Parmi les nombreuses chansons engagées de John Lennon et Yoko Ono, Angela occupe une place singulière. Issue de l’album Some Time In New York City, elle témoigne de l’implication du couple dans les luttes politiques et sociales de leur époque. Ce titre, inspiré par l’arrestation et le procès de l’activiste Angela Davis, illustre le virage radical pris par Lennon après son installation aux États-Unis. Cependant, si l’intention est louable, le résultat musical et lyrique s’avère en deçà des ambitions initiales.
Sommaire
- Une genèse chaotique
- Angela Davis : une icône du militantisme
- Un engagement politique aux effets mitigés
- Une chanson oubliée mais un témoignage d’époque
Une genèse chaotique
L’histoire de Angela commence sous une forme bien différente. Initialement, la chanson portait le titre JJ et abordait un tout autre sujet. Composée par Lennon en 1971 alors qu’il résidait au St Regis Hotel de New York, cette première version relatait l’histoire d’une femme incapable de trouver un partenaire. Le ton était frivole, et les paroles bien éloignées de la portée politique qu’elles allaient acquérir par la suite.
Ne se satisfaisant pas du texte initial, Lennon modifia plusieurs fois la chanson. Elle devint d’abord People, avec un message généraliste en faveur de la paix et de la compréhension mutuelle. Mais ce n’est qu’au début de l’année 1972, à l’approche des sessions d’enregistrement de Some Time In New York City, que le morceau trouva son incarnation définitive sous le titre Angela.
Angela Davis : une icône du militantisme
Angela Davis, figure emblématique du mouvement des droits civiques, était à l’époque une militante active du Black Panther Party. En août 1970, elle fut accusée de complicité dans l’enlèvement et le meurtre du juge Harold Haley, événement survenu lors d’une tentative de libération de prisonniers au tribunal du comté de Marin en Californie. Bien que les armes utilisées aient été enregistrées à son nom, Davis affirma son innocence et devint une fugitive recherchée par le FBI. Son arrestation en octobre 1970 et son procès en 1972 suscitèrent une vague internationale de soutien. Finalement acquittée, elle continua son combat pour la justice sociale.
Profondément touchés par cette affaire, Lennon et Ono décidèrent de lui dédier une chanson, en phase avec l’esprit contestataire de leur album. Dans le même temps, Mick Jagger et les Rolling Stones exprimèrent également leur solidarité à travers Sweet Black Angel, morceau figurant sur Exile On Main Street.
Un engagement politique aux effets mitigés
Some Time In New York City est sans doute l’album le plus politisé de Lennon. Co-écrit et produit avec Yoko Ono et Phil Spector, il adopte un ton résolument militant, abordant des thèmes comme les droits des femmes (Woman Is the Nigger of the World), la situation en Irlande du Nord (Sunday Bloody Sunday) ou encore l’incarcération de John Sinclair. Si l’intention est manifeste, la réception critique fut cependant mitigée, notamment en raison de la naïveté apparente de certains textes.
Dans Angela, cette faiblesse se fait particulièrement sentir. Les paroles, bien que sincères, manquent de profondeur et de finesse. Le refrain, en particulier, apparaît simpliste et peu inspiré :
They gave you sunshine
They gave you sea
They gave you everything but the jailhouse key.
They gave you coffee
They gave you tea
They gave you everything but equality.
Si l’on reconnaît la volonté de dénoncer l’injustice, l’écriture manque de la puissance évocatrice habituelle de Lennon. La présence marquée de Yoko Ono, tant dans la composition que dans le mixage des voix, renforce cette impression d’un morceau davantage porté par son engagement politique que par son efficacité artistique.
Une chanson oubliée mais un témoignage d’époque
Bien que Angela n’ait pas marqué l’histoire musicale au même titre que les grandes compositions de Lennon, elle reste un témoignage précieux des préoccupations du couple à cette époque. L’album Some Time In New York City, malgré ses défauts, reflète un moment clé de la carrière de Lennon, où il se détourne de la pop traditionnelle pour s’inscrire pleinement dans la contestation politique.
En définitive, Angela illustre à la fois l’engagement sincère de John Lennon et Yoko Ono, et les limites de leur approche musicale lorsqu’ils s’aventurent sur le terrain du militantisme direct. Si la chanson n’a pas la force d’un Give Peace a Chance ou d’un Imagine, elle témoigne néanmoins d’une période où la musique de Lennon n’était plus seulement un art, mais aussi un outil de lutte.
