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Trois films inspirés des Beatles qui méritent vraiment le détour

Publié le 15 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Il existe une galaxie de films sur les Beatles ou inspirés par leur œuvre. Certains documentaires sont devenus des références, d’autres fictions ont tenté de recréer la magie d’une époque, quand d’autres, plus anecdotiques, n’ont survécu que par la curiosité qu’ils suscitent chez les fans. Pour un site comme Yellow-Sub.net, la question n’est pas seulement de dresser des listes, mais d’expliquer pourquoi tel ou tel film mérite encore d’être vu aujourd’hui, comment il dialogue avec l’héritage des Beatles, et ce qu’il raconte de nous quand nous le regardons en 2025.

Dans cet esprit, trois titres, très différents, s’imposent par leur tenue artistique et la pertinence de leur regard : Across The Universe de Julie Taymor, Nowhere Boy de Sam Taylor-Johnson, et Two Of Us de Michael Lindsay-Hogg. Le premier est une fresque pop et psychédélique bâtie sur le répertoire des Beatles comme un opéra rock ; le second resserre l’objectif sur l’adolescence de John Lennon et ses cicatrices familiales ; le troisième imagine une rencontre fictionnelle entre Lennon et McCartney autour d’un épisode réel et désormais mythique, l’offre de Lorne Michaels en 1976 pour réunir le groupe sur le plateau de Saturday Night Live. Ces trois films ont en commun de ne pas se contenter du vernis nostalgique : ils utilisent la musique et la mythologie Beatles pour raconter des histoires de chair et de sang, d’amitié et de perte, de temps qui passe.

Ce qui suit n’est pas un palmarès arbitraire, mais une enquête nourrie par le contexte de production, la réception critique, les partis pris esthétiques et, surtout, par ce que chaque œuvre ajoute à la compréhension de la vie et l’œuvre des Beatles.

Sommaire

  • Pourquoi ces trois films tiennent la route
  • Across The Universe (2007) : une comédie musicale pop qui ose tout
  • Nowhere Boy (2009) : l’enfance de John Lennon, sans fards ni violons
  • Two Of Us (2000) : et si John et Paul s’étaient reparlés, vraiment, un soir de 1976 ?
  • Trois regards, une même révolution silencieuse : ce que ces films disent des Beatles
  • Ce qu’Across The Universe apporte aux fans en 2025
  • Pourquoi Nowhere Boy évite l’écueil du biopic-carte-postale
  • Ce que Two Of Us nous apprend sur Lennon et McCartney
  • Trois portes d’entrée complémentaires pour (re)parler des Beatles
  • Faut-il absolument être fan pour les apprécier ?
  • Pour aller plus loin avec Across The Universe : un guide d’écoute active
  • Pour aller plus loin avec Nowhere Boy : l’atelier Lennon en gros plan
  • Pour aller plus loin avec Two Of Us : la diplomatie des silences
  • En guise de conclusion : trois bonnes raisons de revoir les Beatles autrement

Pourquoi ces trois films tiennent la route

Choisir ces trois titres, c’est privilégier la cohérence et la vision. Across The Universe démontre qu’on peut bâtir une fiction originale uniquement à partir de chansons des Beatles sans tomber dans la reconstitution paresseuse ou l’illustration plate. Nowhere Boy réussit à raconter les années de formation de John Lennon sans céder au biopic « Juke-Box » ni à la révérence intimidée. Two Of Us, enfin, prouve que la fiction spéculative peut être émouvante et pertinente dès lors qu’elle se fonde sur un moment réel de la légende, qu’elle respecte les caractères de Lennon et McCartney, et qu’elle ose la sobriété plutôt que le fan-service.

Au-delà des goûts, ce trio fonctionne parce qu’il propose trois usages de la mémoire Beatles : l’allégorie musicale, la chronique intime et la conversation imaginaire. Trois formes, trois rythmes, trois ambiances, mais une même ambition : éclairer autrement ce que les Beatles ont bouleversé, sur scène et hors champ.

