Paul McCartney revisite sa carrière post-Beatles avec Wingspan: Hits and History, un coffret double album et documentaire réalisé par Mary McCartney. Ce set retrace dix ans d’innovations et de tubes, mêlant succès planétaires et raretés méconnues, tout en illustrant la quête identitaire de Wings et les projets solo. Il dévoile les défis d’un artiste confronté à l’ombre des Beatles et célèbre l’apport essentiel de Linda, offrant un panorama sincère et vibrant d’une ère de renouveau musical.Ce coffret iconique magnifie l’audace de Wings, perpétuant un héritage musical vibrant et unique.
Lorsque Paul McCartney publie, en 2001, la double anthologie Wingspan: Hits and History, c’est toute une décennie riche en créations et en bouleversements qui s’y trouve récapitulée. L’ambition est de couvrir la période allant du premier album solo McCartney en 1970 jusqu’à la bande originale de Give My Regards to Broad Street en 1984. Le titre renvoie bien sûr à Wings, le groupe que McCartney a formé avec Linda McCartney et Denny Laine peu après la séparation des Beatles. Mais le coffret inclut également des morceaux enregistrés en solo, dans la continuité d’une vie musicale déjà marquée par l’ombre immense des Beatles. Comment bâtir une nouvelle identité quand on a déjà signé certaines des plus grandes chansons des années 1960 ? Comment poursuivre sur scène sans retomber dans le passé ? Wingspan, album et documentaire, propose quelques clés pour comprendre ce chemin sinueux.
Sommaire
- Le contexte de la sortie : un documentaire et deux disques
- La distinction “Hits” et “History” : un choix éditorial subtil
- Les spécificités des éditions : tracklists divergentes
- Un succès commercial immédiat
- Le documentaire : histoire d’un groupe et d’un couple
- La parole de Mark Lewisohn : un second regard
- Le contenu musical en détail : entre grands tubes et pépites cachées
- Un document familial et une célébration de Linda McCartney
- Une perspective historique sur Wings : de l’aventure indépendante au succès mondial
- De la qualité sonore à la structure des disques : un objet de référence
- La dimension autobiographique : un pont entre “après-Beatles” et “avant-quid ?”
- Un accueil critique favorable et une mise en avant de l’histoire de Wings
- Le rôle pivot de “History” : valider l’œuvre au-delà des tubes
- Perceptions actuelles et postérité de
- Wingspan
- La conclusion d’un cycle : Paul McCartney, Wings et l’héritage Beatles
- Une mémoire vivante : la double filiation Beatles / Wings
Le contexte de la sortie : un documentaire et deux disques
En 2001, Paul McCartney s’associe à la chaîne de télévision ABC (aux états-Unis) pour diffuser un documentaire en prime time, intitulé Wingspan. Réalisé par Mary McCartney, la fille de Paul et Linda, ce film se présente sous la forme d’un dialogue intime entre le musicien et sa fille, mêlant interviews, archives vidéo et récit personnel autour de la création de Wings, l’évolution du groupe, et le rôle majeur qu’y a joué Linda McCartney. La bande-son qui accompagne cette diffusion télévisée est condensée dans la compilation Wingspan: Hits and History. Ce double album s’organise en deux volets : la première partie, «Hits», rassemble les chansons les plus populaires des années post-Beatles de Paul McCartney, alors que la seconde, «History», privilégie des titres plus obscurs, parfois moins connus du grand public, issus de la même période (1970-1984).
Le double CD témoigne de la trajectoire complète de Wings, de ses premiers enregistrements jusqu’aux morceaux plus tardifs, agrémentés de raretés et de simples faces B. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un best of classique : Wingspan se veut la synthèse d’une décennie où McCartney, soutenu par Linda, a tenté de fonder un groupe légitime pour échapper au poids du passé et montrer un nouvel élan créatif. De plus, l’album inclut certaines chansons publiées sous la seule signature de «Paul McCartney» (sans mention de Wings), afin d’offrir un panorama complet de l’œuvre post-Beatles. L’objectif est clair : clore définitivement les débats sur la valeur artistique de cette époque, et rappeler que Paul n’est pas seulement l’ex-Beatle, mais un compositeur au parcours foisonnant.
