Le rock’n’roll, fusion de rythmes et d’émotions, est un genre où les artistes puisent dans les racines profondes de la musique populaire pour créer des œuvres intemporelles. En 1975, John Lennon, en pleine exploration de ses propres influences musicales et artistiques, dévoile un album fascinant, Rock ‘N’ Roll, qui se veut un hommage vibrant à ses idoles. L’une des pépites de cet album est sans doute le medley « Bring It On Home To Me/Send Me Some Lovin' », un mariage explosif entre deux classiques du rock et de la soul, signés Sam Cooke et Little Richard. Cet article plonge dans l’histoire de cette chanson et de ses racines musicales, tout en explorant l’importance qu’elle revêt dans le parcours de Lennon à l’époque de sa carrière solo.
Sommaire
- Le medley : un hommage aux pionniers de la soul et du rock
- Lennon, un homme de goût et d’influences
- Le processus de création du medley : un retour aux sources
- Les versions alternatives et l’évolution du medley
- L’héritage de ces reprises dans la carrière de Lennon
- Une chanson, une époque, une mémoire
Le medley : un hommage aux pionniers de la soul et du rock
Le Rock ‘N’ Roll de Lennon est un retour aux sources, une exploration des fondements du rock, un genre qui avait vu le jour bien avant l’ascension des Beatles. Ce medley combine deux morceaux emblématiques : « Bring It On Home To Me », de Sam Cooke, et « Send Me Some Lovin’ » de Little Richard. Ces deux artistes, figures incontournables de la musique soul et rock, avaient façonné l’âme du rock’n’roll, et Lennon n’a jamais caché son admiration pour eux.
« Bring It On Home To Me » est une chanson qui a marqué son époque. Sortie en 1962 par Sam Cooke, elle a rapidement grimpé dans les classements américains, atteignant la troisième place du Billboard Hot 100. Cependant, c’est surtout la reprise de The Animals en 1965 qui a cimenté la place de ce morceau dans l’histoire du rock britannique, se hissant au numéro sept des charts au Royaume-Uni. Lennon, fan de Cooke, était bien sûr au courant de cette reprise et s’en inspirait largement. À l’époque, un autre enregistrement de cette chanson le marquait particulièrement : celui d’Otis Redding et Carla Thomas. Un hommage non seulement à l’artiste, mais aussi à toute l’âme du rhythm and blues.
De son côté, « Send Me Some Lovin’ », sorti en 1957 en face B du single « Lucille » de Little Richard, fait écho à cette même passion. Bien que la chanson n’ait pas rencontré un immense succès commercial à sa sortie, elle s’inscrit aujourd’hui parmi les classiques du rock’n’roll. Sa montée dans les charts, notamment au Royaume-Uni, où elle se classa septième, montre son importance dans l’évolution musicale du genre.
Lennon, toujours un mélomane insatiable, a repris ces deux titres avec une énergie contagieuse, rendant hommage à deux géants de la musique tout en y apportant sa touche personnelle. Mais pourquoi ces morceaux l’ont-ils marqué à ce point ? C’est simple : à travers ces reprises, Lennon parvenait à rendre hommage aux racines de la musique qu’il adorait et qu’il avait intégrées tout au long de sa carrière.
Lennon, un homme de goût et d’influences
À travers ce medley, Lennon révèle une fois de plus son goût prononcé pour les classiques de la soul et du rhythm and blues, mais aussi son désir de fusionner les genres. Dans une interview en 1975, il confia :
« ‘Bring It On Home To Me’ is one of my all-time favourite songs and, in fact, I have been quoted as saying I wish I had written it. I love it that much, and I was glad to be able to do it. ‘Send Me Some Lovin’ is a similar kind of song and it was done originally by Little Richard – again, one of my favourites – and also by Buddy Holly. »
Lennon n’était pas seulement un admirateur passif. Il se projetait dans les chansons qu’il reprenait, comme s’il cherchait à se réincarner dans les voix et les musiques des artistes qui l’inspiraient.
Ce qui frappe dans ces morceaux, c’est la simplicité de l’émotion qu’ils véhiculent. « Bring It On Home To Me », avec son refrain désespéré, parle d’un amour sincère, celui d’un homme prêt à tout pour retrouver l’être aimé. C’est un cri du cœur, un appel universel à l’amour. Et à l’instar de Cooke, Lennon sait y insuffler une touche personnelle, tout en gardant l’essence de la composition originale. Il confia lui-même qu’il souhaitait avoir écrit cette chanson. Une telle déclaration montre à quel point Lennon était en osmose avec l’esprit du morceau.
