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« Voyage oublié » d’une Argentine douce et violente, Silvina Ocampo

Par Ellettres @Ellettres
Voyage oublié d’une Argentine douce violente, Silvina Ocampo

« La vie était une immense fatigue à force de trop se reposer ; la vie c’était beaucoup de dames parlant sans s’écouter dans les salons des maisons où, tous les soirs, on attend une fête comme un soulagement. Ainsi, à force de vivre dans la posture d’un portrait mal fait, l’impatience d’Eponina se fit patiente et plus contenue, pareille aux roses de papier qui poussent sous les globes de verre. »

🌹 Dans ce recueil, Silvina Ocampo (Argentine, 1903-1993) a déposé 28 petits textes diaphanes, des mots qui semblent posés par mégarde et qui auraient pu tout aussi bien ne pas exister. Mais ils sont têtus ces mots là, ils persistent à composer de courtes histoires qui vacillent entre l’onirisme le plus complet et la mélancolique nature des choses contingentes. Insignifiants en apparence ces personnages falots (beaucoup de gouvernantes, de jardiniers et d’enfants malades), ces maigres sentiments, ces existences vite soufflées. Et pourtant ils s’accrochent au flanc de notre mémoire, ils viennent nourrir un manque, une blessure oubliée.

« Son corps s’était éloigné d’elle et ses yeux se dissolvaient comme s’ils étaient en sucre, fixant un point indéfini, vague et entouré d’autres points, comme dans un ciel étoilé. »

🌹 Entre la précision millimétrique d’une Emily Dickinson et le modernisme faussement naïf d’une Katherine Mansfield, l’épouse de Bioy Casares (ami de Borges) nous ouvre des maisons profondes, des jardins en fleurs, des loges de concierge, des cirques, des rues lointaines. On plonge insensiblement dans la maladie, l’amour, la folie et la mort. On s’éloigne rarement loin de chez soi mais on fait un voyage immobile, entre poésie et fiction, que mon inconscient n’est pas prêt d’oublier.

« La peur, bien rangée, apparaît alors avec un visage de voleur, l’attrape par la main, lui sourit d’un grand sourire adulte de monstre. »

« Voyage oublié » de Silvina Ocampo, traduit de l’espagnol par Anne Picard, éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2025, 112 pages


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