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Decca audition des Beatles : L’échec qui propulsa les Beatles

Publié le 11 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 1er janvier 1962, les Beatles enregistrent une audition décisive chez Decca, qui sera refusée, mais deviendra un tournant dans leur carrière. Malgré ce rejet, la session servira de tremplin pour leur rencontre avec George Martin et la naissance du son des Beatles. L’audition, bien qu’inachevée, permet au groupe de se perfectionner et de se faire connaître d’autres labels. Cette audition, aujourd’hui légendaire, reste un moment fondateur de l’histoire du rock, malgré le « non » de Decca.


Le matin du 1er janvier 1962, quatre jeunes musiciens britanniques pénètrent dans les studios Decca, au 165 Broadhurst Gardens, dans le quartier de West Hampstead à Londres. Il fait froid, l’ambiance n’est pas à la fête en ce jour de Nouvel An, qui n’est même pas férié à cette époque en Angleterre. Ces musiciens se nomment John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Pete Best. Leur manager, Brian Epstein, a négocié cette “audition commerciale” pour tenter d’arracher un contrat auprès de la maison de disques Decca Records. Les Beatles, car tel est leur nom, n’ont alors pas conscience du destin gigantesque qui les attend, ni de la piètre réputation que va leur valoir ce déplacement à Londres. Dans l’histoire du rock, la « Decca audition » demeure l’un des épisodes les plus célèbres et fondateurs, précisément parce qu’il se solde par un refus qui contraint le groupe à chercher ailleurs, puis à croiser la route d’un certain George Martin.

Sommaire

  • Un contexte marqué par l’ambition d’un manager et le scepticisme de l’industrie
  • La veille de l’audition : un périple pénible jusqu’à Londres
  • Un 1er janvier pas comme les autres
  • Quinze morceaux mêlant reprises et compositions originales
  • Une session tendue et un résultat mitigé
  • Le refus de Decca : le fameux “non” qui changea l’histoire
  • Les conséquences pour les Beatles et l’effet boomerang
  • Les enregistrements de l’audition Decca
  • La légende noire de Dick Rowe et la nuance des historiens
  • Une erreur commerciale ou un simple mauvais timing ?
  • Le sort des bandes maîtresses et leur postérité
  • La mythologie autour de l’échec et sa place dans l’histoire des Beatles
  • La réévaluation critique et l’héritage
  • Dans la culture populaire : le rejet en guise de mythe
  • L’examen des archives et la sortie partielle sur Anthology 1
  • Un acte fondateur revisité
  • épilogue : la postérité du refus
  • Conclusion : un rendez-vous manqué qui propulsa les Beatles vers la gloire

Un contexte marqué par l’ambition d’un manager et le scepticisme de l’industrie

Fin 1961, les Beatles bénéficient déjà d’une solide notoriété à Liverpool, ville portuaire du nord de l’Angleterre. Ils enchaînent les concerts au Cavern Club, devant un public enthousiaste. Cependant, leur aventure reste ancrée dans la sphère régionale. Ils sont encore loin d’être des vedettes nationales, et plus encore internationales. Leur manager, Brian Epstein, pressent un potentiel énorme. Depuis qu’il a découvert le groupe au Cavern Club, Epstein s’applique à les présenter sous un jour professionnel, soigné, allant jusqu’à leur recommander de porter des costumes identiques et d’abandonner leur attitude trop relâchée sur scène.

Epstein sillonne alors Londres, cherchant à convaincre diverses maisons de disques de miser sur les Beatles. Il essuie refus après refus. EMI, Columbia, His Master’s Voice, Pye, Philips : toutes ferment la porte. Plusieurs dirigeants se montrent perplexes devant les “groupes à guitares”, estimant que cette mode ne saurait durer. Dans ce contexte, Decca Records fait figure de lueur d’espoir. Un de ses producteurs A&R, Mike Smith, s’est déplacé pour voir les Beatles en concert, le 13 décembre 1961, au Cavern Club. Séduit, Smith obtient de son label une forme de séance test en studio. Brian Epstein se réjouit : voilà un signe d’ouverture. Il décroche pour le 1er janvier 1962 une audition officielle.