La distinction “Hits” et “History” : un choix éditorial subtil
Contrairement à bien des compilations où l’on se contente d’aligner les tubes dans un ordre chronologique ou thématique, Wingspan opte pour une répartition audacieuse. Le premier disque, «Hits», renferme une bonne partie des morceaux qui se sont hissés au sommet des classements : «Silly Love Songs», «Band on the Run», «Jet», «Live and Let Die», «My Love», «Mull of Kintyre», etc. Sur le plan commercial, ces titres ont dominé les radios des années 1970 et début 1980, porté par l’aura de Paul McCartney et l’énergie de Wings sur scène. Certains, comme «Another Day», datent même de la période précédant la naissance officielle de Wings, tandis que d’autres, comme «No More Lonely Nights», renvoient aux expérimentations plus tardives de McCartney (Give My Regards to Broad Street, 1984).
La deuxième partie, intitulée «History», s’intéresse à des morceaux moins grand public, qui éclairent la démarche artistique de McCartney et le cheminement du groupe. On y découvre l’acoustique dépouillée de «The Lovely Linda» ou l’aspect contemplatif de «Heart of the Country». On s’attarde aussi sur des raretés et des versions singulières, comme «Daytime Nighttime Suffering» (face B du single «Goodnight Tonight») ou «Bip Bop/Hey Diddle», inédite qui remonte à 1971. Ce second volet illustre les essais de Wings et de Paul en solo, parfois mal reçus par la critique à l’époque, mais qui, remis en perspective, éclairent la diversité de l’écriture de McCartney. De «Maybe I’m Amazed» (1970) à «Waterfalls» (1980), en passant par «Venus and Mars/Rock Show», l’album révèle un musicien protéiforme, oscillant entre rock, pop sucrée, ballades sensibles et expérimentations sonores plus ou moins discrètes.
Les spécificités des éditions : tracklists divergentes
Comme souvent chez Paul McCartney, la version américaine de l’album diffère de la version britannique. L’exemple le plus marquant concerne «Coming Up». Au Royaume-Uni, Wingspan contient la version studio d’origine, parue sur McCartney II (1980). Mais aux états-Unis, c’est le live de Glasgow (enregistré en 1979) qui est retenu, parce que ce dernier a davantage marqué les radios américaines et que c’est ce pressage qui avait fait un carton dans les charts locaux. Ce n’est pas la première fois que Paul s’adapte aux préférences d’un marché ; on se souvient de «Helen Wheels», tantôt inclus, tantôt écarté de l’album Band on the Run selon qu’on était en Europe ou aux états-Unis.
En outre, la version japonaise de Wingspan ajoute la chanson «Eat at Home», autrefois publiée en single au Japon (issue de l’album Ram). Ce bonus renforce la spécificité de chaque région et vise à satisfaire l’attente du public japonais, qui garde un souvenir particulier de ce titre. Ainsi, l’album s’inscrit dans la tradition des multiples éditions, où McCartney jongle entre le tracklisting original et des variations destinées à conquérir un marché local.
Un succès commercial immédiat
Lancé en 2001, Wingspan: Hits and History se propulse directement en deuxième position du Billboard 200 aux états-Unis, avec plus de 220 000 exemplaires vendus la première semaine. L’engouement autour du documentaire télévisé a sans doute joué : l’idée d’un prime time consacrant Paul McCartney et Linda (disparue en 1998) suscite une forte curiosité. Les ventes atteignent plus de 970 000 unités fin 2005 aux états-Unis, où l’album est certifié double platine par la RIAA. Au Royaume-Uni, il obtient un disque d’or, de même qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. Certes, on reste loin des chiffres légendaires des Beatles, mais pour un musicien déjà en activité depuis plus de trente ans, c’est une performance remarquable.
Cette réussite discographique montre que l’intérêt pour Wings ne faiblit pas. Longtemps considéré par certains critiques comme un groupe secondaire dans la carrière de Paul McCartney, Wings bénéficie d’un regain d’attention, en partie grâce à l’aspect nostalgique du documentaire télévisé. De nombreux fans qui avaient boudé l’aventure Wings au profit des albums solo de John Lennon ou de George Harrison se replongent dans ce pan de l’histoire post-Beatles, redécouvrent des tubes mondialement reconnus comme «Band on the Run» ou «Live and Let Die», et mesurent la longévité de McCartney au sommet des charts.
