En novembre 1980, quelques semaines après la tragique disparition de John Lennon, l’industrie musicale est secouée par la sortie d’un single posthume. Ce morceau, Watching The Wheels, fait partie du dernier album de Lennon, Double Fantasy, un album au ton très personnel, où l’artiste fait une rétrospective de sa vie et de son choix de se retirer de la scène musicale pendant cinq longues années. Watching The Wheels incarne non seulement la conclusion d’une époque mais aussi le témoignage intime d’un homme qui, après avoir vécu intensément la célébrité et ses excès, choisit de se consacrer à une vie plus tranquille, loin des projecteurs.
Plongeons dans l’histoire de Watching The Wheels, depuis ses premières esquisses en 1977 jusqu’à son enregistrement final en 1980, tout en explorant les thèmes profonds qu’il aborde. Un regard nostalgique et lucide sur les choix de Lennon, qui, loin d’être une simple chanson, est une lettre d’amour à lui-même, à sa famille, et au monde.
Sommaire
- De la retraite à la réécriture : l’évolution d’une chanson
- Un message de paix et de retour aux racines
- Enregistrement en studio : une collaboration unique
- Une chanson de retour au quotidien
- Un succès posthume et un reflet de l’âme de Lennon
De la retraite à la réécriture : l’évolution d’une chanson
Comme souvent avec les compositions de John Lennon, l’histoire de Watching The Wheels est celle d’une longue maturation. À l’origine, la chanson était intitulée Emotional Wreck, et Lennon en avait enregistré une première démo fin 1977. Ce premier jet était un simple croquis, sans véritable structure de refrain. À ce moment-là, Lennon n’avait pas encore trouvé les mots justes pour exprimer ce qu’il ressentait après plusieurs années d’absence de la scène musicale. La chanson évolue au fil des mois, passant par des titres successifs comme People en 1978 et I’m Crazy en 1979, un morceau plus introspectif mais toujours en quête de sa forme définitive.
Le texte et la musique sont progressivement peaufinés, et il faut attendre le début de l’année 1980 pour que la chanson prenne véritablement son envol sous le titre Watching The Wheels. À ce stade, Lennon a déjà enregistré plusieurs démos de ce morceau, dont une avec une guitare électrique qui lui donnait un rythme plus boogie, avant de décider d’abandonner cette direction pour opter pour une version plus épurée et poignante. La version finale de la chanson, enregistrée en juin 1980, révèle un Lennon serein, réfléchi, qui semble prendre une certaine distance avec sa propre célébrité et son passé tumultueux.
Un message de paix et de retour aux racines
Lorsque Watching The Wheels est enfin gravée en studio, Lennon s’empare d’un sujet qui le tourmente profondément : la place de l’artiste dans une société en constante évolution. Après avoir été constamment sous les feux des projecteurs de 1962 à 1973, Lennon a choisi, en 1975, de quitter les projecteurs pour s’occuper de son fils Sean, fruit de son union avec Yoko Ono. Cette longue période d’isolement, qui a duré cinq ans, a été mal comprise par la presse et par de nombreux fans. En 1980, beaucoup se demandaient ce que Lennon avait fait pendant ces années de silence. Watching The Wheels est donc la réponse de l’artiste à ses détracteurs.
La chanson représente à la fois une réflexion et une déclaration : Lennon ne se retire pas par dépit, mais par choix, pour s’éloigner d’un monde qu’il jugeait de plus en plus artificiel. Dans l’une de ses déclarations, Lennon confiait : « J’avais commencé à m’éloigner de la musique, à m’occuper de mon fils, à reprendre une vie normale, loin des attentes incessantes de la célébrité. » C’est aussi un acte de paix intérieure, un homme qui regarde les « roues » de sa propre existence tourner, sans rien forcer, tout en prenant conscience de l’importance du moment présent.
