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Help! : Le film déjanté des Beatles qui a marqué l’histoire

Publié le 05 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1965, les Beatles réalisent leur deuxième film, Help!, sous la direction de Richard Lester. Comédie extravagante et décalée, ce film mêle aventure, satire d’espionnage et musique pop. Tourné en couleurs et à travers le monde, il représente un jalon dans l’histoire de la pop culture. Malgré un accueil critique mitigé, il influence la naissance des clips vidéo modernes et reste un objet culte pour les fans de l’époque et les historiens du rock. Le film reflète la transition des Beatles vers une …


En 1965, en plein cœur d’une Grande-Bretagne animée par l’effervescence de la scène rock, le quatuor le plus célèbre de la planète concrétise sa deuxième aventure cinématographique : Help!. Réalisé par Richard Lester, qui les avait déjà dirigés l’année précédente pour A Hard Day’s Night, ce long métrage rassemble John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr dans une comédie à la fois débridée et extravagante, tournée cette fois en couleurs, avec un budget plus généreux et une ambition affichée d’aller plus loin dans le délire visuel. Si Help! n’atteint pas la renommée critique de son prédécesseur, il n’en demeure pas moins un jalon essentiel dans l’histoire de la pop culture et du cinéma musical, posant les bases d’une esthétique préfigurant les futurs clips vidéo.

Sommaire

  • Un contexte bouillonnant : l’après-A Hard Day’s Night et l’essor international des Beatles
  • Une intrigue loufoque : bagues maudites, cultes exotiques et mad scientists
  • Un tournage en couleurs et aux quatre coins du globe
  • L’esthétique pop et la satire du cinéma d’espionnage
  • Un rapport paradoxal des Beatles à leur propre film
  • Une bande originale riche : du rock à l’orchestre
  • Une réception critique inégale, mais un impact sur la culture pop
  • La satire de l’Inde et l’empreinte sur la culture occidentale
  • Un tournage épuisant et la fin d’une ère cinématographique pour les Beatles
  • Le style Richard Lester : héritage et innovations
  • De la pellicule au public : retrait des écrans et rééditions multiples
  • Héritage dans la culture populaire : un jalon de la folie pop
  • Réception posthume : du kitsch assumé à l’objet culte
  • Le poids historique et l’avènement d’une nouvelle ère pour le groupe
  • Un héritage entre dérision et célébration de la Beatlemania

Un contexte bouillonnant : l’après-A Hard Day’s Night et l’essor international des Beatles

En 1964, A Hard Day’s Night surprend le monde entier. Tourné en noir et blanc avec un budget modeste, le film séduit à la fois la critique et le public. On y découvre un style documentaire et une écriture drôle, où la fantaisie se mêle à la force musicale des Beatles. Le succès est tel que United Artists, qui a senti le filon, souhaite aussitôt réitérer l’exploit. Richard Lester, qui s’est déjà distingué par un montage nerveux et un humour proche de celui de la scène britannique (notamment l’influence du Goon Show), se voit confier la réalisation d’un second film : le projet s’intitule d’abord Eight Arms to Hold You, avant de devenir Help!.

Pour les Beatles, l’année 1965 est fertile en concerts, en enregistrements de chansons, en tournées internationales. Les quatre musiciens sont littéralement happés par le phénomène mondial de la Beatlemania. Au début de cette même année, ils entrent en studio pour composer et enregistrer des titres qui seront, d’une part, au cœur du film et, d’autre part, rassemblés sur l’album Help! (sorti en août). Dans ce contexte, la production s’organise à vive allure, bénéficiant d’un budget conséquent (estimé à 1,5 million de dollars) qui permet d’envisager un tournage hors du Royaume-Uni, dans des lieux exotiques, afin de donner au film une touche d’aventure internationale.

Une intrigue loufoque : bagues maudites, cultes exotiques et mad scientists

Contrairement à A Hard Day’s Night, centré sur le quotidien semi-fictionnel des Beatles, Help! opte pour un scénario rocambolesque : une secte orientale, parodie de la secte Thuggee, cherche à récupérer une bague rituelle censée servir à un sacrifice en l’honneur de la déesse Kali. Hélas, la jeune victime du culte, une admiratrice des Beatles, a expédié cette fameuse bague à Ringo Starr ! Voilà le batteur du groupe condamné, malgré lui, à devenir la proie d’individus déchaînés, dans la mesure où la bague s’avère impossible à enlever. Ringo se retrouve alors au centre d’une course-poursuite menée par le grand prêtre Clang (interprété par Leo McKern), ses acolytes, une prêtresse nommée Ahme (Eleanor Bron) et un tandem de scientifiques fous, le Professeur Foot (Victor Spinetti) et son assistant Algernon (Roy Kinnear), tous déterminés à mettre la main sur la bague – ou sur le doigt de Ringo, si la bague refuse de céder.