Across The Universe (2007) : une comédie musicale pop qui ose tout

Quand Julie Taymor décide d’assembler un film autour de trente-trois chansons des Beatles, l’idée pourrait virer au gadget. Le pari, pourtant, est tenu : Across The Universe raconte l’Amérique des années 1960 à travers un petit groupe de personnages – Jude, Lucy, Max, Prudence, Sadie, Jojo – dont les prénoms citent ou invoquent des titres du canon Lennon-McCartney. Le récit n’imite pas la vie des Beatles : il vit dans l’ombre portée de leur musique, comme si les chansons étaient devenues l’oxygène d’une génération, un langage commun où l’on tombe amoureux, où l’on manifeste, où l’on part à la guerre et d’où l’on revient changé.

Visuellement, Taymor retrouve la flamboyance de son théâtre et de ses précédents films : tableaux surréalistes, collages psychédéliques, chorégraphies hallucinées. La séquence de « I Want You (She’s So Heavy) » transforme l’incorporation militaire en ballet cauchemardesque ; « Come Together » réinvente la mégalopole comme un carrefour de destins, porté par des caméos mémorables ; « Let It Be » devient une élégie gospel traversée de larmes et de flammes. La bande originale, monumentale, est arrangée et produite pour le cinéma, non pas comme un karaoké luxueux mais comme une réinterprétation dramatique où les voix des acteurs – Jim Sturgess, Evan Rachel Wood, Joe Anderson, Dana Fuchs, Martin Luther McCoy – assument un grain de fragilité qui sert l’histoire. La partition originale d’Elliot Goldenthal relie ces respirations musicales, tandis que la production musicale mentionne également T Bone Burnett parmi les artisans des enregistrements, preuve de l’ambition sonore du projet.

Le film ne cache pas ses excès, ni son goût pour la pop-mythologie. Des caméosBono en gourou psychédélique, Joe Cocker en figure polymorphe, Eddie Izzard en maître de cérémonie, Salma Hayek en vision démultipliée – convoquent le cirque merveilleux d’une époque. Ce cinéma de la sensation peut agacer ; il bouleverse quand il épouse la mélancolie d’un amour malmené par la guerre du Viêt Nam ou la radicalisation politique. Les personnages s’éloignent, se cherchent, se retrouvent, et les chansons, déplacées de leur contexte original, offrent de nouvelles strates de sens. Ce déplacement permanent est précisément ce qui rend Across The Universe passionnant : il affirme que le répertoire des Beatles n’est pas un musée, mais un corpus vivant, disponible pour raconter d’autres histoires et capter d’autres vibrations.

On sait que la gestation fut parfois heurtée : Julie Taymor a défendu bec et ongles la dimension politique, queer et psychédélique du film face à des pressions de studio qui auraient préféré un ton plus sage. Les comédiens ont publiquement soutenu cette vision, au point de menacer, selon les témoignages rapportés plus tard, de retirer leur nom si l’œuvre était affadie. Cette défense d’une intégrité artistique explique en partie la singularité du résultat. Fait amusant, et devenu anecdote culte, Evan Rachel Wood a révélé qu’une séquence tournée sur « I Am the Walrus » avait été filmée dans un esprit aussi « planant » que l’écran le suggère, détail qui alimente l’aura mythique du projet sans en diminuer la maîtrise formelle.

À sa sortie, Across The Universe n’a pas bouleversé le box-office, mais il a conquis un statut d’œuvre-culte. Sa force est d’avoir su conjuguer respect et irrévérence, exactitude émotionnelle et liberté plastique. Pour qui s’intéresse à l’empreinte culturelle des Beatles, c’est un film-clef : il montre comment les chansons« All My Loving », « Dear Prudence », « While My Guitar Gently Weeps », « Hey Jude », « Across the Universe », entre autres – peuvent changer de fonction quand elles sont replacées dans une dramaturgie neuve. On redécouvre alors des nuances, des inflexions, des ironies, comme si les titres ouvraient désormais d’autres portes que celles de nos souvenirs.