Enregistrement en studio : une collaboration unique
L’enregistrement de Watching The Wheels s’est fait dans un climat de sérénité après plusieurs années de turbulences. John Lennon, après avoir vécu l’expérience du Lost Weekend, une période marquée par ses excès et son divorce partiel avec Yoko Ono, retrouve une forme de stabilité familiale et émotionnelle. C’est à ce moment-là qu’il décide de retravailler avec Yoko sur l’album Double Fantasy, un album qui explore à la fois les aspects de leur vie commune et la reprise de contact de Lennon avec le monde de la musique.
L’enregistrement a eu lieu dans le studio Hit Factory à New York en août 1980, avec des sessions vocales de Lennon en septembre de la même année. Le morceau se distingue par son approche musicale qui fait appel à une large palette d’instruments. Un mélange subtil de piano, de batterie et d’un mélodieux hammer dulcimer (un instrument traditionnel à cordes frappées) ajoute de la profondeur à la production. Ce dernier, joué par Matthew Cunningham, un musicien de rue de Greenwich Village, marque un moment singulier, une touche d’authenticité qui résonne profondément avec la simplicité du message de Lennon.
George Small, qui avait joué sur de nombreuses autres pistes de Double Fantasy, intervient également sur le piano. L’un des moments les plus marquants de la chanson est le passage final, où Lennon insista pour que Small joue une ligne de piano « romantique », qu’il avait entendue dans un bar quelques mois auparavant et qui, selon lui, capturait parfaitement l’esprit de la chanson.
Une chanson de retour au quotidien
Dans Watching The Wheels, Lennon se place en observateur des petites choses du quotidien. Le titre évoque son point de vue depuis son appartement au sixième étage du Dakota Building à New York, où il voyait les voitures défiler en bas, une image qui, à la fois littéralement et métaphoriquement, illustre le temps qui passe et les mécanismes de la vie qui continuent de tourner sans lui. Il explique ainsi : « Watching the wheels ? Le monde entier est une roue, n’est-ce pas ? Les roues tournent sans cesse, c’est mes propres roues, principalement. Mais, vous savez, regarder mes propres roues, c’est aussi comme regarder celles de tout le monde. Et je me regarde à travers mon enfant aussi. »
Lennon se contente désormais d’être un spectateur de son époque. Il n’est plus un créateur de vagues dans l’océan de la culture populaire ; il est celui qui observe et qui vit l’instant présent, loin des projecteurs. La chanson devient ainsi une sorte de déclaration de résilience et de renouveau. Elle est aussi un acte de résistance contre la pression constante d’être un artiste public. Lennon choisit de ne plus s’y soumettre, d’être « hors du jeu », sans pour autant se sentir oublié.
Un succès posthume et un reflet de l’âme de Lennon
Watching The Wheels a été publié comme single posthume le 13 mars 1981 aux États-Unis, et le 27 mars en Grande-Bretagne. En dépit de la tragédie de la mort de Lennon, survenue en décembre 1980, la chanson rencontre un grand succès. Elle se classe à la 10e place du Billboard Hot 100 aux États-Unis et dans le top 30 en Grande-Bretagne, marquant ainsi une réussite commerciale importante dans un contexte particulièrement difficile. Le visuel du single, une photo de Lennon et Yoko Ono marchant main dans la main loin du Dakota Building, prise par Paul Goresh, un ami photographe de Lennon, accentue le message de la chanson : un acte de marche vers l’inconnu, loin de la célébrité et du bruit du monde.
Watching The Wheels n’est pas simplement une chanson de retour ou de nostalgie ; c’est un acte de redéfinition de soi. C’est une chanson d’acceptation, d’amour familial et de paix intérieure. Lennon, loin d’être un homme brisé par la célébrité, devient un témoin sage et tranquille, offrant à ses fans une dernière réflexion profonde sur sa propre existence.
Cette chanson reste, aujourd’hui encore, l’un des témoignages les plus touchants de Lennon, un hommage à la simplicité d’une vie tranquille, loin des feux de la scène, où l’artiste a trouvé une forme de rédemption et de bonheur familial. Le génie de Watching The Wheels réside dans sa capacité à parler à tout un chacun, tout en conservant l’empreinte indélébile de John Lennon, l’artiste tourmenté devenu sage.