Le prétexte narratif se prête à une comédie d’action ponctuée de gags surréalistes : on y voit des tentatives pour arracher la bague au pauvre Ringo, des scènes de suspense improbable, des affrontements burlesques et, au milieu de tout cela, le flegme désinvolte des Beatles, qui traversent les péripéties avec un détachement teinté d’ironie. L’enjeu pour le groupe est évidemment de sauver Ringo d’un sacrifice potentiel, quitte à solliciter l’aide de la mystérieuse Ahme, visiblement plus ambiguë qu’elle n’en a l’air.

Un tournage en couleurs et aux quatre coins du globe

La première grande différence entre Help! et A Hard Day’s Night réside dans la couleur : le second long métrage bénéficie d’une pellicule en Technicolor, conséquence directe du succès commercial du premier film, qui a donné à Richard Lester et au producteur Walter Shenson la possibilité d’exploiter un budget plus confortable. Par conséquent, Help! se déroule en partie en extérieurs, sous des latitudes variées, ce qui amplifie l’effet de dépaysement.

Le tournage commence aux Bahamas, sur l’île de New Providence et l’île de Paradise Island, dès février 1965. La presse de l’époque évoque la volonté de Brian Epstein (manager des Beatles) de choisir ce lieu pour des raisons fiscales avantageuses. Sur place, les Beatles doivent parfois faire semblant de tourner sous un soleil de plomb, alors que le climat se révèle plus frais qu’escompté – ce qui, selon Ringo Starr, les oblige à porter des tenues légères tout en ayant parfois froid. Après quelques séquences maritimes et côtières, l’équipe s’envole pour l’Autriche, à Obertauern, dans les Alpes, afin d’y filmer les scènes de ski. Les habitants locaux ne sont pas forcément familiers de la Beatlemania, ce qui procure aux quatre garçons une relative tranquillité, du moins comparée à la folie londonienne. Plusieurs cascadeurs locaux doublent les Beatles pour les scènes de glisse, tandis que John, Paul, George et Ringo séjournent à l’hôtel Edelweiss, entourés d’une équipe de tournage d’environ soixante personnes.

Une grande partie du film est ensuite réalisée à Londres, dans divers décors intérieurs et extérieurs, notamment Twickenham Film Studios et Salisbury Plain, sans oublier des prises de vue dans la demeure du groupe. L’une des séquences-clés se déroule dans un restaurant indien où le culte tente, en vain, de s’emparer de la bague, ou encore dans un laboratoire fou où le Professeur Foot essaye de rétrécir le doigt de Ringo. L’ambiance reste frénétique, ponctuée de gags visuels empruntés à un registre presque cartoonesque.

L’esthétique pop et la satire du cinéma d’espionnage

À la faveur des couleurs vives, Richard Lester et son équipe donnent à Help! des allures pop art, où la fantaisie s’affiche dans les costumes, les décors et la photographie. On y trouve une tonalité joyeusement déjantée, parfois proche d’une parodie des films de James Bond. Rappelons qu’en 1965, la saga 007 est déjà implantée dans la culture populaire, et Help! ne se prive pas d’en reprendre certains codes pour les tourner en dérision : des gadgets, des ennemis extravagants, un climat de menace internationale et des courses-poursuites improbables. D’ailleurs, United Artists détient à l’époque les droits de distribution de la série Bond, ce qui encourage la production à jouer sur des clins d’œil satiriques.

Le ton global s’inspire aussi de l’humour absurde cher au Goon Show, cette émission radiophonique culte qui a formé l’esprit d’artistes comme Peter Sellers ou Spike Milligan. George Martin, producteur des Beatles, avait d’ailleurs travaillé avec la troupe du Goon Show. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans Help! un goût prononcé pour le nonsense, les ruptures de ton, et une forme de dialogue parfois surréaliste, où les Beatles ne prennent jamais vraiment au sérieux l’enjeu dramatique qui se joue autour d’eux.

