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Sir George Martin : Le Cinquième Beatles et Artisan du Son

Publié le 02 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Sir George Martin, surnommé ‘le cinquième Beatles’, a marqué l’histoire de la musique populaire grâce à son rôle clé auprès des Beatles. Il a été producteur, compositeur et arrangeur pour le groupe, en innovant avec des sonorités orchestrales et des techniques d’enregistrement novatrices. De ses débuts à EMI en 1950 à sa collaboration avec McCartney et d’autres artistes après la séparation des Beatles, son parcours exceptionnel a influencé l’évolution du rock et de la pop, laissant un héritage i…


Né le 3 janvier 1926 dans le quartier de Highbury à Londres, Sir George Henry Martin est devenu l’un des plus illustres producteurs de l’histoire de la musique populaire. Il est parfois surnommé « le cinquième Beatles » tant son rôle auprès du quatuor de Liverpool a été déterminant. De la maîtrise des techniques d’enregistrement à l’exploration audacieuse des sonorités orchestrales, il a insufflé une créativité sans précédent à la musique pop et rock des années 1960, et au-delà. Plus de soixante ans de carrière l’ont amené à travailler non seulement avec les Beatles, mais aussi avec des artistes aussi variés que Cilla Black, Gerry and the Pacemakers, Jeff Beck, Shirley Bassey, ou encore Paul McCartney à titre solo. Sa personnalité élégante, sa curiosité intellectuelle et sa connaissance profonde du langage musical lui ont permis de faire évoluer le métier de producteur, le hissant au rang d’architecte sonore et de collaborateur artistique à part entière.

Sommaire

  • Un parcours atypique : de la Royal Navy à la musique
  • L’entrée chez EMI et la prise en main de Parlophone
  • La rencontre avec les Beatles : un nouveau chapitre
  • L’explosion de la Beatlemania et la naissance d’une complicité
  • De la conquête de l’Amérique à l’approfondissement musical (1964–1965)
  • L’essor de l’expérimentation : Rubber Soul et Revolver
  • Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band : la consécration
  • Des aléas de l’aventure : Magical Mystery Tour, The White Album et Let It Be
  • L’ultime chef-d’œuvre : Abbey Road
  • La touche George Martin et l’apport musical
  • Les comédies, la musique de film et d’autres horizons
  • Séparation d’EMI et création d’AIR
  • Les années post-Beatles et l’héritage George Martin
  • Un impresario reconnu : hommages et distinctions
  • Une disparition qui laisse un vide (1926–2016)
  • Un héritage vivace : la définition même du producteur artistique
  • Conclusion : un artisan de génie au service de la musique

Un parcours atypique : de la Royal Navy à la musique

George Martin grandit dans une famille modeste de Londres. Sa jeunesse se déroule au gré des déménagements, suivant les opportunités de travail pour ses parents. À l’âge de six ans, il découvre un piano familial, ce qui éveillera définitivement son intérêt pour la musique. Dépourvu de longues études académiques dans ce domaine, il acquiert néanmoins des bases solides en piano, en oboe et en clarinette, s’appuyant à la fois sur son oreille absolue et sur l’étude en autodidacte.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, George Martin a 13 ans. Trop jeune pour s’enrôler, il poursuit sa scolarité. À 17 ans, fasciné par les avions et le courage des aviateurs, il rejoint la Fleet Air Arm (la section aérienne de la Royal Navy). La guerre se termine avant que Martin ne participe à des opérations de combat, mais son passage dans la Marine forge son sens de la discipline et lui donne l’occasion de se produire une première fois en direct à la radio, lors d’un spectacle de la Royal Navy. Il y joue une composition personnelle au piano, posant un jalon important dans son parcours.

Après la guerre, George Martin tire profit du programme d’aide aux anciens combattants, grâce auquel il s’inscrit à la Guildhall School of Music and Drama. Il y étudie notamment la composition, l’orchestration et perfectionne sa technique pianistique. On le voit également s’intéresser à l’oboe. Sans pour autant se destiner d’emblée à devenir producteur, il nourrit alors le rêve de composer et de jouer de la musique classique, tout en développant un vif attrait pour le jazz et la pop naissante.

