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Ringo Starr : l’album qui réunit les Beatles sans les reformer

Publié le 30 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1973, Ringo Starr surprend avec Ringo, un album pop-rock élégant, entouré de Lennon, McCartney et Harrison. Ce disque chaleureux, porté par des hits comme « Photograph » ou « You’re Sixteen », révèle un musicien rassembleur, entre humour, émotion et sens de la chanson.


Paru le 2 novembre 1973 aux États-Unis et le 23 novembre 1973 au Royaume-Uni, « Ringo » marque un tournant majeur dans la carrière du batteur des Beatles. Après deux disques parus en 1970« Sentimental Journey », album de standards arrangés, et « Beaucoup of Blues », incursion country gravée à Nashville – Ringo aborde enfin un album pop-rock original au grand budget, pensé pour le public international et porté par une distribution de musiciens absolument prestigieuse. Signe qui ne trompe pas, la critique parlera d’un disque « capable d’invoquer l’aura des Beatles », tant l’ombre bienveillante du groupe plane sur la production, la qualité des chansons et la liste des invité(e)s.

Sur « Ringo », l’enjeu n’est pas seulement de replacer Ringo Starr dans les classements : il s’agit de montrer qu’il peut tenir un album-projet cohérent, ambitieux, personnel, sans se cacher derrière la nostalgie ni une posture de second rôle. La réussite est manifeste. Les séances débutées au printemps 1973 à Los Angeles et poursuivies en été aboutissent à dix morceaux (treize sur certaines rééditions) où se mêlent écriture sur mesure, sens de l’humour, groove collectif et une science de la mélodie que Ringo n’avait encore jamais déployée à ce niveau sur un long format.

Sommaire

  • Un contexte : de la parenthèse 1970 aux grandes manœuvres de 1973
  • Richard Perry, l’architecte sonore
  • Une « quasi-réunion » des Beatles : Lennon, McCartney, Harrison au rendez-vous
  • Des invités par grappes : un casting à la hauteur des ambitions
  • Photograph, You’re Sixteen, Oh My My : la trilogie de hits
  • Une écriture sur mesure : Ringo interprète, Ringo co-auteur
  • Les sessions : Sunset Sound, A&M, et un été 1973 frénétique
  • La voix de Ringo Starr : limitations assumées, expressivité singulière
  • Une pochette qui raconte : image, clin d’œil et humour
  • « I’m the Greatest » : autoparodie éclairée, signature Lennon
  • « Six O’Clock » : la grammaire McCartney au service de Ringo
  • « Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) » : l’amitié Harrison en plein soleil
  • « Have You Seen My Baby » : Randy Newman, Marc Bolan, James Booker
  • Une fabrication FM-ready : guitares, pianos, chœurs et brillance contrôlée
  • Un sommet commercial et critique : classement, prix, rééditions
  • Le rôle des chœurs et des cuivres : épaisseur et sourire
  • Ringo par Ringo : humour, autodérision, bienveillance
  • L’empreinte Beatles sans l’ombre écrasante : un équilibre rare
  • Étude de quelques titres « profonds »
  • Les ingrédients d’un classique tardif
  • De la sortie aux rééditions : la vie longue d’un album aimé
  • Retombées et héritage : Ringo au centre, l’effet d’entraînement
  • L’angle « critique » : pourquoi l’album reste satisfaisant de bout en bout
  • Ringo, un « album de Ringo » autant qu’un « album avec les Beatles »
  • Portraits éclairs des musiciens-clés
  • Le « son » Ringo 1973 : pourquoi il vieillit bien
  • L’humain derrière les chansons : amitiés, fidélités, réseaux
  • Le rôle de Los Angeles : une capitale du disque au début des années 1970
  • « Early 1970 » : un bonus qui éclaire tout
  • Pourquoi « Ringo » demeure essentiel pour les lecteurs de Yellow-Sub.net
  • Un album lumineux, un artiste rassemblant

Un contexte : de la parenthèse 1970 aux grandes manœuvres de 1973

Au sortir de 1970, Ringo Starr s’est distingué par deux projets singuliers. « Sentimental Journey » le présente en crooner facétieux revisitant des standards chers à sa famille, avec un arrangeur différent pour chaque chanson. « Beaucoup of Blues » le montre chanteur country entouré de pointures de Nashville. Ces expériences, parfois incomprises, disent une chose : Ringo cherche sa voix solo. Mais après ces apartés, il lui manque encore l’album pop capable d’aligner des singles forts, d’affirmer une identité sonore et d’attester qu’il peut mener un projet au cœur des années 1970.

