Quatrième de couverture :
» Je suis sur ta clavicule, sur ton poignet, dans tes mains. Je suis dans tes cheveux, sur ton sein, dans tes yeux. Je regarde ta bouche, tes mouvements, ta robe. Je te connais sans te connaître, Enriqueta. «
La vie d’Enriqueta bascule le 18 août 1936, quand, en quelques minutes, elle doit fuir la maison familiale d’Irun menacée par les franquistes. Ce jour-là, elle perd tout.
Quarante ans plus tard, sa petite-fille, Léonor, naît française. Pourtant, lorsqu’une loi espagnole permet aux descendants d’exilés politiques d’obtenir la nationalité perdue, elle décide de la demander. Pourquoi tourner et retourner une terre emplie de fantômes ? Et qui était au juste Enriqueta ?
Tissant souvenirs d’enfance, imaginaire romanesque et regard poétique, Léonor de Récondo se fraie un chemin vers celles et ceux que la guerre civile a voulu effacer. Un livre pour dire l’amour. Et ne jamais oublier.
Leonor De Recondo reprend le thème de son premier roman Rêves oubliés mais ici il ne s’agit pas d’un roman mais plutôt d’un récit où elle repart de la date du 18 août 1936, quand sa grand-mère Enriqueta, avec ses parents et ses trois fils, doit brusquement quitter Irun, encerclée par les phalangistes (l’armée du coup d’Etat, de Franco) et passer le pont vers la France et Hendaye, en abandonnant tout, y compris le gâteau d’anniversaire d’un de ses fils. Les frères et le mari d’Enriqueta sont républicains et les phalangistes exécutent les opposants et détruisent les maisons. Pendant longtemps, cette femme de trente-sept ans viendra se tenir sur la plage et observer de loin sa ville, tentant de recueillir des bribes de ce qui se passe à Irun. Elle aura des nouvelles par le flot de réfugiés qui traversent à leur tour le pont. Plus tard, ce sera une maison dans les Landes puis un appartement à Paris, tête de pont de la résistance espagnole à la dictature de Franco.
Ce qui motive Leonor De Recondo à écrire sur cette grand-mère mal connue, c’est la Loi de Mémoire démocratique instituée en Espagne en 2022, une des initiatives espagnoles qui reconnaît la souffrance des exilés de la Guerre civile, des réfugiés devenus apatrides et permet à leurs enfants, à leurs petits-enfants de demander la nationalité espagnole. C’est ce que fait l’autrice mais cette demande s’assortit d’un tas de papiers et de justificatifs à fournir, notamment un justificatif d’exil, ce qui est bien compliqué à fournir. Malgré les freins externes et internes, Leonor De Recondo poursuit sa démarche et la conte dans son livre, tout en poursuivant sa quête sur le destin d’Enriqueta, essayant de se placer dans ses pas, par exemple en retournant régulièrement au Pays basque, à Irun, dans la pâtisserie Aguirre. Pour elle, l’identité, question centrale du récit, n’est pas une question de frontière, elle se trouve plutôt dans la langue, cette langue basque si difficile et que son propre père n’a jamais voulu lui apprendre.
Hier, 20 novembre, c’était le cinquantième anniversaire de la mort du dictateur Franco et aussi la rencontre 100 % Iconoclaste chez Au Temps Lire, avec notamment Leonor De Recondo qui évoque dans son récit quelques-unes des horreurs de la dictature : les fosses communes où ont été jetés les opposants, ce qu’ont subi les femmes dans les prisons franquistes, l’assassinat de Gabriel Garcia Llorca. Ce qu’elle dit, ressent de ce qu’ont vécu ses grands-parents, son père, ses oncles n’est pas sans rappeler des images plus contemporaines de l’exil et des guerres dans lesquels sont toujours jetés des milliers d’innocents. Leonor De Recondo mène son récit avec sensibilité, sans pathos et entremêle prose et poésie, sans doute pour mieux exprimer ses émotions. Une lecture touchante.
« Je pleure l’absurdité de ces guerres, toutes identiques, qui assassinent la beauté, qui abattent si facilement la liberté et qui nous laissent orphelins pour toujours des mots que portait encore en lui le poète, du savoir du maître d’école et du courage des toreros.
Lire et dire la poésie de Lorca aujourd’hui, c’est le faire vivre et revivre. C’est aussi combattre l’obscurantisme de toutes les dictatures. Accompagnés de ses mots, nous résistons et faisons corps. »
« J’admire ces femmes, leurs luttes, leur émancipation par l’alphabétisation et le collectif. Liberté de corps et d’esprit dans cette Espagne catholique et rurale des années 1930. Je vois dans les collectifs qui se créent aujourd’hui autour du consentement et des violences faites aux femmes la continuité de ces mouvements-là. À chaque génération, nous cherchons à être pleinement nous-mêmes, libres, indépendantes. Le chemin est long, mais dans les quatorze numéros qui seront publiés de Mujeres Libres, les femmes écriront souvent à propos de la sexualité, de la maternité et du manque d’instruction, comme de freins évidents au développement d’une pensée, d’une place sociale et politique à l’égal des hommes.
Nous continuons cette route faite de combats et d’avancées, de replis et d’utopies. »
Leonor De Recondo, Marcher dans tes pas, L’Iconoclaste, 2025
Pour ceux qui seraient intéressés, deux articles sur la dictature et l’après Franco ici et ici.
