Après la séparation des Beatles, George Harrison offre un geste amical et musical à Gary Wright en participant à son album Footprint (1971). Présent parmi un casting prestigieux — basse de Klaus Voormann, batterie de Alan White, cuivres de Bobby Keys et Jim Price… — Harrison apporte sa guitare slide pour enrichir les morceaux, dans un esprit d’amitié, d’écoute et de partage. Footprint incarne cette période d’ouverture musicale post‑Beatles, où les collaborations se font sur la base de respect et d’envie commune.
Au lendemain de la séparation des Beatles, George Harrison s’emploie à construire une trajectoire solo à la fois libre et profondément ancrée dans ses affinités humaines. Parmi ces affinités, l’une des plus solides s’appelle Gary Wright, auteur-compositeur et claviériste américain passé par Spooky Tooth. Leur rencontre, puis leur entente musicale, vont générer une série de collaborations où se mêlent fidélité, esprit de camaraderie et exigence artistique. On en trouve une illustration limpide dans ‘Footprint’, le deuxième album solo de Wright, paru à l’automne 1971, sur lequel Harrison vient jouer après que Wright a prêté ses claviers à ‘All Things Must Pass’ l’année précédente. Le geste est simple, presque évident : chacun apporte à l’autre ce qu’il a de plus personnel, sans calcul, sous le signe d’une créativité partagée.
Cette relation s’épanouit dans un moment d’intense circulation musicale. L’après-Beatles est une période d’ouverture où les frontières se dissolvent entre musiciens issus de scènes distinctes. Harrison, à l’aise dans son rôle d’accompagnateur de luxe autant que de leader, croise son jeu de guitare slide reconnaissable entre mille avec les textures de claviers d’un Gary Wright en pleine réinvention. À l’écoute de ‘Footprint’, on perçoit immédiatement la trame de cette complicité : des chansons écrites autour de la voix chaleureuse de Wright et de ses claviers, des entrelacs d’arpèges et de lignes chantantes signées Harrison, et une section rythmique de studio parmi les plus demandées de la côte ouest et de Londres.
Sommaire
- De Spooky Tooth à l’émancipation solo de Gary Wright
- ‘All Things Must Pass’ comme matrice d’un réseau musical
- ‘Footprint’ : un album de 1971, un son de bande alliée
- Un plateau de stars au service des chansons
- Les claviers de Gary Wright, centre de gravité sonore
- ‘Two Faced Man’ : une chanson, un plateau télé, une image gravée
- Wonderwheel, pont entre studio et scène
- Le jeu de guitare slide de George Harrison, signature et service
- Les cuivres, la chaleur soul et la mémoire de King Curtis
- Klaus Voormann et Alan White, traits d’union des mondes Beatles
- Mick Jones et Hugh McCracken, deux sensibilités de guitare
- A&M Records et la grammaire sonore de 1971
- Réception et postérité : un jalon avant la réussite du milieu des années 1970
- Un échange de bons procédés qui dépasse le symbole
- Une dynamique scénique et médiatique : The Dick Cavett Show comme vitrine
- Le rôle de Doris Troy et des chœurs féminins
- L’esthétique des claviers : orgue, piano électrique et l’art de la nuance
- Harrison accompagnateur : une constante des années 1970
- Les thématiques de ‘Footprint’ : le regard et l’élan
- Le temps, la mémoire et la lecture d’aujourd’hui
- Une esthétique de l’équilibre : sobriété, chaleur, précision
- L’importance symbolique d’un 1er novembre 1971
- L’héritage partagé : ce que ‘Footprint’ dit de George et de Gary
- Entre intimité et rayonnement : une collaboration modèle
- Après ‘Footprint’ : trajectoires qui se recroisent
- L’empreinte d’un ami
De Spooky Tooth à l’émancipation solo de Gary Wright
Avant ‘Footprint’, Gary Wright est d’abord identifié comme l’une des figures essentielles de Spooky Tooth, formation britannique qui a creusé au tournant des années 1960 et 1970 un sillon blues-rock imprégné d’orgue et d’intensité vocale. Wright s’y forge une réputation de claviériste-chanteur au tempérament d’auteur, et lorsque vient l’heure des trajectoires personnelles, il s’autorise un premier pas en solo avec ‘Extraction’ en 1970. Ce disque marque le début d’un cycle où l’Américain, installé dans l’écosystème londonien, tente de concilier sa culture pop anglo-américaine et un goût pour la soul et le R&B, via des arrangements cuivrés, des grooves souples et un sens de la mélodie directe.
