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Chronique du temps ralenti

Publié le 23 novembre 2025 par Paulo Lobo
Chronique temps ralenti
Le poids des années qui se fait sentir par une espèce de fatigue permanente, fatigue enveloppante, fatigue embêtante qui ne veut plus s’apaiser, qui est là tout simplement, tout le temps, matin, midi et soir, et également pendant la nuit. Le corps n’a plus la fraîcheur d’autrefois. Les articulations, les muscles te disent : lâche. Lâche le frein. Donne-nous du répit. Ne sois pas si gourmand. Ne sois plus aussi avide. 

Accepte le vide qui est en toi. 
Tout devient plus fade. Tous les éléments autour de toi s’étiolent. Les choses deviennent un peu plus floues et un peu moins certaines. 
C’est sûr, on est moins enclins à faire la révolution.
On se dit : des milliers de jours ont passé… Combien ? Je ne sais pas. Plusieurs milliers de jours. Il faudrait multiplier les années par 365 pour arriver à une quantité plus ou moins juste. Ça fait beaucoup de fois à se lever, à se bouger, à se déplacer, à parler, à réfléchir, à prendre des décisions ou à ne pas pouvoir les prendre, à jouer à tel ou tel jeu, à rencontrer des gens, à les trouver sympas ou pas sympas, à se dire « les choses sont belles », « la vie est belle » ou « la vie est crade ». 
Et puis, graduellement, imperceptiblement, les jours s’assombrissent, les nuits s’approfondissent, les saisons s’accélèrent. On a à peine mis le pied dans l’automne que déjà c’est l’hiver, et puis tout de suite le printemps, et puis l’été qui est pressé d’en finir, et puis l’automne encore.
Alors on se dit : c’est la dure loi des chiffres, c’est la ronde infernale, et on se demande quoi attendre de plus. On se dit : on est encore dans une phase de transition, ce n’est pas encore complètement la fin. Il y a encore un petit peu de baume au cœur, encore un reste de douceur envers soi
On se dit : profite tant que ça dure. Et puis on se dit : ça passera. Et puis on se dit : 
tant pis.
Alors, suivant le mood, suivant l’humeur du moment, on est soit pessimiste, soit optimiste, soit réaliste. On the the se met à vouloir, à devoir vouloir des docteurs. Pour les petits bobos. Un petit bobo, deux petits bobos, trois petits bobos. Quand les petits bobos s’additionnent, eh bien ça fait parfois des gros bobos, mais plus ou moins invisibles. Et puis, au final, il y a surtout, comme je disais au début, cette fatigue insondable, incessante, atrophiante. Une fatigue qui ronge en silence.
On cherche l’amitié et on cherche les regards complices. Ceux qui nous ont accompagnés depuis la jeunesse, on est heureux de les retrouver. Ceux qu’on connaît depuis un peu moins longtemps et qui sont un peu plus jeunes que nous, on est heureux de compter sur eux. 
On est seul, mais on n’aime pas se sentir seul. On aime être ensemble avec d’autres, même si on est un peu en retrait, même si tout nous semble déjà légèrement évanoui dans le temps.
Enfin, pas tout. C’est nous qui sommes de plus en plus évanescents. On se sent devenir évanescent, de moins en moins dense dans le moment présent.
Déjà une sorte d’esprit en suspens, même si on sourit, on parle, on discute, et on cherche la chaleur humaine, la vibration, cette vibration qui fait qu’on appartient à un lieu et à un collectif, un groupe, un moment partagé.
Tant qu’on a la force, tant qu’on a la vie, on continue, jour après jour, nuit après nuit. Et on redoute le temps, le moment où, petit à petit, la mémoire s’effileraOù on aura encore la conscience des choses qu’on a dans la tête, mais où l’on a également de plus en plus conscience que beaucoup de choses nous échappent, tombent de la table ou s’envolent, nomades, comme des papiers soufflés par le vent.
Alors il faut développer une tendre sérénité, une tendre bienveillance envers soi-même et envers ceux qui nous entourent. Également envers les situations qui, souvent, deviennent pénibles. Surtout que ce ne sont pas les situations qui sont pénibles, mais notre inadéquation à certaines articulations, à certaines conjugaisons de mouvements.
Et puis on aimerait bien relever les défis, mais on n’en a pas vraiment envie. On aimerait bien nager ces deux kilomètres le long de la plage, et on se dit quand même : mais non, à quoi bon ? On aimerait bien courir dix kilomètres dans la forêt. Mais on se dit, avant même d’entamer la course : à quoi bon ?
On est tiraillé entre un sentiment de résignation et un désir pieux de relance intérieure, de remise en route. On est tiraillé entre le sentiment d’avoir conclu ce que nous avions à conclure et l’envie d’ouvrir de nouvelles portes, de nouveaux chapitres, de reprendre la plume et d’écrire encore et encore des histoires avec des héros, des héros plus jeunes, des héros comme nous, jeunes, parce que quand on écrit, on se reconnecte avec la jeunesse qui est en soi. 

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