Un rapport paradoxal des Beatles à leur propre film

Si A Hard Day’s Night avait bénéficié de la participation active des Beatles (qui y apparaissent à la fois comme personnages et inspirateurs du concept), Help! se révèle plus distant à leurs yeux. Selon des témoignages ultérieurs, dont ceux de John Lennon, les quatre musiciens n’ont pas véritablement influé sur la trame du scénario. Ils se sentent relégués au rang de simples acteurs dans une production plus ambitieuse, où le délire prime sur la spontanéité. Lennon déclarera à plusieurs reprises qu’ils se sont sentis « extras dans leur propre film », n’ayant guère le loisir d’improviser.

Par ailleurs, 1965 correspond au moment où les Beatles plongent dans un rythme effréné d’enregistrements et de tournées, aggravé par une découverte grandissante du cannabis. Lennon mentionne qu’ils fumaient abondamment sur le plateau, ce qui aurait contribué à transformer le tournage en une expérience plutôt floue et contemplative. D’autres facteurs, tels que la fatigue accumulée, expliquent que ce tournage leur laisse un souvenir mitigé. En outre, George Harrison commence à s’intéresser de plus près à la musique indienne lorsqu’une scène de restaurant est tournée avec des musiciens indiens : c’est pour lui la révélation d’un univers sonore qui apparaîtra dans des titres phares comme « Norwegian Wood ».

Une fois le tournage achevé, les Beatles ne cachent pas leur frustration : ils jugent qu’ils n’ont pas vraiment contrôlé la création, au contraire de A Hard Day’s Night, plus ancré dans leur quotidien et où ils avaient davantage d’initiative. Cette déception contribuera à les rendre réticents à participer à d’autres films scénarisés. Help! sera d’ailleurs leur dernière comédie musicale de longue durée. Plus tard, ils honoreront leur contrat avec United Artists via le film d’animation Yellow Submarine (1968), dont ils n’assurent que de brefs caméos, puis Let It Be (1970), davantage un documentaire sur leurs sessions d’enregistrement qu’une fiction classique.

Une bande originale riche : du rock à l’orchestre

Comme pour A Hard Day’s Night, la musique constitue un axe majeur de Help!. Les chansons présentes dans le film servent d’illustration aux séquences, parfois au prix de ruptures narratives. On retrouve notamment « Help! », « You’re Going to Lose That Girl », « You’ve Got to Hide Your Love Away », « Ticket to Ride », « I Need You », « Another Girl », ainsi que d’autres extraits instrumentaux. Ken Thorne, directeur musical, introduit dans la bande originale des éléments classiques comme l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski, l’« Ode à la joie » de Beethoven, des extraits de Wagner ou du Barbier de Séville de Rossini. Ces incursions classiques accentuent le caractère parodique et hétéroclite du film, tout en soulignant l’ampleur du budget, nettement plus élevé que pour A Hard Day’s Night.

En Grande-Bretagne, l’album Help!, sorti parallèlement au film, comporte sept chansons issues de la bande originale (dont « Help! » et « Ticket to Ride »), complétées par d’autres titres enregistrés au même moment (par exemple « Yesterday », qui ne figure pas dans le film). Aux états-Unis, la situation est plus complexe : Capitol Records commercialise une version différente, incluant les chansons du film et des morceaux instrumentaux signés Ken Thorne, voire un clin d’œil moqueur à la « James Bond Theme » avant la piste de « Help! ». Ce décalage entre les éditions britanniques et américaines témoigne du contexte discographique particulier des Beatles, où le marché nord-américain suit sa propre logique.

Une réception critique inégale, mais un impact sur la culture pop

À sa sortie, Help! ne rencontre pas le même consensus laudatif que A Hard Day’s Night. Certains critiques saluent l’énergie et l’humour, comparant les Beatles aux Marx Brothers pour leur sens du burlesque. Le Daily Express note ainsi la joie de la mise en scène de Lester et la présence comique des quatre musiciens. D’autres, comme le Daily Mirror, estiment que le film se repose trop sur la popularité des Beatles, lesquels n’apportent pas un matériel comique suffisamment solide pour justifier l’ensemble du long métrage. Aux états-Unis, le critique du New York Times, Bosley Crowther, juge Help! brouillon et dispersé, regrettant qu’il n’y ait pas de scène équivalente à la folle course d’A Hard Day’s Night dans le terrain de jeux, ou au moment où Ringo déambule seul dans Londres.

