Quand The Beatles Anthology surgit sur les écrans en 1995, l’événement dépasse largement le cadre des fans. Diffusée en prime time des deux côtés de l’Atlantique, la série documentaire s’impose d’emblée comme un jalon de l’histoire de la musique à la télévision. Pour la première fois, The Beatles ouvrent officiellement leurs archives et livrent un récit au long cours, rythmé par des images inédites, des témoins de premier plan et la parole des quatre protagonistes – John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr – reconstituée en partie à travers les interviews de Lennon déjà existantes. Les trois albums compagnons, Anthology 1, Anthology 2 et Anthology 3, dévoilent des prises alternatives, des chutes de studio et des instantanés de travail qui, jusqu’alors, n’avaient jamais bénéficié d’une sortie encadrée par Apple Corps. Le succès est tel qu’il installe durablement l’idée d’un « âge de la réédition » où l’on peut, sans trahir l’œuvre, retourner aux matrices pour y chercher un supplément d’histoire.
Cette matrice-là a fait germer deux postulats qui gouvernent encore aujourd’hui l’« industrie Beatles » : d’abord, que leurs archives cachent une bounty inépuisable capable d’alimenter à l’infini rééditions et documentaires ; ensuite, que la trame de leur aventure est si riche qu’on peut sans cesse la reconter sous un nouvel angle sans jamais l’appauvrir. Pendant de nombreuses années, ces deux idées sembleront se confirmer. Mais trois décennies plus tard, l’exercice se heurte à ses limites et interroge la pertinence d’un nouveau « chapitre » d’Anthology.
Sommaire
- Trente ans plus tard : le grand retour sur Disney+
- La tension fertile – et visible – entre Harrison et McCartney
- Anthology 4 : un quatrième volume entre révélations ponctuelles et recyclage assumé
- Get Back, Let It Be, Beatles ’64 : la décennie de la saturation
- L’« Episode 9 » : un bonus étiré plus qu’un nouveau chapitre
- La question du prix et de la valeur perçue
- Technologie : de la démix au récit d’un groupe en studio
- Ce que l’épisode dit du groupe : camaraderie, stratégie et diplomatie
- L’angle mort : l’absence des grandes chimères d’archives
- Giles Martin, Jeff Lynne : deux manières d’habiter l’héritage
- Le rôle de Disney+ : accessibilité contre exclusivité
- Esthétique des années 90 contre aura intemporelle des années 60
- Que reste‑t‑il à dire ? Une pédagogie du doute
- Verdict : le poids du mythe, l’honnêteté d’un bonus
- Post‑scriptum : l’héritage comme palimpseste
- En guise de guide d’écoute : trois repères
- Un « nouveau » qui consolide l’ancien
Trente ans plus tard : le grand retour sur Disney+
À l’automne 2025, Apple Corps et Disney+ annoncent le retour d’Anthology dans une version restaurée, assortie d’un neuvième épisode inédit. La promesse est claire : offrir une plongée moderne dans la série de 1995 grâce aux outils contemporains de restauration d’image et de son, et compléter le récit par une heure supplémentaire consacrée à la genèse d’Anthology elle-même ainsi qu’aux sessions qui ont conduit à Free as a Bird et Real Love. L’ensemble est remasterisé, les huit épisodes originaux sont ravivés, et l’on présente cet Episode 9 comme une pièce nouvelle capable de relier les années 60, l’effervescence des années 90 et le regard du XXIe siècle.
Sauf que cette « heure » supplémentaire ressemble moins à une découverte qu’à un montage de bonus déjà connus : longue réunion filmée des trois Beatles survivants à Friar Park chez George Harrison et à Abbey Road, boeufs au ukulélé ou à la guitare acoustique sur de vieux standards du rock’n’roll et une ébauche de Thinking of Linking, séances de travail chez Paul McCartney avec Jeff Lynne, écoutes au pupitre avec George Martin faisant danser les faders des bandes multi-pistes. Pour qui a arpenté le coffret DVD 2003, beaucoup de visages, d’anecdotes et d’ambiances évoquent un déjà-vu.