Le documentaire : histoire d’un groupe et d’un couple
En parallèle de l’album, la sortie du documentaire Wingspan produit un fort impact médiatique. Réalisé par Mary McCartney, il adopte un ton intime qui s’éloigne des classiques documentaires musicaux. Il ne s’agit pas tant de retracer chronologiquement la totalité des faits, mais de faire parler Paul, face à des photos, des vidéos d’archives et des souvenirs familiaux. Linda McCartney, décédée trois ans plus tôt, occupe une place majeure dans le récit : on y découvre son rôle de soutien indéfectible, son courage face à la presse souvent hostile lors des premières années de Wings, et sa participation active en tant que claviériste, choriste, confidente, photographe et mère. Ce documentaire brosse également le portrait d’une formation qui part jouer dans des universités britanniques avec un matériel minimal, dans le but de se forger une identité loin de la gloire écrasante des Beatles.
Paul y évoque la difficulté qu’il éprouve au tout début des années 1970 : «A hard act to follow. Almost impossible. But what could I do?» (c’est-à-dire : «Passer après les Beatles… Tâche presque impossible. Mais que pouvais-je faire ?»). Il explique que l’habitude de jouer dans un groupe, sans jamais être monté seul sur scène, l’a poussé à recréer un collectif pour retrouver la dynamique de la performance partagée. Les premières tournées de Wings se font dans un van, sans plan de route exact, avec bébés et chiens à bord, dans un esprit proche de l’épopée des Beatles à Hambourg à leurs débuts. Au fil du documentaire, on voit comment Wings, après des débuts hésitants (l’album Wild Life en 1971, accueilli froidement), gravit peu à peu les échelons jusqu’à la consécration de Band on the Run (1973) et les vastes tournées de 1975-1976.
La parole de Mark Lewisohn : un second regard
Dans le livret accompagnant Wingspan, on retrouve un texte de Mark Lewisohn, spécialiste reconnu des Beatles, qui brosse avec style le parcours de McCartney post-1970. Lewisohn insiste sur l’idée que, pour Paul, «être musicien équivaut à être interprète». Parce qu’il n’a jamais joué seul, sans John, George et Ringo, ou un autre groupe, il a besoin d’une nouvelle bande pour continuer à se produire sur scène. Ce sera donc Wings, né officiellement fin 1971, avec Linda, Denny Laine et le batteur Denny Seiwell. Lewisohn rappelle la première tournée des universités britanniques, les nombreux bustes et critiques, la parution en rafale d’albums (cinq disques en trois ans !), jusqu’à l’apothéose de la tournée mondiale de 1975-1976 qui assoit Wings comme l’un des plus gros groupes de la décennie.
Il souligne aussi que, sur un graphique (si on trace la courbe de la carrière du groupe), la période 1975-1977 constitue clairement le sommet. Mais maintenir un sommet est ardu. Après plusieurs changements de line-up (départs de Henry McCullough, Jimmy McCulloch, Joe English, etc.), Wings continue de produire des hits massifs, avant de s’étioler dans les années 1980. Le Japon, en janvier 1980, scelle le destin du groupe : McCartney, arrêté pour possession de marijuana à l’aéroport de Tokyo, passe une dizaine de jours en détention, et la tournée s’évapore. Wings cesse peu à peu d’exister, alors que Paul se recentre sur des projets solo, en particulier McCartney II (1980). Lewisohn conclut que la dissolution de Wings est un «another end, another beginning» (une nouvelle fin, un nouveau départ), marquant le retour du «Paul McCartney soliste».
Le contenu musical en détail : entre grands tubes et pépites cachées
Le premier disque, «Hits», réunit 18 morceaux. On y retrouve des singles incontournables :
– «Listen to What the Man Said» (1975), exemplaire du virage pop grand public de Wings.
– «Band on the Run» (1973), ode à l’évasion, qui a propulsé l’album du même nom au rang de succès majeur.
– «Another Day» (1971), premier single solo de Paul, paru avant même la naissance officielle de Wings.
– «Live and Let Die» (1973), l’une des plus mémorables compositions de James Bond, qui inaugure la collaboration fructueuse avec George Martin et un usage intense d’arrangements orchestraux explosifs.
– «My Love» (1973), ballade planante, hommage discret à Linda, extrait de Red Rose Speedway.
