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Deux soleils dans la même pièce : Donovan face au McCartney impossible

Publié le 20 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

On connaît l’anecdote, souvent racontée comme une petite pique : Donovan aurait trouvé Paul McCartney « impossible ». Sauf que, dans sa bouche, le mot dit exactement l’inverse. Impossible, non pas par clash, mais par excès de carburant : chaque idée de l’un relançait l’autre, jusqu’à transformer la chanson en feu d’artifice sans atterrissage. Le décor est celui de 1968-1969, quand l’univers Beatles se fissure en public tout en produisant ses plus beaux éclats. Rishikesh d’abord, où une technique de fingerpicking circule comme un secret de camp d’été et nourrit le retour à l’acoustique du White Album. Puis Londres et Apple Records, utopie généreuse vite encombrée de réunions, où McCartney se réfugie dans la production de Post Card, le premier album de Mary Hopkin. Donovan y gravite, apporte des chansons, une guitare, une présence. Entre souvenirs, coulisses et bootlegs qui surprennent la légende en train de respirer, cette histoire raconte une vérité rare sur la création : parfois, deux mélodistes trop réactifs s’adorent, s’allument, et n’arrivent plus à finir. Un court-circuit lumineux, et une fenêtre idéale sur le Paul le plus joueur, le plus pressé, le plus humain.


Il y a une phrase que Donovan a lâchée un jour, avec cette douceur faussement candide qu’ont les gens qui savent exactement ce qu’ils racontent. Une phrase qui ressemble à un aveu d’échec, alors qu’elle dit surtout la violence lumineuse d’une rencontre entre deux machines à idées. « Nous avons essayé d’écrire des chansons ensemble, mais c’était impossible. » Chez un musicien moins poète, moins diplomate, moins rompu à l’art d’esquiver les conflits sans renoncer à la vérité, on aurait entendu une pique. Une façon élégante de dire que Paul McCartney pouvait être pénible, envahissant, contrôlant, ou simplement incompatible. Mais Donovan précise aussitôt, comme s’il craignait qu’on ne comprenne de travers, que l’impossibilité n’était pas celle d’un clash. Elle venait de l’inverse. Elle venait d’un excès d’enthousiasme. « Chaque idée que j’avais le lançait, et chaque idée qu’il avait me lançait. »

C’est peut-être l’une des définitions les plus justes de la créativité, et en même temps la plus frustrante. La création comme incendie auto-entretenu, feu de broussailles qui court dans deux directions à la fois, et finit par n’aller nulle part. Deux types qui se stimulent tant qu’ils se sabotent sans le vouloir. Deux compositeurs qui n’arrivent pas à s’arrêter de composer, donc n’arrivent pas à finir. Deux soleils dans la même pièce, et soudain la pièce n’existe plus, avalée par la lumière.

Le décor est crucial, parce qu’il explique tout. On n’est pas dans une retraite calme où deux songwriters se posent, font mijoter des accords, réécrivent des couplets au crayon, se regardent dans les yeux en se disant qu’ils tiennent quelque chose. On est au tournant de 1968-1969, c’est-à-dire à l’instant précis où l’univers Beatles commence à se fissurer en public, tout en continuant de produire certaines des plus belles choses de sa vie. Le paradoxe beatlesien à son maximum : la beauté qui sort du chaos, la grâce arrachée à la tension, l’œuvre qui grandit pendant que la famille se délite.

Pour comprendre le jour où Donovan a jugé McCartney « impossible », il faut donc accepter une idée inconfortable, mais excitante : l’impossibilité n’est pas toujours le symptôme d’une inimitié. Parfois, c’est le signe qu’il y a trop de matière, trop d’élan, trop de vitesse. Et quand il s’agit de Paul, cet homme qui semble avoir des mélodies en réserve derrière chaque phrase, qui transforme le moindre silence en motif, le moindre jeu de mots en refrain, la moindre tension en modulation, l’impossibilité devient un cas d’école.