C’est dans ce contexte que la rencontre avec George Harrison prend une dimension décisive. Harrison est alors en pleine expansion post-Beatles, auréolé du succès artistique et public de ‘All Things Must Pass’, vaste fresque qui agrège autour de lui une constellation d’amis et de fidèles : Klaus Voormann à la basse, Alan White à la batterie, Jim Keltner, Bobby Keys, Jim Price, Doris Troy, pour ne citer qu’eux. Sur ‘Extraction’, Wright bénéficie déjà d’une partie de ce réseau. ‘Footprint’, l’année suivante, va sceller plus fermement encore cette circulation des talents, au bénéfice d’un album à la fois plus ample, plus sûr de son esthétique et mieux servi par un casting qui, aujourd’hui encore, impressionne.
‘All Things Must Pass’ comme matrice d’un réseau musical
Il n’est pas exagéré de dire que ‘All Things Must Pass’ a fonctionné comme un carrefour. Non seulement parce que Harrison y a fixé la signature sonore de sa slide guitar chantante, mais parce qu’il y a fédéré un collectif de musiciens liés par l’expérience partagée de longues séances, entre spiritualité diffuse, rigueur de studio et étincelles d’improvisation. La présence de Gary Wright aux claviers sur plusieurs titres de cet album triple n’est pas un simple appoint : elle inscrit le musicien américain dans une dynamique où l’écoute réciproque et la souplesse d’exécution sont cardinales. De cette matrice sortira, presque naturellement, l’idée que George rende la pareille lorsque Wright se remet au travail pour son deuxième album solo.
Cette notion de réciprocité est centrale. Harrison n’est pas seulement l’ancienne star des Beatles à laquelle on fait appel pour doper le prestige d’un disque. Il est le compagnon d’échanges équitables, celui qui sait, parce qu’il l’a vécu avec les Beatles et en studio avec Phil Spector, que la meilleure musique naît souvent de confluences. En venant jouer sur ‘Footprint’, il offre à Wright un timbre instrumental précis, lumineux, parfois presque choral, qui se fond dans les claviers tout en les surlignant de traits mélodiques immédiatement identifiables.
‘Footprint’ : un album de 1971, un son de bande alliée
Publié le 1er novembre 1971 chez A&M Records, ‘Footprint’ s’inscrit dans une année décisive, déjà marquée par le Concert for Bangladesh, par l’activité débordante des anciens Beatles et par l’affirmation de chanteurs-auteurs qui font des studios de Londres et de Los Angeles les plaques tournantes du rock d’album. Dès ses premières mesures, ‘Footprint’ donne le sentiment d’un disque pensé comme une œuvre de groupe, quand bien même il porte le nom de Gary Wright seul en couverture. La patte d’Harrison, convoquée avec intelligence, n’y est jamais envahissante ; elle dessine des contre-chants et des ponts qui enveloppent plutôt qu’ils ne dominent.
L’album respire l’entente d’un noyau dur, où la rythmique alterne entre plusieurs batteurs d’exception, et où la basse de Klaus Voormann apporte son grain si particulier, à la fois net et chantant. Les cuivres donnent du relief à des refrains conçus pour tenir la route, tandis que les chœurs féminins, avec Madeline Bell et Doris Troy, apportent une chaleur soul qui rappelle l’influence américaine de Wright. Dans ce maillage, la guitare slide de George fonctionne comme une voix supplémentaire, une coulée sonore qui commente le chant principal sans jamais le parasiter.
Un plateau de stars au service des chansons
La liste des participantes et participants à ‘Footprint’ suffit à raconter un pan de l’histoire du rock du début des années 1970. À la basse, Klaus Voormann, ami de la première heure des Beatles, graphiste de la pochette de ‘Revolver’ et musicien de studio recherché, incarne ce trait d’union entre les cercles allemands du Star-Club de Hambourg et la scène londonienne. À la batterie, se succèdent Alan White, futur membre de Yes et batteur sur les sessions de John Lennon et Yoko Ono, Jim Keltner, pilier absolu des sessions west-coast, et Jim Gordon, batteur de Derek and the Dominos dont la précision métronomique n’empêche pas les fulgurances.
