Le neuvième épisode de The Beatles Anthology sur Disney+ suscite à la fois émotion et réserve. S’il restitue avec sensibilité les sessions de 1994–1995 et offre quelques phrases mémorables de George Harrison, il déçoit les fans aguerris par l’absence de vraies séquences inédites et de moments cultes. Synthèse élégante plus que révélation archéologique, cet épilogue soulève la question d’une édition plus complète pour les passionnés d’histoire Beatles.
Le retour de The Beatles Anthology avec un neuvième épisode devait être un petit événement. Trente ans après la diffusion initiale de la série, l’idée de rouvrir la porte du projet – au cœur même de l’atelier Beatles des années 1994–1995, lorsque Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr réécoutent des bandes, improvisent, affûtent des ébauches et mettent sur pied “Free As A Bird” et “Real Love” – avait de quoi faire vibrer la corde sensible. Pour les nouveaux fans, la promesse était limpide : vivre, de l’intérieur, un moment de création tardive qui prolonge l’histoire. Pour les inconditionnels déjà familiers des DVD de bonus, des EPK d’époque et des director’s cuts circulant sous le manteau, l’attente tenait à autre chose : la perspective de vraies images inédites, de phrases encore jamais entendues, d’un pas de côté suffisamment affirmé pour justifier cette nouvelle livraison.
Or, l’épisode 9 que beaucoup ont découvert correspond exactement à ce que les spectateurs les plus prudents anticipaient : un montage propre et fluide, très agréable à regarder, narrativement cohérent, mais dont l’essentiel du matériau visuel avait déjà été aperçu ailleurs, sous des formes plus ou moins éparses. Autrement dit, une mise en forme élégante plutôt qu’une fouille archéologique mettant au jour des trésors restés vierges. En ce sens, l’épisode remplit partiellement son contrat : il synthétise, il contextualise, il raconte – mais il surprend peu celles et ceux qui connaissent les recoins du corpus.
Sommaire
- « Déjà-vu » en studio : quand l’émotion se heurte à la mémoire des images
- Les scènes manquantes qui piquent : le petit sel de l’Anthology d’hier
- George Harrison, colonne vertébrale du récit : des citations appelées à devenir virales
- “Free As A Bird”, “Real Love”, “Now And Then” : promesses, limites et angles morts
- Un épisode « parfait pour débuter »… mais en demi-teinte pour les vétérans
- La dramaturgie Harrison : entre retrait pudique et coups d’éclat
- Paul, moteur et gardien des formes : la volonté de « finir la chanson »
- Ringo, baromètre d’atmosphère : peu de nouvelles images, l’essentiel de sa fonction
- Un montage plus lisse, plus narratif : gains de clarté, pertes de scories précieuses
- Ce que l’épisode 9 dit – encore – des Beatles : trois rapports au temps
- Ce que gagnerait une édition « patrimoniale » complémentaire
- Au-delà des coupes : ce que l’épisode 9 apporte vraiment
- Un mot sur la réception : entre enthousiasme raisonnable et déception raisonnée
- Conclusion : un bel épisode d’introduction, un rendez-vous manqué avec l’archéologie fine
- En guise de post-scriptum : pourquoi cet épisode nous importe autant
- À retenir
« Déjà-vu » en studio : quand l’émotion se heurte à la mémoire des images
Le cœur du neuvième épisode se concentre sur ces journées de studio où Paul, George, Ringo et George Martin se replongent dans les archives, écoutent des prises alternatives, se laissent gagner par la nostalgie lucide, commentent des fragments de “Tomorrow Never Knows” ou l’architecture de la suite d’“Abbey Road”**. Cette pédagogie par l’écoute a toujours constitué l’un des charmes de l’Anthology : entendre des Beatles réagir à leurs propres œuvres, remettre les choses en place, corriger des idées reçues, se taquiner parfois.