Nowhere Boy (2009) : l’enfance de John Lennon, sans fards ni violons

La réussite de Nowhere Boy tient à une décision de mise en scène : rétrécir le cadre. Plutôt que d’illustrer un mythe mondial, le film s’attache à une ville, Liverpool, à une famille, et à un adolescent partagé entre deux pôles maternels : Mimi, la tante qui l’a élevé avec droiture, et Julia, la mère au tempérament volcanique et insaisissable. En filmant les années qui mènent John des Quarrymen aux premiers pas vers les Beatles, la réalisatrice Sam Taylor-Johnson refuse le biopic téléphoné. Elle cherche la vibration intime, les heurts de l’éducation sentimentale, la musique qui s’invente dans les garages, les salles paroissiales, les regards rivés sur Elvis et Buddy Holly.

Aaron Taylor-Johnson compose un Lennon adolescent crédible, bravache et fragile ; Kristin Scott Thomas donne à Mimi une autorité blessée, jamais caricaturale ; Anne-Marie Duff insuffle à Julia une joie aussi communicative que dangereuse. Surtout, le film entend John non pas comme une icône déjà écrite, mais comme un garçon qui cherche sa place entre l’amour et la colère, la loyauté et la fuite. Cette tension s’enracine dans la vérité émotionnelle des scènes domestiques et dans la dynamique musicale naissante avec Paul McCartney et George Harrison, où l’on voit la précision harmonique de Paul répondre au tempérament brûlé de John.

Musicalement, la production contourne l’écueil du « best of » en choisissant des reprises et des morceaux de l’époque qui ont façonné l’oreille de Lennon, et en réenregistrant des titres dans l’esprit des Quarrymen. On y entend, entre autres, le rock’n’roll américain qui formait le terreau de l’invention à venir. La partition instrumentale est signée par Goldfrapp, ce qui surprend parfois sur le papier mais fonctionne à l’écran par sa sobriété mélodique et sa capacité à soutenir les élans sans les souligner au stabilo. Cette économie de moyens laisse la place aux silences et aux regards – un choix d’exécution qui fait de Nowhere Boy un film sensible plutôt que sentimental.

Côté réception, Nowhere Boy fut salué pour ses interprétations et sa tenue. Les critiques soulignèrent le jeu nuancé d’Aaron Johnson et la profondeur apportée par ses partenaires. Le film a décroché plusieurs nominations aux BAFTA, notamment pour Meilleur film britannique, Meilleure actrice dans un second rôle pour Anne-Marie Duff et Kristin Scott Thomas, ainsi que pour la meilleure première œuvre de Sam Taylor-Johnson. Ce n’est pas un hasard : on n’y sent ni l’hagiographie ni la provocation, mais un souci de justesse qui fait écho à la littérature spécialisée, tout en assumant des choix dramatiques discutables – comme la fameuse scène du « choix » – que des historiens, Mark Lewisohn en tête, ont pointés comme peu exacts. Le film ne prétend pas régler l’archive : il raconte une adolescence, avec ses angles morts.

Ce réalisme émotionnel explique pourquoi Nowhere Boy parle aussi fort aux fans. En sortant le récit de l’ombre écrasante de la postérité, le film rappelle que les Beatles n’ont pas été une foudre tombée du ciel, mais une addition de circonstances, de rencontres, de lectures et d’obsessions, d’autorité et de transgression. On regarde Nowhere Boy moins pour « voir » les Beatles naître en accéléré que pour comprendre ce que John Lennon a dû apprivoiser – la culpabilité, le désir, la rage, l’humour comme armure – avant de trouver sa voix.

Two Of Us (2000) : et si John et Paul s’étaient reparlés, vraiment, un soir de 1976 ?

