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Northern Songs : L’histoire des droits d’auteur des Beatles

Publié le 03 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

L’histoire de Northern Songs est au cœur de l’ascension des Beatles et de leur gestion des droits musicaux. Créée en 1963, la société a permis de publier et gérer leurs œuvres, mais aussi de connaître des turbulences, allant de l’entrée en bourse à la vente du catalogue. Après des années de litiges, Michael Jackson rachète les droits des Beatles en 1985. Cette saga illustre la tension entre créativité artistique et enjeux financiers, marquant la naissance de la marchandisation des droits d’auteu…


L’histoire de Northern Songs occupe une place centrale dans la trajectoire fulgurante des Beatles. Dès les premières années du groupe, il est apparu évident qu’il leur fallait trouver une structure capable de publier et de promouvoir leurs œuvres originales. En effet, dès “Love Me Do” et “Please Please Me”, il se dessinait un potentiel créatif hors norme, porté par le tandem Lennon–McCartney, avec en parallèle les futures compositions de George Harrison et de Ringo Starr. L’entreprise Northern Songs, fondée en 1963, va toutefois connaître des remous considérables, se transformer en société cotée, puis passer entre différentes mains, dont celles du magnat des médias Lew Grade et, plus tard, de Michael Jackson. Sa dissolution, en 1995, n’enlève rien à l’importance historique d’une aventure éditoriale qui a façonné la diffusion des Beatles et marqué la stratégie commerciale de l’industrie musicale rock.

Sommaire

  • Un contexte propice à la création d’un empire d’édition
  • La fondation de Northern Songs : entre idéal artistique et réalités contractuelles
  • La mise en bourse de Northern Songs : un pari audacieux
  • Les velléités d’indépendance de Harrison et Starr
  • Le choc de la mort d’Epstein et la crise entre les Beatles et Dick James
  • Le bras de fer pour le contrôle du catalogue
  • De Associated Communications Corporation à la convoitise mondiale
  • McCartney et l’anecdote avec Michael Jackson : vers une nouvelle ère
  • La revente à Michael Jackson et l’onde de choc chez les Beatles
  • L’ultime mutation : la naissance de Sony/ATV Music Publishing
  • La quête de McCartney pour récupérer les droits d’auteur
  • Une saga au cœur de la marchandisation de la musique rock
  • Un héritage durable dans l’industrie du divertissement
  • La fin de Northern Songs et la permanence du répertoire Beatles
  • Une leçon indélébile pour les générations de musiciens
  • Un destin scellé, mais une histoire toujours en mouvement

Un contexte propice à la création d’un empire d’édition

Au début des années 1960, le paysage de l’édition musicale en Angleterre n’est pas encore structuré pour accueillir l’onde de choc que représentent les Beatles. Lorsque Brian Epstein devient manager du groupe, il doit agir rapidement pour faire connaître les quatre garçons de Liverpool au grand public. Les premiers enregistrements, dont “Love Me Do” en 1962, sont édités et promus par EMI, assistée de sa branche d’édition Ardmore & Beechwood. Mais la promotion menée sur “Love Me Do” se révèle décevante.

George Martin, producteur emblématique des Beatles, s’inquiète de ce manque de soutien et oriente alors Brian Epstein vers Dick James, un éditeur qu’il juge “juste et honnête”. James, réputé pour son sens du flair, comprend rapidement le potentiel du nouveau single “Please Please Me”. Lorsqu’Epstein lui rend visite avec un acetate du morceau, Dick James se démène pour décrocher dans la foulée un passage télé pour les Beatles auprès du producteur Philip Jones (de l’émission Thank Your Lucky Stars). À la fois séduit et impressionné, Epstein reconnaît en James l’allié idéal pour s’occuper de l’édition de Lennon et McCartney.

En février 1963, James propose à Epstein une idée qui va définir les contours de l’édition musicale des Beatles : la création d’une société dédiée, dont la mission serait de publier et de gérer les droits des chansons du groupe. C’est ainsi qu’apparaît Northern Songs Ltd, fruit d’un partenariat entre Dick James, Brian Epstein, John Lennon, Paul McCartney, mais aussi Charles Silver, le partenaire de James.