L’entrée chez EMI et la prise en main de Parlophone

En novembre 1950, George Martin est embauché par EMI en tant qu’assistant d’Oscar Preuss, directeur du label Parlophone. À l’époque, Parlophone est surtout réputé pour des disques de musique classique, des enregistrements de jazz traditionnel et quelques productions de variété ou d’humour. Lorsque Preuss prend sa retraite en 1955, George Martin, alors âgé de 29 ans, hérite du poste de directeur du label. Il est encore jeune, déborde d’idées, et se montre déterminé à faire fructifier la marque Parlophone, considérée comme mineure au sein du groupe EMI.

D’emblée, Martin enregistre des projets variés, allant du jazz au classique, jusqu’à la musique humoristique. Il collabore, par exemple, avec des figures comme Peter Sellers, Spike Milligan ou Bernard Cribbins, produisant des disques comiques et des albums de sketches. Son goût pour l’expérimentation le pousse à manipuler les bandes magnétiques, à ralentir ou accélérer des sons, à jouer sur des effets parfois insolites. C’est en partie grâce à ces disques de comédie qu’il acquiert l’assurance technique nécessaire pour, plus tard, tenter des innovations audacieuses dans la sphère pop-rock.

Parallèlement, George Martin se cherche un artiste ou un groupe qui pourrait incarner le renouveau de la pop anglaise. Il remarque un certain nombre de talents, par exemple le Vipers Skiffle Group ou encore Matt Monro, le chanteur qui connaîtra un beau succès. Cependant, c’est la scène de Liverpool qui éveillera finalement son intérêt le plus vif.

La rencontre avec les Beatles : un nouveau chapitre

En 1962, Brian Epstein, gérant de la boutique de disques NEMS à Liverpool et manager d’un jeune groupe nommé The Beatles, frappe aux portes d’EMI et de Decca pour tenter d’obtenir un contrat d’enregistrement. Les Beatles ont connu un refus chez Decca le 1ᵉʳ janvier 1962. Finalement, une suite d’heureux hasards et d’insistances internes au sein d’EMI conduisent George Martin à auditionner le quatuor. Le 6 juin 1962, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Pete Best (leur batteur de l’époque) se retrouvent à Abbey Road Studios.

Martin n’est pas immédiatement « bluffé » par leurs compositions, mais se dit impressionné par leur humour, leur spontanéité et leur charisme. Quand il demande aux Beatles s’ils n’ont rien à redire sur sa manière de travailler, George Harrison rétorque qu’il n’aime pas sa cravate. Cette insolence amusante scelle un début de complicité. Martin accepte de signer le groupe sur Parlophone. À ce moment, il juge cependant que la section rythmique n’est pas satisfaisante. Quelques semaines plus tard, Ringo Starr remplace Pete Best, et les séances d’enregistrement s’intensifient.

Après plusieurs tâtonnements, les Beatles gravent leur premier 45 tours, « Love Me Do », publié en octobre 1962. Le titre atteint la 17ᵉ place des charts britanniques, ce qui est déjà un beau succès pour un premier single. Martin, prudemment optimiste, continue à peaufiner la production. Il suggère à Lennon et McCartney de retravailler « Please Please Me ». Résultat : un single qui décroche la première place au Royaume-Uni début 1963, faisant basculer la carrière des Beatles dans la gloire naissante et affermissant la réputation de George Martin comme producteur innovant.

L’explosion de la Beatlemania et la naissance d’une complicité

Entre 1963 et 1964, les Beatles deviennent un phénomène national puis international, une Beatlemania envahit le Royaume-Uni et bientôt les états-Unis. George Martin se retrouve donc au centre d’une frénésie sans précédent : il produit leurs singles à un rythme soutenu, enchaîne les albums et se retrouve régulièrement à enregistrer en direct des idées nouvelles. C’est ainsi que le premier album, Please Please Me, est enregistré quasi intégralement en une journée marathon, le 11 février 1963. Il y applique sa rigueur, tout en laissant transparaître la fougue scénique du groupe.

Tout au long de 1963, Martin enchaîne les succès : « From Me to You », « She Loves You », « I Want to Hold Your Hand » deviennent tous n°1 au Royaume-Uni (et bientôt aux états-Unis). Le producteur apporte de légères modifications ou conseils, par exemple en accélérant un tempo, en ajoutant des claps, ou en changeant un pont musical. Il prépare également les versions finales. On peut citer l’anecdote de « She Loves You », dont la fameuse sixième majeure finale avait d’abord paru banale à Martin, mais que les Beatles ont défendue bec et ongles, imposant leur instinct.

