En 1968, les Beatles se rendent en Inde pour un stage de Méditation Transcendantale. Ce voyage marquant, initialement destiné à trouver la paix intérieure, influence profondément leur musique, en particulier pour la composition de leur White Album. Cependant, leur séjour s’achève abruptement à cause de tensions avec leur guide spirituel, le Maharishi. Malgré une fin en brouille, l’impact de cette expérience est immense, et elle a permis la popularisation de la méditation en Occident, ainsi qu’un…
Au début de l’année 1968, les Beatles entreprennent un voyage d’apparence serein mais aux répercussions profondes : ils se rendent à Rishikesh, dans le nord de l’Inde, pour y suivre un stage intensif de Méditation Transcendantale (Transcendental Meditation, ou TM) auprès du Maharishi Mahesh Yogi. À l’époque, la formation du groupe, leurs convictions, et leurs rôles respectifs ont déjà bien évolué depuis la période Beatlemania du début des années 1960. L’idée de cette retraite spirituelle semble répondre à une quête de paix intérieure, un éloignement nécessaire des pressions inhérentes à leur célébrité et aux tensions internes qui commencent à miner leur unité.
S’il n’est pas rare que des musiciens célèbres explorent diverses voies spirituelles, jamais jusqu’alors un groupe de l’envergure des Beatles n’avait provoqué un tel émoi en se tournant vers l’Inde. Leur séjour, très médiatisé, façonne la perception occidentale de la spiritualité orientale. Il catalyse aussi une multitude de créations musicales : la retraite de Rishikesh devient l’une des périodes les plus prolifiques pour leurs compositions. Pourtant, le séjour se solde par un départ abrupt, engendrant une brouille avec le Maharishi et, dans la foulée, alimentant les divergences au sein du groupe. Les souvenirs associés à cet épisode demeurent complexes : fascination pour la discipline méditative, grandes espérances, puis suspicions et retournement. Loin d’être anecdotique, l’épisode a un impact majeur sur l’orientation du groupe et sur la popularisation de la Méditation Transcendantale, témoignant de la manière dont la culture populaire embrasse la spiritualité orientale à la fin des années 1960.
Sommaire
- LE CONTEXTE : DU GAUCHE À L’ORIENT
- UN QUOTIDIEN ENTRE TRADITION ET CONFORT MODERNE
- MéDITATION TRANSFORMATRICE ET INSPIRATION MUSICALE
- UN SéJOUR PERTURBé PAR LES DOUTES ET LES RUMEURS
- LE DéPART BRUSQUE DE LENNON ET HARRISON
- RéPERCUSSIONS : UNE SPIRITUALITé À DOUBLE TRANCHANT
- UNE INFLUENCE DURABLE SUR LA CONTRE-CULTURE
- LE SITE AUJOURD’HUI ET L’HéRITAGE PERPéTUEL
- UN TéMOIGNAGE D’UNE DéCENNIE EN RECHERCHE DE SENS
- CONCLUSION : UNE TRACE INEFFAÇABLE DANS L’HISTOIRE DU ROCK ET DE LA SPIRITUALITé
LE CONTEXTE : DU GAUCHE À L’ORIENT
En 1967, les Beatles traversent une période de bouleversements. Ils viennent de perdre leur manager Brian Epstein, décédé en août 1967. Or, au sein d’un groupe en pleine mutation (arrêt des tournées, évolutions musicales, expérimentations psychédéliques), la disparition d’Epstein accentue le sentiment d’incertitude. George Harrison et John Lennon, plus que Paul McCartney et Ringo Starr, se montrent sensibles à la perspective d’explorer de nouvelles voies spirituelles. Il faut dire que Harrison, notamment, s’est déjà passionné pour la musique indienne (influence de Ravi Shankar) et cherche à approfondir sa connaissance de l’hindouisme.
L’été 1967 avait été marqué par le fameux Séminaire du Maharishi Mahesh Yogi à Bangor (Pays de Galles), auquel les Beatles assistent brièvement, intrigués par la Méditation Transcendantale. Mais l’annonce de la mort d’Epstein écourte cette première rencontre. Malgré cela, Harrison et Lennon restent convaincus : la TM pourrait être un remède à leurs questionnements, loin des dépendances chimiques (LSD, marijuana) qu’ils envisagent alors de laisser derrière eux. C’est à la suggestion de Harrison qu’est envisagé un voyage plus long, cette fois en Inde, dans l’ashram que le Maharishi possède à Rishikesh, aux contreforts de l’Himalaya.
