À l’occasion des 30 ans de The Beatles Anthology, Disney+ propose une version restaurée et augmentée avec un épisode 9 inédit. Ce retour, orchestré par Peter Jackson et Giles Martin, explore la mémoire affective du groupe grâce à des archives rares, une remasterisation sonore de pointe, et une narration intime autour des retrouvailles de Paul, George et Ringo.
Trente ans après son triomphe télévisé, The Beatles Anthology revient dans une version entièrement restaurée et augmentée d’un neuvième épisode inédit, à l’occasion du 30e anniversaire du documentaire. Pour les fans francophones — et, plus largement, pour quiconque s’intéresse à l’histoire du groupe le plus influent du XXe siècle — cette ressortie dépasse de loin la simple opération commémorative. Elle raconte aussi un nouveau chapitre de la relation du public avec les Beatles, à l’ère du streaming, de la remasterisation audio « dé-mixée » et de la restauration numérique haute définition. Selon le calendrier communiqué, les épisodes 1 à 3 arrivent sur Disney+ le 26 novembre, les épisodes 4 à 6 suivent le 27 novembre, puis les épisodes 7 à 9 le 28 novembre, pour une « mini-saison » événement pensée comme un rendez-vous en trois soirées.
L’enjeu de ce retour est double. D’abord, remettre en circulation une œuvre qui a modelé la mémoire collective des années 1990, lorsque The Beatles Anthology avait réuni — selon les chiffres cités à l’époque — des dizaines de millions de téléspectateurs lors de sa première diffusion américaine, et « popularisé » auprès du grand public la logique même de l’Anthology : raconter l’épopée des Fab Four par leur propre voix, sans narrateur externe, en s’appuyant sur images d’archives, séquences inédites et entretiens tournés pour l’occasion. Ensuite, offrir un épilogue émotionnel grâce à un épisode 9 façonné à partir de rushes jamais montrés, captés au milieu des années 1990, lorsque Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr se sont retrouvés pour écouter des bandes, retracer leurs souvenirs et travailler sur les titres Free as a Bird, Real Love et, à l’époque encore inachevé, Now and Then.
Sommaire
- Une restauration signée Peter Jackson et Park Road Post : l’image au service de la mémoire
- Oliver Murray, un « neuvième » regard pour un épisode 9 très attendu
- Une mise en abyme assumée : pourquoi les Beatles manquent… aux Beatles
- Giles Martin au son : un Anthology repensé pour l’oreille d’aujourd’hui
- Anthology 4 et l’effet « collection » : replacer les chantiers 1994-1995 dans l’arc 1958-2023
- Now and Then, de la maquette au « dernier single » : un pont entre Anthology et 2023
- Friar Park, Blue Moon of Kentucky, Ain’t She Sweet : la petite musique de l’amitié
- Pourquoi The Long and Winding Road reste… une route longue et sinueuse
- Disney+, la nouvelle « A-Beatles-C » : l’événement pensé pour le streaming
- Une bande-son éditoriale : l’édition Anthology Collection (2025 Edition) en 12 LP ou 8 CD
- Le regard de 2025 : les Beatles dans l’ère de la remasterisation continue
- Récit et méthode : comment l’épisode 9 reformule l’Anthology
- Sam Mendes et l’horizon 2028 : l’Anthology inspire déjà le prochain grand récit
- Ringo a le dernier mot : une sortie au mouchoir, mais le regard vers l’avant
- Pour qui, pour quoi : à qui s’adresse la nouvelle Anthology
- Ce que l’épisode 9 change dans l’imaginaire beatlesien
- En guise de coda : pourquoi cette Anthology-là est nécessaire
- Informations clés à retenir
- Repères historiques
- En dernier mot
Une restauration signée Peter Jackson et Park Road Post : l’image au service de la mémoire
Ce retour n’aurait pas la même portée sans l’intervention de l’équipe de Peter Jackson. Habituée aux opérations de restauration dantesques — on pense à The Beatles: Get Back et à ses miracles de démêlage audio — l’équipe de WingNut Films et de Park Road Post a appliqué au matériau Anthology une approche à la fois respectueuse et ambitieuse. Le résultat se traduit par des images rééquilibrées, débarrassées de leurs défauts d’époque, et par un son qui retrouve la profondeur qu’exige un récit aussi dense. La plateforme Disney+ insiste d’ailleurs sur la nature « magnifiquement restaurée » de la série et sur l’ajout d’un épisode 9 « complètement nouveau » construit autour de séquences en coulisses de 1994-1995 où l’on voit Paul, George et Ringo se retrouver pour parler musique, vie de groupe et héritage.
