Mona Best, mère de Pete Best, a joué un rôle fondamental dans l’émergence des Beatles. À travers son club, le Casbah Coffee Club, elle a offert aux jeunes musiciens un lieu d’expression et d’expérimentation. Elle a soutenu son fils Pete et les Beatles dans leurs premiers pas, devenant un pilier de la scène musicale de Liverpool. Son héritage reste marqué par l’importance historique du club, qui est aujourd’hui un site protégé.
Sommaire
- Une enfance en Inde et un horizon nouveau
- L’adaptation à Liverpool et la quête d’espace
- La famille Best, les séparations et une naissance mystérieuse
- La genèse du Casbah Coffee Club
- L’émergence de Pete Best et la place de la famille
- Les Beatles et l’essor inévitable
- La douloureuse mise à l’écart de Pete Best
- La fermeture du Casbah et une reconnaissance tardive
- Les dernières années de Mona et son héritage
- La controverse autour du pari et de l’anecdote du cheval
- L’influence de Mona Best sur la scène rock de Liverpool
- Les sentiments contrariés de Brian Epstein et John Lennon
- Un héritage qui transcende le temps
- L’ultime paradoxe de Mona Best
- Une passion à l’origine d’un monument musical
- Un destin à part dans l’univers Beatles
- Un héritage vivant
Une enfance en Inde et un horizon nouveau
Le parcours de Mona Best débute dans un contexte géographique et historique bien éloigné de Liverpool. Elle naît le 3 janvier 1924 à Delhi, en pleine période du Raj britannique. Son père, Thomas, est un major irlandais, et sa mère, Mary, est d’origine anglaise. Mona a trois frères et sœurs prénommés Brian, Patrick et Aileen. Dès sa jeunesse, elle découvre donc une mosaïque culturelle : l’Inde coloniale, dont la société se mêle à la culture anglo-irlandaise héritée de ses parents.
Dans ces premières années, Mona se forme auprès de la Croix-Rouge, un engagement qui révèle son tempérament actif. Sa vie bascule cependant très tôt lorsqu’elle met au monde, à 17 ans, un fils qu’elle prénomme Randolph Peter Scanland, plus tard connu sous le nom de Pete Best. Ce père de l’enfant, Donald Peter Scanland, est ingénieur de marine. Il meurt pendant la Seconde Guerre mondiale, laissant Mona assumer seule la charge de cet enfant.
Dans le contexte particulier de l’Inde sous domination britannique, Mona croise ensuite la route de Johnny Best, un officier originaire de Liverpool. Champion de boxe dans l’armée, Johnny impressionne par sa force physique et sa réputation d’instructeur. Les deux se lient au point de se marier en 1944, à Bombay, dans la cathédrale Saint-Thomas. Ils donnent naissance à un fils en janvier 1945, prénommé John Rory. Moins d’un an plus tard, la famille quitte l’Inde à bord du Georgic, un navire qui rapatrie des militaires ayant servi sous les ordres du général William Slim. À l’issue d’une traversée de quatre semaines, la vie de Mona prend un nouveau tournant le jour où elle pose le pied à Liverpool, le 25 décembre.
L’adaptation à Liverpool et la quête d’espace
Mona, jeune femme venue d’une Inde vaste et marquée par la différence sociale entre colons et population locale, aspire à retrouver un certain style de vie. Le milieu familial de Johnny Best, renommé dans le domaine de la promotion sportive, jouit d’une certaine notoriété sur Merseyside. Mona se rend vite compte que ce nom lui octroie des privilèges : on la reçoit avec égards dans les restaurants, les théâtres, et elle côtoie des personnalités issues du milieu sportif.
Pourtant, la vie quotidienne n’est pas toujours aisée. Les Best vivent d’abord brièvement dans la grande demeure familiale de West Derby, baptisée Ellerslie, mais Mona s’y heurte à une belle-sœur rétive, Edna, qui désapprouve son arrivée. Mona, lassée de ces conflits, cherche ensuite divers logements, toujours à l’affût d’une maison imposante. Elle a gardé, de l’Inde, le goût des espaces vastes et de l’habitat cossu. Les maisons modestes et mitoyennes de Liverpool ne lui conviennent guère, surtout lorsqu’il s’agit de loger ses enfants et sa propre mère, venue elle aussi d’Inde.
