Qui pourrait ne pas apprécier Nouvelle vague, le film que Richard Linklater a consacré à l’histoire de Jean-Luc Godard tournant À bout de souffle, racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant À bout de souffle durant l’été 1959, le chef-d'œuvre qui a lancé la carrière de Godard et qui a changé le visage du cinéma.Il fallait que ce réalisateur américain aime par dessus tout ce mouvement cinématographique pour avoir le cran de s'en emparer après en avoir rêvé pendant plus de dix ans et … le présenter lui-même à Cannes (il était en sélection officielle), d
ix-neuf ans après avoir connu les honneurs de la Compétition avec Fast Food Nation (2006).Qui aurait attendu un texan de soixante-cinq ans sur ce sujet là pour son trente-troisième film ? Même s'il a la réputation d'être l’électron libre du cinéma d’auteur américain et de n'être pas du tout dans la mouvance hollywoodienne. Qu'un réalisateur filme la réalisation d'un film est toujours intéressant, comme l'avait fait François Truffaut avec La nuit américaine (1973).Son regard s'attarde sur les spécificités qui, pour nous français, semblent aller de soi. Il rend un magnifique hommage aux cinéastes français qui, critiques pour Les Cahiers du cinéma, ont tous fini par "passer de l'autre côté", assumant ainsi leur point de vue jusqu'au bout. Et bien entendu particulièrement au dernier à avoir réussi à faire son "propre" film, Jean-Luc Godard.
C'est une excellente idée d'avoir opté pour le noir et blanc dont la valeur évocatrice et historique est puissante et dont le grain de l'image renforce le côté vintage. Tout comme il a eu raison d'oser un casting de comédiens très peu connus mais qui ressemblent à leurs personnages, et qui soient précisément inconnus afin de ne pas gâcher l’illusion de représenter des visages et des silhouettes que les cinéphiles connaissent.La seule entorse est le choix de Zoey Deutch qu'il avait dirigée dans Everybody wants some !! (2016)pour incarner Jean Seberg. Elle est très peu connue en France même si je me souviens d'elle dans le dernier film de Clint Eastwood Juré n°2 où elle était une Allison fort émouvante ? Et qui reconnaitra Tom Novembre (parfait) en Jean-Pierre Melville ?Guillaume Marbeck est un Jean-Luc Godard autant anxieux que provocateur, totalement crédible, bien davantage que Louis Garrel (pourtant très bon) ne le fut dans Le redoutable de Michel Hazanavicus Pour camper Jean-Paul Belmondo ce sera Aubry Dullin jusqu'à maintenant photographe professionnel et occasionnellement modèle. Ce sera peut-être le personnage le plus éloigné du modèle que nous avons en tête tant on connait bien Bébel. Il y aura un jeune Raoul Coutard (Matthieu Penchinat) à la caméra, un jeune Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst) à la production. Des jeunes de 2024 avec le visage de jeunes de 1959.Apparaitront à l'écran des visages familiers aux cinéphiles, inconnus pour les autres qui liront leurs noms s'affichant en name-dropping. Il y aura des salles de projections enfumées. Il y aura d'antiques machines à écrire. Il y aura des starlettes sur la Croisette. Il y aura de vieilles publicités sur les murs du métropolitain. Il y aura des costumes et des voitures d’époque. Il y aura une robe Chanel qui aura été conçue spécialement par la maison de haute-couture en hommage à Jean Seberg (qui en portait dans la vie).Il y aura des anecdotes. Il y aura Godard faisant la roue devant les caméras de télévision. Il y aura des emprunts musicaux aux années 1956 à 1959 (voir en fin d'article). Il y aura beaucoup, vraiment beaucoup de citations (rassemblées elles aussi en fin d'article). Il y aura des images faisant penser que nous sommes devant un documentaire d'archives.On est dans le bain dès le générique alors que le copyright 1959 s'incruste à l'écran et que le phrasé si typique de l'époque commente les images. Les "vedettes", ce sont François Truffaut, Claude Chabrol, Suzanne Schiffman (1929-2001), qui avant de devenir scénariste et réalisatrice fut la scripte de Truffaut, Rivette et Godard, tous assis côte à côte en salle de projection pour visionner les Quatre Cents Coups… et fumant comme des pompiers, car c'était permis à l'époque.On les suit au cours d'une fête (qui semble avoir été filmée rue Boyer à la Bellevilloise). On reconnait Juliette Gréco (Alix Benezech qui en a quasiment la voix).On a la chance de passer un moment au sein de la "mythique" salle de rédaction des Cahiers, où Truffaut, Chabrol et Godard travaillent côte à côte, tapant avec force sur d'antiques machines à écrire à clavier, des "papiers" dans leur style si caractéristique de suites de mots. On apprendra, si on ne le sait pas, que le père de la nouvelle vague est Rossellini, toujours le bienvenu aux Cahiers.On retiendra l'essentiel de la "marque de fabrique de Godard" :- une caméra à l’épaule.- une caméra Cameflex si bruyante qu'elle rendait impossible l'utilisation du son direct.- trois objectifs, dont un zoom, ce qui était audacieux pour 1959.- des ruptures de ton, de l'humour, des choses interdites et de l'insolence.- beaucoup d'improvisation car le tournage se fait sans scénario (bien que Truffaut l'ait signé) afin de privilégier la spontanéité (les comédiens ne connaissent pas leur texte à l'avance)- on arrête de tourner et on libère les acteurs dès que l'inspiration se tarit- un tout petit budget, pratiquement pas d'éclairages et pas de maquillage