Dans l’épisode 9, ces moments existent et fonctionnent. Mais pour le public chevronné, ils sonnent souvent comme des réapparitions plutôt que des découvertes. On reconnaît des angles de caméra, des échanges, des paroles qui, déjà, peuplaient la mémoire des fans. La joie de retrouver ces scènes demeure, bien sûr, tangible : voir George Martin sourire, Ringo décocher une remarque, Paul se pencher sur un détail de mixage ou sur une couche vocale suffit à raviver la tendresse que l’on porte à ces quatre silhouettes. Mais l’enthousiasme est tempéré par le sentiment que l’inédit se niche plus dans l’agencement que dans la matière première.
Le meilleur de ces séquences tient, paradoxalement, à leur normalité : ces Beatles de milieu des années 1990 ne posent pas, ne rejouent pas le mythe ; ils travaillent, avec une mécanique parfois lente, souvent modeste, faite de regards, de silences, d’interruptions et de rire bref. La muséographie Beatles a longtemps vécu d’objets sacralisés ; ici, le processus – fut-il déjà connu – redevient humain. C’est peut-être là l’apport secret de ce nouvel épisode : banaliser un peu le mythe pour mieux le rendre à la vérité des gestes.
Les scènes manquantes qui piquent : le petit sel de l’Anthology d’hier
La frustration des spectateurs avertis ne vient pas seulement du déjà-vu. Elle tient à ce qui manque. Des moments drôles, décalés ou taquins – ceux-là mêmes qui ont l’art d’ancrer les Beatles dans une forme de quotidien familier – n’apparaissent pas. L’instant où George Harrison demande sur quel album figure “Golden Slumbers”, souvent cité comme un éclat de malice et de mémoire musicale en mouvement, n’est pas conservé ici. C’est un détail, dira-t-on ; mais les détails font les légendes. L’Anthology a précisément bâti sa force sur cet alliage de grande histoire et de micro-scènes savoureuses, capables de faire sourire et réfléchir tout à la fois.
Autre regret exprimé par nombre de fans : la jam documentée de Paul, George et Ringo, déjà connue elle aussi, s’arrête avant un clin d’œil apprécié – celui où George réclame la “short version” de “Blue Moon Of Kentucky”. Rien de dramatique, certes, mais l’absence de ce grain d’humour enlève quelque chose à la texture générale. Les expressions de George, la légère lassitude qu’on lit sur son visage, ce mélange de tendresse et d’ironie qui lui est propre, étaient devenus pour beaucoup partie prenante de l’expérience. En filigrane se dessine un George Harrison tout en ambivalence : présent, complice, mais jaloux d’un tempo intérieur qui n’est pas celui de la nostalgie à marche forcée.
George Harrison, colonne vertébrale du récit : des citations appelées à devenir virales
S’il est un héros discret de cet épisode, c’est bien George. Ses phrases – parfois sarcastiques, toujours lucides – sonnent aujourd’hui avec la force des évidences. Elles semblent prêtes à circuler en captures d’écran, à s’imprimer dans les esprits des plus jeunes, à rejointoyer la mémoire de celles et ceux qui, depuis l’Anthology, entendent sa voix comme un contrepoint moral à la tentation d’une autocélébration trop facile.
Parmi les idées fortes qu’on retient, cette intuition presque cinématographique : réanimer une voix du passé pour l’accompagner d’un écrin présent. George raconte comment, des années plus tôt, il avait imaginé utiliser la voix d’Elvis Presley sur un titre des Traveling Wilburys après la mort de Roy Orbison – geste de cinéaste sonore autant que de musicien. Cette piste n’a pas abouti à l’époque ; elle réapparaît ici comme un fil qui relie la fabrique Wilbury et la fabrique Beatles des années 1990 : comment faire parler les absents sans trahir leur tempérament ?
