Le 11 décembre 1970, un des titres les plus audacieux et percutants de la carrière solo de John Lennon, Working Class Hero, voit le jour. Inclus dans l’album John Lennon/Plastic Ono Band, il devient rapidement une sorte de cri de ralliement pour les laissés-pour-compte, un reflet de la révolte contre l’autorité et l’aliénation sociale. Plus qu’une simple chanson politique, c’est un appel à l’éveil de la conscience, à la remise en question des structures sociales et à la rébellion contre un système oppressif, qui reléguait l’individu au rang de simple rouage dans une machine plus grande. Si Working Class Hero a pu être mal compris à ses débuts, il incarne aujourd’hui l’une des chansons les plus significatives du répertoire de Lennon, un hymne à la fois personnel et universel.
Sommaire
- Un contexte de turbulences sociales et politiques
- La chanson comme révolution interne et sociale
- Une œuvre d’art minimaliste mais percutante
- Une chanson politiquement incorrecte et provocatrice
- Un enregistrement laborieux et une version alternative marquante
- L’homme derrière la chanson : Une complexité humaine et artistique
- Une chanson à l’impact durable
Un contexte de turbulences sociales et politiques
L’album John Lennon/Plastic Ono Band est le fruit d’une période tumultueuse pour l’artiste, marquée par sa rupture avec les Beatles et ses premières explorations musicales en solo. En 1970, Lennon s’inspire de ses expériences personnelles, notamment sa participation à la thérapie primale, un processus thérapeutique qui consistait à revivre ses traumatismes d’enfance pour en libérer les émotions réprimées. Ce parcours introspectif se mêle à la réflexion sociale de Lennon sur les injustices et les inégalités de la société de l’époque.
La fin des années 60 et le début des années 70 sont des moments d’agitation mondiale, avec des manifestations contre la guerre du Vietnam, des soulèvements sociaux dans le monde entier en 1968 et l’ascension du mouvement de la Nouvelle Gauche. Lennon, qui a toujours été sensible aux causes sociales, se voit de plus en plus influencé par la pensée progressiste de l’époque. Dans Working Class Hero, il dénonce la façon dont les classes ouvrières sont manipulées par les classes supérieures pour maintenir l’ordre social et construire la richesse des élites, tout en étant « dopées à la religion, au sexe et à la télévision » pour rester dans leur condition d’infériorité.
La chanson comme révolution interne et sociale
Lennon lui-même a évoqué cette chanson comme étant révolutionnaire. Pourtant, derrière cette affirmation se cache une certaine ironie. Bien qu’il ait été élevé dans un milieu de classe moyenne confortable à Liverpool, il ne s’agit pas de lui demander de suivre son exemple personnel. Lennon ne se considère pas comme un leader, mais plutôt comme un témoin de son époque, un homme qui a traversé des luttes internes et externes. Le Working Class Hero est ainsi une mise en garde : un avertissement à ceux qui se laissent enfermer dans les conventions sociales imposées par l’éducation, la famille et le système.
En prenant comme référence ses propres années de formation, Lennon critique violemment l’éducation qu’il a reçue, et comment elle visait à « fabriquer » un citoyen conforme, prêt à entrer dans les rangs du système capitaliste et bourgeois. Dans ce contexte, il dénonce l’aliénation de l’individu, écrasé par les attentes de la société, et préconise une révolution qui ne soit pas seulement extérieure, mais qui commence dans l’esprit et le cœur de chaque individu. Ce message se retrouve dans l’un des vers les plus emblématiques de la chanson : « When they’ve tortured and scared you for twenty-odd years… » (« Quand ils t’ont torturé et effrayé pendant plus de vingt ans… »), une ligne qui résume l’atrocité du conditionnement social auquel tout un chacun est soumis depuis sa naissance.
Une œuvre d’art minimaliste mais percutante
La composition de Working Class Hero est volontairement simple. Avec une instrumentation presque réduite à sa plus simple expression – une guitare acoustique et la voix de Lennon – la chanson repose sur trois accords. Cette simplicité, loin d’être un défaut, sert au contraire à mettre en lumière le message profond et intense qui en découle. En effet, la mise en musique n’est jamais un but en soi, mais simplement un moyen de véhiculer le cri de révolte. Lennon, qui a souvent joué de son image d’artiste révolutionnaire, n’a jamais cherché à impressionner par la complexité de ses compositions. Au contraire, il a toujours cherché à atteindre l’essence même de la chanson, à la rendre aussi directe et brute que possible.