La fondation de Northern Songs : entre idéal artistique et réalités contractuelles

Lorsque John Lennon et Paul McCartney signent pour la création de Northern Songs, ils imaginent d’emblée détenir le plein contrôle de leur œuvre. Pourtant, la répartition des parts montre une réalité plus nuancée : Lennon et McCartney reçoivent chacun 20 % des actions, Epstein 10 %, tandis que James et Silver, ensemble, en contrôlent 50 %. Cette configuration traduit une logique financière typique du marché : James et Silver, éditeurs aguerris, apportent leur savoir-faire, leurs relations professionnelles et leur réseau pour exploiter au mieux les chansons du groupe.

Dans la foulée, un second label d’édition est mis en place pour le marché américain, Maclen Music, filiale de Northern Songs. Dès lors, chaque titre du répertoire Lennon–McCartney publié au Royaume-Uni sous Northern Songs se retrouve également exploité aux états-Unis via Maclen Music. Parallèlement, la société Dick James Music administre les droits et assure la promotion des œuvres des Beatles.

Selon les témoignages ultérieurs, Lennon et McCartney avouent avoir signé les documents présentés par Epstein sans les lire scrupuleusement. Ils font une confiance aveugle à leur manager, auquel ils attribuent une loyauté totale. Lennon s’en souviendra plus tard en disant que Brian Epstein était “l’expert” et qu’ils ne doutaient pas de ses choix.

À ce stade, Northern Songs gère également les premières compositions de George Harrison, de même que certaines chansons de Ringo Starr. Toutefois, les deux membres les moins prolifiques du quatuor en ce début des années 1960 restent dans l’ombre du tandem Lennon–McCartney.

La mise en bourse de Northern Songs : un pari audacieux

En 1965, la question fiscale devient cruciale pour des artistes en pleine ascension. Les revenus explosent, et les impôts sur les sociétés ou les personnes physiques en Angleterre atteignent des sommets qui grèvent les budgets artistiques. Pour diminuer cette charge fiscale, la décision est prise de faire entrer Northern Songs en bourse.

L’initiative, d’abord moquée par certains milieux financiers, aboutit pourtant à un succès retentissant : 1 250 000 actions sont offertes au public à un prix bien supérieur à leur valeur nominale. En dépit du scepticisme initial, la souscription dépasse toutes les attentes et se clôture en une minute, les investisseurs se précipitant sur ces titres.

Au terme de cette opération, Lennon et McCartney conservent chacun 15 % du capital, tandis que NEMS (la société d’Epstein, North End Music Stores) en détient 7,5 %. James et Silver, eux, restent majoritaires avec 37,5 %. De leur côté, Harrison et Starr se partagent un modeste 1,6 %, reflet de leur moindre participation dans les compositions du groupe.

Dans le même élan, Lennon et McCartney signent une prolongation de leur contrat d’édition, qui les lie à Northern Songs jusqu’en 1973. Harrison, de son côté, s’engage aussi, mais pour une période de trois ans seulement. Lucide sur l’importance de ses intérêts, James va même jusqu’à assurer Lennon et McCartney pour 500 000 £, comme on le ferait pour un actif stratégique dont la disparition ou la défaillance compromettrait la valeur de l’entreprise.

À l’été 1966, Northern Songs peut se targuer d’exploiter un catalogue impressionnant : 88 chansons signées Lennon–McCartney déjà enregistrées, dont plus de 2 900 reprises par divers artistes. La machine s’avère extrêmement rentable, avec des royalties qui affluent d’innombrables disques vendus dans le monde.

Les velléités d’indépendance de Harrison et Starr

Si Lennon et McCartney demeurent liés à Northern Songs, George Harrison prend un chemin différent. Dès 1964, il crée sa propre structure, Mornyork Ltd, rebaptisée Harrisongs Ltd en décembre de la même année. Il souhaite ainsi contrôler les droits de ses futures compositions à partir du moment où sa signature le liant à Northern Songs expirera.

Harrison voit en effet sa stature de compositeur progresser, notamment avec des titres comme “If I Needed Someone” ou “Taxman”. Lassé de n’être qu’un ayant droit minoritaire, il s’émancipe du carcan Northern Songs. Lorsque son contrat se termine en 1968, la plupart de ses nouvelles chansons passent sous la bannière de Harrisongs Ltd, reflétant ce désir d’indépendance.

Ringo Starr, quant à lui, choisit aussi de créer sa propre maison d’édition, Startling Music, en 1968. N’étant pas un compositeur prolifique, il s’attache surtout à valoriser quelques titres dont il est l’auteur ou co-auteur.