Autre formule appuyée, qui gagnera sans doute en postérité : l’Anthology aurait été impossible au milieu des années 1970. Les plaies étaient trop vives, les malentendus trop épais, les affaires trop présentes. Il fallait du temps. On a parfois la tentation de réécrire les calendriers pour les faire coller à nos désirs ; George, lui, rappelle l’évidence : on ne force pas une réconciliation historique. En 1994–1995, quelque chose devient possible – pas tout, pas toujours, mais assez pour travailler ensemble, écouter encore la voix de John, composer avec l’absence et en tirer des chansons.
“Free As A Bird”, “Real Love”, “Now And Then” : promesses, limites et angles morts
Que montre, précisément, l’épisode 9 de ces sessions qui ont redonné au catalogue Beatles des prolongements inattendus ? Pour un œil exercé, environ dix minutes de matière nouvelle émergent dans cette zone si sensible : travail à partir des démo-cassettes de John, réglages sur des claviers, commentaires sur des équilibres de prises, essais de timbres, ébauches de pistes qui interrogent l’espace à laisser à la voix de Lennon. C’est là que le film est le plus émouvant : quand Paul se projette déjà vers “Now And Then”, George baisse la tête, rechigne, et l’on sent – sans qu’on ait besoin de gros plans appuyés – deux philosophies du temps qui se frôlent.
Paul McCartney apparaît enthousiaste, combattif, animé par cette énergie qui le pousse, depuis toujours, à finir les morceaux, à chercher la prise qui tient, à revenir sur un mot s’il faut. George Harrison, lui, semble juger que le compromis acceptable a déjà été atteint avec “Free As A Bird” et “Real Love”. Revenir encore, ouvrir encore des boîtes, ré-agencer les fantômes, le tente moins. Cette dissonance d’humeur, nul besoin d’en faire un drame : elle raconte une vérité simple, celle de trois artistes qui, à ce stade de leur vie, n’ont pas le même rapport au passé. L’épisode 9 n’occulte pas ce frottement ; il le cadre avec tact.
La phrase attribuée à Paul – « On pourra toujours y revenir » à propos de “Now And Then” – résonne aujourd’hui d’un double écho, puisqu’on sait qu’il y reviendra effectivement bien plus tard. Ce retour d’aujourd’hui n’appartient pas au champ de l’épisode 9 ; le film reste ancré dans les années 1990 et leur logiciel émotionnel : faire ce qu’on peut ensemble, admettre qu’on n’ira pas plus loin que deux chansons pour l’instant, et laisser au temps la charge de décider s’il y aura un troisième mouvement.
Un épisode « parfait pour débuter »… mais en demi-teinte pour les vétérans
Résumons sans complaisance : pour le grand public ou pour quelqu’un qui découvre seulement la trame de l’Anthology, ce neuvième épisode est idéal. Il situe clairement les enjeux, déplie les moments clés, donne aux portraits une épaisseur affective et fait sentir ce qu’a pu représenter l’idée même de retravailler un héritage aussi lourd. C’est clair, nerveux, lisible ; c’est Becoming Beatles version années 1990 : non plus comment devenir le plus grand groupe du monde, mais comment vivre avec ce statut, très longtemps après.
Pour les fans aguerris, ceux qui ont usé leurs DVD de bonus, scruté les rushes circulant en off, mémorisé des expressions, noté le clignement d’un regard, l’épisode est moins généreux. Il assemble plus qu’il ne dévoile, confirme plus qu’il n’invente, met en forme plus qu’il n’explore. Ce n’est pas un reproche en soi : tout le monde n’attend pas d’un nouvel état de l’Anthology qu’il se mue en édition critique bardée d’annotations pour exégètes. Mais la promesse émotionnelle d’un rendez-vous neuf avec des images neuves n’est honorée qu’à la marge.
Le manque se fait sentir d’autant plus que deux ou trois scènes désormais familières – “Golden Slumbers” localisé avec un sourire, la “short version” de “Blue Moon Of Kentucky” – se dérobent. Rien de structurel, mais quelque chose de sensible : ces miettes qui faisaient pain dans le souvenir ne sont plus là. On peut souhaiter, à l’avenir, une édition parallèle qui rassemble ces minuties et propose une lecture patrimoniale aussi radicale dans la conservation que l’épisode 9 l’est dans la lisibilité.