À distance, l’opinion générale s’accorde à reconnaître dans Help! un charme rétro, mêlé d’une créativité visuelle marquée par l’esthétique pop art. Loin d’être un chef-d’œuvre unanimement acclamé, le film s’impose néanmoins comme un objet cinématographique hybride, à mi-chemin entre parodie d’aventure et clip musical avant l’heure. Son influence sur la série télévisée Batman (1966), sur la publicité, ou encore sur l’émergence du langage des vidéoclips est régulièrement soulignée. La succession de séquences musicales, la mise en valeur des Beatles dans des décors bigarrés, l’emploi d’un montage vif sont autant d’éléments qui ouvrent la voie à la conception ultérieure de clips pop-rock.

La satire de l’Inde et l’empreinte sur la culture occidentale

Un aspect controversé du film tient à la représentation de la culture indienne. Au milieu des années 1960, la fascination occidentale pour l’Orient s’exprime souvent de manière stéréotypée. Help! ne fait pas exception : la secte parodiée y est décrite comme un groupuscule exotique et fanatique, voué à Kali. Les scènes où les prêtres s’acharnent sur Ringo entérinent le cliché de l’exotisme menaçant. Certains considèrent que cette caricature traduit un regard un peu condescendant. Pourtant, la curiosité de George Harrison pour la musique indienne prend racine à ce moment précis. Ce tournage, avec l’écoute de musiciens indiens dans un restaurant londonien, amorce une dynamique inverse, menant à l’inclusion du sitar dans la discographie des Beatles et, de là, à un mouvement plus vaste d’ouverture de la scène pop vers la culture orientale.

Ainsi, quelques années plus tard, l’intérêt pour la spiritualité hindoue, symbolisé par les voyages en Inde et l’influence de Ravi Shankar, se diffusera dans le rock psychédélique et la contre-culture occidentale. Ironiquement, ce qui apparaît dans Help! comme un décor purement comique aura servi de déclencheur à un authentique rapprochement entre la pop britannique et la philosophie indienne.

Un tournage épuisant et la fin d’une ère cinématographique pour les Beatles

Sur le plan personnel, les Beatles abordent le tournage de Help! avec une forme de lassitude. Depuis 1963, ils enchaînent concerts, séances d’enregistrement, voyages promotionnels et obligations médiatiques. Le film, dont le scénario leur échappe, ajoute une contrainte supplémentaire. Leurs souvenirs ne sont pas toujours exaltants : John Lennon admet qu’ils passaient beaucoup de temps dans leur caravane à consommer de la marijuana, rendant la communication avec l’équipe de tournage plus difficile. Ils se lèvent tôt le matin, tournent, attendent parfois de longues heures sur le plateau. La répétition des scènes, la multiplicité des décors et la pression du calendrier n’arrangent pas la situation.

Une fois Help! bouclé, le groupe est réticent à l’idée de rejouer dans une nouvelle fiction. Le troisième film initialement prévu par leur contrat avec United Artists se concrétisera par l’intermédiaire du film d’animation Yellow Submarine (1968), où leurs personnages sont doublés par des comédiens. Le film suivant tourné par les Beatles est Let It Be (1970), qui se veut un documentaire sur leur création musicale, témoignant des tensions internes au sein du groupe peu avant leur séparation. L’ère des comédies insouciantes semble définitivement close.

Le style Richard Lester : héritage et innovations

Au-delà de la participation des Beatles, la signature du réalisateur Richard Lester confère à Help! une importance certaine dans l’histoire du cinéma pop. Lester, né en Amérique et installé en Angleterre, développe un style basé sur des coupes rapides, un humour moqueur, un sens de la dérision qui anticipe certains procédés télévisuels des années 1960 (par exemple, les cartons colorés de la série Batman, le montage sautillant, etc.). Ce style, déjà perceptible dans The Running Jumping & Standing Still Film (1959) et A Hard Day’s Night (1964), s’épanouit pleinement dans Help!, grâce à la variété des décors et à la photographie en couleurs.

On a souvent qualifié le film de « patchwork psychédélique avant l’heure », bien qu’il précède la véritable vague psychédélique qui éclora en 1966-1967. Les focales déformantes, les gags qui brisent le quatrième mur, la dérision continue : tout cela a contribué à poser les jalons d’une nouvelle grammaire, réinvestie par de futurs réalisateurs de clips musicaux ou de comédies pop. Indéniablement, on perçoit dans Help! un ancêtre des show télévisés comme The Monkees, où la musique pop s’entrecroise avec un humour slapstick.