Le départ est initialement prévu pour l’automne 1967, mais McCartney souhaite d’abord finaliser Magical Mystery Tour, le film musical qui occupe le groupe. C’est finalement mi-février 1968 que les Beatles s’envolent pour New Delhi, chacun accompagné de sa compagne. George Harrison et sa femme Pattie Boyd (accompagnée de sa sœur Jenny), ainsi que John Lennon et Cynthia Lennon, arrivent en Inde autour du 15 février. Paul McCartney et Jane Asher, Ringo Starr et Maureen Starr les rejoignent quelques jours plus tard. Leur séjour se déroule dans l’enceinte de l’Ashram International Academy of Meditation, un complexe soigneusement aménagé pour des Occidentaux, offrant eau courante, électricité et confort relatif.
UN QUOTIDIEN ENTRE TRADITION ET CONFORT MODERNE
Situé à Rishikesh, qualifiée de « capitale du yoga », l’ashram du Maharishi, surnommé alors « Chaurasi Kutia », couvre une vaste superficie de quatorze acres. Entouré de jungle, perché au-dessus du Gange, il est protégé par une clôture et une entrée bien gardée, afin de maintenir une certaine quiétude. Les Beatles disposent de bungalows privés, dotés de salles de bain et d’eau chaude, des privilèges rares dans l’Inde de l’époque. Le Maharishi, lui, vit un peu à l’écart, dans un long bungalow.
Le décor se veut néanmoins minimaliste, incitant chacun à se consacrer à la méditation, à la spiritualité et à la vie en commun. Les journées débutent et s’achèvent par des séances de méditation, parfois longues de plusieurs heures. Les repas, végétariens, se prennent en commun dans une vaste salle à manger. Au menu : légumes et épices locales, pains indiens (chapatis), céréales, tout cela généralement apprécié, sauf par Ringo Starr, allergique à de nombreux aliments et qui a emporté des conserves de haricots Heinz pour s’assurer de pouvoir se nourrir. Ce problème alimentaire, combiné aux insectes, aux mouches et à un climat peu confortable, met d’ailleurs Ringo Starr et Maureen dans une posture délicate : ils peinent à s’adapter, si bien qu’ils quittent l’ashram au bout d’une dizaine de jours, ne trouvant pas leur place dans ce régime strict.
Les autres participants notables de cette retraite incluent le chanteur Donovan, Mike Love des Beach Boys, l’actrice Mia Farrow (fraîchement séparée de Frank Sinatra), ainsi que l’assistante-chargée-de-relations publiques américaine Nancy Cooke de Herrera. Le cours entier rassemble une soixantaine de personnes, dont l’objectif est de se former pour devenir à leur tour des instructeurs de la Méditation Transcendantale. Le Maharishi, souvent présenté par la presse comme « le gourou des Beatles », se plaît à accueillir ces célébrités, espérant que leurs témoignages populariseront la TM à l’échelle mondiale.
MéDITATION TRANSFORMATRICE ET INSPIRATION MUSICALE
Pour John Lennon et George Harrison, les séances quotidiennes de méditation sont prises très au sérieux. Ils se plient à la discipline du Maharishi, discutent longuement avec lui de cosmologie, d’énergie, de « pure consciousness ». Harrison, déjà féru de spiritualité indienne, ressent une affinité particulière avec l’enseignement. Selon divers témoignages, il passe plusieurs heures par jour à méditer, parfois en s’accompagnant au sitar qu’il a transporté avec lui. Lennon, plus dubitatif au départ, se montre pourtant enthousiaste, à la recherche de réponses qui dépasseraient son précédent usage de drogues psychédéliques.
Paul McCartney, de son propre aveu, est moins absorbé par l’enseignement ésotérique. Il accompagne le mouvement, curieux, mais garde en tête l’agenda professionnel du groupe. Il sait qu’en l’absence de Brian Epstein, les Beatles doivent structurer leur nouvelle société, Apple Corps. Il passe ainsi une partie de son temps libre à discuter affaires avec leurs assistants, à échanger avec Ringo Starr, et à jouer de la guitare pour se détendre.
Pour autant, la quiétude de l’ashram est propice à la création. La plupart des Beatles, surtout Lennon, McCartney et Harrison, composent un nombre impressionnant de chansons – on évoque souvent autour de 30 morceaux nouveaux. Beaucoup figureront par la suite sur leur double album The Beatles (communément appelé le « White Album »), paru fin 1968. John Lennon écrit par exemple « Dear Prudence », inspiré par Prudence Farrow, sœur de Mia Farrow, très engagée dans la méditation (au point de refuser de sortir de son bungalow). George Harrison, quant à lui, poursuit sa quête introspective avec des morceaux comme « Long, Long, Long » et « Sour Milk Sea » (donné plus tard à Jackie Lomax). Plusieurs chansons populaires – « Blackbird », « Julia », « Ob-La-Di, Ob-La-Da » ou encore « Back in the U.S.S.R. » – prennent forme, ou sont amorcées, sur place.