La dramaturgie Harrison : entre retrait pudique et coups d’éclat
S’il fallait nous livrer une clé d’interprétation pour l’épisode 9, ce serait la ligne Harrison. Elle culmine en deux mouvements. D’abord, l’intellectuel : George réfléchit à voix haute aux formes que peut prendre une continuation Beatles sans John. Sa remémoration de l’idée d’utiliser une voix d’Elvis dans un projet Wilbury n’est pas une provocation ; c’est une tentative de penser la technique comme prothèse poétique : comment faire place à un absent sans l’asservir ?
Ensuite, l’affect : toutes ces micro-résistances déjà connues de l’homme – la gêne face à la rétro-exploitation, la vigilance à ne pas folkloriser ce qu’ils ont construit, le besoin de ne pas s’y noyer. À l’écran, cela se traduit par des gestes et des postures que les fans lisent en creux : un demi-sourire, un regard baissé, un silence qui dit autre chose que la phrase prononcée juste avant. George est là tout entier : loyal, utile, lucide, mais réticent à l’idée de prolonger indéfiniment la nostalgie. Cette réserve n’a rien de négatif ; elle protége l’histoire au lieu de la consumer.
Paul, moteur et gardien des formes : la volonté de « finir la chanson »
À rebours, Paul McCartney incarne l’autre versant du geste Beatles tardif. S’il propose de revenir à “Now And Then”, ce n’est pas par simple goût du revival, mais par fidélité à sa façon de faire : ouvrir les morceaux, écouter longtemps, tester, arranger, revenir, jusqu’à ce qu’une structure tienne. Cette insistance peut agacer ; elle a pourtant produit une part non négligeable des miracles du catalogue. L’épisode 9 saisit cela assez bien : Paul avance, George freine, Ringo équilibre, George Martin cadre. Les rôles de chacun ne sont pas des caricatures, mais des forces qui se composent.
Ce contraste n’est pas nouveau – il traverse toute l’Anthology depuis 1995 – ; il est ici réexposé avec un grain qui respecte la chronique plus qu’il n’orchestre un duel. On n’a pas affaire à une histoire de gagnants et de perdants, mais à une dialectique qui permet la naissance de deux chansons et interdit peut-être la troisième – du moins à ce moment-là. L’honnêteté du film tient à cette clôture ouverte : en 1995, c’est non pour “Now And Then” ; en soi, cela ne prouve rien quant à l’avenir.
Ringo, baromètre d’atmosphère : peu de nouvelles images, l’essentiel de sa fonction
Ringo Starr est fidèle à ce que l’Anthology a toujours montré de lui : un baromètre d’atmosphère, un équilibriste qui apaise, relance, détourne légèrement quand il faut, et surtout fixe par ses réactions la température émotionnelle de la pièce. L’épisode 9 ne lui donne pas davantage de terrain qu’auparavant, et c’est presque logique : la topographie de ces journées est dominée par l’impulsion de Paul et la réserve de George ; Ringo, lui, fait lien. On peut regretter l’absence de ces punchlines qui, historiquement, éclairent les tensions d’un éclat d’humour ; mais la présence demeure, discrète et juste.
Un montage plus lisse, plus narratif : gains de clarté, pertes de scories précieuses
L’impression globale laissée par l’épisode 9 est celle d’un montage lisse, narratif, qui s’adresse à un public large. Clarté des enchaînements, respiration bien rythmée, qualité d’image et de son conformes aux exigences actuelles : il y a, objectivement, beaucoup à apprécier. En contrepartie, l’épisode évacue certaines scories – ces irruptions de hasard, ces micro-lapsus, ces clins d’œil – que les fans considèrent comme partie intégrante de l’ADN Anthology. On comprend le choix éditorial, sans forcément le partager : l’Anthology n’est pas seulement un récit, c’est aussi un inventaire de moments.