De la pellicule au public : retrait des écrans et rééditions multiples

À la sortie du film, Help! connaît un succès commercial correct, même s’il ne reproduit pas l’effet de surprise de son prédécesseur. Au box-office, il rapporte près de 12 millions de dollars. La première a lieu le 29 juillet 1965 au London Pavilion, en présence de la princesse Margaret. Au fil des ans, les droits de distribution évoluent. Au départ, c’est United Artists qui gère l’exploitation, mais après 1981, ceux-ci reviennent au producteur Walter Shenson. Comme pour A Hard Day’s Night, la disparition d’anciens contrats et la réorganisation de l’édition vidéo mènent à des versions successives du film sur VHS, LaserDisc et DVD, chacune avec des suppléments parfois inédits.

Les versions laserdisc, en particulier l’édition Criterion, proposent un certain nombre de bonus, dont la bande-annonce originale (montrant des scènes finalement coupées au montage), des publicités radio, des photos de tournage, et même un pseudo-interview conçu pour les disc-jockeys. Néanmoins, il faut attendre 2007 pour qu’Apple Corps, détenteur des droits, autorise la sortie d’une version restaurée en DVD double, comprenant un nouveau mixage sonore stéréo et 5.1, ainsi que des documentaires sur la production. En 2013, une édition Blu-ray confirme la vitalité de l’œuvre, bénéficiant d’une restauration haute-définition qui fait ressortir la palette chatoyante de la photographie.

Héritage dans la culture populaire : un jalon de la folie pop

Plus qu’une simple suite à A Hard Day’s Night, Help! s’impose comme un témoignage de l’esprit pop du milieu des années 1960, où la musique rock commence à s’affirmer comme un phénomène mondial, porté par un imaginaire collectif en quête d’exotisme et de dérision. Même si les Beatles se sentent moins investis, le film n’en demeure pas moins un objet amusant, ponctué de morceaux devenus légendaires (« Help! », « Ticket to Ride », « You’ve Got to Hide Your Love Away », etc.). Le public adore retrouver les Fab Four sur grand écran, peu importe que l’histoire soit incohérente ou que l’humour soit parfois forcé.

Sur le plan technique, Help! préfigure l’avenir du clip vidéo : la scène où les Beatles interprètent « Another Girl » sur une plage tropicale, ou encore celle des neiges avec « Ticket to Ride », incarnent une forme d’illustration visuelle de la chanson, distincte du récit central. Ces séquences, intégrées dans le flux narratif, annoncent l’idée que la musique peut s’accompagner d’images librement mises en scène, ni purement scéniques ni strictement documentaires. Cette dynamique influencera des productions ultérieures, notamment la série The Monkees (1966-1968), qui adopte un format hybride, entre la fiction délirante et le montage vidéo musical.

Par ailleurs, l’humour typiquement britannique, associé à la présence de personnages excentriques (scientifiques fous, policiers dépassés, prêtresse traîtresse, etc.), fait écho à la culture du nonsense chère aux Anglais, tout en reprenant des références au comique visuel hollywoodien. On peut y voir un pont entre la tradition burlesque et la modernité pop, où l’imagerie colorée s’allie à l’insouciance rock.

Réception posthume : du kitsch assumé à l’objet culte

Les Beatles eux-mêmes, après coup, portent un regard ambivalent sur le film. John Lennon n’hésite pas à le qualifier de « fiasco délirant » dans un premier temps, avant de reconnaître que c’était un projet en avance sur son temps. Paul McCartney souligne la légèreté excessive du tournage, soulignant qu’ils étaient souvent déconnectés de la réalité, livrés à eux-mêmes sous l’emprise de substances récréatives. George Harrison se rappelle surtout l’illumination que représente la découverte de la musique indienne, qui aura un retentissement considérable sur la suite de la carrière du groupe. Ringo Starr, au centre de l’intrigue, s’amuse sans doute de son rôle pivot, tout en regrettant parfois le côté caricatural de la représentation des cultures orientales.