En 1973, les planètes s’alignent. Le producteur Richard Perry, artisan de disques soignés et radiophoniques, fédère autour de Ringo une équipe de rêve. Les studios Sunset Sound et A&M à Los Angeles offrent l’outillage technique idéal. Et surtout, un trio de noms vient magnétiser l’attention : John Lennon, Paul McCartney et George Harrison. Tous trois écrivent, jouent, chantent sur le disque, chacun à sa séance, sans toutefois que les quatre apparaissent ensemble sur un même titre. L’effet symbolique est pourtant considérable : « Ringo » devient l’unique album solo d’un ex-Beatle où les quatre Liverpuldiens sont crédités quelque part sur la même pochette.

Richard Perry, l’architecte sonore

Le choix de Richard Perry comme producteur est déterminant. Perry sait à la fois éclairer la personnalité d’un interprète et organiser la circulation entre musiciens de haut vol. Sa méthode repose sur une clarté de prise de son, des arrangements lisibles et une capacité à obtenir des invités prestigieux qu’ils servent la chanson plutôt que leur propre démonstration. Avec Ringo, il bâtit un disque aux contours pop-rock nets, saupoudrés d’éléments R&B, boogie, country et ballade orchestrée, où la voix chaleureuse mais limitée en ambitus du chanteur est placée dans sa zone de confort.

Perry sait aussi ménager l’espace scénique de chacun. Les batteries sont pêchues sans agressivité, les guitares boisées mais tranchantes, les pianos et claviers présents sans alourdir le spectre. Surtout, il donne à Ringo le temps de ciseler ses prises, et à ses auteur(e)s-invités le contexte qu’ils souhaitent. Résultat : un album qui respire la convivialité tout en atteignant un haut niveau de finition.

Une « quasi-réunion » des Beatles : Lennon, McCartney, Harrison au rendez-vous

L’argument le plus commenté de « Ringo » tient évidemment à la présence des trois anciens partenaires de Ringo. Sur « I’m the Greatest », John Lennon reprend une idée conçue au départ pour lui-même, la réécrit pour Ringo et pose piano et chœurs en plus de la plume ; George Harrison y joue les guitares, donnant à l’ouverture d’album une saveur de clin d’œil amical. Plus loin, Harrison revient sur « Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) » qu’il compose pour Ringo, ainsi que sur « Photograph » et « You and Me (Babe) », qu’il co-écrit. La patte de George est reconnaissable : mélodies souples, guitare soyeuse, harmonies chaleureuses.

En juin 1973, Ringo s’envole pour Londres. Paul McCartney et Linda McCartney se greffent sur « Six O’Clock », écrite spécialement pour l’album. Paul, qui apparaît aussi sur la reprise de « You’re Sixteen » (un n°1 des années 1960 pour Johnny Burnette, signé Robert et Richard Sherman), s’amuse même à une imitation de kazoo restée fameuse. L’anecdote a fait le tour des studios : pour s’assurer de sa participation, Ringo lui aurait glissé, sourire en coin, « You don’t want to be left out, do you? ». Clin d’œil friendly, efficacité maximale.

Cette configuration n’équivaut pas à une « reformation » : chacun vient séparément, à son moment, sans qu’aucune piste ne réunisse Lennon, McCartney, Harrison et Starr simultanément. Mais l’émotion d’entendre leurs signatures, disséminées, produit bel et bien cet effet d’aura Beatles que nombre de journalistes notent à la sortie.

Des invités par grappes : un casting à la hauteur des ambitions

Au-delà du « triangle » Lennon-McCartney-Harrison, « Ringo » aligne une galerie de musicien(ne)s de premier plan. On y croise Nicky Hopkins, pianiste de studio au toucher élastique, régulièrement associé aux Rolling Stones, dont le jeu illumine plusieurs titres. Martha Reeves, icône Motown, prête sa voix aux chœurs de « Oh My My » et lui insuffle une énergie soul qui dynamite le refrain. La section rythmique s’épaissit grâce à Jim Keltner, partenaire fidèle de l’ex-Beatle, et au percussionniste Milt Holland.

