Présentation de l’éditeur :
Ce n’est pas Léonce qui surgit dans ma vie un jour de mars 2014. Pas encore lui. Mais un autre. Qu’il connaît. Ça, je ne le sais pas encore. Je ne sais rien de toute façon. Cet après-midi-là. Rien de Léonce. Rien de l’autre. Rien de cette incroyable rencontre qui m’attend.
Quand Violaine Lison reçoit en dépôt les carnets de Léonce Delaunoy, elle est frappée par la beauté et la force de l’écriture de ce jeune homme mobilisé comme brancardier lors de la Première Guerre mondiale.
Malgré l’horreur des tranchées, Léonce reste à la fois proche de la nature – décrivant comme personne les paysages, l’Yser, les oiseaux… – et de ses idéaux d’amitié. Le récit de la « guerre de Léonce » se déploie sous les yeux de Violaine. Pourtant, très vite elle sent que « quelque chose » ne va pas. Des manques apparaissent. Des incohérences. S’agit-il d’un faux, d’une retranscription ? Une forme d’enquête historique et littéraire commence…
En 2014, Violaine Lison reçoit d’un ami les carnets de guerre de Paul Nackart, son grand-oncle, lui faisant comprendre qu’il les lui donne pour que ces carnets, précieusement transmis dans la famille, ne se perdent pas et que l’écrivaine en fasse quelque chose. Un cadeau qui va entraîner une rencontre humaine et littéraire bouleversante et aboutir au livre que voici. Le soir même, Violaine se met à déchiffrer et à retaper les cinq carnets de Paul, qui était séminariste à Tournai et est enrôlé comme brancardier dans l’armée belge en août 1914. Assez vite, cependant, Violaine se rend compte qu’il y a des incohérences dans les pages : Paul parle de lui à la troisième personne, par exemple. Et c’est ainsi que l’auteure comprend que Paul n’a pas écrit ce journal de guerre, il a en fait recopié les carnets de son ami Léonce Delaunoy, comme lui séminariste et brancardier. Une recherche permet à Violaine Lison de retrouver une petite-nièce de Léonce qui va faire fouiller les greniers de la famille en quête des carnets autographes du jeune soldat. Elle reçoit ainsi trois carnets originaux ainsi que divers objets à partir desquels elle construira son livre le temps venu : un mouchoir, un chapelet, trois boutons de capote, des boîtes, une enveloppe contenant une rose séchée, une photo… Et en retranscrivant sur son ordinateur les carnets de Léonce, elle découvre le quotidien d’un jeune homme jeté dans une guerre immonde, qui tient grâce à l’amour de sa famille (ses parents sont fermiers à Ostiches, non loin du village d’où sont originaires les parents de Violaine, il a plusieurs frère et soeurs), à son amour de la nature, en particulier des arbres et des oiseaux, un jeune homme qui tient un journal de guerre à la voix littéraire et poétique. Elle se rend compte aussi que Paul a omis ou « censuré » certains passages et découvre ainsi l’existence d’un troisième jeune soldat, Herman Schiltz, que Léonce nommait son « plus que frère » et qu’il a aimé sans doute d’une amitié amoureuse très forte.
Au delà de la surprise et aussi d’une certaine colère face à la censure exercée par Paul, Violaine s’interroge, pose des hypothèses et dialogue avec Léonce et Paul à un siècle de distance. Il en résulte aujourd’hui un livre où les mots de Violaine, son enquête humaine et littéraire, résonnent, s’entretissent avec les mots et les objets de Léonce et nous offrent une rencontre unique et précieuse par delà les années. L’auteure se laisse guider par ses découvertes et nous fait entrer dans l’intimité de Léonce, qui ne craint pas de critiquer les autorités qui maintiennent les soldats dans cette guerre absurde des tranchées mais qui a aussi gardé une grande part de son humanité, même si la guerre lui a tout pris (elle lui prendra jusqu’à la vie, il mourra le 15 octobre 1918, à quelques jours de l’Armistice). C’est son ancrage familial à Ostiches mais aussi l’amour des parents de Herman, réfugiés au Havre et qui l’aiment et l’accueillent comme leur fils pendant leurs permissions, et bien sûr l’amour d’Herman lui-même qui permettent à Léonce de tenir, de garder son humanité dans ce lourd travail de brancardier ; mais son humanité transparaît aussi à travers sa révolte, ses larmes, son désir de mourir (éléments particulièrement retranchés par Paul Nackart, peut-être pour garder une image qu’on qualifierait aujourd’hui de « politiquement correcte » du soldat).