Le choc de la mort d’Epstein et la crise entre les Beatles et Dick James

Le 27 août 1967, Brian Epstein décède brutalement. Au-delà de l’impact émotionnel sur le groupe, cette disparition déclenche un effet domino sur les questions d’affaires. Lennon et McCartney, désormais privés de l’intermédiaire qui gérait leurs relations, souhaitent renégocier leur contrat avec Dick James. Les discussions s’annoncent houleuses.

En 1968, Lennon et McCartney convoquent James à Apple Records pour évoquer la renégociation. La rencontre, filmée par les Beatles eux-mêmes, se déroule dans une atmosphère tendue : Lennon et McCartney se montrent peu conciliants, tandis que James se retrouve isolé, déstabilisé par l’attitude des musiciens. Les rapports, déjà refroidis, virent à l’orage.

Au début de l’année 1969, James et son associé Charles Silver revendent soudainement leurs parts dans Northern Songs à Associated Television (ATV), dirigée par Lew Grade. Ils n’en informent ni Lennon ni McCartney, qui découvrent la transaction dans la presse. C’est un coup de tonnerre : la détention majoritaire de Northern Songs bascule chez ATV, et Lennon et McCartney se trouvent mis devant le fait accompli.

Le bras de fer pour le contrôle du catalogue

Dès que Lennon apprend la vente de Northern Songs, alors qu’il est en lune de miel avec Yoko Ono, il avertit McCartney. Tous deux refusent de vendre leurs propres actions à ATV et lancent un assaut pour récupérer la majorité du capital. L’objectif : s’assurer qu’ils restent maîtres de leurs droits d’auteur.

Cependant, Lew Grade dispose d’une puissance financière supérieure et engage les manœuvres pour soudoyer les petits actionnaires ou les convaincre de ne pas rejoindre le camp Lennon–McCartney. Allen Klein, qui agit comme manager de facto des Beatles après la mort d’Epstein, tente de négocier pour qu’Apple Corps rachète ATV, mais se heurte à l’opposition formelle de John Eastman (futur beau-frère de McCartney), qui envoie un courrier aux dirigeants d’ATV pour signifier que Klein n’est pas autorisé à engager Apple dans une telle opération.

Lennon, dans un excès de colère, exprime son mépris pour les “hommes en costard” qui “se tournent les pouces dans la City”. Cette sortie écorne l’image du duo face à certains investisseurs qui pouvaient leur être favorables. Dans un jeu d’alliances subtiles, c’est ATV qui emporte la partie.

En fin de compte, Lennon et McCartney, déçus, vendent leurs propres actions de Northern Songs en octobre 1969 pour environ 3,5 millions de livres, alors qu’ils n’ont pas réussi à acquérir la majorité de la société. George Harrison avait déjà vendu ses parts en 1968, tandis que Ringo Starr, lui, choisit de conserver sa toute petite part de 0,8 %.

Désormais, c’est Lew Grade et ATV qui détiennent le contrôle des chansons Lennon–McCartney, toujours protégées par le contrat d’édition jusqu’en 1973. C’est un tournant : le duo se retrouve sans prise réelle sur son catalogue principal.

De Associated Communications Corporation à la convoitise mondiale

Dans la seconde moitié des années 1970, la société mère d’ATV, renommée Associated Communications Corporation (ACC), subit d’importantes difficultés financières. Les pertes dans la production cinématographique fragilisent le conglomérat, et la valeur en bourse de l’entité s’effondre.

Entre 1978 et 1981, plusieurs repreneurs potentiels s’intéressent à ATV Music, et donc à Northern Songs. Parmi eux, des majors américaines telles que CBS, EMI, Warner ou encore Paramount. Paul McCartney, conjointement avec Yoko Ono, propose à un moment donné 21 millions de livres pour reprendre le catalogue, mais Lew Grade se montre hésitant à vendre uniquement la partie Northern Songs. D’autres acheteurs potentiels souhaitent acquérir l’ensemble d’ATV, musique et télévision confondues.

Finalement, l’Australien Robert Holmes à Court saisit l’opportunité de lancer une OPA (offre publique d’achat) sur ACC. Il en prend le contrôle début 1982, ce qui met un terme momentané aux discussions sur la vente du catalogue Beatles. ATV Music, avec Northern Songs en son sein, n’est plus officiellement à vendre.

