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Paul McCartney contre l’IA : un silence qui résonne fort

Publié le 18 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Paul McCartney signe un morceau quasi silencieux pour dénoncer l’entraînement non autorisé des IA sur les œuvres protégées. Ce geste fort s’inscrit dans le projet collectif « Is This What We Want ? », rassemblant plus de mille artistes. En posant un silence revendicatif sur vinyle, McCartney alerte sur les dérives de l’intelligence artificielle dans la musique, tout en soutenant l’association Help Musicians. Ce combat s’inscrit dans une tournée marquante entamée à Santa Barbara, où il a surpris en jouant « Help ! » pour la première fois depuis 1990.


Le premier « enregistrement » de Paul McCartney depuis cinq ans est, paradoxalement, un espace de quasi-silence. Deux minutes quarante-cinq d’un studio vide, quelques frottements, des clics, le souffle ténu de l’air, et c’est tout – ou presque. Derrière cette économie de sons se cache un message politique limpide : l’ex-Beatle s’associe à une mobilisation inédite contre l’entraînement non autorisé des modèles d’intelligence artificielle sur des œuvres protégées. Ce « bonus track » rejoindra la version vinyle d’un album collectif attendu le 8 décembre et dont les bénéfices seront versés à l’association Help Musicians. En transformant l’absence de notes en signe de ralliement, McCartney rappelle que si la création devait être pillée, la musique finirait, littéralement, par se taire.

Sommaire

  • Un « album silencieux » pour dire non à l’entraînement sauvage des IA
  • Le geste de McCartney : un studio vide comme manifeste
  • « Is This What We Want ? » : titre-question, message-réponse
  • Les dessous juridiques : pourquoi l’IA inquiète les musiciens
  • Un paradoxe assumé : McCartney, l’IA et l’héritage des Beatles
  • Un bénéfice concret : Help Musicians au centre du dispositif
  • Une face B qui en dit long
  • Un espace d’écoute : ce que le « presque rien » fait entendre
  • Santa Barbara 2025 : un « Help ! » qui fait date
  • Une setlist-voyage à travers six décennies
  • Une équipe soudée, une mécanique bien huilée
  • Une tournée nord-américaine étalée jusqu’à l’hiver
  • 82, 83 ans… et la même pulsation
  • Entre engagement et divertissement : un équilibre à la McCartney
  • Pourquoi le symbole compte
  • Une tradition d’engagement discret
  • Une stratégie de communication calibrée
  • Les fans : entre surprise et adhésion
  • La scène : une pédagogie par l’émotion
  • « Is This What We Want ? » : une phrase qui déborde la musique
  • Et maintenant ?
  • Une fin qui n’en est pas une
  • Post-scriptum scénique : Chicago en ligne de mire

Un « album silencieux » pour dire non à l’entraînement sauvage des IA

À l’origine de cette opération, un projet aussi radical que symbolique : Is This What We Want ?. Plus de mille artistes se sont réunis au mois de février pour publier un disque composé d’enregistrements muets captés dans des studios et des salles vides. L’idée est simple et puissante : lorsque des entreprises d’IA ingèrent sans autorisation des catalogues entiers pour nourrir leurs modèles, elles prélèvent la matière première de la création sans en rémunérer les auteurs. L’album collectif détourne ce principe en opposant un vide sonore à l’aspiration des données, comme pour signifier : si vous enlevez la rémunération, la musique s’éteint. Les titres des pistes, agencés bout à bout, forment d’ailleurs une injonction adressée au gouvernement britannique, qui étudie des aménagements du droit d’auteur jugés favorables aux géants technologiques par de nombreux musiciens. Les profits de l’opération doivent bénéficier à Help Musicians, organisation caritative centenaire d’aide aux artistes au Royaume-Uni.

Le geste de McCartney : un studio vide comme manifeste

Dans ce contexte, l’intervention de Paul McCartney prend une dimension particulière. L’auteur de « Yesterday » n’est pas coutumier des chansons explicitement politiques ; son « Give Ireland Back To The Irish », publié en 1972 avec Wings, fait figure d’exception dans un parcours surtout consacré à l’exploration mélodique, au jeu avec les styles, au plaisir du son. Le fait qu’il choisisse aujourd’hui un enregistrement presque silencieux pour marquer son opposition aux dérives de l’IA raconte la gravité du moment pour une industrie menacée dans ses fondements économiques autant que symboliques. En enregistrant l’absence, McCartney fabrique une présence : la sienne, tutélaire, et celle de milliers d’artistes qui s’interrogent sur le futur du travail créatif.