J’ai lu ce livre tranquillement, pour rester « baignée » dans les mots entrelacés de Violaine et de Léonce, tant elle a pris soin de nous transmettre avec soin, avec délicatesse cette rencontre bouleversante qu’elle a vécue et qui vient nous toucher à notre tour. Je me suis permis dans ce billet d’appeler souvent Violaine uniquement par son prénom parce que je la connais un tout petit peu, nous avons été collègues un court temps au début de sa carrière (et la petite-nièce de Léonce qui a retrouvé les carnets autographes est la fille d’un ancien collègue et ami de mon propre père, le monde est petit). Et surtout je suis vraiment touchée par ses livres et je la remercie de ce témoignage exceptionnel. Merci pour le choix de ce titre, extrait des carnets, et que l’on peut lire à plusieurs niveaux de sens. Merci aussi à l’éditrice Anne Leloup qui abrite désormais ce beau livre chez Esperluète et qui a fait photographier tous les souvenirs de Léonce Delaunoy en fin d’ouvrage, ce qui rend la rencontre encore plus émouvante s’il le fallait.
« Prénom : Léonce. Nom : Delaunoy. Il est le bien nommé. Le lion de l’aulnaie. Lion solaire des aulnes paisibles. En équilibre serein entre fougue et douceur, entre vie et mort. Lion de l’aulnaie. Espèce inconnue. Bigarrée. Exilée. Paysan poète. Prêtre brancardier. Wallon des Collines égaré en plaines flamandes. Léonce Delaunoy. Son prénom et son nom déroulent un paysage qui lui ressemble : de l’eau, des dunes, des ronces et une onde d’oiseaux qui s’envolent à tire-d’aile. » (p. 57)
« Aujourd’hui, plus de cent ans plus tard, après dix ans de questionnement, je pense que le moment est venu du grand remembrement. Terminer ce que Paul avait commencé. Et aller jusqu’au bout. Sans éclipse.
Léonce a plus de cent trente ans. Il est prêt à être rassemblé. Comme ses carnets. Qu’il n’a pas écrits pour lui seul. Il espérait qu’ils soient lus. Que ses parents sachent quel homme il avait été dans la guerre. À la fois altruiste, révolté, amical, pieux, amoureux, terrorisé, anéanti.
Bien sûr, il restera des brèches, des vides, des parcelles de brume. Quatre carnets noirs manquent à l’appel. Mais le but n’est pas de reconstituer Léonce à la cire, comme on le fait pour les masques funéraires. Ne pas le figer. Mais le faire vivre encore. En équilibre entre ombre et lumière. » (p. 67)
« Comment as-tu fait, Léonce, pour vivre envers et contre ça ? Pour te lever chaque matin et te coucher chaque soir ? Il y avait Dieu, les arbres, les oiseaux. Et puis la famille, Paul, Herman… Mais il y a surtout ta force de vie. Un fleuve énorme, gonflé, qui t’éveille et t’anime. Et te tient debout, au milieu des cadavres. » (p. 71)
Un court extrait d’un carnet. (Violaine a placé entre crochets les passages non recopiés par Paul.)
« 23 septembre 1916
Hier soir, j’ai , pour la première fois, remarqué une figure nouvelle. J’ignore tout de lui, [ à part un vague nom de familiarité étrange : Schiltz. Nous verrons un peu à la fois. C’est étrange mais déjà plusieurs fois, il en est qui sont entrés dans ma vie comme de plain-pied. Comme s’ils étaient depuis longtemps des frères. En sera-t-il encore ainsi ? Je le souhaite.] » (p. 98)
Violaine LISON avec les carnets de tranchées de Léonce Delaunoy, Lequel de nous portera l’autre ?, Editions Esperluète, 2025
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