En 1974, Ringo Starr enchaîne les succès avec Goodnight Vienna, un album pop enlevé, produit par Richard Perry et nourri des contributions de Lennon, Elton John, Nilsson et d’autres invités prestigieux. Une pépite joyeuse, cohérente et taillée pour les ondes.
Paru le 15 novembre 1974 au Royaume-Uni puis le 18 novembre aux États-Unis, Goodnight Vienna prolonge la séquence gagnante ouverte l’année précédente par Ringo. Dans l’euphorie des débuts post-Beatles, on évoque souvent les carrières de John, Paul et George ; on oublie plus facilement à quel point Ringo Starr enchaîne, entre 1971 et 1975, une impressionnante moisson de singles classés dans le Top 10 américain, dont deux n°1, et des albums capables de se hisser au sommet des charts. Goodnight Vienna en est la preuve : n°8 aux États-Unis, disque d’or, présence dans le Top 10 de plusieurs pays européens, et une visibilité radiophonique portée par une série de 45-tours très affûtés.
Le titre même de l’album, emprunté à une comédie musicale britannique de 1932 mais aussi à une expression populaire du Nord de l’Angleterre signifiant en substance « rideau », annonce la couleur : humour, clin d’œil, et sens du spectacle. Ringo, loin de se reposer sur ses lauriers, organise un véritable cabaret pop de haute tenue, où les chansons s’enchaînent avec une aisance qui doit autant à la production ciselée de Richard Perry qu’au talent des invités.
Sommaire
- Los Angeles, été 1974 : un casting 5 étoiles sous la houlette de Richard Perry
- John Lennon en soutien décisif : le morceau-titre et l’étincelle « Only You »
- La « dream team » continue : Elton John, Robbie Robertson et la force d’un répertoire sur mesure
- « No No Song » : humour, groove et refrain imparable
- La mécanique d’un album qui tient : ouverture, reprises, inédits et reprise finale
- Un son « FM-ready » qui a bien vieilli
- Les chiffres qui parlent : classements et certifications
- La voix de Ringo : modestie assumée, efficacité maximale
- Ce que l’album raconte de l’après-Beatles
- Pourquoi Goodnight Vienna tient encore aujourd’hui
- Un classique pop de l’ère Ringo
Los Angeles, été 1974 : un casting 5 étoiles sous la houlette de Richard Perry
Comme pour Ringo, Ringo confie la production à Richard Perry, artisan d’un son clair, radiophonique, mais jamais clinquant. Les sessions se tiennent à Los Angeles durant l’été 1974 (Sunset Sound, Producer’s Workshop), dans un climat de convivialité où l’efficacité de studio n’empêche pas la joie de jouer. Le cœur de l’équipe convoquée par Perry est impressionnant : Billy Preston aux claviers, Klaus Voormann à la basse, Jim Keltner à la batterie, Bobby Keys au saxophone, Nicky Hopkins au piano… À ces piliers s’ajoutent des invités prestigieux qui donnent au disque sa saveur de grand rendez-vous : John Lennon, Elton John, Robbie Robertson, Harry Nilsson, Gary Wright, entre autres.
Ce rêve de carnet d’adresses n’a pourtant rien d’un exercice de style. Perry dirige l’ensemble sans surcharge, en laissant l’espace nécessaire à la voix de Ringo — chaleureuse, limitée en ambitus mais expressive — et en privilégiant cette lisibilité sonore qui fait la longévité des grands albums pop des années 1970.
John Lennon en soutien décisif : le morceau-titre et l’étincelle « Only You »
Parmi les contributions majeures, celle de John Lennon est déterminante. Il écrit le morceau-titre, « (It’s All Down to) Goodnight Vienna », et vient au piano donner sa patte rythmique et son fameux compte à rebours d’ouverture. C’est Lennon également qui suggère à Ringo de reprendre « Only You (And You Alone) », standard immortalisé par les Platters. Pour mettre Ringo sur les rails, John pousse la guitare acoustique, enregistre une voix guide et sert de chef d’orchestre bon camarade le temps de la séance.
Résultat : « Only You » devient le premier single de l’album et un succès majeur outre-Atlantique (Top 10 du Billboard Hot 100, n°1 en Adult Contemporary), tandis qu’au Royaume-Uni il atteint le Top 30. La chanson bénéficie d’un clip plein d’autodérision, tourné sur le toit de l’immeuble Capitol, où Ringo s’amuse de sa propre célébrité en compagnie d’Harry Nilsson, qui harmonise sur le titre et offre son sourire malicieux à la caméra.
La « dream team » continue : Elton John, Robbie Robertson et la force d’un répertoire sur mesure
Au-delà de Lennon, Goodnight Vienna est un album de chansons écrites pour Ringo. Elton John apporte avec Bernie Taupin l’incisif « Snookeroo », portrait au pas vif d’un kid des Midlands devenu star mondiale. La rythmique bondit, Elton aux claviers impose son swing, et Robbie Robertson vient pimenter l’affaire avec une guitare pleine de nerf. Le titre sort en double face A avec « No No Song » — un tube n°3 aux États-Unis — et installe durablement Goodnight Vienna sur les ondes.
Harry Nilsson, ami proche de Ringo, signe l’élégiaque « Easy for Me », qu’il réenregistrera ensuite de son côté. Gary Wright renforce les claviers d’autres morceaux, Bobby Keys soulève des refrains de ses inflexions R&B, Nicky Hopkins glisse ses traits de piano inimitables. Chaque intervention a un sens musical ; rien ne sonne comme une guest-list gratuite.