Sommaire

  • Donovan, le voisin doux de la Beatlemania
  • Rishikesh : le camp d’été où naissent des chansons
  • Le White Album : un archipel, pas un bloc
  • Apple Records : l’utopie qui sent la paperasse
  • Paul McCartney : énergie, humour, obsession du mouvement
  • Le jour où Donovan le trouve « impossible »
  • Post Card : un disque comme document d’époque
  • « Impossible » ne veut pas dire « incompatible »
  • 1969 : le bruit autour de la musique
  • Le fantasme de la chanson qui n’existe pas
  • Les bootlegs : l’art de surprendre la légende en train de respirer
  • George, John, Paul : Donovan témoin des différentes planètes
  • Pourquoi cette histoire nous obsède encore
  • Ce que cela dit de McCartney, au-delà des Beatles
  • Donovan : l’élégance de celui qui n’écrase pas l’histoire
  • Épilogue : l’impossible comme indice de grandeur

Donovan, le voisin doux de la Beatlemania

On a tendance, par confort mental, à enfermer Donovan dans une vitrine sixties : le troubadour aux cheveux longs, le sourire de chat, les chansons psychédéliques au parfum d’encens, le type qui prononce « love » comme s’il le découvrait à l’instant. Mais le personnage est plus dense, plus coriace, plus stratège aussi qu’on ne le croit. Il a le sens de la pop, ce sens-là qui ne s’apprend pas, ce radar interne qui te dit quand une phrase est chantable, quand une mélodie accroche, quand une image devient un slogan sans perdre sa poésie. Donovan n’est pas qu’un hippie. C’est un auteur qui sait être mainstream sans se renier, et qui comprend la scène britannique de l’intérieur, comme un habitat naturel.

Le milieu des années 60 en Grande-Bretagne, c’est une cocotte-minute. Les groupes explosent, les modes se succèdent, les journaux fabriquent des rivalités, les managers rêvent de coups, les labels cherchent la formule. Et au milieu, The Beatles deviennent à la fois une référence et un obstacle. Une référence parce que tout le monde écoute ce qu’ils font. Un obstacle parce que tout le monde est comparé à eux, mesuré à eux, jugé à travers eux. Il y a une différence énorme entre aimer les Beatles, et tenter de travailler dans leur orbite. C’est comme admirer une étoile, et s’approcher assez pour sentir la chaleur te brûler le visage.

Donovan, lui, ne s’approche pas en fan hystérique. Il s’approche comme un pair possible. Il est de la même époque, de la même vague, du même moment historique. Il n’a pas le même statut, évidemment, mais il a une légitimité esthétique, une singularité qui n’est pas une posture. Il n’imite pas les Beatles, il ne cherche pas à être « le Beatles folk ». Il suit sa route, et cette route croise celle du groupe au moment le plus fascinant : quand le rock se met à rêver d’ailleurs, quand la pop se spiritualise, quand Londres devient la capitale d’une jeunesse qui se cherche un monde nouveau.

C’est là que l’amitié devient plausible. Donovan n’est pas seulement un admirateur, il est un compagnon de voyage symbolique. Il parle la même langue de l’époque : celle des livres, des expériences, des façons de s’extraire du quotidien par l’art, par la spiritualité, par la psyché. Il y a chez lui une douceur qui peut rassurer les Beatles, une absence d’agressivité qui tranche avec l’industrie qui les entoure. Et dans un milieu où tout le monde veut quelque chose de toi, quelqu’un qui ne veut « que » jouer de la guitare et parler d’élévation intérieure devient précieux.

Rishikesh : le camp d’été où naissent des chansons

Quand on prononce Rishikesh, on pense à une carte postale mentale : les Beatles en blanc, l’Inde fantasmée, les sourires, les guitares acoustiques, le Maharishi, les photos de groupe qui ressemblent à des clichés de colonie de vacances mystique. Mais l’épisode est plus complexe, plus ambivalent. Pour les Beatles, l’Inde est à la fois une fuite et une quête. Une fuite loin du bruit, des attentes, de l’hystérie. Une quête d’un sens qui ne se résume pas à vendre des disques ou à inventer la prochaine révolution en studio.

Ce qui est certain, c’est que l’Inde devient une fabrique à chansons. Les journées de méditation se doublent de nuits d’écriture. On gratte, on fredonne, on assemble des accords, on teste des lignes. La guitare acoustique redevient centrale, comme si le groupe, après les labyrinthes de studio, avait besoin de revenir au bois, aux doigts, au geste primitif. Ce retour n’est pas un recul. C’est une recharge. La simplicité devient un laboratoire.

Et c’est là que Donovan compte. Dans l’imaginaire collectif, on raconte qu’il a enseigné une technique de fingerpicking aux Beatles, une manière de faire courir le pouce et les doigts en pattern, de faire respirer une guitare comme si elle était deux instruments à la fois. On peut discuter des détails exacts, des variantes, du degré d’assimilation de chacun. Mais l’idée générale est solide : Donovan n’est pas un simple témoin en Inde, il est un acteur, un catalyseur. Il apporte un geste. Il transmet un savoir-faire. Il crée une petite étincelle technique qui, dans le cerveau de songwriters survoltés, devient un champ de possibilités.