McCartney et l’anecdote avec Michael Jackson : vers une nouvelle ère

En 1981, Paul McCartney et Michael Jackson se rapprochent pour enregistrer “Say, Say, Say”, un duo qui cartonnera dans les charts. Dans les coulisses, Jackson s’intéresse aux affaires musicales de McCartney. Ce dernier, devenu un investisseur avisé, lui montre la liasse de droits éditoriaux qu’il détient sur des chansons d’autres artistes, source d’un important revenu.

Le déclic a lieu : Michael Jackson, intrigué, interroge McCartney sur le processus d’acquisition des droits de chansons, ainsi que sur le fonctionnement des redevances. Jackson, selon le récit de McCartney, lâche alors la phrase : “Je vais acquérir [les chansons des Beatles].” McCartney pense à une blague, mais le jeune roi de la pop est parfaitement sérieux.

Quelques années plus tard, Holmes à Court se décide finalement à mettre ATV en vente, incluant le catalogue Northern Songs, à l’exception d’un petit joyau : la chanson “Penny Lane”, donnée à sa fille Catherine, fan absolue de ce morceau. Plusieurs acheteurs potentiels se positionnent à nouveau, mais McCartney et Yoko Ono hésitent et jugent le prix trop élevé.

Jackson, de son côté, a les fonds nécessaires et se montre d’une rapidité implacable. Il conclut l’affaire durant l’été 1985, pour environ 24,4 millions de livres. Charles Koppelman et Marty Bandier, via The Entertainment Co., avaient pourtant proposé une offre plus importante, mais Jackson, plus prompt et mieux préparé, emporte le deal.

La revente à Michael Jackson et l’onde de choc chez les Beatles

Lorsque la nouvelle se répand que Michael Jackson est devenu l’ultime détenteur du catalogue ATV/Northern Songs, beaucoup de fans des Beatles s’étonnent et s’interrogent sur la position de McCartney. Après tout, c’est lui qui avait initié Jackson au potentiel lucratif de l’édition musicale.

McCartney espère négocier ensuite un meilleur pourcentage de redevances, arguant que leurs contrats initiaux dataient de l’époque où Lennon et lui étaient de très jeunes auteurs-compositeurs. Mais Jackson, désormais propriétaire, reste inflexible : “It’s just business, Paul.” Les relations amicales entre les deux stars se distendent, même si elles ne virent pas à l’hostilité déclarée.

Dans les années qui suivent, Jackson exploite les droits du catalogue Lennon–McCartney, percevant des royalties substantielles de la diffusion des chansons des Beatles dans le monde entier. Il permet aussi leur utilisation dans certaines publicités, une pratique qui, par le passé, aurait pu heurter la sensibilité de Lennon ou McCartney.

L’ultime mutation : la naissance de Sony/ATV Music Publishing

En 1995, Michael Jackson fusionne son catalogue ATV Music avec celui de Sony, formant Sony/ATV Music Publishing. Le montant de la transaction avoisine les 59 millions de livres, Jackson conservant la moitié des parts de la nouvelle entité. C’est à ce moment-là que Northern Songs disparaît formellement, absorbée et dissoute dans cette structure inédite.

Dès lors, la question des droits sur le répertoire Beatles se rattache au fonctionnement de Sony/ATV, au sein duquel Jackson reste un actionnaire influent jusqu’à sa disparition en 2009. Les tractations sur la participation réelle de Jackson continuent longtemps après, notamment lorsque l’artiste se retrouve en difficulté financière, contractant des prêts importants adossés à la valeur de ses parts dans Sony/ATV.

En 2016, la succession Jackson vend définitivement ses parts à Sony, conférant à cette dernière le contrôle total de Sony/ATV, qui reprendra plus tard son nom originel, Sony Music Publishing, en 2021.

La quête de McCartney pour récupérer les droits d’auteur

Aux états-Unis, la législation sur le copyright prévoit qu’un auteur-compositeur peut, après un certain délai (en principe 56 ans pour les œuvres créées avant 1978), récupérer les droits de ses chansons sous certaines conditions légales. McCartney, conscient de cette possibilité, entame dès le début des années 2010 une démarche pour récupérer sa part de copyright sur une partie du catalogue Beatles.

En 2017, les médias rapportent qu’un accord a été trouvé entre Sony et McCartney, évitant un bras de fer judiciaire. Les détails de cet accord restent en grande partie confidentiels, mais on peut supposer que McCartney a commencé à reprendre la main sur certaines chansons, selon les règles américaines. À titre d’exemple, la réédition de “Love Me Do” dans la compilation The Beatles 1962-1966 (sortie en 2023) mentionne MPL Communications Ltd, la société d’édition de McCartney, comme détentrice des droits, signe tangible d’un transfert effectif.