Diffusé à l’origine sur VH1, Two Of Us part d’un fait réel, désormais gravé dans la petite histoire : le 24 avril 1976, en direct dans Saturday Night Live, le producteur Lorne Michaels lance une offre « syndicale » de 3 000 dollars aux Beatles pour les convaincre de se reformer et de jouer trois chansons sur le plateau. L’énoncé est un gag, une parodie des offres mirobolantes publiées dans la presse pour un hypothétique retour du groupe ; mais la coïncidence est vertigineuse : John Lennon et Paul McCartney regardent l’émission ensemble cet empressoir-là, à New York. Ils songent un instant à prendre un taxi vers Rockefeller Center pour entrer en direct et réclamer la moitié de la somme « à deux »… Puis ils renoncent, trop fatigués pour transformer la blague en histoire. L’anecdote a été racontée par les principaux intéressés, citée, recitée, et même relancée un mois plus tard quand Michaels augmente la mise en pastiche, à 3 200 dollars. Two Of Us imagine ce qui aurait pu se dire entre John et Paul ce soir-là.

Le film est signé Michael Lindsay-Hogg, qui n’est pas n’importe qui dans la saga : on lui doit Let It Be (1970), et il a dirigé plusieurs clips et captations du groupe. Cette filiation donne à Two Of Us une tonalité particulière, entre pudeur et connaissance intime des personnages publics. Jared Harris campe un John Lennon post-Beatles, ironique et vulnérable, new-yorkais d’adoption, tandis qu’Aidan Quinn incarne un Paul McCartney à la fois affable et piqué au vif, soucieux d’être pris au sérieux au-delà de Wings. Le dispositif est presque théâtral : deux hommes qui parlent, se provoquent, déterrent des griefs, partagent des souvenirs et, par éclairs, retrouvent la complicité. Il n’y a pas de performance musicale spectaculaire, pas de grand final consolateur ; il y a la conversation manquée que tous les fans auraient rêvé d’entendre.

L’intérêt de Two Of Us n’est pas de réécrire l’histoire, mais de mettre en scène l’impossible : au tournant des années 1970 et 1980, John et Paul ne sont plus des partenaires d’écriture au quotidien. Ils sont deux individus aux trajectoires distinctes, aux susceptibilités entretenues par la presse, aux vies privées complexes. Le film réussit à ne pas choisir de camp. Il écoute les reproches – la perception par John d’un Paul trop contrôlant, l’agacement de Paul face à l’icône Lennon qui ironise en public – mais il n’oublie jamais l’amitié fondatrice qui sous-tend tout. C’est cette ambivalence, davantage que la reconstitution d’époque, qui donne au métrage son pouvoir émotionnel. Et si la fiction invente des dialogues, elle s’amarre solidement à l’événement réel de 1976, dont on connaît désormais les contours, jusqu’à la réplique de Paul rapportant que John lui glissa : « On n’est que deux, on prendra la moitié du chèque ». On sourit, et on mesure tout ce que ce clin d’œil contient d’affection et de regret.

Trois regards, une même révolution silencieuse : ce que ces films disent des Beatles

Ces trois films témoignent d’une évidence trop souvent oubliée quand on parle des Beatles : la musique n’existe jamais seule. Elle s’enracine dans une époque, des corps, des villes, des amours et des colères. Across The Universe montre comment les chansons peuvent devenir la charpente d’un récit qui parle de guerre, de racisme, de liberté, d’identité. En retirant les Beatles eux-mêmes du cadre, Taymor révèle la plasticité d’un catalogue qui, loin d’être un sanctuaire, continue de vivre au présent de ceux qui l’écoutent. Nowhere Boy rappelle que le génie se fabrique à hauteur d’adolescent, dans les contradictions d’un foyer clivé, à coups de décisions minuscules et d’obsessions majuscules. Two Of Us montre, enfin, qu’au-delà des mythes collectifs, la relation Lennon-McCartney reste d’abord une histoire de deux hommes et d’un dialogue parfois empêché.

L’impression d’ensemble est paradoxale : on sort plus proche des Beatles en ayant vu des films où ils n’apparaissent pas toujours à l’écran, où leur musique, parfois absente, rayonne par voisinage. C’est la marque des grandes œuvres dérivées : elles ne plagient pas, elles prolongent.