Aux cuivres, Bobby Keys et Jim Price, alors compagnons de route des Rolling Stones, imposent leur style ample et puissant, héritier du R&B. S’y adjoint la présence de King Curtis, saxophoniste de légende, dont la sonorité chaude et la musicalité rayonnante ont marqué des générations. Sa disparition tragique à l’été 1971 ajoute au disque un halo d’émotion rétrospective. Côté guitares, l’album fait se croiser Hugh McCracken, musicien new-yorkais fin et polyvalent, et Mick Jones, qui n’est pas encore le fondateur de Foreigner mais déjà un guitariste-arrangeur à l’oreille dynamique. Le tout forme un orchestre de studio idéal, capable d’élasticité rythmique, de couleurs harmoniques et d’un sens du groove utile à des compositions conçues pour vivre autant sur disque que sur scène.
Les claviers de Gary Wright, centre de gravité sonore
Si ‘Footprint’ retient l’oreille, c’est d’abord par la palette de claviers déployée par Gary Wright. Piano droit, piano électrique, orgue et touches de synthétiseur viennent structurer la matière des chansons. Wright, qui possède une voix légèrement râpeuse mais chaleureuse, place ses claviers comme autant de piliers autour desquels se nouent les réponses instrumentales. Les morceaux avancent souvent par strates : une figure de piano qui impulse le mouvement, des accords d’orgue qui épaississent la texture, puis la slide de Harrison qui découpe des lignes chantantes. Cette charpente permet aux titres d’éviter la surcharge, en gardant toujours à l’esprit la lisibilité d’un refrain, la respiration d’un pont, la nécessité d’un break de batterie ou d’un trait de sax.
Le jeu d’Harrison, immédiatement reconnaissable à son vibrato dosé et à la façon d’attaquer la corde pour en tirer une sonorité presque vocale, se cale dans ces espaces. Plutôt que d’ouvrir à tout prix le spectre, il en souligne les contours. On n’entend pas George venir « signer » un passage pour imposer sa marque, on l’entend écouter, puis écrire une réplique instrumentale qui prolonge l’intention de Wright. Cette discrétion active est l’une des grâces de ‘Footprint’, et l’une des raisons pour lesquelles l’album vieillit avec élégance.
‘Two Faced Man’ : une chanson, un plateau télé, une image gravée
Le titre ‘Two Faced Man’ joue un rôle particulier dans l’histoire de l’album. Wright et son groupe Wonderwheel, rejoints par George Harrison, en offrent une interprétation mémorable sur le plateau de The Dick Cavett Show, l’un des talk-shows les plus suivis des États-Unis au début des années 1970. On y voit Harrison, en forme décontractée, prendre la parole à la slide guitar, déroulant ces phrasés fluides qui semblent rire des difficultés techniques. Le dispositif télévisuel, avec ses contraintes de temps et de sonorisation, ne gêne pas l’évidence du dialogue musical entre les deux hommes. L’instant, filmé, fixe pour la postérité cette image d’un ex-Beatle jouant en compagnon plus qu’en vedette, aux côtés d’un ami dont il respecte le langage.
Sur le plan musical, ‘Two Faced Man’ fonctionne comme une vignette emblématique de ‘Footprint’. On y entend l’équilibre entre groove de section rythmique, claviers articulés et lignes de guitare chantantes. Le texte, comme souvent chez Wright, mélange observation et introspection, sans lourdeur. Le titre joue sur le thème de la duplicité, motif récurrent du rock de l’époque, mais le traite avec un sourire en coin, porté par une interprétation qui préfère l’élan à l’amertume.
Wonderwheel, pont entre studio et scène
Entre ‘Extraction’ et ‘Footprint’, Gary Wright monte Wonderwheel, formation pensée pour porter les chansons sur scène, puis enrichir la dynamique de studio. Le groupe lui offre un socle qui n’est pas seulement rythmique : c’est un cadre d’échanges, un espace d’ajustement où des titres peuvent être testés, resserrés, parfois réécrits au fil des dates. Cette porosité entre scène et studio, très caractéristique du début des années 1970, nourrit ‘Footprint’ de petites mises au point qui se sentent à l’écoute : break légèrement allongé pour laisser respirer un solo, refrain reconduit une fois de plus pour cueillir l’auditeur au bon moment, pont harmonique éclairci pour faciliter la montée de la voix.