En marge de la spiritualité, des discussions informelles s’installent le soir sur les toits des bungalows, où les Beatles, Donovan, Mike Love et d’autres échangent, improvisent sur leurs guitares ou comparant leurs expériences de méditation. Donovan enseigne à Lennon et à McCartney un style finger-picking que l’on retrouve dans « Julia » et « Dear Prudence ». C’est durant ces sessions que Starr termine sa toute première composition, « Don’t Pass Me By », esquissée dès 1963 mais achevée à Rishikesh.
UN SéJOUR PERTURBé PAR LES DOUTES ET LES RUMEURS
Malgré l’ambiance initialement studieuse et créative, diverses tensions émergent. Le Maharishi, présenté comme un maître spirituel, est aussi un fin négociateur qui gère les finances de son mouvement, la Spiritual Regeneration Movement. Certains, comme Alex Mardas (dit « Magic Alex »), un proche de Lennon, deviennent méfiants, estimant que le gourou profite de la renommée des Beatles à des fins publicitaires. Mardas s’étonne de voir dans l’ashram un confort inhabituel, un personnel nombreux, et s’indigne en outre de l’idée d’un pourcentage des revenus de leurs disques à verser à la fondation du Maharishi.
À cela s’ajoute la question des mœurs. Bien que le Maharishi prône un mode de vie éthique et ascétique, des rumeurs circulent quant à un comportement inapproprié qu’il aurait eu envers certaines femmes, dont Mia Farrow. Les versions divergent : Mia Farrow relate un geste ambigu du Maharishi, consistant à lui caresser les cheveux ; d’autres affirment qu’il s’agissait d’un simple rituel. Pourtant, John Lennon et George Harrison se laissent convaincre que le gourou a agi de manière déplacée, dans un contexte où Alex Mardas souffle le chaud et le froid, prétendant avoir surpris le Maharishi dans une situation compromettante. Les faits ne sont jamais prouvés, et plusieurs témoins de l’époque (Cynthia Lennon, Pattie Boyd, Nancy Cooke de Herrera) disent que ces accusations n’avaient aucun fondement solide.
Par ailleurs, la vie quotidienne n’est pas toujours idyllique. Les Beatles, censés renoncer à l’alcool et aux drogues, ne sont pas tous rigoristes : certains amis dans leur entourage en consomment. Ringo Starr supporte mal la nourriture épicée et les insectes omniprésents. Après dix jours, il préfère s’en aller. Paul McCartney, lui, ne se sent pas prêt à s’immerger totalement ; il rentre à Londres au bout de quelques semaines pour régler des affaires professionnelles. Mia Farrow, Donovan, Mike Love et d’autres personnalités prennent aussi congé pour des motifs divers.
LE DéPART BRUSQUE DE LENNON ET HARRISON
Restés plus longtemps, John Lennon et George Harrison quittent néanmoins l’ashram de manière abrupte, début avril 1968. D’après les récits d’époque, ils se décident dans la nuit à partir le lendemain matin, exaspérés par les soupçons de comportements sexuels du Maharishi. Lennon souhaite parler directement au gourou, ce qu’il fait, lançant la phrase devenue célèbre : « Si vous êtes si cosmique, vous devez déjà savoir pourquoi nous partons ! ». Le Maharishi, abattu, leur répond qu’il ne comprend pas, qu’ils devraient s’expliquer.
Ce départ précipité se fait dans un climat de tension. Pattie Boyd et George Harrison, plus tard, admettront avoir des doutes sur la version d’Alex Mardas. Des décennies plus tard, Harrison et McCartney s’excuseront auprès du Maharishi pour l’avoir jugé trop rapidement, contestant l’histoire selon laquelle il aurait tenté de séduire Mia Farrow ou toute autre femme. De nombreux témoins de l’époque décrivent Lennon comme souhaitant partir de toute façon pour retrouver Yoko Ono, alors nouvellement proche de lui.
Ainsi, l’épisode se conclut sur un sentiment de trahison : les Beatles sont déçus, alors même qu’au début du séjour ils louaient l’enseignement du Maharishi. Lennon, amer, écrit la chanson « Sexy Sadie », dont les paroles originales évoquent « Maharishi » en guise de reproche. Il en modifie le titre pour éviter les risques de diffamation. Rentré à Londres, Lennon propage l’idée que le Maharishi n’est pas à la hauteur de la spiritualité qu’il enseigne, et dénonce publiquement son « intérêt pour l’argent ». Les médias rapportent ces divergences, la brouille devient un sujet de fascination pour l’opinion publique.