Lennon n’était pas seul dans cette aventure. La réalisation de ce medley se fit dans un cadre collaboratif et dynamique. Klaus Voormann, le fidèle ami de Lennon depuis les années de Hambourg avec les Beatles, a contribué à l’aspect vocal de « Bring It On Home To Me ». Ce dernier raconte comment il s’est retrouvé à chanter en harmonie sur cette chanson :
« John surprised me by asking me to sing the harmony on ‘Bring It On Home’. One take, and John said, ‘Thank you very much’ – it was good enough. He was very quick with everything. »
Cette rapidité dans l’enregistrement, qui témoigne de la fluidité du processus créatif de Lennon, est un trait marquant de ses sessions d’enregistrement, où l’émotion brute prime sur la perfection technique.
Le processus de création du medley : un retour aux sources
Enregistré en octobre 1974, entre le 21 et le 25, ce medley fait partie de l’album Rock ‘N’ Roll, produit par Lennon lui-même. Ce choix de producer un album entièrement constitué de reprises, pour une partie de son public un peu surprenant, s’explique par un désir de retour aux racines du rock’n’roll et de la soul. À travers ces reprises, Lennon ne cherchait pas seulement à se réapproprier un répertoire, mais aussi à redéfinir son rôle en tant qu’artiste solo, après les années tumultueuses du groupe Plastic Ono Band.
Le medley fut enregistré avec des musiciens de talent, dont Jesse Ed Davis à la guitare électrique, Eddie Mottau à la guitare acoustique, Ken Ascher au piano, et Jim Keltner à la batterie. La formation instrumentale, sans fioritures, se concentre sur l’essentiel : l’énergie du rock’n’roll. Cette simplicité instrumentale permet à la voix de Lennon, rugueuse et émotive, de s’imposer avec force, tout en mettant en valeur les arrangements de Klaus Voormann, qui se charge également de la basse et des chœurs.
Les versions alternatives et l’évolution du medley
Une version alternative de ce medley a été incluse dans le coffret John Lennon Anthology de 1998. Cette version, qui ne comporte ni chœurs ni overdubs de cuivres, propose une interprétation plus brute de la chanson. Cela permet aux auditeurs de se rendre compte de la simplicité et de la spontanéité des enregistrements de Lennon. Cependant, il est clair que l’ajout des cuivres et des chœurs dans la version originale de 1975 apportait une dimension supplémentaire, un côté plus gospel et entraînant qui correspondait parfaitement à l’esprit des morceaux originaux.
En 1972, lors des sessions pour l’album Some Time In New York City, Lennon tenta une autre version de « Send Me Some Lovin' ». Ces sessions, réputées pour leur côté spontané et débridé, s’accompagnaient souvent de jams rock’n’roll tard dans la nuit. Toutefois, ce morceau ne fut jamais finalisé, principalement en raison de l’incompréhension du groupe Elephant’s Memory, qui n’était pas familier avec la chanson.
L’héritage de ces reprises dans la carrière de Lennon
À travers ces reprises, Lennon montre qu’il n’a jamais perdu de vue l’importance de la musique populaire qui l’avait façonné, des années d’adolescence aux années de gloire avec les Beatles. Il continue de rendre hommage à ces artistes tout en ajoutant sa propre touche unique. Mais ce medley a également inspiré d’autres artistes. Paul McCartney, son ex-compagnon de toujours, n’a pas hésité à rendre hommage à « Bring It On Home To Me » sur son album Choba B CCCP en 1988. McCartney a également enregistré une version de la chanson aux côtés de Al Jarreau et George Benson sur l’album Givin’ It Up en 2006. C’est un autre exemple de la manière dont ces classiques ont continué à influencer les musiciens de leur génération et au-delà.
Une chanson, une époque, une mémoire
Finalement, « Bring It On Home To Me/Send Me Some Lovin’ » sur Rock ‘N’ Roll n’est pas simplement une reprise ; c’est un acte de réconciliation, une façon pour Lennon de se reconnecter avec le passé tout en jetant un regard vers l’avenir. À travers ce medley, Lennon rend hommage à ses idoles tout en se réaffirmant comme un artiste intransigeant, toujours en quête de l’émotion pure et de la vérité musicale. C’est aussi un témoignage de son amour pour les racines du rock’n’roll, un genre qui n’a cessé de le nourrir tout au long de sa carrière, du premier album des Beatles jusqu’à ses derniers travaux solo.
Il ne faut jamais oublier que la musique, pour Lennon comme pour tant d’autres, est un moyen de transmission, de transformation, et de réinvention. Ce medley, joyeux et mélancolique à la fois, est un parfait exemple de cette philosophie. Il nous invite à célébrer l’héritage des pionniers du rock et de la soul tout en nous rappelant que chaque note jouée est une occasion de rendre hommage à l’histoire, tout en poursuivant son propre voyage musical.