Ce qu’Across The Universe apporte aux fans en 2025

Près de vingt ans après sa sortie, Across The Universe reste un laboratoire de réinterprétations. À l’heure où la culture pop recycle à la chaîne, Taymor propose une éthique de la reprise : ne jamais copier, toujours raconter. Les arrangements vocaux et instrumentaux témoignent d’une intelligence dramatique qui autorise d’autres artistes – sur scène, au cinéma, dans les séries – à oser des lectures inattendues. On comprend mieux, à travers ce film, pourquoi les chansons des Beatles semblent inépuisables : elles contiennent des archétypes émotionnels assez solides pour survivre aux changements de décor, aux glissements d’époque, aux voix qui tremblent autrement.

On redécouvre aussi combien le séquençage compte. Placée au cœur d’un arc narratif, « I Want To Hold Your Hand » n’est plus un simple hit de l’explosion 1963-1964 ; elle devient un aveu de désir, presque chuchoté, qui n’était peut-être pas lisible ainsi à l’époque. « Let It Be », confiée à une voix gospel, se charge d’une gravité communautaire qui dialogue avec l’histoire américaine, au-delà de l’intimité du studio Apple. La mise en scène – images peintes, chorégraphies comme des toiles mouvantes – ne cherche pas la mimésis : elle prend au sérieux la dimension visuelle de la musique des Beatles, qui fut, on l’oublie parfois, une aventure plastique autant que sonore.

On n’ignore pas les réserves formulées à sa sortie : certains y ont vu un collage maniériste plus qu’un film. Mais le temps a plutôt donné raison à Across The Universe. À l’ère des playlists, l’œuvre montre qu’on peut monter un récit avec des titres existants sans se contenter du collage, à condition de diriger l’oreille du spectateur, de savoir où placer le silence et de choisir quel timbre raconte quoi. Les révélations ultérieures sur la défense farouche de l’intégrité du film par Taymor et son équipe n’ont fait que renforcer ce sentiment : on a affaire à un geste d’auteur, pas à un produit.

Pourquoi Nowhere Boy évite l’écueil du biopic-carte-postale

Les biopics musicaux trébuchent souvent sur la même marche : vouloir raconter toute une vie en deux heures, fenêtrer la carrière par une succession de tubes et cadenasser l’émotion par des scènes obligées. Nowhere Boy fait l’inverse. En se concentrant sur quelques années-sources, il autorise le doute, l’imprécision, la contradiction. C’est précisément dans ces interstices que le film trouve sa vérité. On entend les premiers accords, on voit la main gauche de McCartney devenir sa signature, on sent la rivalité fraternelle qui frottera la paire Lennon-McCartney comme un silex créatif. Le film ose aussi l’ombre : la fragilité mentale de Julia, la rigidité protectrice de Mimi, les blessures d’abandon dont John ne se défendra jamais complètement.

Ce choix a des conséquences esthétiques : pas de reconstitution lourde de studios d’enregistrement, pas de parade de célébrités. Les visages connus restent des présences, pas des attractions. Cela n’empêche pas Nowhere Boy d’affronter la controverse quand il tord, pour les besoins de la scène, un épisode de l’enfance de John en dilemme spectaculaire. Les spécialistes l’ont relevé ; le film n’en est pas moins honnête dans sa démarche : il désigne l’événement, l’exagère peut-être, mais pour éclairer la fracture affective qui irrigue l’œuvre entière de Lennon, de « Mother » à « Julia ». La logique dramatique n’efface pas la complexité historique, elle la met en tension, et le spectateur informé sait faire la part des choses.

Dans la mémoire des fans, Nowhere Boy tient aussi parce qu’il rappelle la matérialité des débuts : des guitares bon marché, des amplis capricieux, des salles impossibles, des mains qui saignent à force d’apprendre des accords. On mesure la distance entre le mythe monolithique et la somme des bricolages qui le précède. Et l’on sort du film avec une évidence : sans l’arrimage émotionnel de l’adolescence, rien de ce que nous appelons « le son Beatles » n’aurait pris la même forme.

