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I’m The Greatest : Une Ode à la Gloire et à l’Amour-Fraternité

Publié le 17 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

L’ultime hommage à l’ego triomphant et au comique autodérisoire. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la chanson « I’m The Greatest » de John Lennon, enregistrée par Ringo Starr en 1973 et finalement rendue publique dans la fameuse compilation John Lennon Anthology en 1998. Une œuvre qui illustre non seulement les ambitions créatives de Lennon, mais aussi la dynamique particulière entre les ex-Beatles dans les années qui suivirent leur séparation. L’histoire de ce morceau, à la fois joyeuse et pleine de sous-entendus, s’inscrit au cœur d’une période charnière pour les membres du Fab Four, marquée par des expériences musicales individuelles, des retrouvailles occasionnelles et une série de réflexions intimes sur leur passé commun.

Sommaire

La Naissance d’une Idée : 1970, Les Années de Transition

À la fin de 1970, après l’effondrement du groupe Beatles et la sortie de son premier album solo John Lennon/Plastic Ono Band, John Lennon commence à enregistrer des démos à domicile. Parmi celles-ci, figure un premier essai de « I’m The Greatest ». Ce morceau, qui semble au départ une réflexion légère sur l’ego démesuré, est construit autour d’un piano jazz léger et d’une ligne de chant incertaine, où les paroles prennent une tournure plutôt intime : « Long time ago, way back home in Liverpool, my mama told me I’d be great… ». Une sorte de proclamation de gloire qui pourrait presque être perçue comme un message à lui-même ou à ses démons intérieurs.

Lennon, dans ces premiers enregistrements, laisse déjà transparaître ce qui deviendra un aspect fondamental de la chanson : une forme de revendication de sa propre grandeur, mais toujours enveloppée de cette ironie qui caractérise une grande partie de son œuvre post-Beatles. Le tout, néanmoins, est aussi empreint de la douleur d’un homme qui a perdu une part de sa jeunesse, coincé entre l’ombre du succès et la recherche de son identité. Ce n’est qu’un début, et le morceau évoluera au gré des collaborations et des réécritures.

L’Évolution du Morceau : 1971, Lors de la Session de « Power To The People »

En février 1971, Lennon enregistre une version de « I’m The Greatest » en studio, dans le cadre des sessions de son single « Power To The People ». Accompagné de Klaus Voormann à la basse et de Jim Gordon à la batterie, Lennon essaie alors de donner plus de corps à la chanson. Mais ce n’est pas tout : au moment où Lennon chante ces premières paroles, un clin d’œil subtil s’insinue dans la chanson : « Yoko told me I was great ». Un hommage discret à son épouse, Yoko Ono, qui a joué un rôle crucial dans la reconstruction artistique de Lennon après la fin des Beatles.

Cependant, ce n’est pas la version qui sera retenue pour un éventuel album. Lennon semble toujours hésitant à offrir cette composition à son propre répertoire. L’idée de « I’m The Greatest » continue donc d’évoluer dans son esprit, d’autant plus que, dans ses paroles et son ton, il commence à sentir un décalage avec la forme originelle du morceau. Lennon aime jouer avec la perception de la grandeur, tout en restant constamment sur la ligne fine qui sépare le sérieux du comique.

Le Rôle de Ringo Starr : 1973, La Réunification Inattendue

Les années 1970 voient les ex-Beatles suivre des trajectoires musicales distinctes, mais leurs chemins ne sont jamais totalement séparés. C’est ainsi que, fin 1972, Ringo Starr, alors en plein enregistrement de son troisième album solo Ringo, invite Lennon à participer aux sessions de l’album à Los Angeles, après avoir sollicité l’aide de ses anciens camarades pour fournir de nouveaux morceaux. Pour Lennon, cette invitation est une chance de revisiter un morceau qui, jusque-là, n’avait pas trouvé sa place.