La famille Best déménage à plusieurs reprises, passant par Cases Street (au-dessus d’un pub), puis par Princess Drive. Après près de neuf ans à 17 Queenscourt Road, Mona trouve finalement, en 1957, la perle qu’elle convoitait : un vaste bâtiment victorien sis au 8 Hayman’s Green, dans le quartier de West Derby. Construit vers 1860, le lieu n’a rien de banal. Il a servi à une époque de siège pour un club conservateur local, possède une quinzaine de chambres, un grand jardin envahi par la végétation et une architecture qui tranche nettement avec la plupart des résidences de Liverpool.
La légende attribue l’achat de cette demeure à un pari risqué. Selon une histoire souvent répétée, Mona aurait misé le produit du gage de ses bijoux (ou d’autres biens de valeur) sur un cheval nommé Never Say Die, vainqueur à 33 contre 1 lors du Derby d’Epsom en 1954, monté par le tout jeune jockey Lester Piggott. Mais certains historiens, comme Mark Lewisohn, émettent des doutes sur la véracité de ce récit. Quoi qu’il en soit, Mona s’installe bel et bien dans ce manoir à la peinture sombre, à la décoration défraîchie, mais chargé de potentiel. Elle épouse la bâtisse d’une touche orientale dans le salon, un clin d’œil direct à ses années indiennes.
La famille Best, les séparations et une naissance mystérieuse
La vie de couple de Mona et Johnny s’avère houleuse. Même si Johnny jouit d’une réputation flatteuse dans le milieu sportif, le couple n’arrive pas à trouver un équilibre durable. Les divergences s’installent et, vers la fin des années 1950 ou le début des années 1960, ils vivent séparés. Parallèlement, Mona noue une relation avec un jeune homme lié au destin musical de son fils Pete : Neil Aspinall, futur proche collaborateur des Beatles.
Aspinall, d’abord ami de Pete Best, loue une chambre dans la demeure familiale. De cette liaison naît en juillet 1962 un enfant prénommé Vincent Roag Best. Bien que Roag ne soit pas officiellement enregistré comme étant le fils d’Aspinall, il est ultérieurement confirmé qu’Aspinall en est le père biologique. Cet événement survient à un moment charnière pour Pete Best, alors batteur au sein des Beatles, et anticipe de quelques semaines à peine le licenciement de Pete par le groupe.
Dans l’Angleterre du début des années 1960, cette situation intrigue et suscite parfois des commérages. Mona, mère de trois fils, doit composer avec un mari éloigné, un fils aîné promis à une carrière musicale incertaine, et la naissance d’un troisième enfant dont le père est un proche du groupe. Elle gère les questions familiales avec un pragmatisme certain, convaincue qu’il lui faut avant tout sécuriser l’avenir de ses fils et conserver ce grand manoir où elle voit un potentiel immense.
La genèse du Casbah Coffee Club
En cette fin des années 1950, Mona observe l’émergence de cafés-concerts destinés à la jeunesse, particulièrement à Londres. Elle voit à la télévision un reportage sur le 2i’s Coffee Bar, un haut lieu de découverte de talents. Liverpool, bien que dynamique, ne propose alors que peu d’endroits où les adolescents peuvent se retrouver pour écouter du rock naissant. Mona a l’idée d’exploiter la cave spacieuse de son manoir au 8 Hayman’s Green.
Elle décide d’y créer un club, nommé Casbah Coffee Club. L’inauguration est fixée au 29 août 1959. Elle perçoit immédiatement l’opportunité : faire payer aux membres une cotisation annuelle modique (de l’ordre de quelques shillings) tout en veillant à écarter ceux qu’elle appelle les éléments indésirables, dans un Liverpool où les tensions entre bandes de jeunes ne sont pas rares. À l’époque, les clubs de ce genre servent souvent du café, des sodas, quelques collations, et mettent à disposition un petit tourne-disque ou, plus rarement, de la musique live.