La veille de l’audition : un périple pénible jusqu’à Londres

Partis de Liverpool la veille, c’est-à-dire le 31 décembre 1961, les Beatles s’entassent dans le van conduit par Neil Aspinall, ami et roadie du groupe. La route est longue, la météo hivernale plutôt ingrate, et Londres leur est lointaine. L’équipée met près de dix heures pour arriver dans la capitale. Il est près de 22 heures lorsque le groupe aperçoit enfin les lumières de Trafalgar Square. John Lennon racontera plus tard avoir vu des fêtards enivrés, sautant dans les fontaines pour célébrer le Nouvel An. L’ambiance dans le van, elle, n’est pas follement joyeuse : fatigue, crainte et espoir se mêlent.

Brian Epstein, de son côté, a rejoint la capitale par le train. Il nourrit de grandes attentes. Il a préparé avec minutie les morceaux que les Beatles interpréteront : un mélange de reprises et de chansons originales signées Lennon-McCartney. À ses yeux, cette audition se révèlera décisive.

Un 1er janvier pas comme les autres

À l’époque, le 1er janvier n’est pas un jour férié en Angleterre. Les responsables de Decca ont donc convié le groupe dans leurs studios du nord de Londres à 10 heures du matin. Les quatre musiciens arrivent, fatigués mais ponctuels. Mike Smith, lui, est légèrement en retard, souffrant d’une gueule de bois post-réveillon et de contusions dues à un accident de voiture survenu quelques jours plus tôt. L’ambiance n’est pas à la conversation légère.

Les Beatles ont amené leurs propres amplificateurs, du matériel qu’ils utilisent habituellement sur scène. Or, Smith juge ces amplis « sous-standard » et souhaite qu’ils utilisent ceux de Decca, plus adaptés selon lui à l’enregistrement. Cette requête, perçue comme une ingérence et un manque de confiance dans leur son caractéristique, déstabilise le groupe. Ajoutons à cela la tension naturelle de l’exercice : jouer pour convaincre une maison de disques renommée.

L’audition qui se dessine n’est pas censée être très longue. Habituellement, Decca donne deux ou trois chansons, juge sur pièce, et conclut rapidement. Or, ce jour-là, chose inhabituelle, les Beatles finissent par enregistrer quinze morceaux. Cela s’étale sur la matinée et même au-delà, avec une pause déjeuner. Au total, ils restent dans le studio plusieurs heures, ce qui laisse entrevoir, a posteriori, un certain intérêt de la part de Decca.

Quinze morceaux mêlant reprises et compositions originales

L’un des points marquants de cette audition est la variété du répertoire. Les Beatles proposent un éventail de chansons qu’ils ont l’habitude de jouer dans les clubs. Brian Epstein a sélectionné, parmi ces titres, plusieurs classiques de rock, de rhythm and blues, mais également des ballades et trois compositions originales. Les témoignages varient sur l’ordre exact des morceaux. L’historien Mark Lewisohn, dans son ouvrage de référence, en propose une séquence probable. On trouve ainsi :

  • Une chanson signée Lennon-McCartney, « Like Dreamers Do ».
  • Des reprises telles que « Money (That’s What I Want) » de Berry Gordy et Janie Bradford, « Till There Was You » (extrait de la comédie musicale The Music Man), ou encore « The Sheik of Araby ».
  • D’autres standards du rock et de la pop, dont « Memphis, Tennessee » (de Chuck Berry) et « Besame Mucho » (de Consuelo Velázquez).
  • Deux autres titres originaux : « Hello Little Girl » et « Love of the Loved », également issus de la plume Lennon-McCartney.

Bien qu’il ne soit pas permis de faire plusieurs prises par morceau, le groupe exécute chaque chanson en direct, en se calquant sur l’habitude prise sur scène, sans overdubs. Pete Best est alors à la batterie, ce qui donne une couleur spécifique au rythme.

Une session tendue et un résultat mitigé

Sur place, l’atmosphère semble peu propice à la spontanéité. Le 1er janvier, de surcroît tôt le matin, ne favorise pas la meilleure forme vocale ou instrumentale des musiciens. Certains d’entre eux n’ont presque pas dormi, et le studio semble froid. Les ingénieurs du son, qui travaillent sous la direction de Mike Smith, ne donnent pas particulièrement l’impression d’être conquis.

Les Beatles, eux, n’en mènent pas large. D’une part, ils craignent de rater leur unique chance à Londres, d’autre part, ils sont intimidés par ce lieu inhabituel et par l’absence de public. On sait à quel point le groupe s’appuie sur l’énergie et la réaction du public dans les clubs. Ici, face à des producteurs distants, l’atmosphère est tout autre.