On entend l’influence dans des chansons qui, aujourd’hui, paraissent tellement « Beatles » qu’on oublie qu’elles ont une généalogie, qu’elles viennent de quelque part, qu’elles sont le résultat de rencontres. Blackbird, par exemple, tient sur une guitare et une voix, mais cette guitare est un monde. Elle est à la fois rythme, harmonie, contrepoint. Elle est une pulsation délicate et obstinée. Et même si Paul est un génie autonome, il a toujours été un génie poreux. Il absorbe, il transforme, il réinvente. Il regarde quelqu’un jouer, il prend une idée, il en fait autre chose. Il fait ça depuis Liverpool, depuis les clubs, depuis Hambourg, depuis les radios, depuis les disques américains. Pourquoi ne l’aurait-il pas fait en Inde, dans un moment où l’air lui-même semble chargé de musique ?

Ce qui est beau dans cette histoire, c’est qu’elle démythifie sans abîmer. Elle rappelle que même les plus grands apprennent. Qu’une technique peut circuler. Qu’une influence n’enlève rien au génie, au contraire : elle prouve qu’il sait reconnaître ce qui le nourrit. Donovan, dans ce sens, n’est pas « l’homme qui a fait Blackbird ». Il est celui qui, par un geste partagé, a participé au climat qui rend Blackbird possible. Et ce climat, c’est l’Inde : un endroit où tout le monde joue, où les frontières s’assouplissent, où les hiérarchies se dissolvent dans la chaleur.

Le White Album : un archipel, pas un bloc

Quand on parle du White Album, on oublie souvent à quel point il ressemble à une collection d’îles. Il y a des chansons qui n’ont rien à voir entre elles, des styles qui se contredisent, des ambiances qui s’ignorent, des expérimentations qui se frôlent sans fusionner. C’est un album d’abondance, de débordement, de liberté totale, mais aussi un album où l’unité du groupe commence à se transformer. Ce n’est plus « quatre garçons qui jouent ensemble », c’est « quatre visions qui cohabitent ». Cette cohabitation peut être sublime, mais elle peut aussi être épuisante.

Dans ce contexte, l’idée d’une collaboration extérieure est étrange. Les Beatles, contrairement à d’autres groupes de leur génération, ne recrutent pas facilement des musiciens de session pour « compléter » leur son. Ils ont assez de ressources en interne. Et surtout, ils ont une identité si forte que l’intrusion d’un autre ego musical peut être risquée. Quand ils invitent quelqu’un, c’est souvent pour une raison précise, presque symbolique : une guitare qui doit pleurer d’une certaine façon, un clavier qui doit apporter une chaleur gospel, un instrument qui doit être un événement. Ces exceptions, justement, disent beaucoup : elles montrent que le groupe n’ouvre la porte que quand il le faut, quand le besoin dépasse l’orgueil.

Donovan, lui, n’est pas invité comme « session man ». Il est présent autrement. Il est dans l’environnement, dans le réseau affectif, dans la sociabilité du moment. Il est un compagnon de route plus qu’un employé du son. Et c’est ce qui rend l’épisode « impossible » avec Paul McCartney si fascinant : on n’est pas dans une logique de travail classique. On est dans une zone grise où l’amitié, la musique, la compétition implicite et l’excitation culturelle se mélangent.

Le White Album est souvent raconté à travers les tensions internes : les disputes, les départs temporaires, les ego, les fractures. Mais il faut aussi le raconter à travers les porosités externes : les gens qui passent, les conversations, les soirées, les influences croisées. Donovan est l’un de ces vecteurs. Il incarne un Londres où tout le monde se croise, où un songwriter folk peut se retrouver dans la même pièce que les plus grandes stars du monde, et où l’intimité artistique peut naître simplement parce qu’on partage la même époque, les mêmes obsessions, les mêmes livres.

Apple Records : l’utopie qui sent la paperasse

Puis vient Apple Records, la grande utopie administrative des Beatles. L’idée de base est séduisante : créer une structure qui permette de produire, d’aider, de soutenir, de libérer des artistes. Une sorte de contre-industrie, ou d’industrie plus humaine. Un endroit où l’argent des Beatles servirait à autre chose qu’à enrichir des comptables. Dans l’imaginaire, Apple est un jardin. Dans la réalité, Apple devient vite une jungle, et parfois une farce.