Pour l’ouverture, Mona embauche le Les Stewart Quartet, un groupe local dans lequel on retrouve déjà un certain George Harrison. Mais au dernier moment, une querelle interne fait que le quartet annule sa prestation. Harrison, pressé de trouver un remplacement, propose de faire jouer ses amis, un groupe nommé les Quarrymen. En réalité, cette formation englobe John Lennon, Paul McCartney et, à l’époque, Stuart Sutcliffe, accompagné de Harrison lui-même.
Pour que l’espace de la cave soit prêt, Mona sollicite l’aide des musiciens. Lennon, McCartney, Harrison et Sutcliffe enduisent les murs de peintures, dessinent des motifs tels que des araignées, des étoiles, des dragons et un insecte évoquant un scarabée (beetle). Lennon, myope, confond la peinture laquée et la peinture à l’eau, causant un séchage laborieux. Cynthia Powell, la fiancée de Lennon, ajoute une silhouette de John sur l’un des murs. Ces éléments, étonnamment, subsistent encore de nos jours.
Le soir de l’ouverture, environ 300 jeunes se pressent dans la cave, sous une chaleur étouffante, car la ventilation est quasi inexistante. Les Quarrymen ne disposent pas de sonorisation sophistiquée et empruntent un ampli à un jeune guitariste amateur prénommé Harry, payé en nature pour ses services. Malgré ces limites, la soirée rencontre un succès immédiat. Mona instaure alors un cachet de 15 shillings par prestation pour le groupe, qui se produit tous les samedis soirs. L’atmosphère, marquée par l’enthousiasme d’une jeunesse avide de rock, augure déjà de la folie qui entourera bientôt la Beatlemania.
L’émergence de Pete Best et la place de la famille
Pete Best, né en 1941, arrive à l’adolescence dans ce bouillonnement musical. Il est élève au Collegiate Grammar School mais se passionne de plus en plus pour la batterie. Mona, voyant l’intérêt de son fils, lui achète une batterie chez Blackler’s, un magasin de musique de Liverpool. Pete monte son propre groupe, les Black Jacks, avec notamment Ken Brown et Chas Newby. Mona, loin de s’inquiéter, encourage ces répétitions, consciente que l’émergence d’une nouvelle scène musicale pourrait faire la renommée du Casbah Coffee Club.
À l’issue d’une dispute entre Mona et Lennon au sujet du partage du cachet, les Quarrymen cessent pour un temps leur résidence au Casbah. Le conflit se produit lorsqu’un des musiciens, souffrant de la grippe, reste dans le salon de la maison au lieu de jouer. Lennon, McCartney et Harrison veulent alors récupérer sa part d’argent, tandis que Mona juge qu’il faut la lui laisser. Le désaccord est tel que Lennon et ses acolytes se lèvent, furieux, et quittent la cave en jurant de ne plus y revenir. Toutefois, le lien entre eux et la famille Best n’est pas rompu définitivement. Des compromissions futures surviennent, car le club demeure l’un des rares endroits de Liverpool où un groupe débutant peut se produire dans une atmosphère propice au rock.
Très vite, d’autres formations locales telles que les Searchers et Gerry and the Pacemakers font vibrer les murs du Casbah. La salle acquiert une solide réputation parmi les adolescents. Mona, gérante avisée, revend des cartes de membre, instaure un droit d’entrée, vend des consommations. Au fil des mois, les revenus sont suffisants pour entretenir la demeure, nourrir la fratrie Best, et soutenir les projets musicaux de Pete.
Les Beatles et l’essor inévitable
Petit à petit, le groupe de Lennon, McCartney et Harrison évolue, se rebaptise les Beatles, accueille divers bassistes avant de stabiliser sa formation avec Stuart Sutcliffe, puis Paul à la basse, et Pete Best à la batterie. On est au tout début des années 1960. Mona, protectrice de Pete, se fait un point d’honneur à promouvoir la carrière des Beatles, dans l’espoir de voir son fils accéder à une notoriété grandissante. Elle s’efforce de persuader Ray McFall, propriétaire du Cavern Club, d’organiser des concerts rock à l’heure du déjeuner. À l’époque, le Cavern privilégie le jazz. Grâce à la persévérance de Mona et à la popularité croissante du nouveau style rock ‘n’ roll, le Cavern finit par changer de cap.