Cette restauration s’inscrit dans un mouvement plus large qui, depuis cinq ans, accompagne la réévaluation sonore des Beatles à l’aide de techniques dites de machine learning. La technologie MAL (« Machine-Assisted Learning »), mise au point pour Get Back, a notamment permis d’isoler des voix et des instruments à partir de sources mono ou stéréo très « collées ». C’est cette même famille d’outils qui a rendu possible, en 2023, la parution de Now and Then, « dernier » single des Beatles, à partir d’une maquette John Lennon enregistrée sur cassette dans les années 1970 : l’algorithme démêle la voix de John du piano, libérant une matière que Paul et Ringo ont pu achever en studio en intégrant des parties de George enregistrées dans les années 1990. Sans ces avancées, la promesse sonore d’un Anthology restauré n’aurait pas le même impact aujourd’hui.
Oliver Murray, un « neuvième » regard pour un épisode 9 très attendu
La grande nouveauté éditoriale est la création d’un épisode 9 dirigé par Oliver Murray. Le cinéaste adopte ici une approche proche de celle que Peter Jackson avait appliquée à Get Back : élargir le cadre, laisser respirer des instants coupés au montage originel et recontextualiser des séquences que l’on croyait connues. Ce « coda » de 51 minutes — au parfum doux-amer — fait affleurer une émotion que les fans reconnaîtront : celle de trois amis qui se manquent autant qu’ils manquent au reste du monde, et qui se redécouvrent à Friar Park, la demeure de George Harrison. Au programme, échanges complices, références tendres à John Lennon et petits instants de musique à l’état brut.
Ce qui fascine, c’est à quel point ce neuf surprend par sa simplicité. Paul, George et Ringo se retrouvent, sourient, grattent et chantonnent des standards qu’ils aimaient bien avant d’être des Beatles. On les voit ainsi reprendre Blue Moon of Kentucky et Ain’t She Sweet, deux titres qui ancrent la genèse du groupe dans la country et le vaudeville, bien au-delà de la pop sixties. Ces fragments ont été brièvement aperçus dans des sorties vidéo ou des archives partagées au fil du temps ; les revoir aujourd’hui, remasterisés, remontés et replacés dans une chronologie intime, donne un sens nouveau à l’Anthology. On ne parle plus seulement d’histoire collective : c’est la mémoire affective de trois artistes qui se répondent, assis dans l’herbe, loin du tintamarre.
Le film montre d’autres gestes simples et bouleversants, notamment l’accueil chaleureux de Linda McCartney, Olivia Harrison et Barbara Bach, les trois épouses présentes lors de ces retrouvailles, qui deviennent à leur tour personnages d’un récit souvent raconté du point de vue masculin. Ces images, rares, replacent les Beatles dans un entourage qui a toujours compté pour l’équilibre de chacun, mais qui, pour des raisons évidentes, s’était tenu en retrait du cadre « officiel » dans le montage des années 1990. Voir ces salutations, ces rire-tête-à-tête, ces mains qui se serrent ajoute au neuvième épisode une texture humaine qui lui sied à merveille.
Une mise en abyme assumée : pourquoi les Beatles manquent… aux Beatles
La tonalité de ce neuf est délicatement mélancolique. Ringo glisse un « c’était une vraiment belle journée », phrase simple qui semble condenser l’effet Anthology sur ceux qui l’ont vécu de l’intérieur : oui, il y a la gloire et les chiffres, les records de ventes, la ferveur d’une époque, mais il y a surtout l’amitié d’un quatuor qui se réinvente en trio pour célébrer sa propre mémoire. Paul et George plaisantent même sur l’idée d’une tournée des stades, boutade évidemment impossible, mais symptomatique de ce désir de refaire groupe, ne serait-ce qu’une heure, une après-midi, une chanson.