Le morceau, d’une durée de 2 minutes 45, est sensiblement aussi long que « With a Little Help From My Friends » mais s’oppose à tout lyrisme : pas de refrain, pas de pont, pas de montée en puissance. Ce qui s’y entend – froissements et cliquetis diffus – n’est pas à proprement parler de la musique ; c’est un indice matériel que quelque chose a bien eu lieu dans un studio, mais que l’auteur a choisi de ne rien livrer de monnayable à des algorithmes potentiellement prédateurs. Le silence devient un outil rhétorique. D’un point de vue légal, ce n’est pas anodin : il s’agit d’un enregistrement original, donc d’une œuvre en soi, qui rappelle que même le « presque rien » relève d’un droit d’auteur et d’un droit voisin.

« Is This What We Want ? » : titre-question, message-réponse

Le choix du titre collectif, Is This What We Want ? – littéralement « Est-ce bien ce que nous voulons ? » – installe d’emblée une interrogation citoyenne. À quoi ressemble un écosystème culturel où les œuvres sont avalées par des modèles qui, en retour, produisent des pastiches plausibles à l’infini ? Que devient la valeur de la composition, l’apprentissage patient d’un instrument, la rémunération de ceux qui jouent, enregistrent, mixent, pressent, diffusent ? L’album muet répond par l’absurde : au bout de la chaîne, il ne reste que le silence. C’est un geste à la fois artistique et militant, inscrit dans une longue tradition de détournements conceptuels qui va de l’art contemporain à l’avant-garde musicale.

On pourrait y voir un clin d’œil involontaire à l’histoire – on pense à l’expérience radicale du « silence composé » – mais le propos est ici distinct : il ne s’agit pas de faire de la philosophie de l’écoute, encore moins de l’ascèse mystique. Il s’agit de droit et d’économie. Les artistes et leurs représentants alertent sur un déplacement possible de la valeur, du travail humain vers des systèmes d’IA nourris gratuitement aux œuvres d’autrui. En plaçant son nom et sa notoriété au service d’un « non » collectif, McCartney offre à la cause une visibilité incomparable.

Les dessous juridiques : pourquoi l’IA inquiète les musiciens

Le cœur du litige porte sur la text and data mining – l’extraction textuelle et d’ensembles de données – appliquée aux œuvres. Les gouvernements, au Royaume-Uni comme ailleurs, mesurent les avantages que l’IA promet en matière d’innovation et de compétitivité. Les industries culturelles, elles, insistent : un équilibre doit protéger les titulaires de droits, a minima via des licences ou des mécanismes de rémunération pour l’entraînement des modèles. Derrière la querelle technique se joue une recomposition du contrat social entre créateurs, plateformes et entreprises technologiques.

Dans l’univers musical, l’impact est double. D’abord sur les droits d’auteur : textes et compositions. Ensuite sur les droits voisins : interprètes, producteurs, ingénieurs du son. Si un modèle reproduit les tics d’écriture d’un auteur, la couleur d’une voix, l’empreinte sonore d’un mixage, qui paye qui, et pour quoi ? Les associations professionnelles redoutent une forme de déflation de la valeur : à force d’imitations synthétiques, la demande pour des créations originales se tasserait, entraînant tout un écosystème vers le bas. D’où l’urgence d’un cadre clair, sans quoi la « solution » avancée – l’IA – pourrait générer un déficit de création sur le long terme.

Un paradoxe assumé : McCartney, l’IA et l’héritage des Beatles

L’intervention de McCartney s’inscrit dans une relation ambivalente à la technologie. Il y a deux ans, la publication du dernier single des Beatles, « Now and Then », avait déjà suscité débats et malentendus. Le titre utilisait des procédés de séparation de sources issus des outils de restauration audio développés pour le documentaire « Get Back ». Certains y avaient vu une « chanson faite par l’IA », ce qui était inexact : la technologie servait à isoler la voix de John Lennon à partir d’une maquette ancienne, non à synthétiser une version artificielle de son timbre. Ce précédent montre bien la ligne de crête où se situent aujourd’hui les musiciens : l’outil n’est pas le problème en soi ; c’est l’usage – et surtout, la licence – qui est en cause. En disant « non » à l’entraînement non autorisé des modèles, McCartney ne dit pas non à la technologie ; il réclame un cadre équitable.

Un bénéfice concret : Help Musicians au centre du dispositif

Le choix de reverser les bénéfices à Help Musicians est éminemment signifiant. Cette organisation créée en 1921 soutient les artistes britanniques dans les moments de fragilité : blessures, problèmes de santé, difficultés financières, besoins de formation. Après la pandémie, elle a joué un rôle de filet de sécurité pour toute une profession frappée par l’arrêt des concerts et l’effondrement des revenus liés à la scène. En connectant la lutte pour un droit d’auteur adapté à l’ère numérique et la solidarité concrète avec les musiciens, l’album muet conjugue horizon politique et action immédiate.