Une fois les quinze morceaux enregistrés, la session prend fin en début d’après-midi. John, Paul, George et Pete sont persuadés d’avoir fait du mieux qu’ils pouvaient dans les circonstances, et Brian Epstein ne doute pas d’avoir une proposition de contrat. Il se persuade que Decca doit comprendre l’originalité et le potentiel du groupe.

Le refus de Decca : le fameux “non” qui changea l’histoire

Cependant, un mois plus tard environ, la réponse de Decca est catégorique : c’est non. La légende veut que Dick Rowe, cadre chez Decca, ait prononcé la phrase devenue célèbre : « Les groupes avec guitares sont sur le déclin. » Il aurait également argué que les Beatles n’avaient aucun avenir dans le show-business. Bien que Rowe ait longtemps nié avoir formulé ces mots précis, ils restent associés à cet épisode.

Decca décide plutôt de signer Brian Poole and the Tremeloes, un autre groupe auditionné le même jour, en partie parce qu’ils sont basés à Dagenham, bien plus proche de Londres, et qu’ils seraient plus simples à superviser. Les Beatles, venant de Liverpool, paraissent compliqués à gérer.

Ce refus sonne comme un coup de massue. Epstein est consterné. Il tente de négocier, allant jusqu’à proposer d’acheter 3000 copies de tout single que Decca éditerait, garantissant ainsi un noyau de ventes. Mais l’offre ne remonte jamais à Dick Rowe, et de toute façon la direction reste inflexible.

Les conséquences pour les Beatles et l’effet boomerang

Blessés, frustrés, les Beatles pourraient se décourager. En réalité, ce refus les galvanise. Brian Epstein utilise la bande obtenue chez Decca comme support de démonstration auprès d’autres labels. Il se rend notamment dans un magasin HMV (His Master’s Voice) sur Oxford Street pour faire presser un disque démo à partir de la bande, afin de pouvoir proposer plus facilement l’écoute aux producteurs.

C’est ainsi qu’un ingénieur son, Jim Foy, s’intéresse à la qualité des morceaux, remarque les chansons originales et met Epstein en contact avec un éditeur musical d’EMI (Ardmore & Beechwood). Très vite, l’attention se porte sur la possibilité de publier ces trois originaux (“Like Dreamers Do”, “Hello Little Girl” et “Love of the Loved”). Dans la foulée, l’éditeur suggère de présenter le groupe à George Martin, qui officie chez Parlophone, un label d’EMI.

La suite est connue : George Martin est intrigué, il propose un rendez-vous aux Beatles. Après une audition en juin 1962 à Abbey Road, Martin exprime des réserves sur le jeu de batterie de Pete Best, mais il est conquis par la dynamique et l’alchimie entre John, Paul et George. Quelques mois plus tard, Ringo Starr remplace Pete Best, et le premier single du groupe, “Love Me Do”, sort en octobre 1962. Le succès grandissant fait le reste, et les Beatles entament une ascension irrésistible, devenant, en l’espace de deux ans, le groupe le plus célèbre au monde.

Les enregistrements de l’audition Decca

Pendant des années, la session Decca demeure un trésor inconnu du grand public. Seule la rumeur circule : « Ils ont enregistré quinze chansons, et Decca les a rejetées ! » Certains extraits font surface sur des disques pirate (bootlegs) à la fin des années 1970. La qualité sonore varie, tout comme l’ordre des pistes. On y retrouve un John Lennon un peu nerveux, un Paul McCartney dont la voix se cherche, un George Harrison appliqué, et un Pete Best qui ne convainc pas véritablement, notamment sur des titres comme “Love of the Loved” ou “Searchin’”.

Il faudra attendre la sortie de l’Anthology 1 en 1995 pour qu’une partie de ces enregistrements soit officiellement publiée. Cinq chansons issues de l’audition, dont “Searchin’”, “Three Cool Cats”, “Like Dreamers Do”, “Hello Little Girl” et “The Sheik of Araby”, apparaissent sur le disque. Le public peut alors découvrir, en qualité remasterisée, ces performances un brin brouillonnes mais portées par un certain charme et un enthousiasme juvénile.