Le disque s’autorise aussi des rencontres inattendues. Sur « Have You Seen My Baby » de Randy Newman, le boogie décolle sous les doigts de Marc Bolan (T. Rex) à la guitare et du piano honky-tonk du grand James Booker, Néo-Orléanais au phrasé irrésistible. Les contributions de The Band viennent colorer d’autres passages : Garth Hudson à l’accordéon, Robbie Robertson et Levon Helm apportant des instruments à cordes et mandoline pour épaissir les ponts roots. À la guitare, Steve Cropper donne par moments son tranchant Memphis ; l’ossature pop est ainsi régulièrement réchauffée par des épices R&B et swamp.

Photograph, You’re Sixteen, Oh My My : la trilogie de hits

Le succès de « Ringo » est indissociable d’une série de singles impeccablement choisis et portés par des arrangements taillés pour la radio. En tête, « Photograph », co-écrit par Ringo Starr et George Harrison. Ballade mid-tempo, mélodie immédiate, ponts qui respirent, texte doux-amer où l’on devine le regard tendre d’un homme attaché aux souvenirs : c’est un single universel qui hisse Ringo au sommet des classements aux États-Unis. Pour beaucoup d’auditeurs, « Photograph » fixe définitivement l’image du Ringo soliste sensé, émouvant, juste.

Autre moment fort, « You’re Sixteen (You’re Beautiful and You’re Mine) », reprise d’un standard de 1960 popularisé par Johnny Burnette. L’interprétation légère, le swing de la rythmique, l’entrain du kazoo et des chœurs en font un tube instantané qui emporte les ondes. Enfin, « Oh My My » propose une facette plus pêchue, soutenue par la voix fiévreuse de Martha Reeves et une production qui joue sur la répétition incantatoire du titre. Le morceau grimpe haut dans les charts US et impose la présence de Ringo sur les radios FM.

À ces réussites s’ajoutent d’autres piliers d’album. « Six O’Clock », apport de Paul McCartney, brille par sa structure serrée et sa grâce mélodique. « I’m the Greatest », habillée par Lennon et Harrison, fonctionne comme une profession de foi autoparodique qui, paradoxalement, souligne le charisme de Ringo. « Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) », signée Harrison, embarque l’auditeur sur des eaux folk où la bonhomie de Ringo fait merveille.

Une écriture sur mesure : Ringo interprète, Ringo co-auteur

Si Ringo Starr n’a jamais revendiqué d’être un auteur-compositeur prolifique au sens où le furent Lennon ou McCartney, il sait choisir et co-signer avec finesse. Sur « Ringo », deux signatures se démarquent. D’abord « Photograph », où la co-écriture avec George Harrison montre combien Ringo sait orienter un texte et une mélodie vers sa voix. Ensuite « Oh My My », qu’il co-écrit et qui assume un versant plus dansant, plus musclé. À côté, Ringo et Vini Poncia signent « Devil Woman », morceau solide qui soutient l’ossature du disque par sa tenue mélodique et son élan rythmique.

Ce dosage – morceaux offerts par des amis, reprises malicieuses, co-écritures efficaces – compose un album équilibré. Ringo se montre interprète attentif, acteur d’un casting de rêve, mais aussi capitaine qui décide du tempo, du choix des prises, du timbre général. On entend un savoir-faire : celui d’un musicien rompu au studio, capable d’identifier se situe son meilleur registre.

Les sessions : Sunset Sound, A&M, et un été 1973 frénétique

Sur le plan logistique, « Ringo » se bâtit en plusieurs salves. Les enregistrements principaux se déroulent à Sunset Sound et A&M Studios à Los Angeles. Des overdubs ciblés sont ajoutés à l’occasion – par exemple la guitare de Marc Bolan déposée après coup sur « Have You Seen My Baby ». Au mois de juin 1973, Ringo effectue un aller-retour à Londres pour capter des contributions de Paul et Linda McCartney sur « Six O’Clock », puis pour l’apparition de Paul sur « You’re Sixteen ».

Cette organisation au cordeau n’empêche pas la convivialité. Nombre de musicien(ne)s évoqueront des séances où l’on travaille vite, bien, dans une ambiance chaleureuse. Richard Perry canalise cette énergie en gardant un fil rouge : un son ample, clair, chaleureux, et des arrangements où les chœurs jouent un rôle de liant.