C’est là que Mary Hopkin entre en scène. Mary, c’est la voix claire, la fraîcheur, le talent évident, mais aussi la fragilité d’une artiste projetée dans un monde gigantesque. Elle est révélée au bon moment, portée par une chanson qui devient un phénomène, et propulsée dans l’univers Apple comme une preuve que l’utopie peut fonctionner : regardez, on découvre une jeune chanteuse, on lui donne un disque, on en fait un succès. L’histoire est belle, et Paul y croit, parce que Paul aime produire, arranger, guider, organiser. Il a ce côté artisan pop qui adore mettre les mains dans la pâte des autres.

Le premier album de Mary, Post Card, est le terrain sur lequel l’histoire Donovan-McCartney devient concrète. Paul produit. Paul supervise. Paul choisit, oriente, façonne. Il a une idée du disque, une vision du répertoire, une façon de faire. Et Donovan, présent dans cette période, se retrouve naturellement impliqué, parce qu’il a des chansons, parce qu’il est là, parce qu’il fait partie du paysage affectif.

L’album est souvent raconté comme un objet charmant, parfois inégal, mais révélateur du goût de Paul pour les mélodies anciennes, les standards, les chansons qui sentent la nostalgie et la scène de music-hall. On y entend aussi, par contraste, la modernité folk de Donovan, qui apporte des titres à Mary, et même sa guitare. C’est une scène typiquement Apple : un mélange de tradition et d’avant-garde, de pop et de folklore, de charme naïf et de calcul esthétique.

Et au milieu de tout ça, deux songwriters se disent qu’ils pourraient écrire ensemble. Pourquoi pas ? Deux hommes qui ont dominé, chacun à sa manière, une part du son britannique des années 60. Deux mélodistes. Deux faiseurs d’images. Deux personnalités qui se respectent. L’idée est logique. Elle est même excitante. Et c’est justement parce qu’elle est excitante qu’elle devient impossible.

Paul McCartney : énergie, humour, obsession du mouvement

Il y a plusieurs Paul McCartney. Le Paul public, souriant, le Paul showman, le Paul qui fait des blagues, le Paul qui désamorce la tension par une pirouette. Et puis il y a le Paul de studio, celui qui travaille. Celui qui peut être exigeant, directif, impatient. Celui qui entend tout, qui veut tout corriger, qui ne supporte pas qu’une idée reste floue. Celui qui a une relation quasi physique à la musique : elle doit avancer, prendre forme, devenir une chose finie.

Donovan, dans ses souvenirs, décrit Paul comme « plein de lumière, d’énergie et de blagues ». Cette description n’est pas une formule. C’est un diagnostic. Paul est un moteur. Il est un générateur. Il arrive dans une pièce et l’air se met à vibrer. Dans un groupe, c’est précieux. Dans une collaboration à deux, ça peut devenir déstabilisant. Parce que si les deux sont des moteurs, qui conduit ? Et surtout, quand est-ce qu’on s’arrête ?

Chez McCartney, il y a une capacité presque inquiétante à produire de la matière. Une suite d’accords, une mélodie, un contre-chant, un pont, un mot qui sonne juste, un gimmick. Il peut partir d’une bribe et construire un objet pop complet. Ce talent, on l’admire. Mais ce talent a un revers : il crée une forme de vitesse qui peut écraser l’autre, ou au contraire l’entraîner dans une course où plus personne ne distingue la ligne d’arrivée.

Donovan n’est pas un amateur qui se laisse écraser. Donovan est aussi un créateur rapide, intuitif, imagé. Il a ses propres automatismes, sa propre magie. Donc quand Paul propose une idée, Donovan répond. Quand Donovan propose une idée, Paul rebondit. Et c’est là que l’impossibilité surgit : la collaboration devient une sorte de ping-pong infini, un échange d’étincelles qui produit plus de chaleur que de structure.

Ce qui est fascinant, c’est que Donovan ne décrit pas Paul comme un tyran ou un casse-pieds. Il ne dit pas : « Paul voulait tout contrôler. » Il dit l’inverse : Paul était trop réactif, trop stimulé. Dans un monde où l’on aime raconter des histoires de conflits, cette nuance est précieuse. Elle raconte un type d’échec rare : l’échec par excès de compatibilité.