Harrison, en invité récurrent, se coule naturellement dans ce format. Il n’a plus à prouver sa capacité à servir une chanson ; chez les Beatles déjà, il a appris l’art de faire exister un morceau par un riff ou un contrechant sans jamais l’alourdir. Sur ‘Footprint’, cette science de l’économie expressive trouve un terrain idéal.
Le jeu de guitare slide de George Harrison, signature et service
La guitare slide de George est l’une des grandes trouvailles sonores de la période post-Beatles. Il en a affiné les contours sur ‘All Things Must Pass’, puis sur des collaborations variées. Cette technique, chez lui, n’est jamais ostentatoire. Elle cherche la note juste plutôt que la virtuosité en rafale. Sur ‘Footprint’, elle se distingue par une clarté du sustain, une intonation soigneusement tenue, et une tendance à chanter la mélodie plutôt qu’à la décorer. Cela suppose une capacité d’écoute intense : saisir l’espace laissé par les claviers de Wright, se glisser entre la basse de Voormann et la caisse claire de Keltner ou White, puis projeter une ligne qui relance la phrase vocale.
Il en résulte un dialogue organique. Wright lance une figure au piano ou à l’orgue, George répond sur la tierce ou la quinte, parfois en syncope, parfois en contretemps, comme on répondrait à un chanteur dans un chœur. Ce va-et-vient rappelle que la slide, dans la tradition américaine, est souvent considérée comme une voix supplémentaire. Harrison s’approprie ce principe, l’épure, et l’inscrit dans une esthétique pop-rock britannique où la mesure prévaut sur l’excès.
Les cuivres, la chaleur soul et la mémoire de King Curtis
Les cuivres de Bobby Keys et Jim Price apportent à ‘Footprint’ un grain particulier, à la fois soufflant et arrangeur. Ils ne jouent pas en permanence, mais lorsqu’ils surgissent, ils posent sur les refrains une couronne sonore immédiatement efficace. La présence de King Curtis relève, elle, de l’évidence tant le saxophoniste a su, tout au long des années 1960, marier sonorité soul et sens pop de l’accroche. Sa participation au disque confère aux morceaux dans lesquels il intervient un supplément d’émotion et de souplesse. Sa disparition brutale en août 1971 donne, a posteriori, à ses lignes une dimension de témoignage. ‘Footprint’ est l’un des derniers albums à bénéficier de cette voix de sax unique.
Cette dimension soul s’enrichit des chœurs féminins, en particulier ceux de Madeline Bell, figure d’une scène londonienne où les choristes anglo-américaines jouent un rôle central dans le modelage du son pop et R&B, et de Doris Troy, chanteuse dont l’album sur Apple deux ans plus tôt, co-produit par Harrison, a constitué un jalon. Le timbre de leurs voix adoucit les angles, épaissit le tapis harmonique et offre à Wright un appui pour projeter sa propre voix sans forcer.
Klaus Voormann et Alan White, traits d’union des mondes Beatles
La présence de Klaus Voormann et d’Alan White agit comme un sceau de continuité entre l’univers Beatles et la scène élargie qui gravite autour d’eux. Voormann, on l’a dit, est ce compagnon de la première heure, à la fois musicien et artiste visuel, dont la basse a trouvé un équilibre rare entre lisibilité et souplesse. White, qui rejoindra bientôt Yes, a déjà enregistré avec John Lennon, en particulier sur ‘Imagine’, et son jeu métronomique mais vivant apporte à ‘Footprint’ une colonne vertébrale. Leur association avec Jim Keltner et Jim Gordon ne produit jamais de redite, tant chacun possède un lexique rythmique distinct, mobilisé en fonction des besoins de la chanson.
Ces musiciens partagent une éthique commune : servir la composition. Ils ont l’habitude des grandes séances, savent lire une intention à demi-mot, adapter une ghost note, accentuer une levée, calibrer un fill pour qu’il dise quelque chose sans prendre toute la place. ‘Footprint’ est, à cet égard, une leçon d’intelligence collective.
Mick Jones et Hugh McCracken, deux sensibilités de guitare
Si George Harrison incarne la slide lyrique, Hugh McCracken et Mick Jones apportent deux couleurs complémentaires. McCracken, familier des studios new-yorkais, excelle dans l’accompagnement attentif et les ornements précis. Jones, qui se révélera plus tard au grand public avec Foreigner, montre déjà ce sens du riff clair et du motif simple qui fait mouche. Dans l’architecture de ‘Footprint’, ils occupent des interstices essentiels : une réplique à l’orgue, une relance avant un refrain, un unisson discret avec les cuivres. En somme, ils complètent la topographie du disque, où la guitare de George s’avance comme un relief principal, mais jamais solitaire.