La voix de Ringo Starr : limitations assumées, expressivité singulière

On a souvent relevé que la tessiture de Ringo est étroite. Sur « Ringo », cela devient une force. La production ne cherche pas à forcer la voix ni à la camoufler : elle l’accompagne. Ringo chante dans l’axe, avec un grain immédiatement reconnaissable, et cette vivacité un brin nasale qui soutient particulièrement bien les refrains choraux. Sur « Photograph », sa retenue donne au texte une douceur poignante ; sur « Oh My My », il compense par l’énergie, par le sourire audible au micro ; sur « Six O’Clock », la melting-pot d’harmonies lui offre un coussin idéal.

Cette gestion intelligente de la voix est l’un des éléments qui font de « Ringo » un disque agréable à réécouter aujourd’hui. Rien n’y paraît surjoué. Le caractère passe avant la puissance. C’est l’une des signatures de Ringo : un conteur plus qu’un ténor.

Une pochette qui raconte : image, clin d’œil et humour

La pochette de l’album, pensée par l’artiste Tim Bruckner, joue la carte de l’abondance et de la malice. On y distingue vingt-six portraits sur un balcon, une foule de personnages inventés par l’illustrateur, et un angelot espiègle qui accompagne Ringo comme un double humoristique. L’anecdote raconte que, séduit par la personnalité de Ringo et son cercle d’amis notoirement joueurs, Bruckner a ajouté ce chérubin après coup, comme prolongement naturel de l’esprit du disque. Tout en haut, une devise latine – « Duit on mon dei » – détourne avec fantaisie l’apparat héraldique. L’objet participe ainsi du charme de l’album : on achète aussi un univers.

« I’m the Greatest » : autoparodie éclairée, signature Lennon

Placé en ouverture, « I’m the Greatest » scelle d’emblée le pacte de bienveillance et d’autodérision qui irrigue l’album. John Lennon, qui avait ébauché le titre pour lui-même, le réécrit pour Ringo. L’ironie du texte – « I’m the greatest », proclamé sans forfanterie – fonctionne comme un miroir inversé : en le chantant, Ringo désamorce toute accusation d’ego mal placé et, en creux, affirme son droit à la lumière. George Harrison tisse des guitares qui scintillent, Lennon pose piano et voix en renfort : on entend le sourire des retrouvailles par-chansons interposées.

« Six O’Clock » : la grammaire McCartney au service de Ringo

Paul McCartney, accompagné de Linda, signe « Six O’Clock », petite merveille de construction. L’introduction élégante, les modulations souples, l’économie des mots et l’évidence du refrain font beaucoup pour l’unité de l’album. La voix de Ringo y trouve un écrin ; elle n’a pas à lutter, elle flotte. La chanson, écrite spécifiquement pour Ringo, est une illustration du talent de Paul pour composer « pour » quelqu’un : il règle la tessiture, cadre l’ambiance, dessine un pont qui évite l’écueil de la démonstration.

« Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) » : l’amitié Harrison en plein soleil

Parmi les contributions de George Harrison, « Sunshine Life for Me » déborde d’une bonhomie qui sied idéalement à Ringo. On y perçoit l’amour de George pour les textures folk et roots, la façon souple d’installer un groove sans surcharge, et cette candeur non feinte qui a cimenté l’amitié des deux hommes. George revient en force sur « Photograph » – co-écrit et co-façonné – ainsi que sur « You and Me (Babe) », autre clin d’œil d’atelier où affleure la grandeur tranquille de l’ex-Beatle.

« Have You Seen My Baby » : Randy Newman, Marc Bolan, James Booker

La reprise de Randy Newman offre un moment de vertige stylistique assumé. La guitare de Marc Bolan en overdub ajoute ce grain glam-boogie qui fait claquer la rythmique, tandis que James Booker, maître néo-orléanais du piano, érige un décor honky-tonk irrésistible. C’est l’un des coups de force de « Ringo » : faire cohabiter la légèreté du pastiche, la solidité des instrumentistes et un sens aigu du plaisir de jouer.