À mesure que la renommée du groupe monte en flèche, George Martin se mue d’un producteur paternaliste – il est plus âgé, mieux formé en musique classique – en un collaborateur de confiance. Les Beatles, en particulier Lennon et McCartney, développent rapidement leurs compétences de composition, et Martin cultive leur talent en peaufinant l’instrumentation, l’ordre des chansons et la prise de son. Son sens de la structure, hérité de ses études de composition, est précieux pour magnifier l’énergie pop du groupe.

De la conquête de l’Amérique à l’approfondissement musical (1964–1965)

Début 1964, les Beatles débarquent aux états-Unis : c’est l’hystérie. Martin les accompagne parfois, notamment lorsqu’ils jouent au Carnegie Hall, même s’il se retrouve souvent en conflit avec Capitol, la filiale américaine d’EMI, qui n’a pas cru au potentiel du groupe au début. Pendant ce temps, les disques se vendent par millions, et Parlophone devient un label phare d’EMI.

En 1964, George Martin produit les bandes originales de deux films des Beatles : A Hard Day’s Night et Help!. Il compose également des arrangements orchestraux pour compléter la musique du groupe dans chaque long-métrage. Dans le cas de A Hard Day’s Night, la synergie entre Martin et les Beatles se fait clairement sentir : la chanson-titre ouvre des perspectives sur ce que peut être une bande-son rock de film. Martin décroche une nomination aux Oscars pour sa participation à la musique de A Hard Day’s Night.

Entre 1964 et 1965, Martin multiplie les initiatives sonores, soutenu par un groupe de plus en plus audacieux. Dans l’album Help!, il propose un arrangement de cordes pour « Yesterday » qui deviendra l’une des chansons les plus reprises de tous les temps. Paul McCartney, d’abord méfiant, se range à l’avis de Martin et accepte cet écrin classique, lequel fait ressortir la tendresse de ce titre. Ces choix confirment la place de Martin comme véritable co-créateur de l’esthétique Beatles.

L’essor de l’expérimentation : Rubber Soul et Revolver

À partir de 1965, les Beatles entament une phase plus expérimentale. L’album Rubber Soul (fin 1965) puis Revolver (1966) illustrent parfaitement ce virage. George Martin se retrouve au cœur d’une aventure fascinante : les Beatles veulent rompre avec la simple pop teintée de rock pour incorporer des influences folk, psychédéliques, indiennes, voire orchestrales. Martin leur propose des idées d’arrangements, supervise l’emploi d’instruments exotiques (sitar, tabla), de techniques d’enregistrement inédites (inversion de bandes, superpositions vocales, etc.). L’une des innovations marquantes : « In My Life », sur Rubber Soul, avec ce solo de piano joué par Martin en demi-vitesse, puis accéléré, lui donnant un timbre de clavecin.

En 1966, Revolver pousse encore plus loin. Martin enregistre « Tomorrow Never Knows », un morceau hallucinant de John Lennon où boucles, bandes inversées et sonorités extraterrestres dessinent un univers jusqu’alors inconnu dans la pop. Martin, épaulé par les ingénieurs du son Geoff Emerick et Ken Townsend, exploite la console d’EMI comme un véritable laboratoire d’innovations. Il en résulte des arrangements de cordes pour « Eleanor Rigby », un mariage de musique occidentale et indienne dans « Love You To », des effets de studio sur « I’m Only Sleeping », etc. De l’avis général, l’album Revolver constitue un chef-d’œuvre d’audace, dont George Martin peut revendiquer une part notable.

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band : la consécration

Peu après, les Beatles cessent de donner des concerts, préférant se concentrer sur les studios. De décembre 1966 à avril 1967, ils élaborent Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, considérée comme l’une des pierres angulaires de la musique populaire. Martin collabore étroitement à chaque étape. Il orchestre par exemple la section de cors sur la chanson-titre, le passage orchestré hallucinant de « A Day in the Life », la superposition de sons pour « Being for the Benefit of Mr. Kite! », et se montre encore plus prêt à tester des techniques de mixage extravagantes.

Sgt. Pepper est un triomphe commercial et critique lors de sa sortie en juin 1967. L’album rafle le Grammy Award de l’Album de l’année, une première pour un album rock. George Martin, depuis son poste de producteur, est célébré comme un artisan essentiel de ce succès. Les innovations audacieuses de l’album (bandes inversées, collages, orchestrations déroutantes) influenceront toute une génération de musiciens.

