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Ramsès Kefi – Quatre jours sans ma mère

Par Yvantilleuil

Ramsès Kefi Quatre jours sans mèreJe l’avoue, ce roman, je ne comptais pas vraiment le lire. Mais voilà, Ramsès Kefi débarque sur le plateau de La Grande Librairie et en quelques minutes d’une parole vive, précise et drôlement intelligente, il fait voler en éclats mes préjugés. Excellente intuition car, sous l’air d’une comédie de banlieue, ce premier roman révèle progressivement un texte d’une sincérité désarmante sur la filiation empêchée, l’exil têtu et la manière dont une mère, en s’absentant, redonne progressivement un visage à ceux qui ne savaient plus se regarder.

À La Caverne, cité en lisière de forêt, Amani s’éclipse un matin, laissant une casserole de pâtes piquantes et un mot indiquant son besoin de partir. Alors que son mari Hédi vacille, leur fils Salmane, 36 ans, diplômé d’histoire ancienne mais serveur dans un fast‑food « fusion », s’arrache enfin à l’immobilité. Quatre jours d’absence lui font enfin entrevoir ce qui se cache derrière les silences familiaux. Chercher la mère, c’est découvrir l’histoire qu’on ne lui a pas racontée.

La cité de La Caverne joue un rôle important dans le récit, dépassant la simple fonction de décor. Ramsès Kefi refuse le misérabilisme : il montre une communauté sans spectaculaire, mais traversée par un lent étouffement. Déjouant la caricature, l’auteur dépeint La Caverne avec un amour lucide, dévoilant des solidarités discrètes, des hiérarchies invisibles et un humour comme hygiène de survie. On y « refait le monde » sur capot de voiture, on philosophe au bar du coin et on tague des animaux préhistoriques sur les murs de cette Caverne en guise de clin-d’œil de celles de Lascaux. Cette banlieue n’est ni carte postale, ni litanie de clichés, c’est un écosystème d’appartenances où l’on s’invente des récits pour tenir debout. La banlieue comme territoire d’appartenance, certes, mais derrière les murs de bétons et les silences, résonnent également le bruit de l’exil et la nostalgie du pays d’origine.

Cet exil de quatre jours lance un compte à rebours intime, où le mystère de la disparition de la mère s’efface progressivement pour donner lieu à une naissance, celle du fils. Une mère devenue invisible depuis trop longtemps, mais dont l’absence réveille pourtant subitement la mémoire, tout en dévoilant les non-dits. Quatre jours pour naître, pour se retrouver et permettre à l’identité de sortir de l’ombre de cette Caverne.

C’est en s’absentant que la présence de cette mère, « pierre angulaire » du foyer, se densifie. Sa fugue, loin d’être caprice, s’avère être une dernière preuve d’amour, qui force les hommes à parler et à écouter. Hédi, père taiseux, laisse subitement apparaître une fragilité que la posture virile voilait. Quant à Salmane, « sous‑fils » autoproclamé, il passe du déni à l’aveu, de l’ironie à la responsabilité… un apprentissage de soi par le manque.

En montrant l’exil comme un silence qui se transmet à travers les non-dits, le roman parvient à parler d’identité et de déracinement avec grande justesse. Les parents ont coupé les ponts avec la Tunisie, mais en croyant protéger, ils lèguent finalement un vide beaucoup trop grand. À défaut de recevoir un héritage, le fils hérite d’une absence de récit. En essayant de retrouver sa mère, Salmane libère des souvenirs étouffés et des peurs anciennes, dévoilant progressivement sa filiation trouée et révélant avec grand brio cette sensation d’entre-deux qui accompagne inévitablement l’exil et le déracinement.

L’écriture est nerveuse, mélange d’oralité maîtrisée, de punchlines et de tendresse mêlées, une voix immédiate et chaleureuse, qui sait allier comique de situation et gravité sourde.

« Quatre jours sans ma mère » est un roman qui s’ouvre sur une fugue, mais qui se referme avec une filiation retrouvée. J’étais venu par curiosité télévisuelle, je repars touché, reconnaissant d’avoir accompagné Salmane du parking de la cité jusqu’à ses origines.

Quatre jours sans ma mère, Ramsès Kefi, Éditions Philippe Rey, 204 p., 20 €

Elles/ils en parlent également : Baz’Art, Matatoune, Cannetille, Sandrine, Luocine, Anita, Amandine, Nath, Nicolas, Geneviève


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