Brian Epstein, futur manager emblématique, repère le groupe et entreprend de les prendre sous son aile. L’avis de Mona compte, car elle est la figure de référence pour tout ce qui touche aux Beatles dans ce quartier de West Derby. Le téléphone de la famille Best sert souvent à prendre les réservations de concerts, les musiciens dorment parfois sur les canapés du salon. Mona nourrit toutefois quelques réticences à l’égard d’Epstein, car elle craint que les besoins de Pete ne soient pas placés en priorité. Certains proches racontent qu’elle harcèle Epstein au sujet des conditions d’engagement, du matériel scénique et de l’avenir du groupe. Brian, peu habitué à ce type de confrontation, ne parle jamais d’elle que sous l’expression “cette femme”.
Lors des expéditions des Beatles à Hambourg, Mona intervient aussi : quand Pete, McCartney et Harrison sont expulsés d’Allemagne en 1960 pour des raisons de visa, c’est elle qui multiplie les coups de téléphone pour rapatrier leur matériel, afin d’éviter que les instruments ne se perdent ou ne s’abîment. Par cette implication constante, elle devient une sorte de “manageuse de l’ombre”, à la fois intraitable et protectrice.
La douloureuse mise à l’écart de Pete Best
En août 1962, la nouvelle tombe comme un coup de massue : Pete Best est congédié des Beatles, sur initiative d’Epstein. Les raisons de ce renvoi ont fait couler beaucoup d’encre : on évoque son style de batterie jugé trop limité, ses différends avec Paul et John, ou encore l’agacement suscité par son succès auprès du public féminin. Quoi qu’il en soit, la décision est rapide et sans appel. Pete apprend son éviction alors que le groupe s’apprête à enregistrer et à conquérir le monde.
Pour Mona, le choc est rude. Elle ne comprend pas pourquoi un groupe qu’elle a soutenu et hébergé se détourne ainsi de son fils. Elle ne manque pas de le faire savoir à la presse, à Hunter Davies (biographe des Beatles) et à quiconque tend l’oreille. Dans ses mots, les Beatles avaient trouvé chez elle un soutien infaillible, des repas gratuits, des avances d’argent, et voilà qu’ils se séparent brutalement de Pete. À la suite de cette rupture, le club familial perd un atout majeur, car la présence de Pete dans le groupe attirait naturellement les fans au Casbah.
Quelques semaines auparavant, Mona venait de donner naissance à un fils, Roag, dont le père biologique est Neil Aspinall. La coïncidence de cette naissance et de l’exclusion de Pete Best alimente nombre de rumeurs. Sur l’acte de naissance, le père déclaré est officiellement John Best, et non Aspinall. Dans ce contexte familial pour le moins mouvementé, Mona continue d’exploiter le Casbah, mais l’atmosphère ne sera plus jamais la même.
La fermeture du Casbah et une reconnaissance tardive
Après avoir vécu son apogée, le Casbah Coffee Club ferme ses portes en juin 1962, lors d’une ultime soirée où les Beatles se produisent encore, juste avant d’évincer Pete. À cette époque, la fréquentation du club dépasse largement le millier d’adhérents, mais Mona pressent peut-être que l’essence même du lieu ne peut se pérenniser sans le soutien total des Beatles.
La suite des événements donne raison à son intuition : la Beatlemania explose, Epstein encadre fermement la carrière du groupe, Ringo Starr devient le nouveau batteur, et Pete se retrouve à l’écart de la gloire planétaire. Mona, de son côté, ne se lance pas dans d’autres affaires comparables. Elle continue d’habiter au 8 Hayman’s Green avec sa mère, grabataire, et reçoit parfois des locataires payants pour combler les frais.