Le jour où Donovan le trouve « impossible »

Essayons d’imaginer la scène, sans la romantiser. On est dans un studio ou dans une salle de travail liée aux sessions de Post Card, probablement dans cette atmosphère Apple où l’on passe d’une idée à l’autre, où les guitares traînent, où le café refroidit, où les gens entrent et sortent. Paul McCartney est là parce qu’il produit, parce qu’il supervise, parce qu’il a le contrôle du projet. Donovan est là parce qu’il apporte des chansons, parce qu’il joue, parce qu’il est un ami, parce qu’il fait partie de la tribu.

Et à un moment, peut-être entre deux prises, entre deux discussions sur un arrangement, l’idée surgit : et si on écrivait ensemble ? Pas « pour les Beatles », pas « pour Donovan », peut-être pour Mary, peut-être pour Apple, peut-être juste pour le plaisir. Deux guitares. Deux voix. Deux cerveaux.

Au début, ça doit être euphorisant. On lance une suite d’accords, l’autre trouve une mélodie, on rit, on se moque, on jive, comme dit Donovan, on se provoque gentiment. Paul propose un renversement harmonique, Donovan répond par une image lyrique. Paul trouve un hook, Donovan le détourne. Et très vite, la machine s’emballe.

Le problème, quand deux grands songwriters se rencontrent, ce n’est pas qu’ils manquent d’idées. C’est qu’ils en ont trop. Le manque d’idées crée des silences, des hésitations, des temps morts, qui finissent parfois par produire une solution. L’excès d’idées, lui, peut empêcher la décision. Parce que chaque idée est une porte vers une autre pièce. Et quand tu ouvres toutes les portes en même temps, tu n’habites aucune pièce.

La phrase de Donovan, « chaque idée me lançait, chaque idée le lançait », décrit exactement cela. On se stimule au point de perdre le fil. L’idée n’a pas le temps de se stabiliser. Elle est immédiatement transformée, améliorée, contredite, relancée. Le morceau n’a pas le temps de devenir un morceau, il reste un nuage de possibilités. Et dans un contexte où Paul est déjà sous pression, où les Beatles sont en crise, où l’entreprise Apple est un chantier permanent, cette expérience de collaboration sans résultat doit rapidement sembler secondaire, presque futile.

Le plus ironique, c’est que ce type d’échec peut être vécu comme une victoire émotionnelle. On passe un bon moment. On sent la puissance de l’autre. On se reconnaît. Mais on n’écrit rien de fini. Et dans une industrie où tout se mesure en chansons livrées, en enregistrements, en sorties, ce genre de moment devient une anecdote.

L’impossibilité, ici, n’est pas un mur. C’est une spirale. Et Donovan, avec son sens de la formule, en fait une miniature parfaite. Il dit : ce n’était pas « impossible » parce qu’on se détestait. C’était « impossible » parce qu’on s’adorait trop musicalement.

Post Card : un disque comme document d’époque

Ce qui rend cette histoire encore plus savoureuse, c’est qu’elle se déroule autour d’un album qui, lui, existe, et qui porte dans ses sillons une partie de cette atmosphère. Post Card, c’est un objet Apple typique : un disque qui mélange des sources diverses, des chansons anciennes, des adaptations, des compositions contemporaines. C’est Paul qui joue les architectes, avec ses goûts, ses obsessions, sa nostalgie. C’est Mary qui incarne une innocence vocale que l’époque adore, ce contraste avec la flamboyance rock. Et c’est Donovan qui, par ses chansons, injecte un souffle plus brumeux, plus psychédélique, plus intime.

Le disque est parfois raconté comme un caprice de McCartney, une manière pour lui de jouer au producteur, de s’offrir un terrain de jeu hors des Beatles. Mais ce serait injuste. Paul, à ce moment-là, cherche aussi des espaces où la musique reste simple. Où la création n’est pas un champ de bataille. Produire Mary, c’est un refuge. C’est un endroit où il peut être enthousiaste sans que tout se transforme en dispute de couple. C’est un endroit où sa gentillesse naturelle a encore une place.

Et Donovan, en participant, devient un témoin privilégié de ce Paul-là. Le Paul qui plaisante, qui illumine une pièce, qui jive, qui encourage. Mais aussi le Paul qui, par sa seule énergie, peut rendre un travail « impossible » à quelqu’un qui lui ressemble trop.