A&M Records et la grammaire sonore de 1971
L’empreinte du label A&M Records se lit dans la production claire et équilibrée de l’album. On y retrouve cette volonté d’aération qui permet à chaque instrument de tenir sa place, avec une attention marquée portée aux voix et aux claviers. Nous sommes en 1971 : la hi-fi domestique se démocratise, les auditeurs réclament des albums qui tiennent sur la longueur, et les artistes conçoivent leurs disques comme des objets cohérents. ‘Footprint’ s’inscrit dans cette évolution. Rien n’y est inutilement chargé, mais rien n’y paraît maigre. La batterie est présente sans écraser, la basse est lisible, les cuivres entrent et sortent avec discernement, la slide de George traverse le champ sans jamais percer au point de le déchirer.
Cette esthétique, à mi-chemin entre la pop britannique et la soul américaine, convient parfaitement à Gary Wright. Elle dialogue avec sa formation d’auteur de mélodies et avec son goût pour les textures enveloppantes. Elle situe ‘Footprint’ dans le courant d’albums qui, en ce début de décennie, cherchent une voie médiane entre la spontanéité rock et une production qui prend soin des détails.
Réception et postérité : un jalon avant la réussite du milieu des années 1970
À sa sortie, ‘Footprint’ n’est pas un blockbuster. Il trouve son public, reçoit un accueil favorable pour la qualité de ses musiciens et la tenue de ses compositions, mais ne bouleverse pas l’équilibre des charts. Avec le recul, ce constat n’a rien de négatif. L’album apparaît comme un jalon dans la trajectoire de Gary Wright, prélude aux succès plus massifs du milieu des années 1970, quand l’artiste signera des titres qui deviendront des classiques de la radio américaine. ‘Footprint’ est la pierre d’angle d’une esthétique, un disque où se met en place un alliage : claviers mélodiques, grooves souples, voix entourée de chœurs, et la slide de Harrison en filigrane.
Pour la postérité de George Harrison, ‘Footprint’ s’inscrit dans ce chapitre souvent chéri par les auditeurs : celui des apparitions généreuses. Après l’avoir vu fédérer autour de lui sur ‘All Things Must Pass’, on le retrouve ici en ami disponible, happé par le plaisir de jouer. Cette dimension, parfois moins commentée que ses activités de compositeur, compte pourtant pour beaucoup dans la perception du Harrison post-Beatles : un musicien fraternel, curieux, qui aime écouter et répondre autant qu’écrire et chanter.
Un échange de bons procédés qui dépasse le symbole
Dire que George « renvoie l’ascenseur » à Gary Wright pourrait laisser croire à un simple équilibre comptable. En réalité, l’échange dépasse le symbole. La présence de Wright sur ‘All Things Must Pass’ et celle de George sur ‘Footprint’ racontent un tissage. Elles montrent comment, dans cette constellation issue des Beatles, chacun trouve sa place en fonction des chansons. Harrison n’invite pas les autres pour remplir ; il les convie parce qu’il sait que leur voix instrumentale trouvera une utilité. Wright ne convie pas George pour faire briller un nom prestigieux sur une pochette ; il lui ouvre une fenêtre musicale où la slide fera chanter ses propres idées.
Dans cette logique, ‘Footprint’ est un document précieux. Il capture un moment où un réseau de musiciens passe d’un projet à l’autre avec fluidité, sans frontières étanches. Il fixe la mémoire d’un style de jeu, celui de la slide de George, au service de chansons qui n’ont pas été écrites pour lui mais qu’il comprend intimement. Il montre enfin un Gary Wright maître de son vaisseau, capable de se laisser inspirer sans se diluer.
Une dynamique scénique et médiatique : The Dick Cavett Show comme vitrine
La télévision américaine du début des années 1970 accorde une place de choix aux performances live. Passer par The Dick Cavett Show, c’est toucher un public curieux, prêt à se laisser surprendre par des artistes venus d’horizons divers. L’apparition de Gary Wright et de son groupe avec George Harrison à la guitare slide, autour de ‘Two Faced Man’, joue exactement ce rôle. Pour Wright, c’est l’occasion de présenter son univers à un auditoire plus large, de donner un visage à sa musique, au-delà des cercles rock spécialisés. Pour Harrison, c’est l’opportunité heureuse d’incarner publiquement cette solidarité musicale qu’il prône depuis les débuts de sa carrière solo.