La tension fertile – et visible – entre Harrison et McCartney
Même recollées à partir d’archives familières, ces séquences ne sont pas dénuées d’intérêt. On y perçoit un équilibre fragile entre camaraderie retrouvée et divergences esthétiques jamais totalement refermées. Ringo Starr lâche un « j’aime traîner avec vous, les gars », simple phrase qui sonne comme un soupir de soulagement au cœur d’un projet nécessairement chargé d’histoire. À l’inverse, George Harrison laisse affleurer une exaspération discrète lorsque les sessions de Free as a Bird et Real Love s’éternisent, tandis que Paul McCartney conte, hilare, l’épisode du samovar d’abbey Road « assaisonné » pour forcer des ingénieurs rétifs à prolonger les heures.
Dans la salle de mixage, George Martin déroule la multi-piste de You Never Give Me Your Money. Harrison, pince-sans-rire, lâche que cela sonne « un peu cheesy ». Le visage de McCartney se ferme à peine, mais l’onde de la rivalité traverse l’écran comme une rémanence. Ces micro-frictions disent quelque chose d’essentiel : si l’alchimie collective a enfanté des chefs‑d’œuvre, c’est aussi parce que les goûts s’aimantaient et se repoussaient sans cesse, dans un dialogue où l’ironie et la diplomatie tenaient un rôle aussi actif que l’invention mélodique.
Anthology 4 : un quatrième volume entre révélations ponctuelles et recyclage assumé
Pour accompagner la relance de la série, Apple Records publie Anthology 4, compilation de 36 titres mêlant treize inédits et une large majorité d’enregistrements déjà disponibles. La formule rappelle, jusque dans ses promesses, celle de 1995‑1996 : prises alternatives, maquettes, extraits de sessions, fragments de concerts ou de répétitions. Mais les temps ont changé. Depuis trente ans, la discographie officielle s’est étoffée de Super Deluxe Editions, de remixes signés Giles Martin, de documentaires mettant à nu les gestes du studio. Beaucoup de « nouvelles » pépites ne le sont plus tout à fait.
Le grand absent demeure Carnival of Light, cette expérimentation influencée par Stockhausen née au cœur des sessions de Sgt. Pepper et devenue, au fil des décennies, une chimère convoitée. Pas davantage de place pour la fameuse version de 27 minutes de Helter Skelter, dont l’existence nourrit l’imaginaire des collectionneurs depuis la fin des années 60. À la place, quelques prises de travail parfois tremblotantes – telle la première tentative de Matchbox de Carl Perkins – qui raviront les completistes sans bouleverser la cartographie esthétique du groupe.
Pour ancrer ce volume dans le présent, Anthology 4 se referme sur un triptyque symbolique : Now and Then – le dernier single des Beatles paru en 2023 – et de nouveaux mixes de Free as a Bird et Real Love. La boucle est nette : des démos de John Lennon ressuscitées dans les années 90 jusqu’au morceau achevé à l’aide de technologies de séparation de sources au début des années 2020, le fil d’Anthology se déroule comme un roman du studio traversant trois époques de l’innovation sonore.
Get Back, Let It Be, Beatles ’64 : la décennie de la saturation
À la décharge des sceptiques, on ne saurait reprocher à Apple Corps d’avoir laissé dormir son patrimoine. Depuis The Beatles: Get Back, série‑fleuve de Peter Jackson parue en 2021 et assortie du Rooftop Concert en IMAX début 2022, jusqu’au retour officiel du film Let It Be de Michael Lindsay‑Hogg sur Disney+ au printemps 2024, le public a bénéficié d’un accès sans précédent aux coulisses. Le montage patient de Jackson a révélé une vie d’atelier faite de rires, de tâtonnements et de brusques fulgurances, redessinant la perception d’un mois souvent présenté comme un prélude au naufrage.
Avec Beatles ’64, produit par Martin Scorsese et réalisé par David Tedeschi, l’accent s’est porté sur le basculement culturel né de l’irruption du quatuor aux États‑Unis : un concert d’archives remonté pour recadrer le récit de l’année 1964, l’une des plus fécondes et médiatisées de l’histoire du groupe. À force d’accumuler, pourtant, la question s’impose : que peut révéler de plus un Episode 9 d’Anthology qu’un patient spectateur n’ait pas déjà entraperçu dans ces dernières offres ?