« No No Song » : humour, groove et refrain imparable
Écrite par Hoyt Axton et David Jackson, « No No Song » est l’un des grands moments de l’album. Sur une trame mid-tempo au rebond contagieux, Ringo raconte, avec un sourire audible, comment il décline tour à tour les tentations qu’on lui propose. Jamais moralisatrice, la chanson joue la carte de la malice et du refrain qui s’attrape d’emblée. Sa parution en single aux États-Unis au début 1975, en double face A avec « Snookeroo », confirme ce que l’on entend sur l’album : Goodnight Vienna est un disque pensé pour vivre à la radio sans se renier artistiquement.
La mécanique d’un album qui tient : ouverture, reprises, inédits et reprise finale
Goodnight Vienna s’ouvre sur la version Lennon du morceau-titre, qui donne le la d’un disque taillé pour le plaisir et la connivence. Il se referme par « Goodnight Vienna (Reprise) », où Ringo s’adresse directement à l’auditeur et remercie ses musiciens. Entre ces deux bornes, le parcours alterne reprises futées et originaux au chaud parfum seventies. Ringo, interprète-capitaine, sait choisir et faire choisir : ici une mélodie d’Elton et Taupin, là un clin d’œil de Nilsson, plus loin une idée de Lennon pour un vieux standard, et partout cette énergie de groupe qui fait de l’album autre chose qu’un simple écrin de stars.
Un son « FM-ready » qui a bien vieilli
L’une des clés de la longévité de Goodnight Vienna, c’est le son imaginé par Richard Perry. La batterie de Jim Keltner pulse sans dureté, les basses de Klaus Voormann chantent, les pianos d’Hopkins et Elton John se complètent sans se marcher dessus, les saxophones de Bobby Keys piquent quand il faut et se taisent quand il faut. La voix de Ringo, placée au centre, jamais sur-traitée, porte la mélodie avec ce mélange de bonhomie et de détermination qui fait sa signature. On entend de l’air entre les instruments, un mixage qui laisse vivre les attaques, un équilibre de fréquences qui évite autant le lourd que le maigre.
Les chiffres qui parlent : classements et certifications
Commercialement, Goodnight Vienna réussit ce que l’on attend d’un grand disque populaire. L’album grimpe n°8 du Billboard 200 et décroche le disque d’or aux États-Unis. Il réalise un Top 10 en France, au Danemark et en Autriche. Au Royaume-Uni, il atteint la 30e place des charts albums et obtient une distinction argent. Côté singles, « Only You » se hisse dans le Top 10 américain et « No No Song » en n°3 ; « Snookeroo » partage ce succès en double face A ; le morceau-titre ressort plus tard en version médaillée avec sa reprise et accroche le Top 40 US. Autrement dit : Ringo Starr ne se contente pas d’un feu de paille 1973, il confirme en 1974-1975.
La voix de Ringo : modestie assumée, efficacité maximale
Jamais Ringo ne cherche à forcer. Sa tessiture est connue, sa couleur aussi, et c’est précisément parce que la production et l’écriture respectent ces données que l’album fonctionne. Sur « Only You », il joue la carte de la douceur et de la nostalgie active ; sur « No No Song », celle de la malice ; sur « Goodnight Vienna », celle de l’énergie fédératrice. On n’écoute pas Goodnight Vienna pour une performance vocale spectaculaire ; on l’écoute pour cette façon d’habiter une chanson, de dire juste, d’imprimer un sourire.
Ce que l’album raconte de l’après-Beatles
Dans le panorama des carrières post-Beatles, Goodnight Vienna occupe une place claire. Il confirme la méthode Starr : bien s’entourer, choisir un répertoire qui lui ressemble, privilégier les bons refrains et un son hospitalier. Il dit aussi la fraternité intacte avec John Lennon, dont la générosité créative irrigue le disque, et l’amitié avec des pairs au sommet de leur art — Elton John, Robbie Robertson, Harry Nilsson — qui ne viennent pas briller pour eux-mêmes mais servir l’album. Enfin, il rappelle que Ringo, loin d’être un simple « batteur historique », est un leader capable d’assembler des talents et de tenir un album cohérent du premier au dernier sillon.
Pourquoi Goodnight Vienna tient encore aujourd’hui
Réécouté aujourd’hui, le disque conserve une fraîcheur désarmante. Les arrangements n’ont pas pris de rides, la prise de son respire, les chansons se retiennent. « Only You » reste une relecture modèle d’un standard ; « No No Song » n’a rien perdu de sa verve ; « Snookeroo » continue de filer droit ; « Goodnight Vienna » incarne à merveille l’esprit d’atelier joyeux qui préside à l’album. C’est un disque que l’on peut mettre à n’importe quel moment d’une journée : il éclaire sans assourdir, il réchauffe sans encombrer.
Un classique pop de l’ère Ringo
Goodnight Vienna est plus qu’un succès aligné après Ringo. C’est un classique pop où se rencontrent écriture sur mesure, production élégante, amitiés musicales et sourire permanent. Dans cette période 1971-1975 qui voit Ringo Starr multiplier les hits, l’album tient la corde comme l’un des meilleurs instantanés de son art : rassembler des amis, trouver la bonne chanson, chercher le bon son, et donner à l’auditeur exactement ce qu’il est venu chercher — des mélodies solides, de la bonne humeur, et cette humanité qui fait la singularité de Ringo depuis toujours.