Ce fil mélancolique ne signifie pas que le documentaire se referme sur le passé. Au contraire : chaque souvenir est l’occasion d’un va-et-vient avec le présent. On évoque la période 1994-1995 non pas comme une « dernière chance », mais comme un moment où la technologie et la maturité ont permis au trio survivant de revisiter des pistes inachevées et d’oser des assemblages jusque-là impraticables. C’est là qu’on mesure l’importance des chantiers Free as a Bird et Real Love, préfigurant déjà ce que sera, près de trente ans plus tard, l’achèvement de Now and Then.
Giles Martin au son : un Anthology repensé pour l’oreille d’aujourd’hui
Côté musique, Giles Martin, fils de George Martin, prolonge son travail de réinterprétation audio au plus près des bandes d’origine. Il signe de nouveaux mixes pour la majorité des morceaux entendus dans la série, et supervise la sortie d’une collection élargie côté disques : les trois albums Anthology 1-3 remasterisés et, surtout, un quatrième volume, baptisé Anthology 4, qui réunit treize inédits et dix-sept titres issus de rééditions « super deluxe » parues ces dernières années. Anthology 4 met aussi en avant des nouvelles versions des singles associés à la série, avec un accent sur le dé-mixage des voix de John Lennon, dans la lignée des prouesses techniques démontrées par Get Back et par l’achèvement de Now and Then. La sortie de l’ensemble est annoncée pour le 21 novembre 2025, quelques jours avant le lancement de la série sur Disney+.
Le geste est cohérent : depuis 2017, Giles Martin a redéfini ce que peut être une réédition Beatles au XXIe siècle. De Sgt. Pepper’s à Revolver, en passant par Abbey Road, il a souvent préféré l’immersion à la fidélité littérale, assumant des choix de spatialisation et de séparation des pistes qui corrigent les limites techniques des enregistrements quatre pistes des sixties. Avec Anthology, il ne s’agit plus seulement de mixage d’albums, mais d’un paysage sonore qui doit épouser le rythme d’un récit filmique. C’est dire si la tâche est délicate : l’oreille moderne réclame du relief, des silences respirés, des timbres qui ne s’écrasent pas. Le pari semble tenu : dans les extraits diffusés, les timbres retrouvent une présence qui manquait parfois aux éditions vidéo de 2003.
Anthology 4 et l’effet « collection » : replacer les chantiers 1994-1995 dans l’arc 1958-2023
Le sous-titre implicite d’Anthology 4 pourrait être : « boucler la boucle ». En embrassant la période 1958-2023, la compilation réaffirme qu’il existe une ligne continue entre la genèse beatlesienne, les tentatives avortées de la première moitié des années 1990 et la résurrection sonore des années 2020. En d’autres termes, on n’écoute pas Free as a Bird aujourd’hui comme en 1995 ; on l’entend à travers Now and Then, et l’on redécouvre à quel point la texture de ces morceaux dépendait d’un grain de voix — celui de John — que les outils de 1995 ne savaient pas dissocier proprement de ses accompagnements.
L’apport des treize inédits concerne d’ailleurs moins la révélation de « nouvelles chansons » que l’éclairage sur les méthodes de travail du groupe, en studio ou en répétition. La matière brute — décomptes, dérapages, murmures de mise en place — nourrit ici l’imagination des auditeurs : on y entend « l’avant » des prises légendaires, on mesure combien l’alchimie du quatuor tient à des micro-réglages de tempo, à des harmonies vocales plaquées à l’instinct puis affinées, à ce sens du son qui n’a jamais cessé d’évoluer.