RéPERCUSSIONS : UNE SPIRITUALITé À DOUBLE TRANCHANT
Si le groupe quitte Rishikesh divisé, il est clair que cette retraite marque un tournant artistique : la plupart des chansons composées sur place forment l’ossature du célèbre White Album (1968). C’est la période la plus féconde de leur histoire en termes de composition. La retraite a agi comme un catalyseur, offrant silence et concentration. Du côté de la spiritualité, George Harrison reste le plus attaché à la culture indienne et à la notion de dévotion. John Lennon, meurtri, tente de nouvelles voies (retour à Londres, vie de couple fusionnel avec Yoko Ono, primal therapy avec le Dr Arthur Janov).
La réputation du Maharishi en Occident s’en ressent. Les médias, déjà sceptiques, exploitent l’histoire des Beatles, colportant parfois la version de l’indélicatesse supposée du gourou. Toutefois, le mouvement de la Méditation Transcendantale ne disparaît pas ; à partir des années 1970, il se diffuse auprès de chefs d’entreprise, d’étudiants, voire de sportifs, alléguant des bienfaits sur le stress et la concentration. Le Maharishi conserve des soutiens : Donovan, Mike Love et d’autres continuent à promouvoir la méditation. George Harrison, avec le temps, présentera des excuses au Maharishi, reconnaissant qu’ils étaient « très jeunes » et influençables par la rumeur.
UNE INFLUENCE DURABLE SUR LA CONTRE-CULTURE
La présence des Beatles en Inde, même écourtée, a grandement contribué à populariser le yoga, la méditation et l’hindouisme en Occident. Les images d’un groupe de rock le plus célèbre du monde, vêtu de tuniques indiennes, méditant au bord du Gange, exercent une force symbolique. Les tabous tombent, et la curiosité pour la philosophie orientale se généralise. D’un point de vue musical, les Beatles prouvent qu’un environnement retiré, comme l’ashram, peut nourrir une créativité intarissable : nombre des morceaux nés à Rishikesh se démarquent par une simplicité acoustique ou un retour à des formes plus dépouillées.
Des chercheurs estiment que ce voyage a fait pour la Méditation Transcendantale ce que la Beatlemania avait fait pour la pop : un coup de projecteur gigantesque. L’Inde, jusque-là reléguée à l’exotisme lointain, devient soudain l’objet d’une curiosité internationale, tant pour son patrimoine musical que spirituel. Dans le sillage des Beatles, on assiste à l’essor de centres de méditation, d’instituts de yoga, de voyages initiatiques, dès la fin des années 1960 et durant les années 1970.
Par ailleurs, la multiplication des tensions internes au groupe, mise en évidence par le départ de Paul et Ringo puis de John et George, annonce déjà l’éclatement de l’entité Beatles. Sans être la cause directe de la séparation (effective en 1970), l’épisode cristallise des comportements divergents : Harrison se plonge davantage dans la spiritualité, Lennon se rattache à Yoko Ono et privilégie une expression plus radicale de ses émotions, McCartney aspire à garder l’unité du groupe pour gérer Apple Corps, et Ringo Starr ne se sent pas à l’aise dans ces explorations mystiques.
LE SITE AUJOURD’HUI ET L’HéRITAGE PERPéTUEL
Après le départ des Beatles, l’ashram de Rishikesh connaît des fortunes diverses. Le Maharishi Mahesh Yogi poursuit ses conférences à travers le monde, ouvrant des centres de TM dans plusieurs pays, notamment aux états-Unis. Au fil des années, la fréquentation de l’ashram baisse, et le site finit par tomber en désuétude dans les années 1990. Surnommé désormais « Beatles Ashram », il est rouvert au public en 2015 après une longue période d’abandon. Les visiteurs peuvent déambuler entre dômes de méditation, bungalows, graffitis et peintures murales évoquant la présence historique du groupe.
De nombreuses expositions et documentaires retracent ce passage en Inde. Le photographe canadien Paul Saltzman, qui était présent sur place, publie ses clichés dans un livre intitulé The Beatles in Rishikesh. En 2018, on célèbre le 50ᵉ anniversaire de l’événement : certaines galeries exposent des photographies inédites, les musées de Liverpool se mobilisent également autour de cette période clé. Des films récents, comme The Beatles and India (2021), reviennent sur la dimension politique, culturelle et spirituelle de ce voyage.