Il est, de ce point de vue, utile de distinguer deux usages. Usage 1 : faire découvrir à un public nouveau les coulisses de la réactivation Beatles des années 1990, et lui offrir un parcours concis et émouvant. Usage 2 : documenter pour mémoire tous les états possibles d’une journée – y compris ses hésitations, ses silences, ses erreurs, ses éclats non immédiatement “utiles” au récit. L’épisode 9 choisit clairement le premier usage. C’est son droit. Mais l’Anthology avait habitué une partie du public à la générosité du second.
Ce que l’épisode 9 dit – encore – des Beatles : trois rapports au temps
Au-delà du décompte des séquences, cet épisode réaffirme une leçon que l’Anthology enseignait déjà : les Beatles se définissent par leur rapport au temps. Paul projette – il veut finir, façonner, donner forme. George présentifie – il protège l’instant, résiste à l’inflation mémorielle, sauvegarde ce qu’ils ont sans vouloir en fabriquer toujours plus. Ringo stabilise – il règle la pression, mesure l’intensité, garantit un ton qui empêche l’émotion de déborder. George Martin, figure tutélaire, organise l’espace du travail. Ces rôles n’ont rien de rigide ; ils varient, s’interpénètrent, s’inversent parfois. Mais l’épisode 9 les redessine avec netteté.
On comprend ainsi pourquoi certaines scènes – celles, précisément, que les fans regrettent – comptent tant : elles montrent le dialogue du temps et du présent, le bruissement de ce qui échappe aux structures. C’est là que la magie Beatles se logea souvent : dans le non prévu, le non écrit, l’entre. L’épisode 9 le capture par moments, mais préfère le fil narratif à la fleur de hasard.
Ce que gagnerait une édition « patrimoniale » complémentaire
Face à ces constats, une idée s’impose : adjoindre à cette version une édition patrimoniale qui rassemblerait ces éphémères si parlants – l’interrogation de George sur “Golden Slumbers”, la “short version” de “Blue Moon Of Kentucky”, d’autres bribes logées dans la mémoire des téléspectateurs. Non pas pour défaire l’épisode 9, mais pour le compléter par un appareil de notes filmées, comme on le fait en édition critique pour un roman. L’Anthology, par sa nature, s’y prête : c’est une œuvre-archive, ouverte, stratifiée, faite de versions successives qu’il est légitime d’exposer plutôt que de fusionner.
En pratique, cela reviendrait à assumer l’ambition double de l’Anthology maintes fois répétée par ses artisans : raconter pour tous et conserver pour chacun. Le grand public y trouverait la voie claire ; les spécialistes et les curieux y gagneraient le droit à l’épaisseur.
Au-delà des coupes : ce que l’épisode 9 apporte vraiment
On aurait tort de bouder les gains réels de ce neuvième épisode. Recontextualiser la période 1994–1995, réentendre les discussions autour de “Free As A Bird” et “Real Love”, ressaisir la logique intime qui conduit à renoncer – provisoirement – à “Now And Then”, voir George Martin dans sa fonction de gardien du son… tout cela compte. Chaque gros plan sur une bande, chaque souffle capté près d’un micro, chaque échange de regards rappelle pourquoi l’Anthology demeure unique : parce qu’elle raconte les Beatles par eux-mêmes, au présent de l’époque où elle est filmée.
L’impression, au terme du visionnage, est claire : les Beatles ne sont pas revenus en 1994–1995 pour ressusciter un passé ; ils sont revenus pour l’habiter juste ce qu’il faut, pour s’assurer qu’il ne s’éteigne pas en objet de musée, mais qu’il respire encore dans des chansons qui portent leur empreinte. L’épisode 9 réussit à resituer ce geste dans toute sa mesure – modeste et immense à la fois.