Now and Then, de la maquette au « dernier single » : un pont entre Anthology et 2023
Lorsqu’on revoit Anthology aujourd’hui, on tend naturellement l’oreille vers tout ce qui, au milieu des années 1990, annonçait la possibilité d’un troisième morceau élaboré à partir d’une démo de John Lennon. On sait l’histoire : Now and Then était pressenti pendant Anthology 3, mais la qualité de la cassette d’origine rendait l’isolement de la voix de John impraticable. Le miracle n’interviendra qu’avec Get Back et la généralisation de l’outil MAL, lorsque l’équipe de Peter Jackson parvient à séparer la voix de John de son piano, et à livrer à Paul et Ringo des stems propres, exploitables, où s’ajoutent les parties de George enregistrées en 1995. Now and Then sort en 2023, séduit la critique et le public, et se hisse en tête des classements dans plusieurs pays, prolongeant d’une certaine manière l’ADN d’Anthology.
On peut difficilement imaginer épisode 9 plus pertinent pour 2025 : il capture la genèse d’un fil narratif que le public a vécu en direct il y a deux ans. Le spectateur d’aujourd’hui n’écoute plus Free as a Bird ou Real Love en simple souvenirs 90s ; il les entend comme prémices techniques et affectives de Now and Then. Voilà pourquoi la réapparition d’Anthology sur Disney+ donne l’impression d’un récit enfin complet, où la chronologie semble respecter l’ordre dans lequel l’auditeur contemporain a découvert les œuvres : d’abord la restauration contemporaine, puis la source restaurée.
Friar Park, Blue Moon of Kentucky, Ain’t She Sweet : la petite musique de l’amitié
Parmi les images qui marqueront les fans, il y a ces moments à Friar Park, la demeure de George à Henley-on-Thames. Les trois amis s’y retrouvent dehors, à l’anglaise, assis sur l’herbe, les guitares à portée de main. Ils se lancent dans Blue Moon of Kentucky, standard de Bill Monroe passé par Elvis Presley en 1954, et dans Ain’t She Sweet, air de 1927 immortalisé par Gene Austin et que les Beatles avaient déjà chanté à leurs débuts, bien avant la gloire mondiale. On redécouvre, en miroir, l’éclectisme de leurs premières années : country, skiffle, oldies, rhythm & blues. Plusieurs bouts de ces scènes avaient circulé ou avaient été entrevus ici ou là ; ils reviennent aujourd’hui dans une qualité restaurée, intégrés à un récit qui, loin d’être un simple bonus, devient le cœur émotionnel de l’édition 2025.
Ce sont ces détails — un regard, un rire, une voix qui cherche sa bonne hauteur — qui donnent à l’épisode 9 sa force. Ils dissipent, l’espace d’un instant, la statufication des Beatles et nous ramènent à ce qu’ils furent d’abord : quatre garçons fascinés par les chansons américaines, capables d’en absorber les codes pour en faire quelque chose d’inédit. L’Anthology originelle racontait l’ascension et la rupture ; le neuf raconte le retour à la source, avec la douceur de ceux qui savent que le temps s’est rétréci, mais que la musique reste.
Pourquoi The Long and Winding Road reste… une route longue et sinueuse
Le neuf offre aussi l’opportunité de revenir sur un pan méconnu de la préhistoire d’Anthology : le projet de documentaire des années 1970, baptisé The Long and Winding Road. À l’époque, Neil Aspinall, fidèle compagnon de route des Beatles et dirigeant d’Apple Corps, avait imaginé un long métrage construit autour d’archives collectées dans le monde entier. Un workprint circulera plus tard de façon non officielle, preuve que l’idée d’un récit « officiel » du groupe avait germé dès l’après-séparation. Paul, George et Ringo expliquent dans les bonus de la nouvelle mouture pourquoi ce film ne pouvait pas naître dans ces années-là : question de contexte, de blessures encore vives, de guerre froide interne qu’il aurait été indécent de filmer. Anthology n’aura pu exister qu’au milieu des années 1990, lorsque les protagonistes se sentiront prêts à re-parler ensemble.
Revenir à cette genèse avortée permet de mesurer ce que l’épisode 9 accomplit : il relie trois temporalités. Les années 1970, moment d’une tentative impossible ; les années 1990, moment de la réconciliation partielle, des chantiers Lennon et de la re-lecture du mythe ; et 2025, moment d’une réactivation qui assume sa dimension technologique. Ce que le film dit en creux, c’est qu’il n’existe pas de « bonne » époque pour raconter les Beatles ; il n’y a que des façons différentes de le faire, en fonction des outils et de l’état d’esprit du moment.