L’« Episode 9 » : un bonus étiré plus qu’un nouveau chapitre
La réponse tient autant à la forme qu’au fond. Dans la continuité visuelle des années 90, l’« Episode 9 » juxtapose entretiens et séquences de studio. Les images empruntent à une époque qui, ironie de la pellicule, paraît désormais plus datée que les archives des années 60 : ponytails, mullet, gilets de cuir, denim délavé. On retrouve McCartney, Harrison et Starr le sourire en coin, mais aussi la gravité d’une réunion dont chacun sait qu’elle sera, peut‑être, la dernière de cette intensité. En cela, l’épisode vaut surtout pour sa valeur anthropologique : rares sont les art‑pop stars capables de dévoiler avec autant de franchise les hésitations, les bouderies, les éclats de rire et les non‑dits d’une recréation partielle.
Sur le plan informatif, en revanche, la révélation se fait plus discrète. Les apartés musicales, les strummings d’ukulélé, les remémorations complices cadrent avec l’imaginaire que les fans se font des années 1994‑1995. L’ivresse de découverte, elle, demeure sporadique. On sourit de bon cœur, certes ; on apprend peu. L’impression dominante est celle d’un habillage destiné à justifier la mention « nouveau » sur l’affiche d’une réédition par ailleurs techniquement exemplaire.
La question du prix et de la valeur perçue
Le débat, dès lors, se déporte sur la valeur perçue. Demander à l’auditeur de repayer pour des éléments disponibles ailleurs, c’est le lot des coffrets modernes, dont la logique repose sur la mise en contexte autant que sur l’inédit. Ici, le rapport inédit/recyclage est moins favorable qu’en 1995, et la communication insiste davantage sur la restauration et la commodité d’accès (Disney+) que sur la découverte absolue. Les amateurs de vinyle se voient proposer un bel objet, mais l’argument fait mouche surtout auprès de ceux qui collectionnent l’intégrale – le public le plus fidèle et le moins volatil, mais aussi le plus exigeant.
Technologie : de la démix au récit d’un groupe en studio
La présence, dans Anthology 4, de Now and Then aux côtés de nouvelles versions de Free as a Bird et Real Love permet de lier deux moments technologiques clés. Dans les années 90, Jeff Lynne avait joué le rôle de chef d’orchestre des deux « réunions » partiellement virtuelles, assemblant les maquettes de Lennon et les contributions de McCartney, Harrison et Starr dans un geste de production très marqué. Trente ans plus tard, Giles Martin et les équipes proches de Peter Jackson ont mis en œuvre des techniques de séparation de sources et de restauration qui dégagent la voix et le piano de Lennon de leur bruit de fond. Le résultat – particulièrement sur Now and Then – n’invente pas un chanteur ; il révèle ce qui était noyé.
Cette continuité technique raconte autre chose : la façon dont The Beatles ont toujours été à l’endroit où l’innovation rencontre la chanson. Des collages bande à bande de Revolver à l’orfèvrerie de Abbey Road, en passant par le laboratoire quasi théâtral de Sgt. Pepper, l’histoire de leur musique épouse celle des techniques d’enregistrement. Anthology, en 1995 puis en 2025, en est le prolongement documentaire.
Ce que l’épisode dit du groupe : camaraderie, stratégie et diplomatie
Revenir sur les sessions de 1994‑1995 permet de recontextualiser les rapports internes du trio survivant. Harrison, soucieux de ne pas diluer l’héritage, exprime parfois une prudence que l’on peut lire comme de la méfiance envers la tentation d’« en faire trop ». McCartney, lui, défend l’idée d’achever ce qui peut l’être, de boucler des gestes restés en suspens. Starr joue le rôle, précieux, de médiateur. La petite pique « cheesy » sur You Never Give Me Your Money traduit un différend de texture plus qu’un désaccord de fond : comment conserver la fraîcheur d’une idée sans l’engluer dans les réflexes de surproduction ?
Ces échanges – à la fois banals et historiques – dessinent un portrait nuancé : celui d’artistes qui vivent encore ensemble le poids de leur propre mythe et tentent de le négocier sans céder à la muséification. L’« Episode 9 » a beau être un objet collé‑monté, il capte cette dialectique avec une justesse parfois troublante.