Un mot sur la réception : entre enthousiasme raisonnable et déception raisonnée
La réaction du public a tout d’une balance. Côté positif, l’épisode 9 conforte la puissance émotionnelle et la clarté pédagogique d’un récit que des générations de fans chérissent. Il donne des phrases à George qui, très vite, deviendront des maximes ; il redonne à Paul sa figure de moteur, à Ringo sa fonction d’équilibre, à George Martin son autorité apaisante. Il rafraîchit la mémoire des années 1990 en un coup d’œil élégant.
Côté critique, il déçoit celles et ceux qui attendaient un lot substantiel de “vraiment inédit” : plus d’atelier, plus de fails, plus de bouts de phrases laissés à nu, plus de ces instants où les Beatles échappent à l’histoire pour redevenir des hommes. C’est un choix éditorial ; il laisse, toutefois, flotter une légère sensation d’inachevé.
Conclusion : un bel épisode d’introduction, un rendez-vous manqué avec l’archéologie fine
En un mot, l’épisode 9 est un excellent premier contact pour un public neuf. Lisible, sensible, bien composé, il complète l’Anthology par un épilogue qui réinscrit 1994–1995 dans la grande fresque Beatles. Mais pour les fans chevronnés, le compte n’y est pas tout à fait : trop de matière déjà connue, trop de petits manques sur des moments qui comptent, pas assez de matières premières nouvelles à croquer.
La solution, à terme, tient sans doute en deux axes. Premier axe : respecter la lisibilité grand public en conservant cet épisode 9 tel qu’il est, efficace et émouvant. Second axe : ouvrir un dossier patrimonial où l’on range les scènes chéries – “Golden Slumbers” retrouvé sur le vif, la “short version” de “Blue Moon Of Kentucky”, et toutes ces perles qui font l’âme de l’Anthology. C’est le prix à payer pour satisfaire deux usages légitimes : initier et archiver. Les Beatles méritent les deux.
En guise de post-scriptum : pourquoi cet épisode nous importe autant
S’il est si débattu, c’est que l’épisode 9 touche à l’intime de ce que l’Anthology a toujours cherché : montrer la musique en tant que travail. Regarder Paul, George, Ringo et George Martin écouter des bouts de bandes, trier, peser, tenter – c’est voir ce que l’histoire officielle montre rarement : la lenteur, la fragilité et la contradiction comme matières de création. Qu’une partie de ce matériau soit déjà connue n’enlève rien à sa valeur ; cela change seulement l’effet de surprise. Qu’une poignée de fragments précieux soient absents n’ôte pas la dignité du travail ; cela rappelle que l’Anthology, par essence, est une œuvre ouverte.
Le meilleur hommage que l’on puisse lui rendre est de reconnaître sa double mission : émouvoir sans dissimuler, expliquer sans appauvrir, rassembler sans raboter. L’épisode 9 choisit la pédagogie avant l’archéologie. À l’avenir, nul empêchement à ce qu’une autre version, plus exhaustive, prenne en charge les fragments que les fans réclament. En attendant, on peut apprécier l’épisode pour ce qu’il est, et garder vivante la revendication de ce qu’il pourrait être : un atelier montré dans sa totalité, avec ses longueurs, ses éclats, ses absences et ses retours.
À retenir
L’épisode 9 de The Beatles Anthology réussit à remettre en lumière les journées de studio des années 1994–1995 et à redonner la parole – parfois tranchante, souvent juste – à George Harrison, dont certaines citations ont tout pour devenir des références. Il montre Paul McCartney dans son rôle de moteur, Ringo Starr en régulateur d’atmosphère et George Martin en gardien des formes. Il frustre toutefois les vétérans par son caractère déjà-vu et par l’absence de quelques moments devenus cultes. Beau chapitre d’introduction, il appelle désormais son pendant patrimonial, pour que chaque regard – du néophyte au lecteur de microfilms – trouve exactement ce qu’il cherche dans l’œuvre-archive la plus aimée du rock.