La prestation, détendue, ne cherche pas la démonstration. Elle valorise la chanson plutôt que le numéro. Elle met en lumière la qualité d’écoute entre les musiciens, ce qui constitue, in fine, l’argument le plus convaincant de ‘Footprint’. C’est parce que ces artistes s’entendent – au sens propre et figuré – que l’album tient, que la mélodie prend, que l’auditeur adhère.
Le rôle de Doris Troy et des chœurs féminins
Il serait impossible de comprendre la texture sonore de ‘Footprint’ sans insister sur l’apport de Doris Troy et de Madeline Bell. Leurs interventions n’ont rien d’accessoire. Elles dessinent des arrière-plans harmoniques qui portent les refrains, adoucissent certaines angles des arrangements et injectent de la chaleur dans des titres qui auraient pu, sans elles, paraître plus stricts. Doris Troy, dont l’album éponyme sur Apple avait été co-produit par George Harrison en 1969, incarne dans ‘Footprint’ une continuité de goût et d’esthétique : la rencontre entre la sensibilité pop britannique et une tradition soul américaine. Madeline Bell, figure essentielle de la scène anglaise, apporte cette clarté d’intonation qui éclaire la voix de Wright.
Ces choristes ne sont pas là pour emplir un vide ; elles dessinent l’espace. Elles tiennent des lignes précises, dialoguent parfois avec la slide de George, épousent le phrasing de Wright et lui offrent un miroir dans lequel sa voix peut se projeter. L’effet cumulatif est net : les refrains gagnent en portance, les transitions paraissent plus naturelles, l’album respire.
L’esthétique des claviers : orgue, piano électrique et l’art de la nuance
Les claviers de Wright constituent à la fois le fil mélodique et la charpente harmonique de l’album. L’orgue fournit des nappes qui stabilisent le champ, le piano électrique offre une granularité percussive, tandis que le piano acoustique vient graver les thèmes dans une matière plus nette. Cette polyphonie de claviers évite l’effet « démonstration » en restant au service d’un projet d’écriture. Le choix des sons n’est jamais gratuit : un orgue un peu voilé pour arrondir une strophe, un piano électrique plus claquant pour impulser un couplet, un piano acoustique plus ample pour donner de la gravité à un pont. La slide de George se glisse entre ces couches comme une lame de lumière, donnant à la musique une luminescence sans jamais devenir aveuglante.
Cette relation organique entre claviers et guitare est l’un des enseignements de ‘Footprint’. Elle montre que l’album n’aurait pas la même couleur si l’un ou l’autre était en retrait. Elle rappelle également que la force d’une collaboration tient souvent à cette alchimie des matières, plus encore qu’à la seule puissance d’un nom en haut de l’affiche.
Harrison accompagnateur : une constante des années 1970
La présence de George Harrison sur ‘Footprint’ s’inscrit dans une constante de sa décennie 1970 : celle d’un accompagnateur de choix. On le retrouve aux côtés de nombreux amis musiciens, prêt à donner un coup de main sur un titre, à co-écrire lorsque l’inspiration l’y invite, à proposer une ligne de slide qui rehausse une composition. Cette générosité musicale, souvent saluée par ses contemporains, est un trait marquant de son caractère d’artiste, complémentaire à son profil d’auteur-compositeur. Sur ‘Footprint’, cet esprit d’entraide se matérialise sans emphase, dans le jeu plus que dans le discours.
Voir Harrison accompagner Gary Wright, c’est aussi prendre la mesure de la liberté gagnée après l’expérience Beatles. Ici, pas de pression commerciale démesurée, pas de carcan esthétique. Il s’agit de chanter la guitare au service d’un ensemble. Le résultat, plus modeste que certains sommets de sa carrière, n’en est pas moins essentiel pour comprendre le paysage musical de cette période.
Les thématiques de ‘Footprint’ : le regard et l’élan
Dans l’écriture de Gary Wright pour ‘Footprint’, on perçoit des thématiques qui traversent son œuvre. Il y est question de regard posé sur soi et les autres, de désirs contrariés, d’un certain idéal d’authenticité, le tout formulé dans une langue qui préfère la suggestion à la démonstration. ‘Two Faced Man’, on l’a dit, aborde la duplicité avec distance. D’autres titres explorent l’élan amoureux, l’affirmation personnelle, des motifs dont la simplicité n’exclut pas la tenue littéraire. Cette clarté thématique épouse l’esthétique musicale : des chansons qui s’avancent droit, un décor instrumental soigné, des ponctuations de slide qui tirent la phrase vers le haut.