Lennon, avec son esprit de collaboration toujours aussi vif, accepte l’invitation de Ringo et réécrit plusieurs parties de « I’m The Greatest » pour que la chanson puisse mieux convenir à l’ex-Beatle. Ce geste n’est pas anodin : il témoigne de l’amitié renouvelée entre les deux hommes, mais aussi d’une forme de solidarité professionnelle après l’éclatement du groupe. Tout en réécrivant des paroles et en ajustant la tonalité de la chanson, Lennon orchestre cette version pour que Ringo puisse, sans aucune hésitation, chanter la célèbre phrase « I’m the greatest ». En effet, comme Lennon le confiait en 1980 dans une interview avec David Sheff : « Je ne pouvais pas chanter ça moi-même, mais c’était parfait pour Ringo. Lui pouvait dire ‘Je suis le plus grand’ sans que les gens ne se vexent. Tandis que si c’était moi qui le disais, tout le monde l’aurait pris trop au sérieux ».

Là où Lennon aurait pu, avec son sarcasme habituel, être pris pour un mégalomane, c’est Ringo qui, par son charisme tranquille et sa simplicité, parvient à rendre ce chant d’auto-glorification à la fois authentique et dénué de prétention. L’humour est là, subtil et bien dosé, mais la reconnaissance de la grandeur, même si elle semble dénuée de profondeur, résonne avec une sincérité inébranlable.

Les Sessions d’Enregistrement et l’Arrivée de George Harrison

Les sessions se déroulent à Sunset Sound Recorders, à Los Angeles, avec une configuration qui ressemble presque à une réunion des Beatles, bien que ce soit loin d’être formel. Lennon, en tant que pianiste, dirige la session avec Ringo Starr à la batterie, George Harrison à la guitare électrique et Klaus Voormann à la basse. Une ambiance presque magique s’installe alors dans le studio, puisque, bien que les membres des Beatles soient désormais en pleine activité individuelle, ce moment donne à voir un semblant d’unité retrouvée.

L’un des moments les plus emblématiques de cette session est l’apparition de Billy Preston, l’ancien claviériste des Beatles, qui vient poser son orgue sur la chanson. L’addition de ses harmonies crée une texture sonore riche qui complétera magnifiquement le morceau. L’enregistrement donne ainsi naissance à une version aboutie, dont les prises finales seront complétées par des overdubs effectués dans les mois suivants, notamment des effets sonores rappelant ceux de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band autour de la phrase « Yes, my name is Billy Shears », une référence appuyée à la chanson « With a Little Help From My Friends ».

La Parution de « I’m The Greatest » : Une Plongée dans l’Histoire du Rock

Le 2 novembre 1998, « I’m The Greatest » est incluse dans la John Lennon Anthology, une compilation exhaustive de ses travaux solo. Ce morceau, avec ses aspects à la fois humoristiques et introspectifs, incarne bien la complexité de la carrière de Lennon après les Beatles : à la fois une revendication de sa propre importance dans le paysage musical et une manière de prendre du recul par rapport à cette même gloire. C’est un chant de réconciliation avec soi-même, une exploration musicale qui fait la part belle à l’ego tout en gardant une certaine distance.

Dans cette version, les voix de Lennon, Ringo et les autres musiciens s’entrelacent pour créer une harmonie parfaite, même si la base de la chanson, avec ses paroles parfois légères et ses arrangements fouillés, met en lumière la profondeur d’un homme qui n’a jamais cessé de chercher, de se réinventer. Ringo Starr, avec sa simplicité et sa sincérité, est celui qui, au final, porte ce morceau avec une telle évidence qu’il en fait l’un des morceaux les plus mémorables de la carrière solo des Beatles.

Un Héritage Durable

« I’m The Greatest » ne fut jamais une chanson phare dans le répertoire des ex-Beatles. Cependant, elle représente parfaitement la démarche artistique des années 70 : entre recherche d’identité et quête d’authenticité, mais aussi dans une forme de complicité retrouvée entre anciens camarades. Cette chanson démontre non seulement l’humour distinctif de John Lennon, mais aussi l’élément fédérateur qui existe encore, malgré tout, entre lui, George, Paul et Ringo. Plus que de simples camarades, les Beatles, même séparés, demeuraient des complices d’un univers musical dont l’influence continue de marquer l’histoire du rock.

Ainsi, « I’m The Greatest » devient l’un de ces morceaux énigmatiques qui, à force de petites touches subtiles, révèlent l’âme d’un groupe qui, loin de disparaître après sa dissolution, continue d’évoluer, d’une manière ou d’une autre, à travers les œuvres solos de ses membres. Et cette chanson, dans sa forme la plus pure, incarne à merveille cet esprit de liberté et d’amitié musicale qui restera indéfectible.


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