Le musée Jacquemart-André a décidé de mettre à l’honneur un peintre peu exposé, immensément connu, mais dont la production aura été restreinte, Georges de La Tour (1593-1652), connu pour ses scènes intimistes et ses clairs-obscurs.Avec plus de 30 chefs-d’œuvres, sur la quarantaine d’œuvres connues de l’artiste, voici
la première rétrospective française consacrée à Georges de La Tour depuis 1997. Cette exposition offre l'opportunité de découvrir un des peintres les plus énigmatiques du Grand Siècle pour son utilisation unique de la lumière et son approche singulière du clair-obscur puisque près des deux tiers de son oeuvre sont éclairés à la bougie.Mais auparavant, l’accès au musée proprement dit s'effectue par la montée d’une allée pavée qui autrefois était utilisée par les calèches. Le musée était l’hôtel particulier appartenant à Edouard André, très riche héritier d’une famille de banquiers protestants. Malade et approchant de la cinquantaine, il épouse une modeste artiste peintre catholique, Nélie Jacquemard, avec qui il partage la passion de la collection d’œuvres d’art. Ils voyageront pendant treize ans en Europe pour accumuler leurs trésors.
Nous verrons en fin de visite, une peinture représentant Nélie Jacquemart, une huile sur bois de 1900-05 attribué à Antoine-Ernest Hébert (1817-1908), installée dans le Petit salon, protégé d’une grande vitre.La visite du musée commence par le Salon des Peintres. Il faut traverser plusieurs pièces, emprunter un escalier, puis de nouvelles salles jusqu'à, enfin, accéder à l’exposition temporaire après avoir passé un tourniquet. Les pièces sont relativement étroites et vraiment surpeuplées de public. Par contre les tableaux sont présentés avec un éclairage qui confine au sublime.Baptisé en mars 1593 à Vic-sur-Seille en Lorraine, et issu d’une famille de boulangers, Georges de La Tour est le deuxième d’une fratrie de sept enfants. En 1638, un incendie provoqué par les troupes françaises pendant la Guerre de Trente Ans détruit sa maison, son atelier et une partie de ses œuvres. L’artiste trouve finalement refuge à Nancy, avec une partie de sa famille.En 1639, il est nommé "peintre ordinaire du roi" par Louis XIII. À ce titre, il loge au Louvre et est officiellement reconnu par la cour et le milieu artistique parisien. Il peint à l’apogée de sa carrière pour des mécènes prestigieux tels que le cardinal Richelieu ou les ducs de Lorraine, et devient l’un des notables les plus fortunés de Lunéville.Peu de ses toiles sont signées et datées – parmi elles Les Larmes de Saint Pierre, 1645, Le Souffleur à la pipe, 1647, et Le Reniement de Saint Pierre, 1650 –, ce qui explique qu’il soit rapidement tombé dans l’oubli après sa mort en 1652. Redécouvert seulement en 1915 par l’historien d’art allemand Hermann Voss, il doit sa "renaissance" à l’étude de deux tableaux conservés au musée d'arts de Nantes : L'Apparition de l'ange à Saint-Joseph et Le Reniement de Saint-Pierre.
S’il s’intéresse aux scènes de jeux (Le Tricheur à l’as de carreau, Les Joueurs de dés) et à la peinture de genre, Georges de La Tour est surtout reconnu pour ses toiles religieuses, empreintes d’une intensité spirituelle remarquable sous leur apparente simplicité.Avec Les mangeurs de pois (chiches) on voit combien le peintre s'intéressent aux marginaux, ou du moins aux pauvres, mendiants, aveugles et vieillards. Les personnages sont représentés à taille réelle et leur présence, toujours digne, est troublante. J’ai l’impression que le peintre a toujours eu recours au même modèle, qu’il soit un pauvre ou un saint, un homme d’une cinquantaine d’années, au front dégarni, à la barbe grisonnante. Ceci s’ajoute au fait que la salle des répliques présentent plusieurs versions d'un même tableau.
C’est encore frappant dans la salle suivante avec les Apostolados qui réunit plusieurs bustes de saints composant un ensemble de treize toiles, le Christ et ses douze apôtres, parmi lesquels je retiens Saint Jérôme lisant.
La prochaine salle est celle des nuits silencieuses. On y voit encore un Saint François, cette fois "en extase".
Saint Sébastien soigné par Irène, vers 1640-1649 est une scène nocturne d'une compositions très ambitieuse, dont l'interprétation spirituelle atteint ici un sommet. Dans l'obscurité silencieuse, les figures se rassemblent autour d'une lanterne dont la lumière sculpte les corps et dramatise symboliquement l'action. Le succès de cette composition est attesté par les treize copies et variantes connues à ce jour. La qualité d'exécution de cette version suggère qu'elle est issue de l'atelier et réalisée peu après l'invention de l'original.A propos de l'emploi de la chandelle on remarque que si on la voit souvent nettement elle est parfois placée dans une lanterne ou positionnée derrière une vanité... jouant ainsi un rôle symbolique. Cet éclairage permet au peintre d'évoquer le divin dans une scène qui n'a rien de religieux, comme l'énigmatique Femme à la puce. Son emploi est à son apogée dans Le Nouveau-Né (vers 1647-1648), sans doute son tableau le plus connu, que l'on devine comme étant une nativité où la mère pourrait représenter la Vierge et l'autre femme Sainte Anne.L'héritage caravagesque est évident (éclairage nocturne, figures populaires, dépouillement radical du décor), mais Georges de La Tour substitue à l'emphase dramatique de Caravage une simplicité méditative, une intensité plus feutrée. Le silence presque palpable de la scène, le fond neutre, la palette restreinte et l'immobilité des figures, renforcent le sentiment de recueillement.