Une face B qui en dit long

Le « bonus track » de McCartney sera intégré à la face B de la version vinyle. Le détail a son importance. Historiquement, la face B est le lieu des surprises, des expérimentations, des marches d’escalier qui mènent à de futures métamorphoses. Y loger un fragment de silence, c’est user de cette tradition pour faire circuler une idée. À l’ère du tout-streaming, le retour à l’objet vinyle renforce d’ailleurs la performativité du geste : un disque que l’on pose sur une platine pour écouter… ce que les entreprises d’IA voudraient capter sans demander. Paradoxe volontaire, presque un pied de nez, et, en même temps, une pédagogie par la sensation.

Un espace d’écoute : ce que le « presque rien » fait entendre

On aurait tort de croire que le silence est vide. Sur une platine correctement réglée, ce « morceau » laisse filtrer la présence du lieu : souffle, réverbération, cliquetis d’un environnement de studio. Ce qui subsiste, c’est la trace du travail – le plateau, les câbles, le micro, les machines – sans la prime créative que l’artiste a décidé de retenir. Le geste vous met face à la valeur de ce que vous n’entendez pas. Il faut imaginer, par contraste, tout ce que McCartney sait produire – mélodies, ponts lumineux, chœurs de velours – et qui est ici suspendu. L’effet est d’autant plus fort que l’on connaît la fécondité mélodique de l’auteur de « Penny Lane » : l’absence, chez lui, est un événement.

Santa Barbara 2025 : un « Help ! » qui fait date

Le combat de McCartney contre certaines dérives de l’IA ne l’empêche pas d’être plus présent que jamais sur scène. Le 26 septembre 2025, au Santa Barbara Bowl, il a ouvert sa tournée nord-américaine par une surprise historique : l’interprétation de « Help ! » pour la première fois depuis 1990. À 83 ans, l’ex-Beatle a lancé le concert par ce cri juvénile métamorphosé en geste de gratitude et de mémoire, avant d’enchaîner un long parcours à travers son répertoire : standards des Beatles, classiques de Wings, sélections de sa carrière solo. La soirée était organisée sans téléphones, grâce aux pochettes de verrouillage, pour favoriser une immersion totale. Le public n’a pas seulement vécu un concert ; il a vécu un moment d’histoire.

Une setlist-voyage à travers six décennies

Dans l’enceinte intimiste de Santa Barbara, McCartney a déroulé une narration musicale qui traverse les décennies. Après « Help ! », l’énergie cuivrée de « Got to Get You Into My Life » a rappelé l’art des arrangements sixties, puis l’empreinte Wings a pris le relais avec « Let Me Roll It » et l’élan de « Nineteen Hundred and Eighty-Five ». On a entendu « Let ’Em In », son battement débonnaire qui ouvre les portes de la mémoire ; « My Valentine », dédié à Nancy Shevell, suspendu dans une lumière feutrée ; « I’ve Just Seen a Face », qui trotte comme un air de guitare campagnarde ; et « Love Me Do », souvenir inaugural qui ramène au studio de 1962.

Plus tard, « Blackbird » a ciselé un moment d’intimité, « Now and Then » a glissé comme un pont entre hier et aujourd’hui, « Lady Madonna » a semé ses syncopes, « Jet » a déployé ses ailes seventies, « Ob-La-Di, Ob-La-Da » a rassemblé la foule dans un refrain universel. La dernière partie a convoqué l’évidence : « Get Back », « Let It Be », puis l’inévitable « Live and Let Die » avec son théâtre pyrotechnique, avant l’hymne « Hey Jude », moment de communion massive où chaque voix devient l’extension de la sienne.

Rappel en trois temps, quatre mouvements : « I’ve Got a Feeling » jouée en duo virtuel avec John Lennon, grâce à la projection de bandes issues du travail de restauration sonore, « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) » qui fait claquer la fanfare, « Helter Skelter » qui rugit comme au premier jour, et le médaillon final « Golden Slumbers/Carry That Weight/The End », signature d’adieu qui boucle les époques comme on ferme un album et une époque avec douceur et détermination. À Santa Barbara, la setlist a dessiné non pas un best of mais une biographie sonique.

