Etant amateur de polars, je n’avais pourtant jamais lu Jean-Christophe Grangé. Vous allez donc trouver encore plus étrange que je me décide enfin à lire l’un de ses romans au moment au l’auteur abandonne les codes du thriller pour livrer une autobiographie brute, bouleversante et sans fard. Car « Je suis né du diable », n’est malheureusement pas une fiction, mais le seul legs d’un père absent, dont la noirceur a marqué à jamais la trajectoire de l’auteur.
Jean-Christophe Grangé y retrace en effet son enfance sous l’emprise d’un père tyrannique, manipulateur et destructeur, qualifié de « prince des ténèbres ». À travers une narration à trois voix — la sienne, celle de sa mère Michèle et celle de sa grand-mère Andrée — il reconstitue le puzzle familial, dévoilant les secrets, les non-dits et les blessures qui ont façonné son imaginaire. Le récit alterne entre l’horreur vécue, la protection offerte par les deux femmes de sa vie et la lente reconstruction d’un homme qui a choisi la fiction comme exutoire.
Dès la couverture, c’est l’aspect autobiographique qui domine ce roman, qui se lit comme une confession à vif. Grangé ne cherche pas à exorciser ses démons par la fiction : il expose, il raconte et il transmet. Le père, figure mythologique et maléfique, n’a laissé à son fils qu’un héritage de douleur… et ce récit, témoignage d’une enfance fracassée.
La structure du récit, volontairement éclatée, alterne les points de vue et les temporalités, donnant au texte une intensité presque cinématographique. On ressent la violence sourde, la peur, le silence, mais aussi l’amour inconditionnel de Michèle et Andrée, véritables héroïnes de cette histoire. Deux femmes courageuses qui ont osé affronter le diable…
Grangé rend un hommage bouleversant à ces deux femmes, qui ont su le protéger, l’aimer et lui offrir la force de survivre. Leur présence lumineuse contraste avec l’ombre du père et c’est dans ce dialogue entre ténèbres et lumière que le livre trouve toute sa puissance.
La plume de Grangé ne recherche pas l’horreur ou la sensation, comme l’on pourrait s’attendre de la part d’un auteur de thrillers, mais se veut ici assez pudique, respectueuse et même parfois poétique. En conservant une certaine distance vis-à-vis des faits, voire même une certaine indifférence envers ce père qui l’a pourtant inévitablement marqué, il parvient à ne jamais tomber dans le sensationnel : il raconte, il analyse et il interroge la filiation et la résilience.
Entre ténèbres et résilience, Jean-Christophe Grangé offre ainsi une mise à nu sincère, un texte sombre, nécessaire et courageux, la genèse d’un écrivain tourmenté éclairé par la présence de deux femmes courageuses, auxquelles il rend ici hommage.
Ce livre n’est pas seulement le récit d’une enfance volée, c’est un hommage vibrant à la force des femmes, à la capacité de survivre et de transformer la douleur en création. Grangé nous invite à plonger dans ses ténèbres pour mieux voir les deux femmes lumineuses qui l’ont éclairé.
Je suis né du diable, Jean-Christophe Grangé, Albin Michel, 336 p., 21,90 €