Ce lien entre idée et forme rend l’album cohérent. On sent que Wright a pensé à l’album comme une suite plutôt que comme un patchwork. La présence régulière de George, même lorsqu’elle est subtile, contribue à cette unité : la slide réapparaît comme un leitmotiv, une voix amie qui accompagne l’itinéraire.
Le temps, la mémoire et la lecture d’aujourd’hui
Plus de cinquante ans après, écouter ‘Footprint’ permet une double expérience. Il y a, d’abord, le plaisir d’entendre une musique qui n’a pas perdu sa fraîcheur. Les arrangements respirent, la prise de son laisse s’épanouir la dynamique, la slide de Harrison garde cette pureté qui la rend instantanément émotive. Il y a, ensuite, la mémoire que l’on projette sur l’album : la disparition de King Curtis, l’itinéraire mouvementé de Jim Gordon, la carrière florissante d’Alan White, les multiples ponts que Klaus Voormann a tracés entre les mondes, l’aventure ultérieure de Mick Jones avec Foreigner. ‘Footprint’ est ainsi habité par des destins, des enjeux, des histoires qui débordent largement ses quarante et quelques minutes.
Pour les fans des Beatles et de George Harrison, il propose un regard latéral sur le musicien : moins l’icône que l’ami fidèle, moins le compositeur-chanteur que l’instrumentiste d’exception. On comprend, à l’écoute, combien cette capacité à se mettre au service des autres fait partie intégrante de son identité artistique.
Une esthétique de l’équilibre : sobriété, chaleur, précision
Ce qui frappe, à mesure que l’on réécoute, c’est la cohérence esthétique de ‘Footprint’. Tout semble réglé pour équilibrer la sobriété et la chaleur. La production ne cherche ni l’effet ni la rugosité pour la rugosité. Elle préfère la précision d’un placement rythmique, la justesse d’une entrée de cuivres, la douceur contrôlée d’une slide bien tenue. Cette science de la mesure n’empêche pas les élans. Lorsqu’un pont se déploie, il le fait avec l’énergie d’un groupe qui sait converger, qui respire ensemble, qui aime le son qu’il produit. C’est ce mélange qui fait de ‘Footprint’ un album attachant : on y perçoit des mains et des oreilles au travail, attentives les unes aux autres.
Dans cette alchimie, la place de George Harrison est claire. Il est le marqueur discret, celui dont la signature sonore suffit à colorer un passage sans le définir tout entier. Il est l’ami qui arrive, écoute, joue, puis laisse la chanson poursuivre sa route. ‘Footprint’ gagne à cette manière : l’empreinte de George n’est pas une empreinte au sens d’un pas lourd. C’est une trace lumineuse, un reflet.
L’importance symbolique d’un 1er novembre 1971
La date de parution – le 1er novembre 1971 – ancre le disque dans une chronologie dense. Elle vient quelques semaines après un été et un début d’automne qui ont vu George Harrison s’engager pour le Bangladesh, rassembler autour de lui des amis musiciens pour un geste humanitaire et artistique d’une ampleur inédite. Elle traduit le rythme d’une époque où les musiciens enchaînent les projets sans perdre la cohérence de leur propos. Pour Gary Wright, sortir ‘Footprint’ à ce moment, c’est prendre place dans une conversation élargie : celle d’une génération d’artistes qui cherchent une écriture personnelle mais se reconnaissent dans un langage commun.
Dans cette conversation, ‘Footprint’ n’est pas l’argument le plus bruyant, mais il est l’un des plus sereins. Il exprime une confiance : celle d’un auteur qui sait ce qu’il veut faire entendre, celle d’un ami qui vient jouer sans conditions, celle d’un groupe de studios qui sait fabriquer un son qui tient.
L’héritage partagé : ce que ‘Footprint’ dit de George et de Gary
Que reste-t-il de ‘Footprint’ lorsqu’on referme l’album et que s’éloigne la dernière note de slide ? Il reste une sensation d’harmonie, de concorde musicale. Il reste la preuve qu’un ex-Beatle peut être, aussi, le meilleur des partenaires, capable de se fondre dans un projet qui n’est pas le sien. Il reste, pour Gary Wright, un socle sur lequel bâtir la suite, une confirmation qu’il a trouvé la bonne formule pour faire vivre ses chansons : claviers mélodiques, section rythmique à la fois ferme et souple, cuivres par touches, chœurs féminins, guitares en dialogue.