L’angle mort : l’absence des grandes chimères d’archives
On l’a dit, Carnival of Light et la longue Helter Skelter manquent à l’appel. Ces fantômes attisent depuis des décennies la curiosité, à tort ou à raison. Leur absence réactualise une tension familière : faut‑il tout publier ? tout contextualiser ? ou préserver certaines reliques pour préserver précisément ce qui fait leur pouvoir de fascination ? On peut défendre chacune de ces positions. La voie choisie en 2025 est celle d’un équilibre prudent : quelques cadeaux pour les initiés, mais pas de « casse du siècle » archivistique.
Cette prudence a un revers : elle alimente le sentiment de redite. Les fans les plus fervents, qui connaissent déjà une partie significative des enregistrements grâce aux éditions anniversaires et aux ressorties, peuvent difficilement y voir un tournant. Le public plus large, lui, profite de la centralisation et de la restauration ; il découvre sous un jour flatteur ce que d’autres ont exploré pièce par pièce pendant des années.
Giles Martin, Jeff Lynne : deux manières d’habiter l’héritage
La coexistence de Giles Martin et de Jeff Lynne sur la ligne éditoriale de 2025 raconte une forme de pluralité. Le premier, fidèle à l’écoute fine des textures, prolonge l’approche des rééditions Sgt. Pepper, White Album, Abbey Road ou Revolver, où chaque élément est à la fois clarifié et réinscrit dans l’espace stéréo. Le second, producteur des années 90 par excellence, assume une esthétique plus dense, plus compressée, qui fit débat à l’époque et en refait aujourd’hui par la grâce des nouveaux mixes. Réentendre Free as a Bird et Real Love sous cette lumière révisée permet de distinguer mieux la voix de Lennon, tout en laissant affleurer la signature de Lynne : chœurs nappés, guitares jangle, batteries rondes.
Le rôle de Disney+ : accessibilité contre exclusivité
L’un des apports les plus tangibles de cette relance est logistique : en migrant vers Disney+, la série atteint un public mondial, libéré des supports physiques et des ruptures de stock. En 1995, il fallait patienter entre deux diffusions et guetter les sorties en VHS puis en DVD. En 2025, un catalogue se déploie d’un clic, au prix d’un abonnement. Pour les historiens du rock comme pour les curieux, c’est une facilitation indéniable. Pour les collectionneurs, la satisfaction passe toujours par des objets – coffrets, livrets, grands formats – qui prolongent l’expérience tactile d’Anthology.
Cette bascule numérique a toutefois un effet secondaire : elle normalise l’exceptionnel. Ce qui, hier, prenait l’allure d’une soirée‑événement à la télévision s’intègre aujourd’hui à la file d’attente d’une plateforme mondialisée. Il faut donc un plus narratif ou archivistique pour déclencher la même ferveur. Or cet Episode 9 peine à incarner ce supplément.
Esthétique des années 90 contre aura intemporelle des années 60
Paradoxe amusant : les images de 1994‑1995 paraissent plus datées que celles de 1963‑1969. Là où l’iconographie des sixties a déjà traversé le miroir pour entrer au panthéon du style, les silhouettes des 90s – mullet, vestes en cuir, jeans stonewashed – restent encore dans une zone grise de l’histoire visuelle. Cette friction esthétique colorise malgré elle la réception de l’« Episode 9 » : on y voit des stars d’hier rejouer, avec une émouvante modestie, leur propre légende, sans la distance que l’iconographie vintage confère.
Que reste‑t‑il à dire ? Une pédagogie du doute
La question cruciale n’est pas tant de savoir si l’« Episode 9 » est « nécessaire » que d’identifier ce qu’il apprend à qui ne connaît pas déjà tout. Sur ce terrain, sa pédagogie est douce plutôt que spectaculaire. Elle rappelle que The Beatles furent d’abord un atelier, un laboratoire d’idées où l’on essaye, se trompe, recommence. Elle montre de jeunes sexagénaires se saisir, avec humour et une dose de pudeur, d’un legs qu’ils savent intouchable et, pourtant, sans cesse réinterprétable.