Sans refaire À bout de souffle, le réalisateur américain s'est manifestement inspiré des photographies de plateau, dont certaines sont reproduites tout en nous révélant l’envers du décor, ce qui reste d'habitude hors-champ.Il aurait été impossible d'éviter la scène du triporteur (cacher la caméra permettait d'utiliser des images volées et de n'avoir pas à payer les figurants). Tout comme la fameuse réplique employant le mot dégueulasse : Avant de mourir, allongé sur les pavés, Michel murmure à Patricia : J'suis vraiment dégueulasse. N'ayant pas compris, la jeune femme demande aux policiers : Qu'est-ce qu'il a dit ? On lui répond : Il a dit : vous êtes vraiment une dégueulasse.Qu'est-ce que c'est, dégueulasse ? demande-t-elle, en fixant son regard direction caméra (le public) et en reprenant un geste de Michel, le pouce caressant sa lèvre supérieure.Le film commence avec le thème final des "400 coups" de Truffaut et, c'était inévitable, quelques notes de piano signées Martial Solal, compositeur de la musique iconique du film original À bout de souffle, dont il a composé la musique sur la recommandation de Jean-Pierre Melville.Cet hommage qui s'adresse à tous les réalisateurs de la Nouvelle vague s'achève sur un générique de fin qui défile sur la chanson de Nouvelle Vague (composé par Mike Stoller, Jerry Leiber), traduction libre de Three Cool Cats des Coasters, immense succès du 45 tours du chanteur franco-égyptien Richard Anthony (1959), spécialiste de l'adaptation de tube américains pour la jeunesse française. La pochette du 45 tours sorti chez Sony Atv Music sera illustré avec une MG décapotable rouge, et le titre sera vite adopté par toutes les radios.Nouvelle vague, un film de Richard LinklaterAdaptation et dialogues de Michèle Halberstadt et Laetitia MassonAvec Guillaume Marbeck (Jean-Luc Godard), Zoey Deutch (Jean Seberg), Aubry Dullin (Jean-Paul Belmondo), Bruno Dreyfürst, Benjamin Cléry, Alix Benezech, Tom NovembreEn salles depuis le 6 novembre 2025** *Les citations composent la moitié des dialogues, et c'est logique. En voici un florilège :La meilleure façon de critiquer un film, c'est de faire un film. Jean-Luc GodardUn court-métrage, c'est de l'anti-cinéma. Jean-Luc GodardEtre seul c'est se poser des questions. Faire des films c'est y répondre. Jean-Luc GodardVous ne faites pas un film, c’est le film qui vous fait. Jean- Luc GodardC'est pas en suivant les règles que j'arriverai où je veux aller. Jean-Luc GodardNous contrôlons nos pensées, qui ne veulent rien dire, mais pas nos émotions, qui veulent tout dire. Jean-Luc GodardJ'adore le montage. on coupe aucune scène. On coupe à l'intérieur des scènes. Jean-Luc GodardLa meilleure façon de filmer est la plus simple. Tournez vite. Interrompez dès que le création faiblit. Trouvez des solutions économiques. Roberto RosselliniPremier jour du tournage : fin du rêve ! Roberto RosselliniLaissez tomber le secondaire. Privilégiez le lyrisme. Jean-Pierre MelvilleLe jour où vous serez sur le tournage et que tout le monde vous regardera, ce sera votre enfer à vous ! Jean-Pierre MelvilleSois rapide comme Rossellini, malicieux comme Sacha Guitry, musical comme Orson Welles, simple comme Marcel Pagnol, blessé comme Nicholas Ray, efficace comme Hitchcock, profond comme Bergman et insolent comme personne. François TruffautJuste, ne merde pas. Suzanne SchiffmanProuvons que : "Le génie n’est pas un don, mais l’issue que l’on invente dans les cas désespérés." Jean-Paul Sartre. Ça te va ? Pierre RissientL’essentiel, c’est de s’amuser. Jean-Paul BelmondoWhen will this fucking movie be over? Jean SebergJe n’ai pas besoin de temps, j’ai besoin d’une date butoir. Duke EllingtonLes poètes immatures imitent, les poètes mûrs volent. T.S. EliotL’art n’est pas un passe-temps, c’est un sacerdoce. Jean CocteauL’art, c’est soit du plagiat, soit la révolution. Paul GauguinL’art n’est jamais terminé, seulement abandonné. Léonard de VinciQuelques chansons :
Evening in Paris - Quincy Jones / Zoot SimsSplanky - Neal Hefti / Count Basie (1958)Our Pad - Robert Mosher / Zoot SimsTout l'amour - Beverly Brooks, Gil Garfield, Pat Murtagh (musique originale "Passion Flower"), adaptation Guy Bertret et André Salvet / Dario Moreno (1959)Tu me donnes - Mario Panzeri, Sandro Taccani & Vernon Di Paola (musique originale "Gimme Gimme"), adaptation Jacques Larue / Dalida (1959)My Old Flame - Arthur Johnston, Sam Coslow / Zoot Sims (1950)Scoubidou des pommes des poires - Lewis Allan (musique originale "Apples, Peaches and Cherries"), adaptation Sacha Distel et Maurice Tézé / Sacha Distel (1959)Trinité & Finale - Jean Constantin (tiré du film "Les quatre cent coups")Violets for Your Furs - Tom Adair, Matt Dennis / Jutta Hipp, Zoot Sims (1956)Hully Gully - Cliff Goldsmith, Fred Sledge Smith / The Olympics (1959)I Understand - Kim Gannon, Mabel Wayne / Zoot SimsCampagne Première - Martial Solal (tiré du film "A bout de souffle")Sharp Eddie - Henry WernerNouvelle Vague - Mike Stoller, Jerry Leiber (musique originale "Three Cool Cats") / Richard Antony (1959)