La légende noire de Dick Rowe et la nuance des historiens

Dans la mémoire collective, Dick Rowe est resté « l’homme qui a refusé les Beatles ». On le crédite souvent de la formule maladroite sur les “guitar groups”. Pourtant, il a son mot à dire sur la part de responsabilité de Mike Smith, l’A&R présent le 1er janvier. Rowe a toujours contesté la légende et souligné qu’il avait, par la suite, signé les Rolling Stones sur le conseil de George Harrison (qui, croisant Rowe dans une émission, l’aurait incité à aller voir ce nouveau groupe prometteur).

Les historiens de la musique suggèrent que le plus grand problème de l’audition Decca, en dehors des circonstances (jour férié dans un pays épuisé, ingénieur en retard, groupe mal réveillé, etc.), tenait surtout à l’inadéquation entre le répertoire choisi et le style que Decca recherchait. Les morceaux, pour la plupart des reprises, n’auraient pas mis en valeur l’humour, l’originalité et l’énergie scénique qui faisaient le succès des Beatles dans les clubs.

Certains avancent aussi que Decca souhaitait un groupe local (les Tremeloes) afin de minimiser les coûts de transport et de supervision. Au final, il s’agit peut-être d’une décision financière plus que strictement musicale.

Une erreur commerciale ou un simple mauvais timing ?

Pour beaucoup, ce refus est l’une des plus grandes erreurs de l’histoire de l’industrie du disque. On aime à rappeler que les Beatles allaient bientôt générer un phénomène mondial, tandis que les Tremeloes, bien que corrects, n’ont jamais atteint une telle envergure. Mais il serait hâtif de dire que Decca aurait forcément fait de l’or avec le groupe. Les Beatles, en effet, ont aussi grandi grâce à leur rencontre avec George Martin, producteur aussi ouvert qu’exigeant, qui les a poussés à affiner leurs arrangements. On ne peut pas savoir si, sous la houlette d’un producteur différent, ils auraient suivi la même trajectoire.

Dans tous les cas, la conséquence la plus directe a été la signature des Beatles avec Parlophone, filiale d’EMI, transformant l’histoire de la pop. Le “non” de Decca n’a fait que retarder de quelques mois l’essor du groupe.

Le sort des bandes maîtresses et leur postérité

Les bandes enregistrées le 1er janvier 1962 sont restées dans l’ombre pendant un temps. On ignore où se trouve la bande master d’origine, celle enregistrée par Decca. Plusieurs copies ont circulé, parfois incomplètes, parfois tronquées. Des éditeurs de bootlegs se sont emparés d’une cassette pour la commercialiser dans des circuits non officiels dans les années 1970. On trouve, au fil des décennies, maintes anecdotes sur des exemplaires de la session Decca vendus aux enchères.

En 2012, l’agence d’enchères Fame Bureau annonce la vente d’une bande dite “originale”, revendiquée comme étant celle de l’audition. Le lot se serait envolé pour 35 000 £, acheté par un collectionneur japonais. Des spécialistes remettent cependant en cause son authenticité, car elle ne comporterait que dix chansons, alors que la session en compte quinze, et elle est gravée sur un support Ampex qui n’existait pas dans ce format en 1962. Il subsiste une part de mystère, alimentant la légende.

Les cinq chansons diffusées officiellement sur Anthology 1 en 1995 permettent au grand public de se faire une idée : la performance manque parfois de précision, mais on y décèle déjà le sens mélodique de McCartney, la gouaille de Lennon et la guitare incisive de Harrison. Les fans y voient un document historique précieux : c’est la photo d’un groupe au seuil de la gloire, encore brute et imparfaite, prêt à conquérir le monde.

La mythologie autour de l’échec et sa place dans l’histoire des Beatles

Comment expliquer que cette audition, pourtant ratée, soit devenue l’un des chapitres phares de la saga Beatles ? La raison tient au caractère légendaire de toute ascension qui se fait malgré les obstacles. Un refus cinglant renforce la dramaturgie : la plus grande success-story du rock est partie d’un désaveu cinglant. Aux yeux des amateurs, cela donne un brin de romantisme à l’histoire.

Par la suite, John Lennon qualifiera l’audition de “moment où on nous a traités comme des moins que rien”, et Paul McCartney soulignera qu’ils étaient nerveux, pas au mieux de leur forme. George Harrison, plus discret, n’en dira pas énormément, mais il glissera une pique à Dick Rowe lorsqu’il le croisera à la BBC, l’orientant vers les Rolling Stones pour se rattraper.