– «Mull of Kintyre» (1977), single record au Royaume-Uni, inspiré par le refuge écossais de Paul, co-écrit avec Denny Laine.
– «No More Lonely Nights» (1984), issu de Give My Regards to Broad Street, ultime rappel d’une période où McCartney cherche encore à s’inventer un nouveau destin cinématographique et musical.
D’autres titres, comme «Jet» ou «Silly Love Songs», confirment la veine pop-rock imparable de Wings, capable de rivaliser avec les gros vendeurs de disques de l’époque. Les DJ edits (versions raccourcies destinées à la radio) de «Junior’s Farm» et «With a Little Luck» rappellent la tradition, dans les années 1970, de diffuser des versions plus courtes pour garder l’intérêt des programmateurs.
Le second CD, «History», propose 22 plages, dont certaines plus brèves ou moins populaires. «The Lovely Linda» (1970) n’est guère plus qu’une esquisse de 45 secondes, sur laquelle Linda apparaît déjà comme un soutien vocal. «Daytime Nighttime Suffering», face B oubliée du single «Goodnight Tonight», figure ici pour souligner la capacité de Paul à écrire des pépites même en marge de ses albums officiels. «Maybe I’m Amazed», issu de McCartney (1970), fait figure de grand classique, réputé parmi les meilleurs titres post-Beatles de Paul. On croise «Helen Wheels» (1973), absent de la version internationale de Band on the Run mais présent sur l’édition américaine. «Junk», «Every Night» et «Man We Was Lonely» viennent de McCartney ou Ram, témoignant de la discrète transition entre la fin des Beatles et le début de Wings.
Le coffret ne s’arrête pas là : il inclut «Bip Bop/Hey Diddle», enregistré en 1971 et resté inédit jusqu’ici, ou encore la version single de «Tug of War» (1982), symbole de la collaboration de Paul avec George Martin dans les années post-Wings. L’enchaînement se conclut par la “Playout version” de «No More Lonely Nights», plus rythmée, comme un pied de nez à la douceur initiale du titre. Au total, le second CD dure environ 77 minutes, proposant un large panorama des expérimentations et des moments forts d’une décennie fertile.
Un document familial et une célébration de Linda McCartney
L’essence de Wingspan (l’album et le documentaire) réside aussi dans le récit de l’histoire d’amour et de partenariat musical entre Paul et Linda. Dès la fin des Beatles, Paul est fragilisé : la séparation du groupe est douloureuse, le monde entier scrute son avenir, et les moindres faux pas font la une des journaux. Linda choisit de le rejoindre dans cette aventure, bien qu’elle ne soit pas une musicienne accomplie au départ. Elle s’attire les foudres de la presse, qui ironise sur ses compétences, mais Paul et Linda insistent pour qu’elle reste dans Wings, convaincus que sa présence apporte un son particulier et une complicité unique.
Au fil du documentaire, on constate l’apport de Linda sur des titres comme «Live and Let Die», où elle propose certaines lignes de claviers, ou encore «Band on the Run», où ses harmonies vocales se mêlent à celles de Denny Laine. Linda participe aussi à la structuration de la vie du groupe, en planifiant les tournées, en photographiant les coulisses (elle est déjà une photographe reconnue), et en élevant les enfants tout en étant sur la route. La disparition de Linda en 1998 donne une teinte émouvante à cette rétrospective. Mary McCartney, leur fille, interroge son père avec une empathie particulière, mettant en lumière la complicité du couple. Le film et l’album sont donc à la fois un hommage à Wings en tant que groupe et à Linda comme pivot personnel et professionnel de Paul.
Une perspective historique sur Wings : de l’aventure indépendante au succès mondial
Que retiendra-t-on de Wings, cinquante ans après sa création ? Au début des années 1970, la presse ne fait pas de cadeaux à Paul. On lui reproche d’avoir enchaîné deux disques (le lo-fi McCartney et le plus abouti Ram) jugés inégaux, tandis que John Lennon et George Harrison connaissent un succès critique avec Plastic Ono Band (1970) ou All Things Must Pass (1970). McCartney, échaudé, choisit de repartir de zéro : il veut un groupe, pas d’allusion au passé, pas de chansons des Beatles sur scène. D’où la tournée des campus britanniques de 1972, improvisée, parfois maladroite. Mais la ténacité paie. Wings publie Red Rose Speedway (1973), dont le single «My Love» grimpe aux sommets, puis Band on the Run (fin 1973), chef-d’œuvre unanimement salué.