Des aléas de l’aventure : Magical Mystery Tour, The White Album et Let It Be

En 1967, Brian Epstein décède subitement. Les Beatles, orphelins de leur manager, se dispersent un peu, et Martin constate un affaiblissement de leur dynamique. Néanmoins, il reste présent pour la suite, Magical Mystery Tour, projet audiovisuel diffusé à la télévision à Noël 1967, qui reçoit un accueil mitigé. Pourtant, musicalement, Martin apporte encore sa touche : on peut noter « I Am the Walrus » et son orchestration baroque-surréaliste, ou les interventions de cuivres.

En 1968, avec The Beatles (surnommé The White Album), la tension grandit dans le groupe. Martin se montre moins directif, laissant parfois les Beatles régler leurs différends. L’album, devenu double, révèle davantage de disparités individuelles. Martin prend tout de même en charge plusieurs orchestrations (comme « Good Night ») et des arrangements de cuivres. Malgré les conflits internes, l’album se vend à des millions d’exemplaires.

Puis vient le projet Get Back, censé montrer les Beatles jouant ensemble sans artifices. Les sessions, filmées pour le futur documentaire Let It Be, se déroulent en janvier 1969 dans une ambiance morose (à Twickenham), avant de se déplacer au studio improvisé du sous-sol d’Apple Corps. Martin est quelque peu mis de côté : John Lennon ne veut plus de « production », aspirant à un son brut. Glyn Johns assure une partie des enregistrements, tandis que Martin reste néanmoins en coulisses. Les chansons enregistrées à cette période donneront Let It Be, finalement retravaillé par Phil Spector en 1970, à la demande de John Lennon et d’Allen Klein. Martin désapprouve certaines surenchères orchestrales de Spector, trouvant qu’elles trahissent l’esthétique originelle du groupe.

L’ultime chef-d’œuvre : Abbey Road

Avant même que l’album Get Back (qui deviendra Let It Be) ne soit finalisé, les Beatles décident de tenter un dernier baroud d’honneur. Paul McCartney contacte George Martin pour lui demander de produire le prochain disque. Ce sera Abbey Road, enregistré entre avril et août 1969. Martin accepte sous réserve de revenir aux méthodes de collaboration des premières années, plus respectueuses et structurées.

Le résultat est un chef-d’œuvre où Martin s’implique beaucoup, en particulier dans la fameuse face B, bâtie comme un medley qui enchaîne plusieurs chansons inachevées. Il conçoit et supervise les transitions, les arrangements, la cohésion globale. Abbey Road sort en septembre 1969 et se classe numéro 1 au Royaume-Uni, numéro 1 aux états-Unis. Il est plébiscité pour ses trouvailles mélodiques, son ingéniosité sonore et son unité artistique, incarnant un chant du cygne magistral pour les Beatles. Martin dira plus tard que c’est le disque auquel il a le plus contribué, ce qui se ressent dans la fluidité orchestrale de la face B et dans des titres comme « Something » ou « Here Comes the Sun ».

Après la séparation des Beatles, Martin continue de travailler sporadiquement avec chacun : il produit en 1973 « Live and Let Die » pour Paul McCartney et Wings, supervise des projets de Ringo Starr ou collabore à la remastérisation de divers enregistrements. Il officie également dans d’autres genres, devenant un producteur très sollicité. Son label indépendant, Associated Independent Recording (AIR), qu’il a fondé en 1965, accueille des enregistrements de Jeff Beck, America, Ultravox, Little River Band, etc.

La touche George Martin et l’apport musical

Au-delà du chapitre Beatles, George Martin déploie une approche singulière de la production : ériger le studio en instrument à part entière. Son bagage classique lui permet de composer des arrangements de cordes, de vents, d’ensembles orchestraux variés, tout en étant parfaitement ouvert aux innovations pop-rock. Il s’avère peu dogmatique, prêt à manipuler les bandes magnétiques, à superposer des pistes ou à encourager ses ingénieurs de son (comme Geoff Emerick) à enfreindre les règles strictes d’EMI.