Il est clair que la maturité artistique des Beatles en ce tout début 1962 n’est pas celle de 1963 ou 1964. Ils n’ont pas encore Ringo Starr, qui apportera sa personnalité et son style de batterie. La synergie entre les trois futurs compositeurs (Lennon, McCartney, Harrison) n’a pas atteint sa plénitude. Pourtant, la session Decca révèle un potentiel. On y trouve trois chansons originales prometteuses.

La réévaluation critique et l’héritage

De nos jours, il est amusant de songer que Decca, l’un des piliers de l’industrie musicale britannique (avec EMI, Pye, etc.), est passé à côté du plus grand groupe de tous les temps, d’après beaucoup d’observateurs. Mais si Decca n’avait pas dit non, peut-être l’histoire aurait-elle été tout autre, et peut-être la fusion artistique avec George Martin n’aurait jamais eu lieu. Dans la foulée de ce refus, Brian Epstein noue les contacts finaux avec EMI, amène les démos issues de Decca comme preuve de la qualité du groupe, et le destin se met en marche.

Avec le recul, l’échec chez Decca symbolise aussi le manque de clairvoyance d’une partie de l’industrie musicale, souvent frileuse et attachée à des modèles établis. Les responsables de Decca craignaient l’investissement nécessaire pour suivre un groupe de Liverpool, jugeant plus rentable de miser sur un combo local. Ils minimisaient l’essor d’un rock ‘n’ roll remanié par la fougue de la jeunesse anglaise.

Pour les Beatles eux-mêmes, la blessure ne fut que transitoire. Ils allaient, moins d’un an plus tard, se retrouver propulsés sur la scène nationale avec “Love Me Do”. Très vite, Brian Epstein s’empressa de mettre en avant le récit du « label qui a raté les Beatles », comme un argument marketing inversé. Cela accroît encore la gloire du groupe, dont l’histoire se pare d’un refus “héroïque”.

Dans la culture populaire : le rejet en guise de mythe

Cet épisode nourrit la culture rock au point d’être parodié dans le film All You Need Is Cash (1978), qui retrace la fausse biographie des Rutles, pastiche direct des Beatles. On y voit un responsable de maison de disques (incarné par Dan Aykroyd) rejeter les Rutles en déclarant un jugement lapidaire, avant de se faire traiter d’imbécile pour avoir raté un succès colossal.

Le détail amuse encore : l’acteur Eric Idle pose la question au producteur fictif, en lui demandant : « Qu’est-ce que ça fait d’être un tel idiot ? » Cette réplique reste dans l’esprit de la caricature : refuser les Beatles, c’était assurément faire le choix le plus stupide commercialement parlant.

L’examen des archives et la sortie partielle sur Anthology 1

En 1995, la sortie du projet The Beatles Anthology — un documentaire en plusieurs volets accompagné de trois doubles CD — apporte un éclairage plus vaste sur les débuts du groupe. Anthology 1 inclut certains morceaux de la Decca audition. On y perçoit la jeunesse des voix, l’énergie un peu brute, une forme de talent qui ne demande qu’à s’épanouir, mais aussi le jeu de batterie trop linéaire de Pete Best, souvent cité comme un motif de doute chez George Martin.

Cette mise au jour partielle satisfait la curiosité des fans, tout en confirmant que la performance n’était pas exceptionnelle. Cinq titres seulement sont inclus : “Searchin’”, “Three Cool Cats”, “The Sheik of Araby”, “Like Dreamers Do” et “Hello Little Girl”. Les autres titres circulent toujours sur des bootlegs, disponibles depuis la fin des années 1970.

Un acte fondateur revisité

De nos jours, l’audition de Decca est perçue comme un jalon indispensable de la mythologie Beatles. Elle montre à quel point un coup du sort, une erreur d’appréciation ou un simple timing malchanceux peuvent forcer un artiste à se tourner vers d’autres horizons et, souvent, aboutir à plus grand succès encore. Si Decca avait signé les Beatles, rien ne dit que la collaboration aurait été fructueuse. Peut-être auraient-ils enregistré un single timide, sans George Martin pour pimenter leurs harmonies, et seraient-ils restés un groupe régional supplémentaire.

