Le nom de John Lennon résonne dans le monde entier comme un symbole de créativité débridée, de rébellion et de profond humanisme. Mais derrière l’icône se cache un homme, un artiste, qui a continuellement cherché à évoluer, à se réinventer, à saisir l’essence de l’existence à travers ses compositions. L’une des œuvres qui incarne cette quête inachevée est le morceau Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), enregistré en 1980, peu de temps avant sa tragique disparition. Un titre énigmatique, presque intime, qui nous plonge dans l’univers personnel de Lennon et qui, bien que resté inachevé, laisse entrevoir un potentiel créatif non exploité, un reflet de l’artiste à l’aube de la dernière étape de sa carrière.
Sommaire
- Une composition solitaire au cœur de New York
- Les influences littéraires : un clin d’œil à Stevenson
- Une mélodie dans le style de Harry Nilsson
- Un moment figé dans le temps : l’impact de la mort prématurée de Lennon
- Le dernier sourire de Lennon : une chanson d’espoir ?
- Un héritage en suspens
Une composition solitaire au cœur de New York
En 1980, John Lennon vivait une période de transformation. Après une décennie tumultueuse marquée par l’explosion de The Beatles, la séparation du groupe et sa carrière en solo, il avait décidé de se retirer quelque peu du monde de la musique pour se concentrer sur sa famille, notamment sur son fils Sean, né en 1975. Ce moment d’introspection allait pourtant donner naissance à des œuvres poignantes, empreintes de la sagesse que lui avaient apportée ces années de silence.
C’est dans ce contexte domestique, à l’intérieur du célèbre Dakota Building, à New York, que Lennon enregistre Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), une composition intimiste et déconcertante. Sur un fond de piano sautillant, il nous livre un morceau à la fois léger et profond. Les premières notes sont empreintes d’une fraîcheur particulière, une sorte de clarté déconcertante, à l’opposée des tourments intérieurs auxquels Lennon semblait toujours confronté.
Le morceau, jamais réenregistré en studio, reste ainsi un artefact, un témoignage brut de son processus créatif. C’est un enregistrement fait à la maison, une œuvre issue de l’univers personnel de Lennon, probablement destinée à amuser son fils, Sean. Le morceau, en effet, porte une légèreté, une forme de douceur qui pourrait bien être le reflet des moments qu’il partageait alors avec sa famille. Une simple chanson pour son fils, une berceuse de l’époque, peut-être, mais tout de même marquée par l’empreinte de son génie musical.
Les influences littéraires : un clin d’œil à Stevenson
Lennon, tout au long de sa carrière, a toujours été un lecteur avide. Ses influences littéraires se retrouvent dans plusieurs de ses compositions, où il tisse des références subtiles à des écrivains qui ont marqué son imaginaire. Dans Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), cette influence littéraire se fait clairement entendre à travers les paroles qui évoquent L’étrange cas du Dr Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson. La dualité des personnages de ce roman, l’opposition entre le bien et le mal, le rationnel et l’irrationnel, trouve un écho dans le jeu de Lennon entre la légèreté de la mélodie et la profondeur de l’univers qu’il dépeint.
Il est frappant de constater à quel point ce thème récurrent de la dualité hante l’œuvre de Lennon. Des titres comme Happiness Is a Warm Gun ou I’m So Tired portaient déjà en eux cette même exploration de l’âme humaine, tiraillée entre des forces contradictoires. Ici, avec Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), Lennon semble traiter de cette dualité de manière plus intime, presque personnelle. Peut-être cherchait-il à se réconcilier avec les différents aspects de sa propre personnalité, à exprimer les facettes contradictoires de sa vie et de son identité, une quête de soi qui se trouve interrompue bien trop tôt.
Une mélodie dans le style de Harry Nilsson
Musicalement, le morceau rappelle le style de l’un de ses plus proches collaborateurs, Harry Nilsson, avec qui Lennon avait partagé de nombreuses sessions d’enregistrement en 1974. La structure des accords, la manière dont les mélodies se déploient, les phrasés vocaux sont tous des éléments qui rappellent la signature de Nilsson, un artiste avec qui Lennon entretenait une amitié forte et une connexion créative indéniable.