Disney+, la nouvelle « A-Beatles-C » : l’événement pensé pour le streaming
Le choix de Disney+ prolonge la stratégie inaugurée par Get Back : faire de chaque ressortie un événement feuilletonnant. Trois soirées consécutives, 26-27-28 novembre, découpent l’Anthology en rendez-vous, au lieu d’une mise en ligne d’un bloc. Cette programmation fait écho à la diffusion américaine de 1995, déjà pensée en trois grandes soirées, rappelant que la forme compte autant que le fond : on attend, on commente, on compare. Le service de streaming insiste dans sa communication sur la participation de Park Road Post et de WingNut Films, ainsi que sur le rôle de Giles Martin pour les nouveaux mixes de la musique entendue dans la série. Le tout compose une « Anthology » 2025 qui ne remplace pas l’originale, mais l’encadre et l’éclaire différemment.
Une bande-son éditoriale : l’édition Anthology Collection (2025 Edition) en 12 LP ou 8 CD
En parallèle du streaming, l’édition Anthology Collection (2025 Edition) joue la carte physique. Au menu : 12 LP en coffret ou 8 CD, qui rassemblent les trois volumes historiques Anthology 1-3 remasterisés, plus le fameux Anthology 4. Au total, 191 titres : outtakes, performances live, enregistrements radio, démos et, en filigrane, la trajectoire qui mène du skiffle adolescent des Quarrymen au single Now and Then de 2023. Les disques proposent des livrets soignés, des photos restaurées et un appareil critique discret mais efficace pour suivre les pistes. On lit aussi, dans la description éditeur, que les singles « Anthology » ont été nouvellement mixés, détail qui intéressera les collectionneurs soucieux des versions et des dates.
Le regard de 2025 : les Beatles dans l’ère de la remasterisation continue
Ce qui frappe, à l’écoute et au visionnage, c’est la manière dont 2025 redéfinit le rapport aux archives. Loin de figer un « patrimoine », la restauration image/son — quand elle est faite avec rigueur — augmente la lisibilité sans trahir le matériau. Les couleurs d’archives retrouvent une température, les textures sonores dévoilent des instruments ou des respirations qu’on croyait perdus, et la voix reprend sa place au centre de la scène. À l’image, la restauration des rushes de Friar Park aboutit à une clarté qui laisse entendre le gras des cordes et le souffle des harmonies vocales. À l’oreille, les morceaux de l’Anthology gagnent en profondeur : on perçoit mieux la distance entre microphones, la granularité des rubans, le grain de la batterie de Ringo, la rondeur de la basse de Paul.
Cette réévaluation sonore rejoint un mouvement plus large dans la discographie des Beatles, entamé au milieu des années 2010 et accéléré depuis Get Back. On a longtemps considéré qu’un remix était une trahison de l’original ; les équipes de Giles Martin ont montré qu’un remix peut au contraire être un acte critique, qui relit l’intention d’une œuvre dans un contexte technique réactualisé. La réédition 2025 de l’Anthology s’inscrit naturellement dans cette logique : en 1995, la vidéo DVD n’existait pas encore pour le grand public ; en 2003, la compression des DVD imposait ses limites ; en 2025, le streaming 4K et l’audio haute résolution ouvrent des perspectives nouvelles.
Récit et méthode : comment l’épisode 9 reformule l’Anthology
Au-delà des images charnières déjà évoquées, l’épisode 9 apporte deux déplacements subtils. D’abord, il dé-verticalise le récit. L’Anthology originelle procédait chronologiquement, du Liverpool des années 1950 jusqu’à la séparation de 1970 et aux suites solo. Le neuf juxtapose davantage : ici, un souvenir de 1964 jaillit au milieu d’une écoute de bande de 1968 ; là, une plaisanterie de George éclaire soudain un choix d’arrangement chez les Beatles tardifs. Ensuite, il ré-humanise : le hors-champ du groupe s’incarne par des présences féminines et amicales, et par un cadre domestique — Friar Park — dont la beauté excentrique est elle-même une sorte d’autoportrait de Harrison.