Ce que Two Of Us nous apprend sur Lennon et McCartney

En s’installant dans le huis clos d’un dialogue imaginé, Two Of Us pose une question essentielle : comment deux géants se parlent-ils quand la légende s’est interposée entre eux ? Le film ne cherche pas à faire de morale ; il décrit des mécanismes de défense. John désamorce par la moquerie, change de sujet, embraye sur la provoc ; Paul argumente, rationalise, griffe parfois, demande la reconnaissance qu’il estime lui être due. Dans ce ballet, ce sont d’abord deux hommes de quarante ans qui essaient de dépasser la caricature – « le saint Lennon » d’un côté, « le patron McCartney » de l’autre – pour retrouver les garçons de 1957.

Ce faisant, Two Of Us touche à un point aveugle de la mémoire Beatles : l’après. Que fait-on d’une amitié quand la planète entière a des attentes sur ce que l’on doit en faire ? Que reste-t-il de la conversation d’atelier, celle d’avant les studios et les lettres d’avocats ? Le film n’offre pas de solution ; il propose une chambre d’écho où le spectateur, lui, peut déposer sa propre nostalgie. L’élégance du geste tient aussi au fait que Lindsay-Hogg n’en rajoute jamais. C’est un film modeste et fin, qui fait confiance à la parole et au jeu, et qui s’appuie sur un événement documenté – l’offre de Lorne Michaels, réitérée en pastiche quelques semaines plus tard – comme sur une charnière narrative. Le réel y est point d’appui, pas laisse-passer.

Trois portes d’entrée complémentaires pour (re)parler des Beatles

Pour les lecteurs de Yellow-Sub.net, ces trois œuvres offrent des usages complémentaires :

D’abord, Across The Universe montre ce que devient un catalogue quand on le confie à une cinéaste de théâtre. C’est une leçon d’adaptation : la chanson, au cinéma, n’est pas seulement un numéro ; c’est une action, un changement d’état. On peut l’entendre comme un mode d’emploi pour d’autres projets qui voudraient réinventer l’écoute des Beatles à l’écran.

Ensuite, Nowhere Boy rappelle l’utilité du regard biographique quand il renonce à l’encyclopédisme. Le film invite à replonger dans les sources, à confronter les témoignages et à accepter l’incertitude. C’est aussi un portrait de Liverpool qui fait sentir ce que la ville a mis dans la voix de John Lennon : une ironie défensive, une tendresse rugueuse, un rythme.

Enfin, Two Of Us est un conte moral sur l’amitié et la fierté, sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Il donne envie de relire les interviews de 1980, d’écouter les chansons-lettres que John et Paul s’adressent parfois à distance, d’imaginer ce que deux compositeurs de ce calibre peuvent partager sans guitare.

Faut-il absolument être fan pour les apprécier ?

La réponse est non, et c’est peut-être leur plus grand mérite. Across The Universe peut parler à qui aime la comédie musicale et la mise en scène chorale ; Nowhere Boy à qui s’intéresse aux romans d’apprentissage, aux chroniques familiales, aux films où l’on sent les premières fois ; Two Of Us à qui recherche un duel d’acteurs et une méditation sur ce que l’on se dit trop tard. Être fan des Beatles, c’est évidemment un plus : on repère les citations, on sourit aux clins d’œil, on entend des harmoniques affectives que d’autres n’entendront pas. Mais ces films ne sont pas des clubs privés. Ils tiennent tout seuls, car ils parlent d’amour, d’amitié, d’identité, de choix moraux, de politique, de deuil, de pardon – matières universelles.