Dans le cas de « Strawberry Fields Forever », on voit un Lennon visionnaire réclamant la fusion de deux prises en tonalités et tempos distincts. Martin, avec Emerick, trouve la ruse de modifier la vitesse de chaque prise pour les faire concorder. De même, sur « Tomorrow Never Knows », Martin valide et affine l’idée d’utiliser des boucles de bande à l’envers, ce qui confère à la chanson une texture psychédélique.

Sur un plan plus général, Martin insiste sur la brièveté des morceaux, l’importance du hook (accroche), l’équilibre entre voix et instruments, l’exploration de progressions harmoniques inhabituelles. Cette science de la production se met au service non seulement des Beatles, mais d’autres artistes variés : Cilla Black, Billy J. Kramer, Gerry and the Pacemakers, America, etc.

Les comédies, la musique de film et d’autres horizons

Avant de devenir « le cinquième Beatles », George Martin s’est déjà taillé une solide réputation dans la production de comédies et de disques humoristiques. Il travaille avec Peter Sellers, Bernard Cribbins, The Goon Show, offrant parfois un terrain d’expérimentation pour des techniques de studio (accélération, superposition). Cette familiarité avec la comédie l’amène à mettre au point des montages audacieux qui, plus tard, serviront la cause du rock.

Sur le plan cinématographique, Martin écrit ou arrange divers scores, dont les musiques des films des Beatles (A Hard Day’s Night, Yellow Submarine). Il signe la bande originale de Live and Let Die, un James Bond de 1973, dont le thème principal, interprété par Paul McCartney & Wings, connaîtra un succès énorme. De fait, Martin touche à la fois la production pop et l’écriture symphonique.

Séparation d’EMI et création d’AIR

En 1965, exaspéré par des désaccords financiers, George Martin quitte EMI, chez qui il se sent sous-payé malgré le succès colossal des Beatles. Il fonde alors Associated Independent Recording (AIR) avec d’autres collaborateurs, enregistrant notamment dans ses propres studios. De nombreux artistes lui font confiance, confortés par l’aura qu’il a acquise avec les Beatles. Les studios AIR de Londres, puis l’annexe caribéenne AIR Montserrat (inaugurée en 1979), deviennent des références pour la qualité du son. Montserrat attirera des pointures (Sting, Elton John, Dire Straits) avant d’être détruit par un ouragan en 1989.

Les années post-Beatles et l’héritage George Martin

Après la dissolution des Beatles, Martin ne disparaît pas des radars. Il travaille, par exemple, avec Jeff Beck (albums Blow by Blow et Wired), America (il produit sept de leurs albums, dont Holiday, Hearts et Hideaway), ou encore le groupe Cheap Trick. Il retrouve Paul McCartney sur divers projets, dont la chanson « Live and Let Die », la B.O. du film Give My Regards to Broad Street, et contribue à des arrangements pour Tug of War ou Pipes of Peace.

Dans les années 1990, Martin participe activement au projet The Beatles Anthology, qui redécouvre des enregistrements rares du groupe. Il surveille les mixages, tâche partagée avec son fidèle ingénieur Geoff Emerick. Sa santé auditive commence alors à décliner sérieusement, si bien qu’il laisse à d’autres la production effective de deux nouveaux titres (les fameuses reconstitutions « Free as a Bird » et « Real Love »). Il reste toutefois un pilier consulté pour valider l’authenticité de l’approche.

Vers le milieu des années 2000, Martin s’associe à son fils Giles pour concevoir le spectacle Love du Cirque du Soleil à Las Vegas, dédié aux Beatles. Le travail d’assemblage de bribes de chansons, de mash-ups et d’effets sonores couronne son ingéniosité, aboutissant à un album remarqué en 2006, simplement intitulé Love.

Un impresario reconnu : hommages et distinctions

Outre le titre de « cinquième Beatles » attribué par Paul McCartney, George Martin reçoit de nombreux honneurs. Il est anobli en 1996, devenant Sir George Martin pour « services rendus à l’industrie musicale ». Il est intronisé au Rock and Roll Hall of Fame en 1999. Son nom figure aussi au UK Music Hall of Fame en 2006. Par ailleurs, il obtient plusieurs Grammy Awards, dont celui de l’Album de l’année pour Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en 1968, le premier album rock ainsi récompensé. Au fil de sa carrière, Martin produit pas moins de 30 singles n°1 au Royaume-Uni et 23 aux états-Unis, un palmarès inégalé pour un producteur britannique à cette époque.

