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Le destin des Irlandais : The Luck of the Irish et la résonance de la lutte

Publié le 20 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

À travers Some Time in New York City, l’album de John Lennon et Yoko Ono, le couple s’engageait résolument dans des causes sociales, avec une attention particulière portée aux injustices sociales et politiques. L’une des chansons emblématiques de cet album, « The Luck of the Irish », se distingue non seulement par sa charge émotionnelle et militante, mais aussi par l’implication personnelle et historique de John Lennon dans la lutte pour les droits des Irlandais et des populations opprimées en général. Cette chanson, en particulier, dévoile un visage de Lennon encore peu exploré dans le grand récit de sa carrière : celui d’un artiste qui, tout en étant profondément personnel, s’engage dans la politique mondiale, sans détour ni compromis.

Sommaire

La genèse de « The Luck of the Irish » : Un acte de solidarité

En 1971, Lennon et Ono étaient plongés dans un tourbillon d’activisme, avec une forte volonté de dénoncer les injustices, non seulement en Grande-Bretagne, mais également à l’échelle internationale. « The Luck of the Irish » s’inscrit dans ce contexte : la chanson est écrite en réaction à la situation politique en Irlande du Nord, où les tensions entre les nationalistes irlandais et les forces britanniques déchiraient la région. Mais avant que l’atrocité de Bloody Sunday en janvier 1972, où des manifestants pacifiques furent abattus par l’armée britannique, n’éclate, Lennon se rendait déjà compte de la brutalité du conflit, qu’il avait observé lors d’une manifestation à Londres en août 1971.

Dans cet environnement tendu, Lennon, en bon citoyen engagé, se réclamait de ses racines irlandaises, affirmant qu’il était « un quart irlandais ou à peu près » et exprimant son profond lien avec l’Irlande. L’artiste, qui nourrissait depuis longtemps une fascination pour la culture irlandaise, se rendit avec Yoko dans l’île verte, y trouvant refuge et inspiration. Ce n’était pas simplement une escapade romantique : Lennon voulait que sa musique porte un message, et il n’hésitait pas à l’exprimer à travers des chansons telles que « The Luck of the Irish ».

La composition de la chanson : Entre engagement et poésie

La chanson, qui raconte l’histoire des Irlandais pris dans la tourmente de la colonisation britannique, est à la fois un cri de ralliement et une dénonciation. Les paroles, bien que parfois simples, sont puissantes dans leur description des souffrances infligées à un peuple. Lennon, conscient de la richesse et de la complexité de l’histoire irlandaise, ne cherche pas à donner une version simplifiée du conflit, mais plutôt à en montrer l’absurdité. Le refrain « The luck of the Irish / The luck of the Irish / They’re coming over here » (La chance des Irlandais / La chance des Irlandais / Ils arrivent ici) souligne l’idée que l’Irlande a toujours été sous pression, que ce soit de la part de l’Empire britannique ou des forces économiques mondiales. Lennon, tout en parlant de chance, fait bien sûr allusion à l’ironie de cette situation.

Dans le contexte de l’époque, la chanson peut aussi être vue comme une critique de la manière dont les puissances mondiales se comportent vis-à-vis des peuples opprimés, non seulement en Irlande, mais aussi dans d’autres parties du monde. Le refrain résonne comme un appel à la solidarité, un appel à l’unité des opprimés face aux puissances coloniales.

Les premiers enregistrements de la chanson, réalisés en novembre 1971, montrent déjà la clarté de la vision de Lennon : il souhaitait que cette chanson devienne un manifeste politique. Mais comme souvent avec Lennon, l’idée musicale n’est jamais séparée de la recherche de la vérité humaine. La chanson devient ainsi une sorte de miroir où se reflètent à la fois l’aspiration à la liberté et l’impossibilité de se libérer du poids historique de l’injustice.