Une équipe soudée, une mécanique bien huilée

Cette puissance scénique s’appuie sur un groupe rodé depuis des années : Paul « Wix » Wickens aux claviers, Brian Ray à la basse et à la guitare, Rusty Anderson à la guitare, Abe Laboriel Jr. à la batterie. Chacun habite un rôle qu’il connaît intimement. Wix orchestre, tisse les textures, convoque un orgue ici, un piano là, des cordes partout où il faut un halo. Anderson cisèle des lignes tantôt mordantes tantôt vermeilles. Ray assure le socle harmonique et prend le relais mélodique au besoin. Laboriel offre cette frappe tour à tour tonitruante et délicate, propre à porter les crescendos de « Live and Let Die » comme les dentelles de « Blackbird ». La cohésion du groupe permet à McCartney de naviguer au long cours, d’une miniature acoustique à un rock incandescent.

Une tournée nord-américaine étalée jusqu’à l’hiver

Le passage par Santa Barbara n’était que le prologue d’un itinéraire plus vaste. La tournée s’est poursuivie en Californie du Sud, avant de prendre la route vers l’intérieur du pays, avec des haltes prévues à Des Moines, Tulsa, Atlanta ou Pittsburgh, puis une remontée vers le nord avec un détour par Montréal, pour s’achever à Chicago fin novembre. L’organisation sans téléphones est devenue un marqueur de ces shows : on y vient pour l’instant présent, pas pour l’archive personnelle. À ce régime, les chansons retrouvent une incandescence immédiate. Loin des écrans, on entend mieux la respiration d’un artiste dont la carrière épouse l’histoire de la pop moderne. People.com

82, 83 ans… et la même pulsation

Les chiffres, dit-on, ne racontent pas tout. Mais il y a dans l’âge de Paul McCartney – 82 ans au printemps, 83 à la rentrée – une forme d’obstination joyeuse. Ce corps qui a inventé la basse mélodique moderne, cette voix qui sait encore voler au-dessus des refrains, ces mains qui passent du piano à la guitare avec l’agilité d’un artisan du métier : tout cela témoigne d’un appétit intact. La tournée 2025 confirme ce que les scènes du monde avaient observé depuis son retour en 2022 : un artiste qui travaille, qui entretient son instrument, qui sait s’entourer. Sur scène, l’homme public croise la mémoire des Beatles, l’élan de Wings, le présent de sa carrière solo.

Entre engagement et divertissement : un équilibre à la McCartney

Le silence militant sur vinyle et la déferlante pop sur scène : deux faces d’une même éthique. McCartney revendique le plaisir – ce plaisir qu’il prodigue depuis les Cavern Days – et défend en même temps les conditions qui rendent ce plaisir possible pour les créateurs. L’IA n’est pas l’ennemie par nature ; elle devient problématique quand elle se nourrit de catalogues sans contrepartie. Le « bonus track » muet n’est pas un gimmick ; c’est une façon de participer à la conversation publique, non par un éditorial, mais par un acte d’artiste.

Pourquoi le symbole compte

Dans une époque saturée d’images et de sons, la décision d’un musicien de stature mondiale de publier du presque rien a d’autant plus de portée. Les médias s’en saisissent, le public s’interroge, les institutions répondent. Si l’on mesure l’efficacité d’un geste à sa capacité à créer un débat, alors celui-ci en est un. On y lit la défense d’un temps long – celui de la composition, de l’enregistrement, du dialogue avec des musiciens – face à la tentation du copié-collé automatisé. On y entend la revendication d’un prix juste pour la matière sur laquelle les modèles s’entraînent. On y voit enfin la volonté de remettre les créateurs au centre d’un échange qui les concerne au premier chef.

Une tradition d’engagement discret

On a parfois caricaturé McCartney en entertainer apolitique, face à un Lennon plus frontal. L’histoire est plus complexe. Si le Liverpudlien a moins souvent fait de ses chansons des tribunes, il n’a jamais cessé de soutenir des causes : environnement, droits des animaux, santé, éducation musicale. Son silence d’aujourd’hui prolonge cette tradition d’un engagement discret mais tenace, souvent adossé à des partenariats concrets, ici Help Musicians. À l’heure où les formulations se radicalisent facilement sur les réseaux, son choix d’un geste artistique plutôt qu’un manifeste pamphlétaire a quelque chose de salubre.

Une stratégie de communication calibrée

Le calendrier n’est pas anodin. L’annonce de la version vinyle au 8 décembre permet de créer un temps médiatique distinct du streaming, avec l’objet comme ancrage. Dans le même mouvement, l’association du projet muet à la tournée 2025 offre une caisse de résonance phénoménale : interviews, reportages, séquences partagées par les médias, commentaires des fans. Le « bonus track » devient un mot-clef qui circule et fait exister la cause auprès d’un public qui n’aurait peut-être pas lu un livre blanc sur les réformes du droit d’auteur.