Des années plus tard, lorsque les Beatles immortalisent la pochette de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band en 1967, John Lennon contacte Mona pour lui demander de prêter les médailles de guerre de son père, Thomas Shaw, obtenues en Inde. Mona, malgré la rancœur qu’elle nourrit encore vis-à-vis du renvoi de Pete, accepte d’envoyer ces décorations. John porte donc ces médailles durant la séance photo, et elles figurent ainsi sur la couverture de l’album. Un autre objet lié à Mona est présent : un trophée du magazine Cash Box, glissé dans les lettres fleuries formant THE BEATLES. Ce geste symbolise que, malgré la rupture douloureuse, un lien subsiste entre Mona et le groupe.
Les dernières années de Mona et son héritage
Mona ne rouvre jamais de club, n’entreprend pas d’autres projets spectaculaires. Elle reste avant tout la mère de trois fils, dont Pete et Roag, marqués par des trajectoires divergentes. Pete poursuit un temps la musique avec divers groupes, avant de se reconvertir progressivement. L’ombre des Beatles plane en permanence sur la famille Best, attirant journalistes et fans curieux de découvrir le “batteur oublié”. Mona, quant à elle, demeure une personnalité incontournable de Liverpool, tant pour ceux qui se souviennent de ses soirées animées au Casbah que pour ceux qui s’intéressent aux anecdotes entourant la naissance d’une légende.
En septembre 1988, après une longue maladie associée à un problème cardiaque, Mona Best s’éteint dans un hôpital de Liverpool. Elle avait 64 ans. Sa disparition ne fait pas la une des journaux nationaux, mais elle est pleurée localement par une scène musicale qui se souvient de son rôle décisif.
Dans les décennies qui suivent, la mémoire de Mona s’enracine grâce à la réhabilitation du Casbah Coffee Club. En 2006, l’édifice est classé Grade II par les autorités britanniques du patrimoine, ce qui souligne son importance historique et culturelle. Les murs peints par Lennon, McCartney, Harrison et Sutcliffe y sont encore visibles, témoignant de l’esprit des débuts. Les visiteurs peuvent arpenter la cave exiguë et prendre conscience de la simplicité des installations. Il s’agit d’un véritable “lieu de pèlerinage” pour les fans qui souhaitent ressentir l’ambiance des premiers concerts du groupe.
La controverse autour du pari et de l’anecdote du cheval
Dans l’imaginaire collectif, une anecdote a longtemps nourri la fascination pour Mona Best : l’histoire selon laquelle elle aurait acquis la demeure de Hayman’s Green grâce à un coup de chance au tiercé, plaçant sa mise sur Never Say Die, le cheval outsider du Derby d’Epsom de 1954. Lester Piggott, âgé de 18 ans, aurait alors fait triompher l’animal à 33 contre 1, offrant à Mona un gain inattendu, idéal pour s’offrir la résidence de ses rêves. Cette version, aussi pittoresque qu’alléchante, fait penser à un scénario de film hollywoodien, où la fortune sourit en un instant à la mère d’un futur batteur des Beatles.
Pourtant, Mark Lewisohn, historien et spécialiste de la biographie des Beatles, émet des doutes. Il pense que ce récit est probablement inexact, voire fabriqué de toutes pièces. Mais la persistance de la légende illustre le besoin qu’a l’opinion publique d’entourer de romanesque la naissance des Beatles. Le fantasme d’une mère un peu bohème, pariant tout sur un cheval, symbolise l’esprit aventurier que l’on aime attribuer à Liverpool.
L’influence de Mona Best sur la scène rock de Liverpool
Au-delà de l’anecdote, la figure de Mona Best représente un jalon majeur dans la géographie affective et musicale des Beatles. En créant le Casbah Coffee Club, elle offre à la jeunesse un lieu de rencontre et d’émulation. Elle impose des règles de respect, facture une cotisation, instaure un seuil symbolique pour entrer dans l’enceinte, puis laisse la musique faire le reste. Dans une époque où le rock ‘n’ roll commence à supplanter les groupes de skiffle et la scène jazz, ce concept attire immédiatement les adolescents en quête de nouveauté.