Mais le destin avait d’autres plans : en février 1962, Epstein subit encore d’autres refus, mais il finit par rencontrer Ron White (département marketing d’EMI), puis un éditeur de musique. Par le truchement de ce dernier, il aboutit à un rendez-vous avec George Martin, chez Parlophone. Conquis par l’originalité de Lennon et McCartney, Martin accepte de leur faire passer une audition. C’est en juin 1962 que tout se concrétise, lorsque Martin signe le groupe, sous réserve de remplacer Pete Best. L’arrivée de Ringo Starr en août, et l’enregistrement de “Love Me Do” en septembre, changent à jamais la face de la musique populaire.

épilogue : la postérité du refus

La déconvenue de Decca, loin de nuire aux Beatles, a donc joué un rôle déterminant. Elle a précipité leur évolution vers EMI, donné à Brian Epstein le surcroît de combativité dont il avait besoin, et ancré dans la légende l’idée que les grands artistes passent parfois par des refus avant de triompher. Depuis, chaque fois que l’on mentionne Dick Rowe, il est associé au « man who turned down the Beatles », même s’il se rattrapera en signant les Rolling Stones, grâce à la recommandation de George Harrison lui-même.

Le public d’aujourd’hui garde en tête cette leçon : l’industrie musicale n’est jamais à l’abri d’une erreur monumentale. Le dossier de presse quant à lui n’aura cessé de rappeler que l’audition Decca, ratée, pourrait être considérée comme la meilleure chose qui soit arrivée aux Beatles, tant elle les a poussés vers un partenaire de génie.

En fin de compte, l’audition du 1er janvier 1962 se résume à un paradoxe savoureux : un échec amer sur le moment, mais un tremplin vers un succès inouï, changeant la donne du rock. Les enregistrements conservés, malgré leur aspect inachevé et leur chaleur parfois discutable, renvoient l’écho d’un groupe sur le point de bouleverser l’histoire de la musique.

Conclusion : un rendez-vous manqué qui propulsa les Beatles vers la gloire

L’histoire du rock regorge d’exemples d’artistes rejetés par tel ou tel label avant de rencontrer le producteur ou la maison de disques qui lancera véritablement leur carrière. Mais la “Decca audition” occupe une place à part, car elle concerne rien de moins que le groupe le plus mythique de l’ère pop. L’événement souligne la ligne ténue entre la réussite et l’échec, la chance et la malchance.

Pour Decca, le raté fut patent. Pour les Beatles, l’audition apporta malgré tout un enregistrement de qualité semi-professionnelle, un outil de promotion sur lequel s’appuyer. Surtout, elle les força à persévérer, à jouer sur leurs véritables atouts, puis à se présenter à George Martin, personne clé dans la naissance du “son Beatles”.

Le 1er janvier 1962, dans le studio londonien, le quatuor composé de Lennon, McCartney, Harrison et Best ignore tout de l’importance historique de ce jour. Dans les faits, la session se termine sans grand enthousiasme ; Brian Epstein repart confiant, hélas pour se voir repoussé. Mais cette déception signe paradoxalement le début d’une aventure plus grande encore. Quelques mois plus tard, grâce à Parlophone et à l’incomparable flair artistique de George Martin, les Beatles enregistrent “Love Me Do” et enclenchent la Beatlemania.

Aujourd’hui, il demeure fascinant de s’imaginer ce qui se serait passé si Decca avait vu dans ces quinze chansons le germe d’un phénomène mondial. Peut-être l’histoire aurait-elle pris un autre chemin, ou peut-être le groupe aurait-il stagné. Toujours est-il que ce refus initial fut l’un des catalyseurs de la réussite future. Les Beatles ont su rebondir, se perfectionner, et prouver à l’industrie du disque combien les « groupes à guitares » n’allaient pas s’éteindre, mais conquérir la planète.

Ainsi, la “Decca audition” incarne davantage qu’une simple anecdote : elle est l’un des mythes fondateurs du rock, rappelant que même un rejet, bien géré, peut conduire à l’apogée d’une légende. Les cinq titres révélés au grand jour sur Anthology 1 permettent, des décennies plus tard, de plonger au cœur de l’énergie fruste, sincère et encore naïve d’un groupe de Liverpool, sur le seuil de sa métamorphose en phénomène de masse. Et si Decca s’est refusé à parier sur ces jeunes aux guitares, l’histoire, elle, a tranché : les Beatles étaient bel et bien promis à révolutionner la musique populaire.


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