La suite voit Wings multiplier les tubes : «Jet», «Helen Wheels», «Let Me Roll It», «Listen to What the Man Said», «Silly Love Songs», etc. Les albums s’enchaînent (Venus and Mars, Wings at the Speed of Sound) et l’accueil du public est exponentiel. La tournée mondiale de 1975-1976 consacre le groupe, notamment au sein des stades américains et australiens. Mais déjà, on sent la fragilité de l’édifice : Jimmy McCulloch et Joe English quittent Wings, remplacés provisoirement par d’autres. Paul et Linda, fatigués, rêvent de se ressourcer en écosse, tandis que la mode punk rejette la musique qu’ils pratiquent. Dans la foulée, Wings enregistre London Town (1978) et Back to the Egg (1979), toujours couronnés de succès commerciaux, mais confrontés à des critiques plus tièdes. Puis vient l’épisode de Tokyo en janvier 1980, où Paul est détenu pour possession de cannabis. La tournée japonaise est annulée, l’album live prévu n’est jamais finalisé, et la page Wings se tourne peu après.
à l’heure de Wingspan, Paul peut se permettre de revisiter ce chemin sinueux avec recul. Les tensions, les ratés, les bustes, tout cela s’estompe au profit d’une relecture positive : Wings fut un groupe important, offrant à McCartney un second souffle scénique et discographique. Les ventes records de la compilation confirment que le public est prêt à réévaluer cette époque.
De la qualité sonore à la structure des disques : un objet de référence
Sur le plan purement musical, Wingspan offre un remastering solide (pour l’époque de 2001), mettant en lumière les couleurs instrumentales qui caractérisent Wings : la basse mélodique de Paul, la batterie tantôt musclée tantôt discrète, les guitares de Denny Laine ou de Jimmy McCulloch, et la touche de claviers/harmonies de Linda. La volonté d’inclure des DJ edits pour «Junior’s Farm» ou «With a Little Luck» n’est pas anodine : Paul sait que des morceaux en version longue pourraient rebuter certains acheteurs, habitués aux diffusions radio plus courtes.
Le packaging se distingue par une esthétique épurée, un brin minimaliste, s’appuyant sur des photos de l’époque, montrant un Paul barbu, un Linda souriante, et des clichés de tournées. Les notes de pochette résument l’histoire du groupe et explicitent les choix de Paul, donnant la parole à Mark Lewisohn pour le contexte historique. Les 40 morceaux (18 sur «Hits», 22 sur «History») retracent la quasi-totalité des jalons essentiels, avec quelques inattendus. On peut certes déplorer l’absence de certaines raretés, mais l’ensemble forme un tout cohérent.
La dimension autobiographique : un pont entre “après-Beatles” et “avant-quid ?”
On pourrait se demander si Wingspan ne marque pas un nouveau tournant pour McCartney. En 2001, depuis la disparition de Linda, il a déjà entamé une nouvelle ère : il se produit sur scène sans elle, collabore avec divers musiciens, se tourne parfois vers la musique classique (avec Liverpool Oratorio ou Standing Stone), et multiplie les hommages à sa carrière passée. Wingspan se place comme une réflexion sur la période qui suit la rupture des Beatles (1970) et précède la véritable carrière solo de Paul, relancée dans les années 1990-2000. L’album est une sorte de “pont” entre deux phases de la vie du musicien, racontées à travers les singles, les faces B et les confidences familiales.
Il est intéressant de noter que cette compilation inclut des morceaux allant jusqu’en 1984 (No More Lonely Nights), mais n’englobe pas la totalité des années 1980. Elle s’arrête avant Press to Play (1986) et Flowers in the Dirt (1989), qui voient Paul changer de collaborateurs et aborder de nouvelles directions. On peut donc y voir un geste de clôture : la boucle finale avec Linda, depuis McCartney (1970) jusqu’à Give My Regards to Broad Street (1984).