Malgré l’épisode de brouille, les relations entre les Beatles et le Maharishi finissent par s’apaiser au fil des ans. George Harrison chante les louanges de la méditation jusqu’à la fin de sa vie et, en 1992, il donne un concert caritatif pour le Natural Law Party, un parti politique affilié au mouvement du Maharishi. Paul McCartney et Ringo Starr, lors d’événements ultérieurs, n’hésitent pas à réitérer leur attachement à la pratique de la méditation, tout en affirmant leur regret quant au traitement réservé au Maharishi.
UN TéMOIGNAGE D’UNE DéCENNIE EN RECHERCHE DE SENS
À y regarder de plus près, le séjour des Beatles en Inde regorge de paradoxes : ce qui devait être un moment de paix et de ressourcement se transforme partiellement en conflit et en malentendus. Pourtant, le bilan culturel demeure incontestable : ce voyage fascine toujours, à la fois pour son romantisme (des rockstars dans l’Himalaya) et pour sa portée intellectuelle (la rencontre entre l’Occident et les traditions védiques). Il est, d’une certaine manière, le prolongement des expérimentations initiées par les Beatles : après avoir renouvelé la pop, ils embrassent de nouvelles dimensions, qu’elles soient psychédéliques, spirituelles ou méditatives.
Les morceaux écrits à Rishikesh façonnent le « White Album », l’un des plus ambitieux projets du groupe, caractérisé par une diversité d’influences et d’humeurs. Les Beatles, dynamisés par l’atmosphère indienne, produisent en l’espace de quelques semaines un corpus qui témoigne de leur évolution. On notera d’ailleurs l’ironie : le calme censé dominer l’ashram se voit troublé par des dissensions internes, signe avant-coureur de la dissolution du groupe.
Reste que sur un plan global, l’impact de cette retraite va bien au-delà des sessions d’enregistrement ultérieures. Les Beatles ont contribué à faire émerger un attrait massif pour la méditation dans le monde occidental. Ils ont aidé à briser certains stéréotypes et ont mis en lumière la richesse de la tradition spirituelle indienne. Le fait que cette expérience se solde par un départ mouvementé n’enlève pas la valeur historique et symbolique de la démarche. Nombre de personnalités s’engagent dès lors dans des pratiques orientales, et l’Inde devient un passage quasi obligé pour toute une génération éprise de transformations sociales.
CONCLUSION : UNE TRACE INEFFAÇABLE DANS L’HISTOIRE DU ROCK ET DE LA SPIRITUALITé
À l’aube de 1968, personne n’aurait imaginé que le plus grand groupe rock du monde irait chercher la sérénité dans un ashram indien, aux côtés d’un yogi controversé, pour tenter de retrouver un équilibre mis à mal par la gloire et les excès. Pourtant, c’est ce qui se produit, et le récit de ces quelques semaines au bord du Gange est devenu l’un des chapitres fondamentaux de la mythologie des Beatles. Malgré les critiques ultérieures, malgré l’hostilité de certains envers le Maharishi, malgré la cassure avec Lennon, les enseignements de la Méditation Transcendantale et la philosophie hindoue ont trouvé dans ces musiciens un relais inattendu.
Les chansons créées à Rishikesh éclairent la transition entre la période psychédélique de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et l’explosion d’idées que constitue le White Album. Sur le plan personnel, George Harrison reste le plus marqué par l’Inde, multipliant ensuite les gestes (musiques, concerts, engagement Krishna) qui confirment cette fascination. John Lennon, plus contestataire, n’en dira pas moins avoir gardé l’habitude de la méditation pour calmer ses tourments. Quant à Paul McCartney et Ringo Starr, s’ils ont écourté leur séjour, ils reconnaissent avec le recul la valeur de cette rencontre, même inaboutie.
En définitive, l’influence de ce séjour déborde largement du cadre strictement musical. Il symbolise un moment-clé dans la contre-culture des années 1960 : la découverte massive par l’Occident d’une spiritualité non chrétienne, la quête de sens face à la saturation consumériste et médiatique, l’idée que la paix intérieure peut résider dans une pratique quotidienne de la méditation, loin du tumulte et de la drogue. En ouvrant la voie à tant de courants « New Age » et en réhabilitant la sagesse orientale aux yeux du grand public, les Beatles, en ce début 1968, confirment qu’ils ne sont plus seulement des idoles adolescentes, mais bel et bien des explorateurs culturels à part entière. C’est là peut-être la plus grande leçon de Rishikesh : même teinté de controverses, ce passage restera un jalon décisif dans l’histoire du rock et dans le dialogue entre l’Orient et l’Occident.