Une fabrication FM-ready : guitares, pianos, chœurs et brillance contrôlée

Dans le détail, « Ringo » séduit par son équilibre sonore. Les guitares alternent arpèges clairs et riffs serrés, les pianos de Nicky Hopkins drainent les couplets, les chœurs féminins viennent arrondir les angles et la basse reste lisible. La production ne recourt pas à des artifices envahissants : on entend de l’air entre les instruments, on distingue l’attaque de la caisse claire, on identifie la respiration d’une pièce. Cette lisibilité rend l’album durable : il traverse les décennies sans paraître daté au mauvais sens du terme.

Un sommet commercial et critique : classement, prix, rééditions

La réception de « Ringo » consacre l’album comme le sommet commercial de la carrière solo de Ringo. Au Billboard 200, il gravit jusqu’à la 2e place, seulement devancé par « Goodbye Yellow Brick Road » d’Elton John à l’automne 1973. Les singles dominent la radio US : « Photograph » décroche la première place, « You’re Sixteen » s’installe à n°1 en début 1974, « Oh My My » s’impose dans le Top 10. Au Royaume-Uni, la visibilité est également forte, portée notamment par « You’re Sixteen » et « Photograph ». En 1991, l’album est réédité au format CD avec des pistes bonus, dont « Early 1970 », autoportrait musical où Ringo revisite, avec humour, la période de la séparation des Beatles.

Ces marqueurs objectifs disent bien l’essentiel : « Ringo » n’est pas un simple caprice de star ni une compilation de jams entre amis. C’est un album-bilan et un album-rebond, qui replace Ringo au centre du jeu pop de son époque.

Le rôle des chœurs et des cuivres : épaisseur et sourire

Parmi les textures qui donnent au disque sa rondeur, les chœurs tiennent une place de choix. Ils élargissent la mélodie, offrent à la voix de Ringo un miroir où elle peut se projeter. Les cuivres, souvent utilisés en contre-chant discret ou en poinctuation de fin de phrase, densifient les refrains. Cette économie d’écriture – peu de gras, tout au bon endroit – est typique de Richard Perry et participe à la réécoutabilité du disque.

Ringo par Ringo : humour, autodérision, bienveillance

On ne comprend pas « Ringo » sans souligner la personnalité du chanteur. Ringo a toujours revendiqué l’humour comme clé de voûte. Sur cet album, cela ne vire jamais à la plaisanterie gratuite. L’autodérision de « I’m the Greatest », l’allégresse de « You’re Sixteen », la douceur de « Photograph » composent un portrait d’homme qui a traversé la tempête Beatles et entendu la leçon : on peut être populaire sans se prendre trop au sérieux, on peut être modeste et exigeant.

L’empreinte Beatles sans l’ombre écrasante : un équilibre rare

La grande force de « Ringo » est d’accueillir l’empreinte Beatles – par la présence des trois autres, par l’écriture soignée, par certains codes d’arrangements – sans en être prisonnier. Les chansons ne cherchent pas à imiter un style passé ; elles respirent leur époque. Que John joue ici, que Paul écrive là, que George co-signe ailleurs, c’est une joie de fan et un plus musical, pas un gadget de presse. Le disque constitue ainsi une réponse élégante aux rumeurs de réunion qui agitent chaque saison 1970 : on peut jouer ensemble, s’entraider, sourire à la caméra, sans reformer le groupe.

Étude de quelques titres « profonds »

Au-delà des singles, l’album contient des pistes qu’il convient de réévaluer.

« Devil Woman ». Co-écrit avec Vini Poncia, c’est un mid-tempo qui s’appuie sur une section rythmique presque funky. Le chant posé de Ringo y trouve un contrepoint dans les lignes de guitare et de claviers. L’efficacité tient à la simplicité : pas d’effet spectaculaires, mais un entraînement constant.

« You and Me (Babe) ». Co-écrit par George Harrison, le morceau fonctionne comme un au revoir d’album, un générique de fin où la voix de Ringo salue, remercie, embrasse. C’est l’un des morceaux où l’on mesure le mieux la bienveillance d’ensemble du projet.

« Step Lightly ». Petite valse couverte d’un vernis vaudeville, elle rappelle le goût de Ringo pour les ambiances théâtrales et les chansons à malice. Loin du remplissage, elle offre une respiration.