Le public, pour sa part, entretient avec Help! une forme d’affection rétrospective : sa naïveté, ses gags improbables, son ton résolument irrévérencieux, tout cela donne une saveur vintage très appréciée des fans de l’esthétique sixties. Les moments purement musicaux restent un atout de choix, d’autant qu’on entend plusieurs pistes phares de l’album Help! ponctuées d’arrangements orchestraux. Au fil des décennies, de multiples projections en ciné-concert ou en festivals rendent hommage à ce film, considéré comme un jalon du style pop psychédélique avant la lettre.

Le poids historique et l’avènement d’une nouvelle ère pour le groupe

Si Help! marque la fin d’une forme de collaboration cinématographique prolongée, il scelle également le point de bascule des Beatles vers une autre direction musicale. On le sait, l’année 1965 est cruciale : outre l’album Help!, ils publient bientôt Rubber Soul (décembre 1965), amorçant une phase de maturité artistique de plus en plus affirmée. Le tournage du film, avec ses contraintes et ses excentricités, coïncide avec la prise de conscience du groupe que la représentation médiatique continue peut nuire à leur créativité. Ils envisagent donc de se concentrer davantage sur l’innovation en studio, plutôt que sur l’omniprésence scénique ou cinématographique.

Par ailleurs, l’irruption de la culture psychédélique, l’influence grandissante de la musique du monde (Harrison explorant le sitar et la spiritualité indienne) et les tournées de plus en plus harassantes les poussent à délaisser les tournages. Seul le dessin animé Yellow Submarine, paru en 1968, ravivera le lien avec le grand écran, sans que le groupe ait à s’impliquer à plein temps, puisqu’il délègue la majeure partie du travail à une équipe d’animation. Les Beatles se consacrent alors à créer des chefs-d’œuvre studio comme Revolver et Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, laissant l’univers cinématographique de la comédie légère derrière eux.

Un héritage entre dérision et célébration de la Beatlemania

En définitive, Help! incarne une étape clé dans la carrière des Beatles, tout en illustrant l’audace formelle et la folie colorée de la production pop des années 1960. Moins abouti que A Hard Day’s Night selon certains critiques, plus ambitieux sur le plan visuel, plus dispersé dans son scénario, le film demeure pourtant un témoin précieux de l’apogée de la Beatlemania. Il fixe sur pellicule la complicité (mais aussi la fatigue) des quatre musiciens, la cohue qui les entoure, et la manière dont le cinéma tente de capter l’énergie juvénile d’un mouvement culturel en pleine expansion.

Les éléments burlesques, la satire d’espionnage, les références musicales (notamment le clin d’œil au James Bond Theme dans l’édition américaine de la bande originale) et le mélange de dialogues absurdes confèrent à l’œuvre une singularité aujourd’hui célébrée dans les cercles de fans et les anthologies du cinéma pop. Certains historiens du rock y voient un « film-manifeste » de la légèreté sixties, préfigurant aussi les débordements du Swinging London et l’esthétique flamboyante de la fin de la décennie.

En somme, Help! n’est pas seulement une comédie : c’est un moment capturé, où l’on contemple la transition des Beatles d’un groupe pop ingénu vers des artistes de plus en plus audacieux, se rapprochant de la révolution musicale à venir. L’esprit d’Help! flotte encore dans la mémoire collective, symbole d’une époque où la moindre apparition des Fab Four suscitait une excitation folle, et où le cinéma s’autorisait toutes les fantaisies pour capitaliser sur l’aura de ces quatre garçons dans le vent.

Aujourd’hui, le film est régulièrement diffusé en versions restaurées, permettant aux nouvelles générations de découvrir la facette colorée et humoristique de la Beatlemania, tout en savourant des morceaux qui ont façonné la bande-son d’une décennie charnière. Pour qui souhaite comprendre la mutation de la pop vers un art visuel total, Help! représente une pièce incontournable, un jalon dans l’évolution du clip, et le reflet d’un instant précis où le rock anglais s’inventait une mythologie burlesque.

Ainsi, entre clins d’œil à James Bond, gags inspirés du Goon Show, hymnes pop immortels et escapades sous les tropiques ou dans les neiges autrichiennes, Help! s’affirme comme un joyeux délire cinématographique, célébrant la puissance médiatique des Beatles à l’orée de leur maturité musicale. Bien que le quatuor lui-même n’en garde pas le meilleur souvenir, ce second film est devenu, dans l’histoire du cinéma et de la musique, un témoignage vivant de l’esprit contagieux qui animait alors l’Angleterre — cet élan pop qui allait influencer toute la culture occidentale des années 1960 et au-delà.


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