Sur le plan historique, le Casbah devance d’autres clubs de légende, comme The Cavern, en donnant la priorité au rock. Les ex-coal cellars, c’est-à-dire les anciennes caves à charbon, s’ornent de fresques improvisées, d’illustrations fantaisistes, qui deviennent des éléments décoratifs uniques et témoignent d’une volonté de s’exprimer librement, loin des codes bourgeois. Les Quarrymen, précurseurs directs des Beatles, trouvent dans cette enceinte un terrain de répétition où ils peuvent, sans grande contrainte, tester leur répertoire.
Cet esprit un brin familial, soutenu par la personnalité forte de Mona, va cimenter l’aura du Casbah. C’est là, en se produisant chaque samedi, que Lennon, McCartney, Harrison, Sutcliffe et d’autres entament la lente ascension vers ce qui deviendra un succès mondial. S’ils finissent par migrer vers d’autres salles, attirant davantage de public, ils ne renient pas ces premières scènes qui leur ont permis de se forger un style.
Les sentiments contrariés de Brian Epstein et John Lennon
Mona, souvent décrite comme autoritaire, se heurte à l’ambition et aux méthodes plus policées de Brian Epstein. Lui veut professionnaliser les Beatles, négocier des contrats nationaux, standardiser leur image. Elle, de son côté, croit en une fibre plus rebelle. Elle connaît aussi la force d’attraction de Pete, qu’elle juge indispensable. Lorsque la décision de remplacer Pete par Ringo Starr se confirme, Mona adresse à Epstein des griefs sur la gestion de leurs concerts et la protection de l’image de son fils. Brian, qui ne veut pas se mettre à dos la mère de Pete (elle-même détentrice d’un club influential pour la scène musicale locale), gère la crise avec prudence.
John Lennon, plus impulsif, garde un certain respect pour Mona, même si les conflits surgissent parfois autour de questions d’argent ou de répartition des cachets. En témoigne l’épisode de la décoration du club, où Lennon et ses amis ont mis la main à la pâte. Plus tard, lorsqu’il a besoin d’accessoires pour la séance photo de Sgt. Pepper’s, Lennon se tourne vers Mona, signe que, malgré tout, un lien affectif persiste.
Un héritage qui transcende le temps
En dépit du fait que Mona Best n’a jamais eu l’envergure d’un manager professionnel ni d’un producteur renommé, son impact demeure considérable. Elle a su flairer la nécessité d’offrir aux jeunes Liverpuldiens un lieu pour s’exprimer. Elle a soutenu l’épanouissement de son fils Pete, jusqu’au jour où les Beatles l’ont écarté. Elle a servi de point de contact entre le groupe et divers organisateurs, négociant des dates, hébergeant les musiciens, récoltant parfois l’argent des cachets.
Sa personnalité, souvent décrite comme intraitable, a laissé une marque dans les souvenirs de ceux qui ont connu l’âge d’or des clubs de Liverpool. Son sens de l’hospitalité, son énergie et son pragmatisme se combinaient à un tempérament fougueux, prêt à se heurter à Lennon ou à défendre bec et ongles les intérêts de son fils. Si le rêve familial a été brisé par l’exclusion de Pete, l’aventure musicale qu’elle a enclenchée au Casbah est devenue légendaire.
Le fait que, des décennies plus tard, l’Angleterre reconnaisse la cave du 8 Hayman’s Green comme un site protégé de Grade II confirme l’importance de ce lieu fondateur. Pour beaucoup de fans, une visite au Casbah revêt autant d’intérêt qu’un passage au 251 Menlove Avenue ou à la maison de McCartney à Forthlin Road. L’histoire du rock se construit souvent autour de lieux sacrés, modestes mais imprégnés d’une aura mythique.
L’ultime paradoxe de Mona Best
La trajectoire de Mona illustre à la fois l’ascension et le revers d’une success story. Elle se retrouve au cœur de la genèse des Beatles, assiste aux premières effervescences du rock britannique, contribue à l’émergence d’un groupe promis à une gloire retentissante. Mais le propre fils de Mona, Pete, finit par être écarté au seuil du succès planétaire. Cet épisode laisse un sentiment amer dans la famille Best, renforcé par la filiation secrète de Roag, l’enfant qu’elle a eu avec Neil Aspinall.