Les ingrédients d’un classique tardif

Plusieurs facteurs expliquent que « Ringo » occupe aujourd’hui encore une place centrale dans la discographie de Ringo Starr. Le premier tient à la qualité d’écriture : entre apports taillés sur mesure par des amis exceptionnels et co-écritures efficaces, l’album tient de bout en bout. Le deuxième tient à la production : Richard Perry réussit la synthèse entre standard radio et chaleur analogique, sans céder à l’épate. Le troisième tient à l’interprète : Ringo est dans son meilleur jour, chantant avec gusto, distribuant ses sourires musicaux, donnant unité à des styles voisins.

Cette addition d’évidence aboutit à un disque qui, loin d’être une curiosité, s’écoute comme un classique pop du début des années 1970.

De la sortie aux rééditions : la vie longue d’un album aimé

La vie commerciale de « Ringo » ne se résume pas à l’année 1973. L’album a connu diverses rééditions, dont une version CD enrichie en 1991. Parmi les ajouts, « Early 1970 », chanson où Ringo, avec son humour habituel, brosse un tableau de la séparation des Beatles, chacun poursuivant sa route, chacun restant un ami. Cette piste, loin d’être anecdotique, prolonge l’esprit de « Ringo » : regarder en arrière sans acrimonie, transformer la mémoire en chanson.

Retombées et héritage : Ringo au centre, l’effet d’entraînement

Le triomphe de « Ringo » change la donne pour Ringo Starr. Il assoit sa crédibilité en tant qu’artiste solo et lui donne les moyens d’enchaîner avec « Goodnight Vienna » en 1974, autre succès porté par le single « Only You (And You Alone) » et la dynamique d’une équipe élargie. Mais « Ringo » demeure la pierre angulaire, le disque pivotal auquel on revient pour comprendre comment le « batteur des Beatles » devient un chanteur pop capable d’occuper, brièvement mais intensément, le haut des charts.

Au-delà des chiffres, « Ringo » sert de référence pour saisir ce que peut être un album de camaraderie : des amis qui s’invitent au service d’un projet clair, des studios ouverts, des chansons solides, un sourire derrière le micro, et cette générosité qui circule d’une chanson à l’autre.

L’angle « critique » : pourquoi l’album reste satisfaisant de bout en bout

Revenir aujourd’hui sur « Ringo », c’est constater qu’il échappe à deux pièges classiques. D’un côté, il ne se dissout pas dans l’hommage appuyé aux Beatles. De l’autre, il ne se dilue pas en compilation hétéroclite d’ami(e)s prestigieux. Le disque possède une couleur propre, tenue par la voix de Ringo, par la patte de Perry, par le choix des tempos, par un art consommé des refrains qui restent. Les morceaux « profonds » ne paressent pas, les singles s’intègrent sans écraser le reste, et la durée globale donne envie de relancer l’album dès la dernière note de « You and Me (Babe) ».

Ringo, un « album de Ringo » autant qu’un « album avec les Beatles »

Il est tentant de résumer « Ringo » à l’argument-choc : Lennon, McCartney, Harrison y sont. Ce serait un peu réducteur. Car s’il est vrai que l’aura Beatles infuse le disque, il est non moins vrai que Ringo Starr y impose son rythme, ses goûts, son humour, son timbre. Le plaisir qu’on y prend tient autant au casting qu’à la personnalité du maître de cérémonie. C’est un album de Ringo – et c’est précisément pour cela qu’il fonctionne.

Portraits éclairs des musiciens-clés

Nicky Hopkins. Pianiste au toucher lyrique et nerveux selon les besoins, il sait aérer une strophe, souligner un refrain, lancer un pont. Sur « Ringo », il fait respirer l’ossature pop sans la tirer vers la virtuosité.

Jim Keltner. Batteur orchestrateur, maître de la ghost note et du placement élégant, il apporte cette souplesse qui sied à la voix de Ringo. La batterie n’écrase jamais ; elle porte.

James Booker. Pianiste unique, mélange de classe et de folie douce, il donne à « Have You Seen My Baby » son étincelle.

Marc Bolan. Sa guitare glam met une pichenette de modernité qui réveille les oreilles, sans bousculer l’ensemble.

Martha Reeves. Sa présence sur « Oh My My » témoigne de la porosité entre pop blanche et soul noire au début des années 1970 ; elle pimente l’affaire d’un vibrato incandescent.