Parfois, elle est entièrement masquée et se devine derrière une main. Si ce peintre, le dernier des caravagesques, n'est pas le premier à utiliser la bougie pour éclairer ses œuvres, il est devenu le maître absolu en la matière. Il restitue avec un réalisme inouï les vacillements de la flamme, les petits points bleus à sa base, les mains translucides.
Cette Femme à la puce est énigmatique. Ne serait-elle pas enceinte ?
La Fillette au braisier a été réalisé vers 1646-1648. Cette huile sur toile de 76 × 55 cm est un portrait qui représente en clair-obscur une fillette aperçue de profil soufflant sur les braises d'un brasero. L'œuvre est conservée au Louvre Abou Dabi, aux Émirats arabes unis. Mais revenons un peu en arrière pour reprendre la visite "classique" à partir du rez-de-chaussée par lequel nous découvrons la résidence. Les murs sont ornés de toiles de Chardin, Boucher ou Nattier.
Françoise Renée de Carbonnel de Carisy, marquise d’Antin,huile sur toile réalisée en 1738 par Jean-Marc Nattier (1685-1766)Puis c’est le grand salon où les lignes courbes sont préférées aux lignes droites. Il exhibe de superbes bustes et enfin le Grand Salon de Musique dont le plafond est orné d’Apollon et les murs de magnifiques tentures. L’orchestre s’installait dans les galeries. Des musiciens aussi réputés que Debussy ou Fauré y ont joué. Et il faut imaginer l’ambiance les soirs de réception sachant que le nombre d’invités pouvait grimper jusqu’à un millier.
Sur la gauche un modeste jardin d’hiver fait le lien entre cette pièce et le fumoir. Des jeux de miroirs bouleversent notre appréciation des proportions.

Nous monterons à l’étage par un splendide escalier à double révolution qui mène à l’étage où nous découvrons une fresque magnifique, datant de 1745, représentant la réception d'Henri III à la Villa Contarini Giambattista Tiepolo (1696-1770).
Elu roi de Pologne en 1573, le futur Henri IIII décide de rentrer un an plus tard en France pour succéder à son frère Charles IX qui vient de mourir. En chemin, il séjourne une douzaine de jours à Venise où il reçoit un accueil grandiose. Au moment de quitter la Vénétie, il accorde une dernière faveur au procureur Federigo Contarini, en s'arrêtant dans sa villa à Mira, sur les rives de la Brenta.En 1745, c'est le souvenir de cette visite qui sert de prétexte au peintre Giambattista Tiepolo pour décorer le vestibule de la villa Contarini. L'artiste vénitien associe à cet évènement illustre la commémoration du mariage de Lucrezia Corner, adossée à la colonne de gauche, avec Vincenzo Pisani, devenu propriétaire de la villa, qui se tient en face d'elle. La fresque offre donc une double lecture, celle de l'événement contemporain et celle, plus ancienne, de la visite du souverain. La fresque de La Renommée annonçant la visite du Roi Henri III qui décore aujourd'hui le plafond du restaurant du Musée, venait compléter celle-ci.
Ce qui est fou c'est qu'un siècle et demi plus tard, les époux André découvrent l'ensemble qui est alors à vendre et en décident l'acquisition pour leur hôtel parisien. Il faut huit mois, de mai 1893 à janvier 1894, juste avant la mort d'Édouard André, pour détacher les fresques, les transporter et les remonter dans la cage de l'escalier d'honneur (qui deviendra l'escalier Tiepolo), et dans le restaurant du Musée. La restauration de l'œuvre murale, réalisée en 1998, grâce au mécénat des Assurances Generali, restitue à la fresque ses qualités premières - effet de trompe-l'œil, illusionnisme, ampleur de la mise en scène et délicatesse de la polychromie - qui nous permettent d'admirer désormais le plus bel ornement de l'hôtel.
L’ancien atelier de Nélie, exposé judicieusement au nord (mais qu’elle n’utilisa pas, ayant arrêté de peindre) est un superbe écrin pour les sculptures. Son plafond à caissons mérite qu’on lève les yeux.
Nous poursuivons dans le Musée italien qui nous transporte chez les Florentins. Ce tableau représentant Saint Georges combattant le dragon est une tempera sur bois de 1475 de Paolo Uccello (1397-1475) qui était surtout réalisateur de fresques. Nous sommes encore au début de la Renaissance comme en témoigne la maitrise incomplète de la perspective et des proportions entre les personnages.
On peut aussi s'extasier sur une huile sur bois du XV° siècle : La Vierge et l'Enfant de Pietro Vanucci dit Le Pérugin (1445-1523), un proche de Botticelli. En général, pour que ces peintures transmettent des émotions les peintres prennent des enfants qui ne sont pas des bébés et leur donnent des têtes d’adultes. Il faut situer cette pratique dans le contexte de l’époque qui pensait que les bébés étaient des corps vides. On est loin de ce que Georges De La Tour propose avec son Nouveau-né.
Il y a aussi de superbes stèles d’église d'église de Pantaleone Dei Marchi vers 1510 en marqueterie de bois d’amarante et de poirier, dont les sujets représentés sont totalement maitrisés.
Le plafond de cette chambre vénitienne est d’une beauté spectaculaire est attribué à Girolamo da Santacroce et a été fait au cours de la première moitié du XVI°.
Georges De La Tour, entre ombre et lumièreAu Musée Jacquemart-AndréDu 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026158 Bd Haussmann, 75008 Paris