Lennon, dans ses dernières années, était profondément influencé par Nilsson, et il n’est pas surprenant de retrouver dans Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid) cette touche de mélancolie joyeuse et de simplicité désarmante. La collaboration entre les deux hommes en 1974 avait donné naissance à plusieurs titres mémorables, mais c’est dans des morceaux comme celui-ci, enregistré dans l’intimité de son domicile, que l’on peut ressentir la véritable essence de leur relation musicale. Lennon, loin des projecteurs et de la pression commerciale, semblait avoir trouvé dans la musique de Nilsson une forme de liberté créative, et ce morceau en est un parfait exemple.
Un moment figé dans le temps : l’impact de la mort prématurée de Lennon
Le caractère inachevé de Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid) rend la réflexion sur le travail de Lennon d’autant plus poignante. Ce morceau, avec son ton léger et presque anecdotique, symbolise peut-être ce que l’artiste aurait pu offrir au monde s’il avait eu plus de temps. L’enregistrement de 1980, réalisé quelques mois seulement avant son assassinat, est un instant figé, une œuvre laissée incomplète.
Il est difficile de ne pas se demander ce qu’aurait été l’évolution musicale de Lennon s’il n’avait pas été tragiquement tué en décembre 1980. La chanson, d’abord perçue comme une simple curiosité, pourrait avoir servi de point de départ à une œuvre plus ambitieuse. Peut-être que, comme il l’avait fait par le passé, Lennon aurait poursuivi l’exploration de ses propres contradictions et de ses angoisses intérieures pour créer une œuvre plus vaste. Mais cette possibilité ne restera qu’une hypothèse, un « et si » qui n’aura jamais de réponse.
L’album John Lennon Anthology, sorti en 1998, permet aux fans de découvrir ce morceau posthume et de se plonger dans cet univers fragile et précieux qu’était la fin de carrière de Lennon. En écoutant Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), on ressent la tension entre l’envie de vivre pleinement et les ombres qui hantaient encore son esprit. Un dernier hommage à son art, un dernier éclat de son génie, figé dans le temps.
Le dernier sourire de Lennon : une chanson d’espoir ?
Dans cette œuvre inachevée, il y a peut-être plus qu’une simple anecdote musicale. En effet, à travers Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), Lennon semble vouloir dire au monde qu’il est possible de surmonter ses peurs et ses contradictions. Le titre de la chanson, un mélange de douceur et de menace, résonne comme un message de réconfort. « Ne sois pas effrayé », semble-t-il nous dire, dans une époque qui avait perdu un peu de son innocence et où la musique portait de moins en moins de messages d’espoir.
Lennon, qui avait toujours eu ce pouvoir de mêler l’ombre et la lumière, nous offre ici un dernier souffle, une note d’espoir dans un monde devenu plus sombre avec son départ. Sa voix, en dépit de l’inachevé, continue de nous toucher et de résonner avec une résonance nouvelle, plus personnelle et encore plus précieuse aujourd’hui.
Un héritage en suspens
Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid) n’est peut-être pas la chanson la plus emblématique de John Lennon, ni même l’une des plus abouties, mais elle incarne à elle seule toute la beauté fragile et inachevée de son dernier travail. Ce morceau, gravé dans le cœur de la John Lennon Anthology, nous rappelle à quel point la carrière de Lennon aurait encore pu évoluer, l’artiste ayant encore beaucoup à offrir. Et si, comme souvent dans ses chansons, il y a une part de lumière dans la sombre introspection de Mr Hyde’s Gone (Don’t Be Afraid), il n’en demeure pas moins que l’on regrette amèrement la perte d’un génie créatif à son apogée.
Le morceau reste un hymne à la fois mélancolique et optimiste, un témoignage de l’âme de Lennon qui, même après sa mort, continue de nous inspirer et de nous interroger sur ce qui aurait pu être, sur l’héritage qu’il a laissé, même si incomplet.