Pour les lecteurs de Yellow‑Sub.net, habitués à scruter le moindre overdub et à comparer les takes, l’attrait principal sera de recontextualiser des images connues dans une chronologie large, d’en goûter les cadences, d’observer au ralenti la diplomatie silencieuse du trio. Pour les autres, Disney+ offrira un chemin d’accès simple et confortable à l’un des récits fondateurs du rock.
Verdict : le poids du mythe, l’honnêteté d’un bonus
Au terme de ce parcours, l’« Episode 9 » apparaît pour ce qu’il est : un bonus étiré, attachant par moments, instructif à la marge, non essentiel au regard de la somme qu’il prolonge. Anthology 4 suit la même logique : quelques plaisirs fins pour l’oreille qui aime circuler dans les interstices, une mise à jour technologique bienvenue sur trois morceaux‑jalons, et un recyclage qui assume de consolider plus que de révéler.
Faut‑il le reprocher à Apple Corps ? Sans doute pas. Il y a, dans l’histoire des Beatles, une tension structurelle entre la conservation et la révélation. En 1995, Anthology posait un acte de transparence spectaculaire. En 2025, il s’agit plutôt de maintenir la lisibilité d’un canon, d’en offrir une porte d’entrée nette à l’ère du streaming et de repositionner trois chansons‑repères à la lumière des nouvelles technologies. Rien là qui suffise à réenchanter ceux qui vivent avec ces disques depuis des décennies ; suffisamment, en revanche, pour justifier une édition qui, sans triomphalisme, stabilise un récit.
Post‑scriptum : l’héritage comme palimpseste
À regarder de près, la trajectoire d’Anthology est celle d’un palimpseste. Chaque couche – documentaire, disques, retouches, bonus – se superpose sans prétendre effacer la précédente. Get Back a mis à jour la matière première du mois de janvier 1969 ; Let It Be restauré a réarmé le regard de Lindsay‑Hogg ; Beatles ’64 a reformulé une année‑clé. L’« Episode 9 », lui, rééclaire la manière dont, au milieu des années 90, trois Beatles et leurs collaborateurs ont tenté de réconcilier le passé et le présent.
On sort de ce « nouvel épisode » sans la sensation d’avoir découvert un chapitre caché, mais avec l’idée – précieuse – que la mémoire se fabrique autant qu’elle se transmet. Et que la question, pour The Beatles, n’a jamais été d’épuiser l’archive ; seulement d’ordonner son foisonnement pour que, de génération en génération, la musique continue de parler.
En guise de guide d’écoute : trois repères
Pour apprivoiser Anthology 4, trois repères s’imposent. Le premier, c’est Now and Then, dont la voix nettoyée de Lennon nous parvient enfin avec une clarté fraternelle : la chanson y tient mieux que l’exploit technique, et c’est sa plus belle victoire. Le second, ce sont les mises à jour de Free as a Bird et Real Love, où l’on retrouve la patte de Jeff Lynne mais adoucie par l’apport des outils de démix qui desserrent l’étau autour du timbre de Lennon. Le troisième, c’est la poignée d’inédits réellement évocateurs – non pas spectaculaires, mais capables de faire sentir l’odeur d’un studio, le craquement d’une séance, la fragilité d’une première prise.
Ces repères ne bousculent pas l’édifice ; ils jalonnent un parcours pensé pour aligner 1995 et 2025 sur une même ligne de crête. Les Beatles n’ont pas besoin d’un feu d’artifice permanent pour entretenir leur aura ; parfois, un contre‑jour délicat suffit.
Un « nouveau » qui consolide l’ancien
Au bout du compte, The Beatles Anthology version 2025 ne réinvente pas le mythe ; elle le réhausse ici et là, elle le recontextualise, elle lui offre une adresse contemporaine (Disney+) et un appendice qui regarde autant la fabrique d’Anthology que les Beatles eux‑mêmes. Ceux qui attendaient des révélations fracassantes resteront sur leur faim. Ceux qui espéraient une édition stable, lisible, accessible et respectueuse trouveront leur compte.
Reste la question qui traverse tout projet Beatles depuis trente ans : jusqu’où peut‑on approfondir un récit sans en émousser la magie ? La réponse, ici, tient dans l’humilité de l’objet : un bonus honnête et un coffret soigné, plus grand public que révolutionnaire. La musique, elle, continue de faire le travail. Et c’est peut‑être l’essentiel.