Ses talents d’arrangeur et de compositeur sont sollicités jusqu’à la fin de sa vie. En 1998, il collabore avec Yoko Ono et retravaille une démo de John Lennon, « Grow Old with Me », y ajoutant des parties orchestrales. Il travaille enfin sur l’album Love avec son fils Giles, misant sur une relecture moderne du répertoire des Beatles pour le Cirque du Soleil, projet achevé en 2006.

Une disparition qui laisse un vide (1926–2016)

Sir George Martin s’éteint le 8 mars 2016 dans sa maison d’Oxfordshire, à l’âge de 90 ans. L’annonce de son décès par Ringo Starr suscite un émoi considérable dans le monde entier. Les hommages affluent, soulignant le rôle inestimable joué par Martin dans l’évolution de la musique populaire. Paul McCartney déclare : « Si quelqu’un a mérité le titre de cinquième Beatles, c’est George ». C’est un témoignage de la reconnaissance envers celui qui a mis sa rigueur, sa sensibilité harmonique et sa curiosité au service d’un groupe hors norme, contribuant ainsi à forger les œuvres phares de la pop culture du XXᵉ siècle.

Un héritage vivace : la définition même du producteur artistique

George Martin a ouvert la voie à une conception du producteur musical comme véritable artisan, voire co-auteur, capable d’influencer de manière décisive le résultat sonore. Ses choix de placements de micros, d’arrangements, de montages de bandes, ainsi que son aptitude à persuader des artistes de tenter l’inconnu, ont façonné la manière dont on envisage désormais le travail en studio.

À la différence d’autres producteurs, Martin n’est pas un simple technicien ; il possède une solide formation musicale, sait jouer du piano, de l’oboe, arrange des partitions pour quatuor à cordes ou orchestre symphonique. Son rôle auprès des Beatles fut d’apporter une expertise académique tout en valorisant l’instinct rock et la fraîcheur mélodique du groupe. L’association entre, d’un côté, l’audace juvénile des quatre garçons de Liverpool, et de l’autre, l’intelligence harmonique et orchestrale de Martin, a abouti à des pièces majeures de la musique du XXᵉ siècle.

On peut aussi souligner sa capacité à se montrer discret quand il le faut. Lors des dernières années du groupe, confronté aux dissensions internes, il sait ne pas imposer sa volonté, mais rester en soutien, prêt à améliorer un mix ou à esquisser un motif pour un solo. Il laisse ainsi les Beatles expérimenter, tout en garantissant une cohérence globale.

Même après la séparation du groupe, Martin poursuit son aventure musicale, produisant divers albums pour America, Jeff Beck, Little River Band, Ultravox ou Elton John. Il demeure un sage de la console de mixage, un guide pour les musiciens cherchant à sublimer leurs compositions. Ses enregistrements, rigoureusement maîtrisés, constituent un legs précieux, tout comme les studios AIR à Londres et AIR Montserrat, devenus un symbole de son engagement pour un son d’excellence.

Conclusion : un artisan de génie au service de la musique

George Martin a passé sa vie à marier sensibilité pop, discipline classique et fièvre rock. Sans son intuition, les Beatles auraient peut-être été contraints de singer des recettes déjà existantes, au lieu de se réinventer à chaque album. Dans chaque arrangement de cordes, chaque prise de risque en studio, se reflète l’esprit curieux d’un homme sensible, cultivé, perfectionniste. Ses orchestrations, ses interventions au piano, ses indications sur la durée ou la structure, tout cela a fait partie de la magie qui a propulsé les Beatles vers des sommets encore inégalés.

Son décès, le 8 mars 2016, a mis un terme à une carrière de plus de soixante ans. Pourtant, la trace qu’il laisse demeure ancrée dans la mémoire de la musique enregistrée. De la découverte de « Love Me Do » à l’explosion psychédélique de Sgt. Pepper, en passant par l’apothéose quasi symphonique d’Abbey Road, sa patte fut omniprésente. On peut affirmer qu’il a légitimé l’idée d’un studio comme laboratoire, d’un producteur comme figure créatrice à part entière. Aujourd’hui encore, la plupart des grands albums pop ou rock se conçoivent dans cet héritage : celui d’un George Martin qui considérait que l’impossible devenait possible pour peu qu’on respecte la musique et qu’on se donne la liberté de la magnifier.


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