Un accueil critique favorable et une mise en avant de l’histoire de Wings
En 2001, la critique accueille chaleureusement Wingspan. Si certains puristes le jugent moins essentiel qu’un coffret plus exhaustif, le public et la presse musicale saluent la mise en contexte d’une décennie que beaucoup n’ont pas toujours comprise. On loue la qualité des “Hits”, évidemment, et on apprécie la révélation de la “History” pour ceux qui ne connaissent pas les recoins plus sombres de la discographie de McCartney. Sur le plan commercial, le double album se classe haut dans de nombreux pays (numéro 2 aux états-Unis, top 5 au Royaume-Uni), rappelant le pouvoir d’attraction du musicien, plus de 30 ans après la fin des Beatles.
Le documentaire, quant à lui, séduit un large public lors de sa diffusion : les images de Mary McCartney, la complicité père-fille, les archives montrant Linda dans un cadre chaleureux, tout cela contribue à humaniser le destin de Paul, loin des clichés du “Rock Star” intouchable. Mary creuse également le sujet de la fin des Beatles, la difficile année 1969-1970, la manière dont Paul a vécu la dissolution du groupe et les tensions juridiques l’opposant à John Lennon.
Le rôle pivot de “History” : valider l’œuvre au-delà des tubes
Un des intérêts majeurs de Wingspan réside dans la partie “History”. Beaucoup de compilations de Paul McCartney ou de Wings se contentent de recycler les morceaux radiophoniques. Or, en explorant des titres comme «The Lovely Linda», «Daytime Nighttime Suffering», «Rockestra Theme» ou «Bip Bop/Hey Diddle», la compilation met en lumière l’audace d’un groupe et d’un artiste qui ne se contentait pas de formater chaque chanson pour en faire un hit. On découvre par exemple que le plus gros tube de 1980, «Coming Up», existait en deux versions (studio et live) et que le marché américain a plébiscité le live. Il y a aussi ces morceaux acoustiques ou introspectifs, souvent relégués à un second plan par la presse, qui démontrent la capacité de Paul à manier un art du songwriting plus personnel.
Le choix d’inclure «Too Many People» (extrait de Ram, 1971) est symptomatique : c’est une chanson souvent perçue comme une pique à John Lennon, dans le contexte tendu de la séparation des Beatles. La mettre ici, au milieu d’autres créations, suggère que Paul assume enfin la globalité de son parcours, y compris les différends passés avec ses anciens camarades.
Perceptions actuelles et postérité de
Wingspan
Deux décennies après la parution de Wingspan: Hits and History, la compilation reste une référence clé pour aborder la période “Wings”. Dans un monde où les plateformes de streaming permettent de naviguer librement dans la discographie de Paul, l’idée d’un double album structuré selon deux axes (succès commerciaux d’un côté, titres plus fouillés de l’autre) demeure pertinente. C’est aussi un point de départ idéal pour les auditeurs curieux de comprendre comment McCartney, tout en ayant fait partie d’un groupe légendaire, a su forger un nouveau collectif, endurer les aléas du succès, et poursuivre une création musicale féconde malgré les ruptures, les critiques et les deuils.
Beaucoup voient dans Wingspan la volonté de Paul de réhabiliter Linda comme membre à part entière, décisif dans la dynamique du groupe. Linda n’est plus la “choriste maladroite”, mais la complice, la catalyseuse de projets. Le documentaire souligne qu’elle tenait à chanter, à jouer, même si elle devait apprendre sur le tas. Au moment où Paul envisage la suite de son existence d’artiste, alors veuf, Wingspan fait figure de testament familial, orienté vers la nostalgie, mais aussi vers la célébration des bons moments.
La conclusion d’un cycle : Paul McCartney, Wings et l’héritage Beatles
Wingspan: Hits and History scelle une nouvelle fois l’idée que la période Wings (1971-1980) a été le terrain d’expérimentation où Paul McCartney a réaffirmé son identité, après la colossale page Beatles. Derrière les singles millionnaires et les concerts dans des stades géants, se cache une quête d’équilibre : comment être un “ex-Beatle” tout en maintenant un esprit de groupe, en prenant ses distances avec l’héritage Lennon-McCartney, et en s’adaptant aux courants musicaux des seventies ?