The Band (Garth Hudson, Robbie Robertson, Levon Helm). Ils apportent un grain américain boisé, un accent de frontière musicale qui assoit certains passages sur un terreau roots.

Le « son » Ringo 1973 : pourquoi il vieillit bien

Nombre de disques du début des seventies ont subi le poids d’un mixage trop chargé ou d’effets aujourd’hui datés. « Ringo » s’en sort par une production qui privilégie la dynamique, la lisibilité, la chaleur. Les guitares ne saturent pas, les pianos ne plombent pas, les chœurs n’étouffent pas. Ce qui frappe, c’est la modération. Rien n’est excessif, tout est savamment posé. Cela explique la fraîcheur persistante de l’album pour l’auditeur de 2025.

L’humain derrière les chansons : amitiés, fidélités, réseaux

« Ringo » est aussi une histoire d’amitiés. Les contributions de Lennon, McCartney, Harrison rappellent que, malgré les frictions de la période 1970-1971, un socle d’affection reliait les quatre. Loin des projecteurs sur la « réunion impossible », on voit ici des musiciens qui ont partagé un destin, qui parlent le même langage et savent se retrouver autour d’un projet. Les autres invité(e)s – des studios de Los Angeles aux personnalités britanniques – prolongent cette sociabilité. On entend au fil des titres une forme de politesse musicale : chacun vient servir la chanson, y dépose une couleur, puis s’efface.

Le rôle de Los Angeles : une capitale du disque au début des années 1970

Le choix de Sunset Sound et A&M Studios n’a rien d’anodin. À l’orée des seventies, Los Angeles est l’une des capitales mondiales de la production. Ingénieurs, studios, backline, disponibilité de sections entières (cuivres, cordes, chœurs) : tout y favorise la rapidité et la qualité. Richard Perry en connaît les moindres couloirs, Ringo y a ses habitudes, et l’album bénéficie de cette infrastructure. On en mesure l’effet à l’écoute : ces fausses évidences sonores – une caisse claire pile au bon endroit, un tambourin posé juste sur le contretemps – sont la signature d’un écosystème au service de la chanson.

« Early 1970 » : un bonus qui éclaire tout

Parue en bonus sur la réédition CD, « Early 1970 » est une pièce charnière. Ringo y croque en trois couplets la trajectoire de John, Paul, George, puis la sienne, avec une tendresse désarmante. On y perçoit l’humour qui a sauvé beaucoup de situations, la lucidité d’un musicien qui connaît ses forces et ses limites, et la gratitude d’un homme qui ne boude pas son bonheur d’être là, encore, avec un micro et des amis.

Pourquoi « Ringo » demeure essentiel pour les lecteurs de Yellow-Sub.net

Pour un public qui aime cartographier la galaxie Beatles, « Ringo » est un point nodal. Il relie la mémoire du groupe à l’affirmation individuelle ; il met en présence John, Paul, George et Ringo sans instrumentaliser la nostalgie ; il offre un cas d’école de production pop de 1973 ; il propose enfin une galerie de musiciens qui racontent, à leur manière, l’état de l’art studio à Los Angeles. Pour Ringo Starr, c’est la preuve par l’album qu’il peut mener la danse, que sa voix porte, que son instinct de choix est sûr.

Un album lumineux, un artiste rassemblant

« Ringo » n’est ni un totem de nostalgie ni un feuilleté d’ego. C’est un disque chaleureux, généreux, écrit et joué avec goût, où Ringo Starr occupe sa place au centre sans hausser la voix. Qu’on vienne pour « Photograph » ou « You’re Sixteen », on reste pour « Six O’Clock », « I’m the Greatest », « Oh My My », « Sunshine Life for Me » et tout ce qui tisse entre ces titres une continuité souriante. On y entend le plaisir des retrouvailles à distance, la politesse d’un son bien tenu, la joie simple de faire tourner une chanson.

À l’heure des bilans, « Ringo » demeure le chef-d’œuvre pop de Ringo Starr, l’album qui a su invoquer l’aura des Beatles sans se réfugier derrière elle, et prouver qu’au-delà du batteur historique, il y avait un interprète sensible, un choix d’alliés irréprochable, et une idée claire de ce qu’un album doit offrir : des chansons mémorables, une interprétation honnête, un son qui flatte l’oreille, et ce sourire qu’on entend même quand la musique s’arrête.


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