Une fois de plus j’ai déserté ce blog, privilégiant le format court mais plus direct d’instagram. Je me rattrape ici en repostant mes chroniques de lectures postées sur l’autreréseau social depuis le mois de mai. Une chronique par jour d’ici Noël et ça devrait le faire.
Et pour commencer, l’autobiographie politique et féministe de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé !
Lire ce texte à la fois solaire et sombre avec la mer Egée en toile de fond…
Voici l’itinéraire d’une femme puissante ayant circulé dans divers pays de l’ouest africain (la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Ghana, le Sénégal) dans les années 1960. Maryse Boucolon a grandi coupée de ses racines dans une famille de « Grands Nègres » de Guadeloupe (bourgeoisie noire qui visait l’occidentalisation). Elle découvre la Négritude et le panafricanisme lors de ses études à Paris dans les années 1950. Tombée en disgrâce après la naissance de son fils, elle épouse sur le tas le comédien guinéen Mamadou Condé et s’en va chercher une forme de rédemption sur le continent africain. Prof de français dans ces pays qui venaient d’accéder à l’indépendance, elle côtoie une foule vibrante de leaders politiques, de freedom fighters, de penseurs, d’artistes, de coopérants issus de plusieurs pays africains, mais aussi des Antillais, des Afro-Américains et des Européens qui venaient participer à la construction de ces nouveaux États dans un mélange d’idéalisme et d’arrivisme.
Loin de romantiser cette période, Maryse Condé narre « sans fards » les difficultés d’approvisionnement dans la Guinée socialiste de Sékou Touré, les coups d’Etat et la répression politique, la grande pauvreté et le système de prédation qui se met en place, la difficulté aussi à « s’intégrer », elle qui est vue comme « blanche » par la population locale.
« Toute mon enfance, j’avais été intégrée sans l’avoir choisi, par la seule volonté de mes parents, aux valeurs françaises, aux valeurs occidentales. Il avait fallu ma découverte d’Aimé Césaire et de la Négritude pour au moins connaître mon origine et prendre certaines distances avec mon héritage colonial. À présent, que voulait-on de moi? Que j’adopte entièrement la culture de l’Afrique ? Ne pouvait-on m’accepter comme j’étais, avec mes bizarreries, mes cicatrices et mes tatouages ? D’ailleurs, s’intégrer se résumait-il à modifier superficiellement son apparence ? Baragouiner des langues ? Dessiner des rosaces dans ses cheveux ? La véritable intégration n’implique-t-elle pas avant tout une adhésion de l’être, une modification spirituelle ? Personne ne se souciait de l’état de mon esprit et surtout de mon cœur. Mon cœur, tellement compatissant aux souffrances du peuple qui m’entourait. »
Plus qu’un certain name-dropping qui m’a parfois déconcertée (j’avais du mal à me rappeler qui était qui), l’intérêt de ce livre réside dans la naissance d’une femme à elle-même, envers et contre tout(s).
Maryse Condé n’est pas tendre avec l’Afrique, qui n’a pas été tendre non plus avec elle. Elle a dû se battre pour survivre et se faire accepter, elle et ses 4 enfants. Elle y espérait des retrouvailles identitaires et a subi en conséquence de nombreuses désillusions (la quantité d’épreuves qu’elle y traverse donne le vertige). Mais c’est là-bas que se sont forgées ses idées politiques, notamment sa conscience anti-colonialiste, et surtout là-bas qu’est née sa vocation d’écrivain. Le continent africain, après qu’elle l’eut quitté, est devenu l’inépuisable matière et source de ses romans.
Par ailleurs j’ai trouvé extrêmement intéressante l’ambivalence de la position des Antillais français en Afrique dans les années post-indépendance. Certains considéraient les Africains de haut comme étant insuffisamment « occidentalisés ». D’autres étaient authentiquement soucieux de participer au développement de pays qu’ils considéraient comme « frères » mais ils étaient généralement méprisés voire rejetés par les Africains qui les voyaient comme d’anciens colonisés et descendants d’esclaves.
Bref, on plonge dans un continent de complexités mais aussi de beautés et de bouillonnements intellectuels qui jettent une lumière nouvelle sur l’historicité d’un sous-continent (grosso modo l’Afrique de l’ouest) qu’une certaine vision européo-centrée tend souvent à considérer comme atemporel, uniforme, figé et sans histoire.
On entre aussi dans les années centrales de la vie d’une femme noire du XXe siècle qui parvient à se faire un nom malgré sa position de « dominée », et ça c’est précieux.
Et pour continuer, j’ai très envie de lire Maya Angelou (que Maryse Condé a croisé au Ghana !)
« La vie sans fards » de Maryse Condé, Pocket, 2014, 288 pages
