilé à l’un des plus grands groupes de l’histoire du rock.


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