Pour aller plus loin avec Across The Universe : un guide d’écoute active

Revoir Across The Universe aujourd’hui, c’est aussi s’offrir un exercice d’écoute. Essayez, par exemple, de prêter attention à la façon dont la tessiture de Jim Sturgess aborde « All My Loving » : le timbre n’est pas celui de Paul McCartney, mais la lumière du phrasé compte davantage que l’imitation. Sur « I Want You (She’s So Heavy) », écoutez le mixage qui fait monter la menace comme une vague – la musique devient le poids qui tombe sur les épaules de Max. Dans « Let It Be », notez le cheminement émotionnel qui va de la détresse individuelle à la consolation communautaire : ce glissement est l’un des secrets du film. Ces pistes de lecture donnent une conscience aiguë de la puissance cinématographique des chansons, indépendamment de leur aura historique.

Pour aller plus loin avec Nowhere Boy : l’atelier Lennon en gros plan

Avec Nowhere Boy, on peut se concentrer sur l’apprentissage. Observez la posture de John avec la guitare, ses mains qui cherchent non pas la virtuosité, mais l’expression. Remarquez l’économie du scénario, qui réserve les moments de musique à ce qu’ils doivent signifier : créer du lien, se rebeller, impressionner Paul, oublier le tumulte familial. Écoutez enfin le score de Goldfrapp, discret mais pulsé, qui soutient les scènes d’intimité sans jamais les contraindre. C’est un film qui respire, et cette respiration dit l’art qui sort d’un thorax trop serré par la vie. Les récompenses et nominations reçues, en particulier aux BAFTA, n’ont pas seulement salué un sujet « sûr » ; elles ont reconnu un ton, une tenue.

Pour aller plus loin avec Two Of Us : la diplomatie des silences

Regarder Two Of Us, c’est accepter le temps long de la discussion. Essayez de noter les stratégies des deux protagonistes : John dévie, ironise, teste, puis se livre par éclats ; Paul explique, se pique, tente la conciliation, puis grince. Dans ce jeu, les silences sont cruciaux. Ils disent le poids des non-dits, l’impossibilité de trancher ce qui relève de l’ego et ce qui appartient à l’amour fraternel. La réussite du film tient à la direction d’acteurs et à la mémoire documentaire qu’il convoque. Le spectateur averti sait que l’anecdote SNL est historique, qu’elle a été racontée par Lennon et McCartney eux-mêmes, et qu’elle a nourri toute une littérature contrefactuelle. Mais la modestie du dispositif – une chambre, une ville, une nuit – tient le film hors du pathos.

En guise de conclusion : trois bonnes raisons de revoir les Beatles autrement

Ce qui rend Across The Universe, Nowhere Boy et Two Of Us indispensables, c’est leur capacité à déplacer notre regard. On ne sort pas simplement avec l’impression d’avoir « encore entendu les Beatles ». On a revisité une époque, on a mesuré l’impact de la musique sur des vies, on a rencontré des personnes – fictives ou réelles – qui nous ressemblent. C’est la meilleure nouvelle pour l’héritage des Beatles : tant que des artistes oseront les aborder de biais, tant que des cinéastes investiront les interstices entre les chansons et l’histoire, leur œuvre continuera de parler.

Pour les fans de longue date, ces films sont des compagnons : ils offrent d’autres points de vue, exigent une écoute active, invitent à relier les chansons à des trajectoires humaines. Pour les nouveaux venus, ils sont des portes d’entrée accueillantes : pas besoin de connaître toutes les sessions ni toutes les dates pour éprouver la charge émotionnelle de ces récits.

On peut débattre à l’infini de la hiérarchie entre les adaptations et les biopics. Mais s’il faut retenir une chose, c’est ceci : les Beatles ne sont pas seulement un patrimoine à conserver. Ils sont une matière à créer. Across The Universe, Nowhere Boy et Two Of Us en sont trois preuves éclatantes. Et c’est sans doute pour cela qu’ils résistent, qu’ils grandissent même, à mesure que le temps passe. Leurs images, leurs dialogues, leurs choix de mise en scène nous ramènent sans cesse à ce qui compte : le cœur battant de la musique, l’amitié qui n’est jamais simple, la jeunesse qui trébuche et recommence, le courage de faire autrement. C’est, au fond, la leçon que les Beatles nous donnent depuis soixante ans, et que ces films, chacun à sa manière, réaffirment avec force.


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