Le double album montre la réponse : un foisonnement de styles (pop, rock, ballade, folk, expérimentation synthétique) répartis sur une douzaine d’albums, une trentaine de singles, et une myriade de faces B. De la simplicité de “The Lovely Linda” à la grandiloquence orchestrale de “Live and Let Die”, de la sérénité de “Bluebird” à l’énergie brute de “Hi, Hi, Hi”, on parcourt un éventail très large des talents de Paul, tout en observant la place grandissante qu’y tient Linda, la fidélité de Denny Laine, et les apports de musiciens comme Henry McCullough, Jimmy McCulloch ou Laurence Juber.
Au final, en mêlant film documentaire et compilation, Wingspan propose un récit complet, intimiste et musicalement exhaustif. Les chiffres de vente, la certification double platine aux états-Unis, l’or au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, démontrent que le public est toujours avide de redécouvrir ces années souvent résumées à quelques chansons phares. L’effet de cette parution sera d’ailleurs renforcé par les rééditions ultérieures des albums de Wings dans la Paul McCartney Archive Collection, qui commence officiellement en 2010 avec Band on the Run. Les fans y trouvent des bonus, des documentaires, des interviews restaurées ; la boucle se referme, et Wings retrouve la place qui lui est due dans l’immense galaxie Beatles/McCartney.
L’impact de la compilation se lit aussi dans la façon dont de nombreux auditeurs se sont approprié “l’autre McCartney”. Les éloges à propos de titres comme “Daytime Nighttime Suffering” ou “Bip Bop/Hey Diddle” témoignent d’un engouement nouveau pour les recoins moins exposés de la discographie. Ce phénomène persiste : nombreux sont ceux qui, après avoir goûté au “Hits” de Wingspan, se plongent dans le “History” pour y pêcher des perles méconnues.
Une mémoire vivante : la double filiation Beatles / Wings
Pour conclure, on peut souligner que Wingspan réalise l’exploit de réconcilier deux facettes apparemment contraires de Paul McCartney. Le grand public associe son nom à l’immense succès des Beatles, mais il ne faut pas oublier que la quasi-totalité des années 1970 a été consacrée à Wings, son groupe familial et amical. Cette décennie fut tout sauf un simple épisode transitoire : elle a produit nombre de tubes, une esthétique scénique novatrice, et des tournées gigantesques. Le documentaire insiste sur l’humanité de ce collectif, sur les déceptions et les joies, sur Linda encourageant Paul et protégeant le clan contre la tempête médiatique.
Wingspan, en exposant simultanément les titres à succès et les morceaux d’arrière-plan, tisse un portrait nuancé du “McCartney d’après”. à travers ces 40 chansons, c’est une odyssée où l’on croise encore l’ombre des Beatles, mais où se dessine surtout un musicien libre, parfois candide, parfois ambitieux, toujours mélodiste. Mark Lewisohn, cité dans le livret, n’omet pas de rappeler que la force de Paul demeure la scène et la présence d’un groupe – un “band” sans qui, selon Paul lui-même, il n’aurait pu assumer la position d’ex-Beatle.
Malgré le temps écoulé, le succès considérable de Wingspan en 2001 montre que l’appétit pour cette période ne s’est jamais tari. Au contraire, la réévaluation critique, couplée à la tendresse du public pour Linda, éclaire d’un regard neuf la contribution de Wings à l’histoire du rock. Au bout du compte, Wingspan: Hits and History reste l’un des plus beaux témoignages sur ce chemin parcouru entre 1970 et 1984, un chemin sur lequel Paul McCartney et Linda ont avancé main dans la main, bravant les pronostics, cassant le moule des Beatles, et bâtissant un répertoire qui continue de faire vibrer les foules.
On peut dire que cet album, soutenu par son documentaire émouvant, perpétue la mémoire de Wings comme une véritable formation, loin d’être un simple chapitre secondaire. C’est un témoin d’une époque où Paul McCartney réinventait sa carrière, avec pour seule boussole l’amour de la musique et la fidélité à un esprit de groupe hérité des Beatles, mais revisité à sa façon. Comme l’écrit Mark Lewisohn, «Another end, another beginning» : c’est d’abord la fin d’une ère (les Beatles), puis la naissance de Wings, avant qu’une nouvelle vie solo de Paul ne se dessine. Wingspan invite à en revisiter toutes les étapes, afin de mesurer l’ampleur d’une aventure collective qui, pour beaucoup, s’est révélée au moins aussi passionnante que l’épopée fabuleuse d’un certain quatuor de Liverpool.