Dans ses interviews de l’époque, Lennon a d’ailleurs précisé que cette chanson ne s’inspirait pas directement de Bob Dylan, bien qu’il ait admis avoir été influencé par lui. Le style folk de Dylan, qui se battait pour des causes sociales à travers ses chansons, a sans doute joué un rôle dans la façon dont Lennon a abordé la question de la classe ouvrière. Cependant, Lennon ne voulait pas que Working Class Hero soit un simple écho des chansons de protestation des années 60. Il ne voulait pas se contenter de chanter pour « les sans-voix », il voulait provoquer un véritable éveil des consciences.
Une chanson politiquement incorrecte et provocatrice
Lennon savait que sa chanson allait choquer, et il n’hésita pas à inclure des termes vulgaires qui, bien qu’ils fassent partie du quotidien de nombreux travailleurs, étaient impensables dans la musique populaire à l’époque. Ainsi, Working Class Hero contient des injures que Lennon considérait comme une manière d’exprimer la brutalité du monde dans lequel il vivait. EMI, son label, ne partageait pas forcément cette vision, et les deux jurons présents dans la chanson ont été censurés dans la version imprimée des paroles. Mais Lennon, fidèle à sa personnalité rebelle, a tout de même pris soin d’ajouter « Omitted at the insistence of EMI » (« Omise à l’insistance de EMI ») en dessous des paroles censurées, marquant ainsi son opposition à toute forme de censure.
Un enregistrement laborieux et une version alternative marquante
L’enregistrement de Working Class Hero ne s’est pas fait sans mal. Lennon a mis plusieurs jours à obtenir une version satisfaisante, revenant plusieurs fois sur le morceau, notamment pour enregistrer un couplet manquant. La chanson a été enregistrée aux studios Abbey Road, mais à un rythme moins effréné que les sessions des Beatles. Lennon n’était plus dans le cadre rigide du groupe, mais libre d’expérimenter, de douter et de chercher sa voie musicale. Ce perfectionnisme témoigne de son désir de transmettre son message de manière claire, même si cela signifiait perdre en qualité sonore.
Une version alternative de la chanson figure sur la compilation John Lennon Anthology et, tout comme l’original, elle est sortie en mono. Cette version, plus brute, sans les ajustements de production et moins travaillée au niveau du mixage, témoigne de la démarche artistique de Lennon à cette époque : une volonté de laisser la musique et les paroles parler d’elles-mêmes, sans fioritures. Cette prise alternative, plus proche de l’essence de la chanson, fait écho à l’approche minimaliste et directe de la composition.
L’homme derrière la chanson : Une complexité humaine et artistique
Lennon, à l’époque de l’enregistrement de Working Class Hero, se trouvait dans une période de grande instabilité personnelle. Alors qu’il cherchait à se réinventer après sa séparation avec les Beatles, il était en proie à des crises de doute et à des angoisses existentielles. Il vivait une phase où il remettait en question sa place dans la société et ses relations avec ceux qui l’entouraient. Il n’était pas en train de prêcher la révolution, mais plutôt d’envisager un monde alternatif. Sa position de classe, bien que fort éloignée de celle des travailleurs dont il parle dans la chanson, fait partie de cette tension constante entre son passé et son désir de comprendre et de dénoncer la condition des opprimés.
Working Class Hero n’est donc pas qu’une simple chanson politique, mais un miroir de la lutte intérieure de Lennon. C’est un morceau où l’artiste cherche à se comprendre et à se libérer des chaînes qu’il croit avoir forgées pour lui-même. Mais plus encore, c’est un cri de révolte et un appel à la prise de conscience collective, celui d’un homme qui, malgré sa célébrité, cherche à éveiller les consciences et à susciter une réflexion sur l’individualité, la liberté et l’aliénation.
Une chanson à l’impact durable
Avec le recul, Working Class Hero reste l’un des témoignages les plus poignants de la révolte sociale et personnelle de John Lennon. Bien que son message n’ait pas toujours été compris à sa juste valeur, la chanson a traversé les décennies et continue de résonner dans le cœur des auditeurs, rappelant à chacun la nécessité de se libérer des normes imposées et de penser autrement. De l’époque de sa sortie en 1970 à aujourd’hui, Working Class Hero demeure un phare pour ceux qui cherchent à comprendre l’esprit de rébellion de Lennon, mais aussi l’esprit de la société de son époque. Plus qu’une chanson, elle incarne une réflexion intemporelle sur la liberté individuelle et collective.
