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Borrowed Time : La renaissance tragique de John Lennon

Publié le 03 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 6 août 1980, John Lennon enregistre une chanson qui, rétrospectivement, résonne comme une méditation poignante sur le temps qui lui était compté. « Borrowed Time », publié de manière posthume en 1984 sur l’album Milk and Honey, illustre à merveille l’état d’esprit du musicien dans les derniers mois de sa vie. Entre influences reggae, réflexions sur la vieillesse et un regain de créativité, ce morceau dévoile un Lennon inspiré, libéré de certaines de ses angoisses passées, mais inconscient du destin tragique qui l’attendait.

Sommaire

Une inspiration née en haute mer

L’histoire de « Borrowed Time » commence en juin 1980, bien loin des studios d’enregistrement new-yorkais. John Lennon, en quête de renouveau après cinq ans de retrait médiatique, se trouve alors aux Bermudes. Son voyage vers l’archipel aurait pu mal tourner : alors qu’il navigue sur le Megan Jaye, un sloop de 43 pieds, une tempête le contraint à prendre la barre pendant plusieurs heures, alors que le reste de l’équipage souffre du mal de mer. Cette expérience éprouvante mais revigorante agit comme un électrochoc. Lennon se sent renaître, retrouvant l’énergie et la motivation pour replonger dans la musique.

C’est dans cet état d’esprit qu’il compose Borrowed Time, inspiré par un vers de la chanson Hallelujah Time de Bob Marley : « We got to keep on living / Living on borrowed time » (Nous devons continuer à vivre / Vivre sur du temps emprunté). Cette réflexion sur la fragilité de l’existence prend un sens particulier après son décès prématuré, mais pour Lennon, il s’agit d’abord d’une célébration de la vie, du plaisir d’avoir dépassé les doutes et angoisses de sa jeunesse.

Un enregistrement marqué par les défis du reggae

L’influence du reggae et du ska n’est pas nouvelle chez Lennon. Dès 1964, il tente d’intégrer ces sonorités dans I Call Your Name, mais le résultat demeure teinté de pop britannique. Avec Borrowed Time, il cherche à aller plus loin dans l’exploration du genre, mais se heurte aux limites de ses musiciens. Enregistrée le 6 août 1980 aux studios Hit Factory à New York, la chanson voit Lennon guider ses musiciens en leur suggérant d’écouter Twist and Shout et Spanish Twist des Isley Brothers, espérant insuffler une dynamique plus naturelle à l’arrangement.

Le résultat n’est pas entièrement à la hauteur de ses attentes. Trois prises sont réalisées, et une piste de guitare est ajoutée à la dernière version, qui sera finalement retenue pour Milk and Honey. La complexité du reggae, ses syncopes et son groove particulier, ne sont pas parfaitement retranscrits par l’orchestre de session, mais l’intention y est : Borrowed Time demeure un titre enjoué, porté par une guitare aérienne et un chant habité.

Une réflexion sur le temps qui passe

Les paroles de Borrowed Time sont empreintes d’une sagesse nouvelle chez Lennon. Il se moque avec tendresse des préoccupations futiles de sa jeunesse, les comparant à une époque où il s’inquiétait du regard des autres ou de l’apparition de boutons sur son visage. La version studio contient d’ailleurs un passage parlé où il s’amuse de ses insécurités passées :

« Oh yes, it all seemed so bloody easier then You know, like what to wear very serious like, you know, am I gonna get the little pimples? Does she really love me? All the crap But now I don’t bother about that s**t no more, I know she loves me! All I gotta bother about is standing up! »

Ce ton léger cache pourtant un message plus profond. Borrowed Time est une chanson sur la sérénité, la reconnaissance du chemin parcouru et l’appréciation du présent. Lennon, qui s’apprête à faire son grand retour avec Double Fantasy, se sent apaisé, prêt à reprendre le fil de sa carrière après une longue pause consacrée à sa vie familiale.

Une sortie posthume au goût amer

Lorsque Milk and Honey sort en janvier 1984, plus de trois ans après l’assassinat de Lennon, Borrowed Time prend une toute autre signification. L’artiste qui chantait sa joie de vieillir et d’accepter le passage du temps a été fauché en pleine renaissance. La chanson devient alors un témoignage poignant, une déclaration involontairement prophétique.

Sorti en single le 9 mars 1984 au Royaume-Uni et le 14 mai aux États-Unis, le titre rencontre un succès modéré, atteignant la 32e place des charts britanniques et la 108e aux États-Unis. En face B figure Your Hands de Yoko Ono, tandis que la version 12 pouces inclut également Never Say Goodbye, une chanson de Ono évoquant son deuil après la mort de Lennon.

L’héritage de Borrowed Time

Si Borrowed Time ne figure pas parmi les morceaux les plus emblématiques de Lennon, il reste néanmoins un instantané précieux de son état d’esprit en 1980. Son message, qui aurait pu être celui d’un homme vieillissant avec sagesse, devient rétrospectivement un poignant rappel de la fragilité de l’existence.

Avec son ambiance ensoleillée et son optimisme sous-jacent, la chanson contraste avec la tragédie qui suivra. Elle rappelle aussi à quel point Lennon était, en dépit de ses tourments passés, un artiste capable de se réinventer, puisant son inspiration dans des moments de vie intenses et imprévus.

En définitive, Borrowed Time est à l’image de Lennon lui-même : audacieux, introspectif et terriblement humain.


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