On note aussi la durée du morceau : 2’45. À la radio, c’est le temps parfait d’un single. Dans l’écosystème des plateformes, c’est un format qui s’écoute jusqu’au bout, qui s’intègre dans une playlist, qui ne décourage pas l’attention. Le silence s’invite donc dans les métriques de l’industrie. C’est habile, presque pop dans sa façon d’occuper le terrain.

Les fans : entre surprise et adhésion

Du côté du public, la réaction mêle amusement, curiosité et adhésion. Qui suit McCartney depuis des décennies sait combien il aime les idées qui font lever un sourcil. Mais au-delà de la surprise, beaucoup comprennent qu’il s’agit d’un signal d’alarme. À l’échelle mondiale, la relation des fans à leurs artistes a beaucoup évolué ; on ne se contente plus d’acheter un disque, on veut soutenir un combat. En ce sens, le silence maccartnien offre un point de ralliement : on peut en parler, le partager, y revenir, et surtout, acheter un objet dont le produit servira à aider des musiciens bien réels.

La scène : une pédagogie par l’émotion

Sur scène, la pédagogie passe par l’émotion. Quand McCartney entonne « Help ! », ce n’est pas qu’une incise nostalgique. Le cri de 1965 change de registre en 2025 : c’est un appel à la mémoire – à John Lennon, bien sûr – mais aussi un rappel de ce que représente la dépendance des artistes à un public qui écoute, achète des billets, soutient des causes, fait exister un réseau de métiers souvent invisibles. L’absence de téléphones redonne au concert sa densité fragile, une qualité d’instant qui échappe à l’archive mais s’imprime dans le souvenir.

« Is This What We Want ? » : une phrase qui déborde la musique

La question posée par le projet déborde de loin le seul secteur musical. Elle touche aux écrivains, aux journalistes, aux illustrateurs, aux photographes dont les œuvres forment le carburant de l’IA générative. Dans chaque domaine, la même interrogation : quels droits pour les créateurs, quelles licences pour les entreprises, quelles redevances pour l’entraînement, quelle traçabilité des données ? En s’emparant du sujet avec un objet-manifeste, le monde de la musique propose un cadre symbolique que d’autres peuvent reprendre ou adapter. Le choix du silence a ceci d’universel qu’il peut être répliqué, transposé, compris par tous.

Et maintenant ?

La sortie vinyle du 8 décembre donnera une nouvelle visibilité au mouvement. Elle viendra clore une année où la question de l’IA a fait irruption partout : dans les tribunaux, dans les parlements, dans les studios. Que le « morceau » de McCartney fasse ou non école importera moins que sa capacité à figurer un enjeu. On n’oublie pas facilement le jour où un des plus grands mélodistes de l’histoire du disque a choisi de publier… le presque rien. À l’échelle d’une discographie, c’est un grain de sable. À l’échelle d’un débat public, c’est un signe.

Une fin qui n’en est pas une

On aime répéter que chaque fin dans l’univers Beatles est un recommencement. Le silence de McCartney ne clôt rien ; il ouvre. Il ouvre des conversations juridiques, économiques, éthiques. Il ouvre aussi des oreilles, en rappelant la valeur de ce que l’on croit aller de soi : une chanson qui vous cueille, un riff qui vous emporte, une harmonie qui vous hante. Si ceux qui fabriquent ces instants de grâce ne sont plus protégés, alors oui, ce que nous voulons risque fort de ressembler à ce que nous avons trop entendu sur ce « morceau » : presque rien. Et ce jour-là, l’intelligence artificielle aura gagné une bataille que la musique n’aurait jamais dû perdre.

Post-scriptum scénique : Chicago en ligne de mire

D’ici à la clôture automnale à Chicago, la tournée aura promené ce mélange d’énergie et d’élégance qui fait la marque McCartney. Chaque soir, les chansons s’accordent au lieu, au climat, à l’humeur ; chaque soir, les musiciens affinent les équilibres, et l’on voit un artiste qui continue de travailler son répertoire, d’ajuster un tempo, de redessiner un pont. Les fans sortent avec le sentiment d’avoir refait, en accéléré, l’histoire d’une vie musicale qui est aussi un morceau de leur propre biographie. Et quand les lumières se rallument, il reste l’écho d’un Help ! restitué à sa chair, ainsi que l’envie de tendre l’oreille au silence qui, sur un vinyle à venir, nous rappelle ce que nous risquons de perdre si nous cessons de protéger ceux qui font la musique.


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