Mona, femme aux multiples facettes, pétrie d’influences indiennes, d’ambitions européennes et de pragmatisme, décède le 9 septembre 1988. Sa mort est imputée à une crise cardiaque, doublée d’une longue maladie qui la rongeait depuis plusieurs années. Elle quitte la scène sans avoir fait grand bruit dans la presse, pourtant, sa contribution à l’effervescence du rock liverpoolien est inestimable.
Les historiens, biographes et amateurs de l’histoire des Beatles lui reconnaissent volontiers un rôle de catalyseur. Avec The Casbah, elle a offert aux Quarrymen/Beatles un laboratoire où se forger une identité musicale. Elle a soutenu, par des moyens parfois directs (accueil, nourriture, argent, matériel), l’éclosion d’un phénomène culturel qui allait transformer la musique populaire à l’échelle mondiale.
Une passion à l’origine d’un monument musical
Aujourd’hui, le nom de Mona Best est moins célèbre que ceux d’autres protagonistes de l’univers Beatles, comme Brian Epstein, George Martin ou encore la tante Mimi (Mary Elizabeth Smith, la tutrice de John). Pourtant, la genèse des Fab Four ne peut être pleinement comprise sans mentionner The Casbah Coffee Club et son inspiratrice.
Dans les circuits touristiques de Liverpool, l’étape au Casbah est un moment fort. Les guides rappellent que c’est là que John, Paul, George et Pete ont joué avant de devenir une curiosité auprès des promoteurs. On peut y observer les peintures originales de Lennon et de ses camarades, découvrir l’ancienne machine à espresso ou le tourne-disque rudimentaire qui diffusait les vinyles. Même si le club n’a pas connu l’intense médiatisation du Cavern, il fut le terrain d’entraînement primordial d’un groupe en pleine quête d’identité.
L’histoire de Mona Best dévoile aussi combien la culture du rock ‘n’ roll britannique a éclos dans des lieux marginaux, improvisés, parfois sous-estimés. Dans un Liverpool de l’après-guerre, la jeunesse cherche à se défaire du carcan austère pour inventer une nouvelle esthétique musicale. Mona, issue d’Inde, porte en elle un brin d’exotisme et d’audace qui cadre mal avec la grisaille ambiante. Son esprit novateur s’accorde parfaitement à la fougue de ces adolescents obsédés par la guitare électrique et la musique des pionniers américains.
Le Casbah reste une œuvre marquée par l’empreinte maternelle, un espace où la femme de caractère qu’était Mona impose son sens des valeurs, son organisation stricte et sa bienveillance. En croisant la route des futurs Beatles, elle contribue à l’explosion de la pop culture. Son fils Pete, si brièvement membre du groupe, en est le témoin le plus direct, blessé par son éviction, mais reconnaissant de l’élan initial.
Un destin à part dans l’univers Beatles
Ainsi, Mona Best se situe à la croisée de deux univers : celui d’une vie chaotique, marquée par la naissance de Pete en Inde, le décès de son premier compagnon, puis l’arrivée en Angleterre, et celui d’une scène rock bouillonnante qui s’épanouit après la guerre. Elle fonde, à travers le Casbah, un microcosme culturel où l’enthousiasme adolescent rejoint la détermination d’une mère prête à tout pour que son fils s’épanouisse derrière ses fûts de batterie.
Cette détermination la fait parfois passer pour autoritaire, voire tyrannique, notamment auprès de Lennon ou d’Epstein, qui ne supportent pas les critiques. Toutefois, la reconnaissance envers Mona demeure vive dans la communauté musicale de Liverpool, consciente qu’elle a offert une rampe de lancement aux talents locaux, bien avant qu’ils ne deviennent des stars internationales.
Son nom continue de circuler dans les livres d’histoire et les témoignages d’anciens musiciens. Pete Best, longtemps resté silencieux sur son éviction, continue parfois à évoquer cette mère charismatique, passionnée, qui gérait la cave d’un manoir sans prétention pour en faire un club mythique. Il raconte ses souvenirs, souligne l’importance qu’elle accordait au respect, à l’accueil des groupes, au soin des instruments, et ses efforts pour conserver un climat sûr dans un Liverpool parfois secoué par la délinquance juvénile.