La version finale et la réception : La force de l’engagement

La version finale de The Luck of the Irish se distingue par son arrangement musical qui mêle le rock ‘n’ roll à une touche folk, une approche caractéristique de la période de Lennon post-Beatles. Accompagné du groupe Elephant’s Memory, Lennon ne se contente pas de chanter son texte. Il fait passer un message, il incarne la révolte. Les instruments, notamment les flûtes de Stan Bronstein et la batterie de Jim Keltner, apportent à la chanson une dimension épique, presque cinématographique.

Mais ce n’est pas uniquement la musique qui frappe dans The Luck of the Irish ; c’est aussi l’attitude de Lennon et Ono. Leur engagement ne se résume pas à une simple déclaration politique, mais à une réelle participation à la lutte, qu’il s’agisse de leur implication dans des manifestations ou de la façon dont ils utilisent leur célébrité pour attirer l’attention sur des causes qui leur tenaient à cœur. Les images de la manifestation en février 1972 devant les bureaux de la BOAC (British Overseas Airways Corporation), en réponse au massacre de Bloody Sunday, renforcent cette idée d’un Lennon non seulement artiste, mais aussi militant.

Le travail de production de Phil Spector, qui était connu pour son approche audacieuse du son, complète cette démarche. L’enregistrement de la chanson s’effectue dans une atmosphère électrique et un brin chaotique, ce qui amplifie encore le message révolutionnaire de la chanson. On peut imaginer que cette urgence sonore, presque « bruyante », était un reflet direct de l’urgence politique ressentie par Lennon.

L’impact et la postérité : Une chanson au-delà du contexte

L’influence de The Luck of the Irish dépasse largement les frontières de l’Irlande du Nord. En abordant un conflit en cours, Lennon capte l’attention d’une génération d’Américains et de Britanniques sensibilisés par les événements politiques mondiaux des années 1970. Bien que la chanson n’ait pas été un grand succès commercial, elle est néanmoins une composante essentielle de l’album Some Time in New York City, qui reste une œuvre résolument militante.

Dans les années suivantes, la chanson fut interprétée à plusieurs reprises, notamment lors de concerts de charité. Mais, de manière surprenante, l’héritage immédiat de la chanson s’est surtout forgé en dehors de son contexte initial. Aujourd’hui, The Luck of the Irish est souvent redécouverte par des générations nouvelles qui s’intéressent à la période de John Lennon après les Beatles et qui, comme lui, se sentent concernés par les causes sociales et politiques mondiales.

Une analyse critique de la chanson : Lennon entre révolte et poésie

À bien des égards, « The Luck of the Irish » incarne ce qui rend le travail de John Lennon post-Beatles si fascinant et complexe. Si la chanson est une déclaration d’affection pour l’Irlande, elle est aussi une métaphore des luttes plus universelles. Elle s’attaque à l’injustice et au colonialisme tout en reconnaissant la souffrance du peuple irlandais. Mais le recours aux clichés et aux stéréotypes irlandais, comme les trèfles à quatre feuilles et les leprechauns, peut parfois nuire à la portée du message. La participation de Yoko Ono, qui apporta une touche de légèreté et de folklore, semble se heurter à la tonalité sombre et politique de la chanson, ce qui en diminue quelque peu la profondeur.

En revanche, le cœur de la chanson demeure la voix de Lennon. Son chant, toujours aussi mordant, ne laisse aucune place à la complaisance. Il ne cherche pas à apaiser, mais à provoquer, à réveiller les consciences. C’est cette combativité qui continue de faire la puissance de « The Luck of the Irish », qui reste, encore aujourd’hui, un témoignage d’un homme désireux d’utiliser la musique comme un vecteur de changement.

L’empreinte laissée par cette chanson, dans le cadre de l’album Some Time In New York City, est loin d’être anecdotique. Elle fait partie d’un ensemble d’œuvres qui ont marqué l’âme de la musique rock dans les années 1970, une époque où les frontières entre musique et engagement politique étaient plus floues que jamais.


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