Cet héritage partagé se mesure aussi à la façon dont les auditeurs parlent du disque aujourd’hui. On dit de ‘Footprint’ qu’il est un plaisir de réécoute, qu’il sonne comme une pièce un peu cachée dans l’édifice du rock de 1971, qu’il mérite d’être redécouvert pour sa mesure, sa chaleur, son équilibre. On souligne la justesse du jeu de George Harrison, sa capacité à éclairer sans éblouir, à chanter à la guitare ce que la voix de Gary Wright formule, à dessiner autour d’elle un cadre légèrement lumineux qui en rehausse la couleur.
Entre intimité et rayonnement : une collaboration modèle
‘Footprint’ est, à sa manière, un modèle de collaboration. Il montre comment des personnalités fortes peuvent cohabiter sans rivalité, comment la clarté des rôles – l’auteur-chanteur au centre, l’ami guitariste en ornement, la section rythmique en colonne vertébrale, les cuivres et les chœurs en relief – produit un tout plus solide que la somme de ses parties. Harrison n’y recherche pas l’éclat ; il offre l’évidence. Wright n’y recherche pas la démonstration ; il offre la cohérence. L’auditeur, en retour, y trouve une plénitude.
Cette plénitude tient aussi à la qualité du temps trouvé ensemble. On sait l’importance, chez Harrison, de la notion d’attention au présent, de présence au monde. On la perçoit dans son jeu : une ligne à la fois concentrée et détendue, une justesse de relation avec les autres. Sur ‘Footprint’, cette attention est partagée. Le disque, dans sa simplicité, en est la démonstration.
Après ‘Footprint’ : trajectoires qui se recroisent
Les trajets de George Harrison et Gary Wright continueront de se croiser au fil des années 1970. Ils joueront encore ensemble, écriront, se retrouveront au gré des sessions. Ces redites ne sont jamais de trop. Elles disent le plaisir de la compagnie, la confiance qu’on peut faire à l’oreille de l’autre, la facilité avec laquelle on reprend une conversation musicale interrompue. ‘Footprint’ restera, pour cette histoire, une borne claire. Il est le souvenir d’un geste simple, celui d’un ami qui vient, qui écoute, qui joue. Il est le portrait d’un auteur-chanteur qui, en 1971, sait déjà dessiner la maison sonore dans laquelle sa voix se sentira bien.
Pour les passionnés de Yellow-Sub.net, qui aiment cartographier les ramifications de la galaxie Beatles, ‘Footprint’ offre une case de plus à relier, un chemin latéral à emprunter pour mieux comprendre le cœur de l’ouvrage. On y mesure, une fois de plus, combien la musique des anciens Beatles ne se limite pas à leurs albums, mais rayonne dans les disques d’amis, d’alliés, de compagnons d’un moment. La guitare slide de George y demeure ce qu’elle est : une signature tendre, l’empreinte de George Harrison dans la maison d’un autre.
L’empreinte d’un ami
Le titre ‘Footprint’ prend alors tout son sens. L’empreinte, ici, n’est pas un pas lourd imprimé dans le sol, c’est la trace légère et lumineuse d’un passage. C’est la marque que George Harrison laisse sur le disque de son ami Gary Wright, non pas pour l’occuper, mais pour l’éclairer. C’est, au fond, la meilleure définition de l’amitié musicale : la capacité de faire briller l’autre en demeurant soi-même. À l’écoute, on se souvient alors de ce que l’on sait déjà de George : sa gentillesse en studio, sa présence attentive, son humour discret, sa manière d’accorder la guitare comme on accorde une conversation.
‘Footprint’ demeure ainsi un objet attachant, un instantané d’une année 1971 foisonnante, un dialogue entre claviers et slide, entre chœurs soul et cuivres rondes, entre section rythmique exemplaire et voix chaleureuse. Pour celles et ceux qui aiment la grande histoire autant que les détails, il offre une matière riche, et pour celles et ceux qui aiment simplement les bonnes chansons, il offre ce que la musique peut proposer de plus beau : un élan sincère, une écoute attentive, une empreinte qui reste.