Ce double déplacement rappelle que les Beatles ne sont pas seulement des figures historiques : ce sont des corps, des voix, des familles, des amis. Et cela explique peut-être pourquoi l’épisode 9 semble « final » sans l’être : il boucle la boucle du projet 1995, mais il ouvre des portes sur des lectures futures. Dans cinq ans, dans dix ans, quand une nouvelle génération découvrira la série, ces images auront probablement encore un autre sens.
Sam Mendes et l’horizon 2028 : l’Anthology inspire déjà le prochain grand récit
Difficile d’ignorer, en filigrane, le projet de quatre longs métrages que Sam Mendes prépare pour 2028, chacun racontant l’histoire des Beatles du point de vue d’un membre : John, Paul, George, Ringo. Le casting principal — Harris Dickinson, Paul Mescal, Joseph Quinn, Barry Keoghan — a été dévoilé au printemps, et la production promet une expérience « bingeable » en salle, pensée comme un événement étalé sur quelques semaines d’avril 2028. C’est dire si l’Anthology 2025 tombe à point nommé : elle re-familiarise le grand public avec la chronologie, les héros et les tensions internes, tout en proposant une matière visuelle et sonore qui nourrira inévitablement les lectures de Mendes.
On peut d’ailleurs y voir une cohérence : l’Anthology fut, en 1995, l’acte par lequel les Beatles ont repris la main sur leur récit. En 2025, Disney+ et l’épisode 9 prolongent ce geste dans un cadre documentaire ; en 2028, Mendes l’explorera dans un cadre fictionnel, avec les risques et les libertés que cela comporte. Entre ces deux pôles — documentaire et fiction — se dessine une aire de jeu où l’héritage des Beatles est réinterprété, sans cesse.
Ringo a le dernier mot : une sortie au mouchoir, mais le regard vers l’avant
Ce qui reste, après visionnage, c’est la voix de Ringo, qui conclut l’épisode 9 sur un mot simple et poignant. La sobriété de sa phrase — à peine un constat, comme une petite poignée déposée sur l’épaule de l’auditeur — vaut signature. Ringo est, dans Anthology, la conscience du groupe : il observe, commente, relativise. George offre la sagesse teintée d’humour, Paul l’énergie et l’élan. À trois, ils recomposent une polyphonie qui a toujours été la clé des Beatles : pas d’unisson lisse, mais un accord de voix différentes qui s’entendent.
On se surprend, en refermant l’épisode 9, à repenser à cette phrase de Giles Martin : « La musique ne sera jamais « finale », c’est la meilleure chose que je puisse dire des Beatles. » Or, c’est précisément ce que montre la combinaison Disney+ + Anthology 4 : la musique reste un processus, un travail qui continue. Chaque restauration révèle un détail, chaque mix redessine un équilibre, chaque recontextualisation ouvre une porte d’écoute.
Pour qui, pour quoi : à qui s’adresse la nouvelle Anthology
Aux fans historiques, d’abord. Ceux qui ont vécu 1995-1996, qui ont acheté les double-CD à la sortie, qui ont enregistré les émissions sur VHS ou se sont offert les coffrets LaserDisc puis DVD. Ils y trouveront un regard neuf sur des images connues, une émotion intacte, et ce bonus qu’est l’épisode 9, à la fois bouquet final et brèche dans la chronologie.
Aux nouveaux venus, ensuite. La structure en trois soirées sur Disney+ rend l’entrée dans Anthology fluide, rythmée, presque sérielle. On peut regarder trois épisodes à la suite, faire une pause, écouter Anthology 4, revenir au neuf. L’ergonomie du streaming permet de picorer ou de s’immerger.
Aux musiciens et ingénieurs du son, enfin. La dimension technique de la ressortie — MAL, dé-mixage, remix — vaut cours magistral sur ce que la restauration peut ou ne peut pas faire. L’Anthology 2025 n’est pas une réécriture ; c’est une ré-audition.