Un héritage vivant
Des milliers de kilomètres séparaient la ville de Delhi, où Mona était née, du port de Liverpool, où elle s’est éteinte. Et pourtant, c’est dans ce second décor qu’elle a trouvé sa véritable place. Sa vie romanesque, faite de déménagements, de paris plus ou moins risqués et d’initiatives novatrices, symbolise une époque de bouleversements sociaux et culturels.
Au-delà de la fréquentation des restaurants chics et des coulisses de la boxe, Mona a légué à Liverpool un trésor inestimable : la mémoire du Casbah Coffee Club. Classé monument historique, cet espace a conservé son esthétique brute, ses peintures réalisées à la hâte, sa minuscule scène. Chaque recoin résonne des premiers accords de guitares, quand Lennon et McCartney essayaient encore de perfectionner leur style.
Dans la grande saga des Beatles, il est crucial de rappeler que rien n’aurait été pareil sans ces individus qui, dans l’ombre, ont cru en la folie d’un groupe de jeunes garçons. Mona, tout comme tante Mimi ou d’autres figures parentales, s’est investie avec passion, avant même que le monde n’entende parler de John, Paul, George et Ringo. Elle n’a pas bénéficié de la gloire, ni des retombées financières faramineuses, mais elle a su offrir un socle, un lieu, une ambiance, qui a façonné l’ADN du plus grand phénomène pop du XXe siècle.
Tandis que l’histoire a retenu l’envergure entrepreneuriale de Brian Epstein, la créativité de George Martin ou l’empreinte sociale des Beatles, la contribution de Mona Best est plus discrète, mais non moins essentielle. En servant des sodas et du café dans une cave obscure, en toisant d’éventuels fauteurs de trouble, en proposant un cachet aux Quarrymen pour leurs premiers concerts, elle a contribué à l’émergence d’une révolution culturelle.
Sa mort, en 1988, rappelle la fragilité de ces personnages clés, trop souvent oubliés une fois le succès installé. Pourtant, il suffit de pousser la porte du 8 Hayman’s Green pour saisir le rôle déterminant qu’elle a joué. Là, au milieu des fresques d’araignées et d’étoiles, on ressent la ferveur originelle d’une époque où tout restait à inventer.
L’héritage de Mona Best s’incarne dans ce lien intime entre une passion familiale et une dynamique musicale. Pete Best, devenu figure emblématique du “batteur écarté”, porte encore aujourd’hui la marque de cette épopée. Neil Aspinall, avant sa disparition en 2008, reconnut l’importance de Mona dans le lancement des Beatles. Les historiens du rock, quant à eux, soulignent de plus en plus l’importance de revenir aux racines, à ces “petits” clubs fondateurs, dont l’histoire est indissociable de celle d’une mère au caractère bien trempé, née sous le soleil indien, et déterminée à braver toutes les conventions pour que la musique triomphe.
Par ce chemin, Mona Best occupe une place singulière dans la mythologie Beatles. Sans jamais figurer au premier plan, elle a su imposer une vision, concilier un héritage oriental et la réalité d’une Angleterre industrielle, offrir un toit à des artistes en quête d’avenir, et défendre l’intérêt de son fils avec une énergie sans faille. C’est un destin hors normes, à la fois flamboyant et secret, qui fait écho aux contradictions d’une époque où l’on pouvait passer de l’anonymat à la gloire en un clin d’œil, et parfois retomber dans l’oubli après un simple désaccord.
Reste que le nom de Mona Best flotte toujours sur les couloirs de ce grand manoir de West Derby, où la poussière des années 1960 n’a pas tout à fait disparu. Son empreinte, marquée au cœur des peintures murales, témoigne de la jeune femme arrivée d’Inde pour façonner un bout d’histoire du rock à Liverpool, avant de s’éteindre, presque discrètement, laissant derrière elle l’une des pages les plus captivantes de la préhistoire des Beatles.