Une saga au cœur de la marchandisation de la musique rock

L’histoire de Northern Songs est plus qu’une simple anecdote juridique : elle incarne l’émergence d’un marché colossal où les chansons, plus que jamais, deviennent des actifs financiers majeurs. Les Beatles, sans le savoir, ont été des pionniers dans la valorisation des droits musicaux, même si, dans leur cas, ils n’ont pas toujours tiré profit de la manière la plus avantageuse.

Dick James, Brian Epstein, Charles Silver, puis Lew Grade, Robert Holmes à Court, Michael Jackson : tous ont compris, à des degrés divers, que le vrai trésor résidait dans les royalties générées par l’utilisation, la diffusion et les reprises des chansons. Les initiatives successives (mise en bourse, opérations de rachat, fusions) traduisent la logique d’un secteur où la popularité universelle des Beatles s’avère une source de revenus quasi inépuisable.

En parallèle, cette saga révèle la naïveté initiale de Lennon et McCartney, âgés d’une vingtaine d’années seulement, qui signent en toute confiance des contrats d’édition peu favorables à long terme. C’est un cas d’école : les artistes, même très doués, ont souvent été contraints de s’en remettre à des éditeurs et à des managers plus aguerris.

Lorsque l’on regarde l’avalanche de royalties que suscitent les chansons des Beatles depuis plus d’un demi-siècle, on mesure l’étendue de ce que Lennon et McCartney ont pu perdre en ne contrôlant pas totalement Northern Songs. Eux-mêmes en furent conscients, Lennon exprimant à maintes reprises son mécontentement, tout en reconnaissant que l’ignorance et la confiance absolue envers Brian Epstein l’avaient conduit à signer sans sourciller.

Un héritage durable dans l’industrie du divertissement

Les péripéties autour de Northern Songs ont inspiré d’autres artistes à mieux protéger leurs intérêts. L’exemple des Beatles, dépossédés d’une part importante de leurs droits, a agi comme un électrochoc pour nombre de groupes et de musiciens, déterminés à ne pas répéter les mêmes erreurs. À partir des années 1970, on voit émerger des artistes plus vigilants, qui négocient autrement leurs contrats de publication ou qui fondent leurs propres maisons d’édition pour conserver une partie substantielle de leurs œuvres.

De plus, la prise de conscience qu’un catalogue de chansons pouvait constituer un actif précieux a créé un nouveau segment de marché. Les investisseurs institutionnels, les fonds de pension et les grandes maisons d’édition ont commencé à s’intéresser de près à l’acquisition de catalogues entiers, afin de percevoir des revenus stables et récurrents. Cette tendance se poursuit aujourd’hui, avec des transactions records qui concernent des légendes du rock, du folk, ou même de la pop contemporaine.

En définitive, Northern Songs incarne la tension entre la créativité artistique et la réalité impitoyable du marché. Les Beatles, musiciens de génie, ont composé des chansons impérissables, mais ont dû traverser des litiges et des négociations âpres pour tenter de récupérer (ou de ne pas perdre) la maîtrise de leurs œuvres.

La fin de Northern Songs et la permanence du répertoire Beatles

En 1995, la fusion entre ATV Music Publishing et Sony met fin officiellement à Northern Songs. L’entité historique se dissout dans le nouveau mastodonte Sony/ATV, détenant un portefeuille gigantesque de chansons. Lennon et McCartney ne peuvent plus, à ce stade, que subir cette disparition. L’influence de Michael Jackson sur l’édition Beatles demeure jusqu’à ce que lui-même se trouve en difficultés financières et que Sony s’accapare progressivement sa part.

Quant à George Harrison et Ringo Starr, ils sont restés en retrait. Harrison a rapidement géré ses œuvres via Harrisongs, tandis que Starr, moins concerné par la composition, n’a pas cherché à disputer les droits sur l’essentiel du catalogue.

La question demeure toutefois : qu’en est-il aujourd’hui ? Les lois sur la propriété intellectuelle ont évolué, notamment aux états-Unis. Paul McCartney a entrepris, comme mentionné, une démarche pour récupérer les droits de certaines chansons, via des dispositions légales permettant à un auteur de reprendre possession de ses œuvres au bout d’un certain délai. Cela se traduit par des accords discrets avec Sony, qui veillent à ménager les intérêts de toutes les parties.