Ce que l’épisode 9 change dans l’imaginaire beatlesien
On a souvent dit que les Beatles avaient « inventé » la pop moderne. On pourrait dire, à la lumière de l’épisode 9, qu’ils ont aussi inventé une manière de vieillir en musique. Non pas en figeant leur jeunesse, mais en la regardant en face. La tendresse de Friar Park, la simplicité des reprises, la place des épouses, tout cela compose un portrait de groupe apaisé, capable de rire de ses propres mythes et de cheminer avec eux. La nostalgie n’est pas larmes ; elle est mémoire active, qui accepte que le passé change à mesure qu’on le réécoute.
C’est pourquoi l’épisode 9 ne se contente pas d’être un bonus. Il déplace l’axe de l’Anthology : du mythe vers l’intime, du récit héroïque vers la conversation. Il rappelle que la beauté des Beatles tient autant à leurs chansons qu’à leur manière d’être les uns avec les autres. Et que, pour eux comme pour nous, la route est longue et sinueuse, mais qu’elle mène toujours à une chanson qui nous attend quelque part.
En guise de coda : pourquoi cette Anthology-là est nécessaire
Il y a, dans la coïncidence des parutions — Disney+ pour la série, Anthology 4 et la Collection 2025 pour les disques — quelque chose de plus qu’un hasard de calendrier. C’est une invitation à réentendre l’histoire. En 1995, Anthology avait offert à une génération l’autorité d’un récit par ses auteurs. En 2025, la même histoire revient avec un appendice qui en change la couleur. On y entend mieux le temps qui passe, la fragilité des voix, la douceur de la mémoire. On y comprend aussi mieux pourquoi les Beatles manquent aux Beatles, et pourquoi la musique — la leur, la nôtre — n’est jamais finie.
La neuf n’est pas seulement un dernier chapitre. C’est une clé supplémentaire dans une maison déjà immense. Il ouvre des portes vers le passé, certes, mais il en entrouvre d’autres vers des futurs possibles : biopics de Sam Mendes en 2028, nouvelles restaurations de concerts ou de sessions, rééditions qui feront parler d’elles. Au fond, Anthology n’est pas un monument ; c’est un chemin. Et c’est sans doute pour cela que nous y revenons.
Informations clés à retenir
The Beatles Anthology revient en neuf épisodes sur Disney+, en trois soirées, les 26, 27 et 28 novembre, dans une version magnifiquement restaurée par Peter Jackson et ses équipes, avec un épisode 9 inédit réalisé par Oliver Murray et nourri d’images en coulisses de 1994-1995. Côté audio, Giles Martin a re-mixé la majorité de la musique de la série et supervise la parution de la collection 2025 en 12 LP ou 8 CD, incluant Anthology 4, prévue le 21 novembre 2025. En toile de fond, l’héritage technique de MAL et la trajectoire qui va de Free as a Bird et Real Love à Now and Then. Enfin, l’horizon 2028 verra l’arrivée de quatre films signés Sam Mendes, preuve que le récit des Beatles continue d’inspirer cinéma et musique.
Repères historiques
Lorsque l’Anthology originale est apparue en 1995, elle a réuni des millions de téléspectateurs sur ABC aux États-Unis, avec une première soirée événement qui avait propulsé la chaîne dans les sommets d’audience de la période. Ce rappel n’est pas anodin : il dit combien la forme-événement a toujours accompagné l’Anthology. La programmation en trois soirées sur Disney+ rejoue ce rituel pour une génération streaming. Deseret News
En dernier mot
The Beatles Anthology est plus qu’une réédition. C’est une relecture. L’épisode 9 n’ajoute pas « juste » des scènes coupées ; il recompose l’émotion du projet. Grâce à la restauration image/son, à la curation musicale de Giles Martin et à l’œil d’Oliver Murray, la série retrouve la présence d’un récit qui ne passera jamais de mode. Et si l’on ose un vœu, c’est celui-ci : que cette Anthology 2025 inspire, à son tour, d’autres retours aux archives menés avec la même exigence. Parce que les Beatles, aujourd’hui encore, apprennent au monde entier comment raconter la musique.
