La genèse de l’album John Lennon/Plastic Ono Band en 1970 marque un tournant radical dans la carrière de John Lennon, loin de l’image du membre des Beatles que le public connaissait jusque-là. C’est avec l’aide de Yoko Ono, sa compagne, et de la méthode controversée du Primal Therapy que Lennon explore les abysses de son passé et confronte ses démons intérieurs. Remember, le premier morceau de la face B de l’album, enregistré le jour même de ses 30 ans, en est le reflet musical parfait. Ce titre s’inscrit dans une quête personnelle de vérité et de libération, tout en étant profondément ancré dans le rock, grâce à l’impulsion rythmique de Ringo Starr et Klaus Voormann.
Sommaire
- Une chanson née du Primal Therapy
- Les arrangements et les influences musicales
- Une rencontre marquante avec son père
- Une expérience musicale et humaine
- Une chanson marquée par l’introspection et la rupture
Une chanson née du Primal Therapy
Remember naît d’un moment clé de la vie de Lennon : sa rencontre avec le Primal Therapy, un traitement psychologique dirigé par le Dr Arthur Janov, qui vise à libérer les individus de leurs souffrances passées en leur faisant revivre les émotions refoulées. Cette expérience profondément perturbante va nourrir l’album Plastic Ono Band, dont chaque chanson semble être une catharsis personnelle pour le musicien. Dans Remember, Lennon fait référence à son enfance et à la douleur infligée par la violence et l’instabilité de sa famille. Ses parents, séparés dès sa tendre enfance, avaient laissé en lui une empreinte indélébile de solitude et de désespoir. Ce thème, récurrent tout au long de l’album, trouve son apogée dans les paroles de Remember, où Lennon exorcise les fantômes de son passé tout en laissant une place à la révolte et à la quête de sens.
La musique, quant à elle, évolue avec une énergie rock qui fait oublier l’ombre de la mélancolie présente dans les paroles. Le mariage des rythmes puissants de Ringo Starr et des lignes de basse syncopées de Klaus Voormann apporte à Remember une énergie brute, presque primitive, qui renforce le message de la chanson. Le morceau, qui n’était à l’origine qu’une idée éphémère de Lennon, prend vie au studio Abbey Road. Il devient l’un des morceaux les plus intenses de l’album, dépassant la simple confession pour se transformer en un cri musical. C’est en s’appuyant sur cette énergie collective que Lennon parvient à distiller, au sein de Remember, l’essence même de ses tourments personnels.
Les arrangements et les influences musicales
Si les paroles sont le cœur de Remember, la structure musicale de la chanson n’en est pas moins fondamentale. L’introduction de l’orgue, l’utilisation de la harpe juive pour marquer le rythme et les chœurs double-tracés qui s’épanouissent au refrain créent une texture sonore complexe. L’originalité de Remember réside également dans sa durée. La version originale de la chanson, qui excède les huit minutes, est finalement réduite pour l’album, mais l’intention reste claire : Lennon cherche à déverser une énergie brute, sans concession, comme un cri de révolte contre un passé qui ne le laissera jamais tranquille. L’ajout d’un bruit d’explosion à la fin de la chanson n’est pas un simple effet sonore, mais un acte symbolique, une déflagration libératrice face à l’injustice de la vie.
Les références historiques et culturelles, comme le rappel de la tentative de Guy Fawkes de faire sauter le Parlement britannique en 1605, renforcent cette idée de lutte et de rébellion. Lennon se joue ainsi des codes du rock classique tout en les réinventant, comme il l’avait déjà fait au sein des Beatles. Cette explosion sonore finale, qui part de l’adaptation d’une vieille comptine anglaise, devient une sorte de manifeste, un cri d’indépendance qui s’invite dans la culture populaire.
Une rencontre marquante avec son père
En marge de la session d’enregistrement, une scène poignante s’est déroulée la nuit suivant l’enregistrement de Remember. John Lennon invite son père, Alfred, à dîner à Tittenhurst Park, la maison qu’il a achetée à la campagne. Ce dîner allait marquer la dernière rencontre entre les deux hommes, marquée par la violence des propos de son père. Ce moment tragique, relaté par Alfred Lennon dans un récit manuscrit, révèle l’état mental de John à l’époque. Le Primal Therapy avait permis à Lennon de mettre à jour des souffrances enfouies depuis l’enfance, mais c’est aussi un lourd fardeau psychologique qu’il n’arrive plus à évacuer.
Alfred raconte comment, au cours du dîner, John s’effondre dans une crise de colère intense, semblant revivre les pires souvenirs de son enfance. La violence verbale de John envers sa propre mère et la famille, toute entière, déstabilise son père, qui raconte cet échange comme une scène d’un film d’horreur. Cette rencontre achève de détruire l’image d’un père qui avait abandonné son fils, mais aussi l’image de l’enfant qui avait été négligé et maltraité.
Ce moment crucial dans la vie de John Lennon, bien qu’indirectement lié à Remember, prend tout son sens lorsqu’on y pense à la lumière des paroles de la chanson : « Si tu changes d’avis / À propos de tout laisser derrière », une référence à un couplet de Sam Cooke. Lennon chante ici la douleur de ceux qui ont vécu des traumatismes infantiles, l’incapacité de pardonner et le désir de tout effacer.
Une expérience musicale et humaine
Enregistrer Remember a été pour John Lennon plus qu’un simple acte de création musicale. C’était un acte de survie. La méthode du Primal Therapy l’avait poussé à se confronter à ses démons les plus sombres et, à travers cette expérience, à transformer son angoisse en musique. Le fait que le morceau ait été enregistré le jour de ses 30 ans donne une dimension symbolique au titre, marquant à la fois la fin d’une époque et le début d’une autre. Ce n’est pas un hasard si George Harrison, son ami et ex-complice des Beatles, se rend à Abbey Road ce jour-là, lui offrant un cadeau symbolique, une fleur en plastique, comme pour signifier que, malgré tout, la vie continue et qu’il y a toujours de l’espoir, même dans la douleur.
Les outtakes de Remember inclus dans la John Lennon Anthology de 1998 montrent également un Lennon plus décontracté, presque en train de se moquer de la gravité de la situation. Il chante « Happy Birthday » avec ses amis Ringo Starr et Klaus Voormann, mais l’esprit du morceau reste toujours empreint de cette énergie étrange et percutante, à la fois tragique et cathartique. Lennon, toujours en quête de la vérité, n’avait jamais été aussi exposé dans ses compositions.
Une chanson marquée par l’introspection et la rupture
Dans Remember, Lennon dévoile ses fragilités et se livre sans détour, sans chercher à cacher sa souffrance. L’album Plastic Ono Band représente la première pierre d’un édifice personnel que Lennon allait construire tout au long de sa carrière solo. Avec ce morceau, il fait la part belle à la révolte contre l’hypocrisie sociale, tout en exposant les failles de son âme. Remember n’est pas seulement une chanson qui fait écho aux thèmes du Primal Therapy, elle incarne aussi la rupture définitive avec le passé. C’est un cri désespéré et libérateur contre un monde qui semble n’avoir jamais voulu entendre ses appels à l’aide.
Dans les années qui suivirent, Lennon alla plus loin encore dans cette exploration de soi, notamment avec des albums comme Imagine ou Walls and Bridges, où il poursuivra ses réflexions sur la paix intérieure et la réconciliation avec son passé. Mais Remember reste une œuvre fondatrice, à la fois brute et élégante, qui plonge l’auditeur dans l’univers complexe de John Lennon à l’aube de sa trentaine.
