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« Jouer le jeu » de Fatima Daas

Publié le 11 novembre 2025 par Africultures @africultures

Dans Jouer le jeu, Fatima Daas explore les zones grises de l’adolescence : l’école comme lieu de domestication, le corps comme champ de violence, l’amour comme trahison. Un roman d’une justesse rare, qui dit la solitude, la rage et la tendresse de celles et ceux qui grandissent à la marge.

Il faut beaucoup de courage pour dire la vérité, surtout quand cette vérité se déploie dans le ventre d'une adolescente. Beaucoup de courage pour raconter l’adolescence des autres quand la sienne fut un champ de ruines. Et une justesse rare pour évoquer la banlieue sans folklore ni caricature, mais avec la désolation, la tendresse et la colère qu’elle mérite. Dans Jouer le jeu, Fatima Daas ne se contente pas de raconter une histoire : elle dresse une géographie affective, politique, intime. Elle dit ce que c’est que de grandir sous surveillance, d’aimer dans la peur, d’être racisée, pauvre, fille, queer, à la marge, et de devoir composer avec le silence, l’humiliation et la peur. Le roman s’ouvre sur l’arrivée au lycée, moment de bascule où les grands de la cour d’hier redeviennent les bébés du système. L’école républicaine, égalitaire en principe, apparaît ici comme un enclos de domestication. On y apprend à se taire, à baisser les yeux, à discipliner son corps pour devenir invisible.

Le corps, champ de violence

Kayden refuse la brassière, cache ses seins qui arrivent, ses règles comme une blessure. Elle veut fuir la fin de l’enfance, échapper à l’identité féminine imposée. Elle cherche à respirer dans une zone floue, hors des cases. Mais à l’école, tout est classement, définition, binarisme. Et c’est toujours l’autre, celui qui détient le pouvoir, qui fixe les frontières du « normal ».

La professeure de littérature incarne l’ambiguïté du pouvoir pédagogique : vouloir sauver tout en dominant. Lorsqu’elle choisit Kayden pour une sortie au théâtre, le mot « injuste » de Taoufik vient rappeler combien même la reconnaissance peut être un piège. Kayden aime sa prof. C’est clair, magnifique, désespéré. Mais c’est une tragédie. L’adulte voit et sait, mais laisse faire. Non par innocence, mais par peur et par désir d’être aimée. Ce n’est pas une histoire d’amour impossible : c’est une histoire de pouvoir, et une trahison

Racisme ordinaire et résistances

Le roman dévoile aussi la salle des profs, miroir d’un racisme systémique ordinaire. Une professeure pleure parce qu’elle se sent agressée, mais c’est Djenna qu’on accuse de sauvagerie. Les Noirs et les Arabes sont toujours « trop »  trop bruyants, trop visibles, trop insolents, parce qu’ils ne sont jamais « assez » pour être aimés. Et quand ils parlent, ils sont menacés. Djenna ose questionner « vacances de Noël » ou la peur qu’inspire sa voix. Elle sait que la laïcité, dévoyée, est devenue une arme de sélection. Mais face à cela, le roman montre aussi la solidarité. Kayden et Djenna se parlent. Samy s’efface, mais reste là. M. Oussani, le surveillant, refuse d’être un mouchard. Il devient repère, témoin, allié. Son « non » au fichage et au tri est peut-être la plus belle victoire du livre.

Une lettre pour survivre

La fin du roman est une lettre. Une lettre d’amour et de guerre. Une lettre pour survivre. Kayden dit tout. Et elle le dit bien.A nous de bien entendre !

Noor Ziane

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