Cet épisode, pourtant, n’annule pas les séquelles de la grande bataille pour Northern Songs. L’héritage moral, si l’on peut dire, souligne à quel point la Beatlemania n’a pas seulement été un phénomène culturel, mais aussi un champ de batailles commerciales âpres.

Une leçon indélébile pour les générations de musiciens

En rétrospective, la chronologie de Northern Songs réunit tous les ingrédients d’une épopée : des jeunes talents naïfs, un manager visionnaire (Epstein), un éditeur habile (Dick James), une ascension rapide au sommet des charts, une mise en bourse fulgurante, puis des intrigues de coulisses, des traitrises, l’arrivée de gros investisseurs et, enfin, la vente à une star de la pop américaine, Michael Jackson.

Ce parcours souligne l’enjeu fondamental de la propriété intellectuelle dans la musique. Les Beatles ont composé des dizaines de morceaux incontournables. Pourtant, leur empreinte financière directe sur ces œuvres est restée partielle, faute d’avoir verrouillé leurs droits dès le départ. Les contrats signés dans l’insouciance, la mise en bourse, la fragilité d’Epstein, puis l’initiative unilatérale de Dick James, tout cela a culminé dans la vente à ATV, puis à Jackson.

La plupart des groupes et des artistes ayant émergé par la suite ont observé ce cas d’école, cherchant à éviter des situations comparables. Les Rolling Stones, par exemple, ont eu leurs propres problèmes avec Allen Klein, mais ont retenu la leçon concernant l’édition musicale. D’autres se sont davantage appuyés sur des conseillers juridiques pour s’assurer de contrôler, si possible, leur répertoire.

Ainsi, Northern Songs n’est pas seulement un vestige historique : c’est un miroir tendu à l’industrie. Chaque négociation autour des droits de catalogue, chaque grande transaction dans le monde de l’édition musicale, renvoie aux déboires et aux succès de cette société emblématique, intimement liée au plus grand phénomène pop-rock du XXe siècle.

Un destin scellé, mais une histoire toujours en mouvement

La longue saga de Northern Songs a donné lieu à d’innombrables analyses, ouvrages et documentaires. Malgré la dissolution de la société en 1995, l’aura des chansons Beatles se perpétue, rapportant toujours des sommes considérables à leurs détenteurs. Les héritiers de Lennon, Yoko Ono et Sean Lennon, veillent sur les intérêts de l’ex-Beatle. McCartney, lui, poursuit son chemin en associant carrière musicale et gestion stratégique de ses propres droits.

De temps en temps, des reventes de catalogues ou des renegociations attirent l’attention du grand public, rappelant que la musique de Lennon–McCartney n’est pas qu’un patrimoine artistique : c’est aussi un actif convoité, porteur de valeur pour l’industrie du divertissement. Les fans, eux, s’attachent avant tout aux mélodies et aux paroles qui ont changé la face du rock.

En définitive, l’histoire de Northern Songs s’inscrit comme un chapitre fondamental dans la compréhension de la Beatlemania et de l’économie musicale moderne. Les Beatles, tout en révolutionnant la scène pop-rock, ont ouvert la voie à la marchandisation à grande échelle des droits d’auteur. Les rebondissements autour de cette société d’édition, depuis ses débuts sous la houlette d’Epstein et de Dick James jusqu’à l’acquisition par Michael Jackson, illustrent parfaitement la rencontre entre la créativité la plus pure et les logiques implacables du business.

Plus de cinquante ans après la création de Northern Songs, les œuvres de Lennon et McCartney continuent d’inspirer musiciens, producteurs et passionnés. Elles démontrent que la richesse d’une chanson ne tient pas seulement à son succès initial, mais aussi à la manière dont elle s’inscrit dans un système économique complexe, où le pouvoir d’un catalogue musical peut soulever des montants considérables.

Si Northern Songs n’existe plus aujourd’hui, on constate qu’elle a laissé une empreinte indélébile, prouvant combien la musique rock, à son échelle, a su innover autant sur le plan artistique que sur le plan financier. Les Beatles, par la force de leurs compositions, demeurent la pierre angulaire de cette dynamique, rappelant à chaque nouvelle génération que posséder ou non les droits de sa musique peut changer le destin d’un artiste – et influer sur l’héritage culturel du monde entier.


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