Autour de ces sessions, il existe des enregistrements pirates, des bribes, des improvisations, des moments où l’on entend des voix, des guitares, des rires, des essais. Ces bootlegs ne sont pas des chefs-d’œuvre cachés. Ils sont mieux que ça : ce sont des polaroids sonores. Des instants où la légende redevient humaine, où l’on entend des superstars comme des musiciens dans une pièce, en train de chercher, de jouer, de perdre du temps, de gagner du temps.

Et c’est là que l’histoire « impossible » prend un relief particulier. Parce que le fan moderne, celui qui a grandi avec le mythe, rêve souvent d’une collaboration totale : Donovan et McCartney écrivant une chanson parfaite, enregistrée, publiée, devenue un classique. Or, ce que la réalité nous donne, c’est une autre vérité : la collaboration, parfois, n’est intéressante que parce qu’elle échoue. Elle nous montre les mécanismes. Elle nous montre les limites. Elle nous montre que l’alchimie ne se décrète pas.

« Impossible » ne veut pas dire « incompatible »

Il y a une tentation naturelle, quand on lit ce genre d’anecdote, de chercher le conflit caché. D’imaginer que Donovan a poliment masqué une agacement. D’entendre derrière « impossible » un sous-texte : Paul était trop ceci, pas assez cela. Et bien sûr, il existe un McCartney difficile. Le McCartney qui, en studio Beatles, peut épuiser les autres par son perfectionnisme. Le McCartney qui, dans les dernières années du groupe, peut être perçu comme celui qui veut « diriger ». Le McCartney qui prend la place, qui s’impose, qui organise.

Mais Donovan ne raconte pas ça. Et si l’on accepte sa version au sérieux, elle dit autre chose de Paul, quelque chose de plus rare. Elle dit que Paul peut être « impossible » non pas parce qu’il écrase, mais parce qu’il allume. Parce qu’il répond trop vite. Parce qu’il rebondit trop fort. Parce qu’il n’y a pas de friction négative, mais une friction positive constante.

C’est une leçon sur la collaboration artistique. On imagine souvent qu’une bonne collaboration, c’est deux talents qui s’ajoutent. Mais parfois, deux talents se multiplient, et la multiplication produit un chaos supérieur. Deux imaginaires riches peuvent créer une surcharge. Deux intuitions rapides peuvent empêcher la lenteur nécessaire à la forme.

Dans l’histoire du rock, on a des exemples inverses : des collaborations qui fonctionnent parce que l’un est l’impulsion et l’autre la structure. L’un est le chaos, l’autre l’ordre. L’un apporte le feu, l’autre le foyer. Dans le cas McCartney-Donovan, on a peut-être deux feux. Et deux feux, sans foyer, font un incendie.

Ce qui est beau, c’est que Donovan ne dramatise pas. Il ne moralise pas. Il ne transforme pas l’anecdote en jugement. Il la raconte comme un phénomène naturel. Comme la météo. Il y avait trop d’électricité dans l’air. Voilà.

1969 : le bruit autour de la musique

Il faut aussi replacer cette « impossibilité » dans l’année qui suit, celle où tout devient plus bruyant que la musique. Fin des années 60, The Beatles sont pris dans un nœud de problèmes : disputes internes, question de management, argent, contrats, ego, fatigue, désaccords de vision. Et au centre de ce nœud, une figure cristallise la tension : Allen Klein. Le nom est devenu une légende noire, un symbole, un personnage de tragédie corporate. Qu’on le juge coupable ou non de tous les maux, il incarne en tout cas le moment où le groupe doit parler d’autre chose que de chansons.

Dans ce contexte, un après-midi d’écriture avortée avec Donovan n’a pas le poids d’un événement. C’est une anecdote parmi des tempêtes. Paul a des batailles plus urgentes, des choix plus lourds, des conflits plus intimes. Et Donovan, même s’il est proche, même s’il est dans l’entourage, reste un satellite. Il observe, il participe un peu, mais il n’est pas au cœur du drame.

Cette différence de priorité explique aussi l’impossibilité. Pour écrire ensemble, il faut du temps mental. Il faut une disponibilité. Il faut pouvoir s’ennuyer, pouvoir hésiter, pouvoir reprendre. Or, à ce moment-là, Paul est tout sauf disponible. Il est sursollicité, et il est en train, déjà, de devenir malgré lui le Beatles qui s’accroche le plus à l’idée de continuité. Il veut que ça marche, ou au moins que ça continue. Il veut produire, créer, faire tourner la machine. Et quand tu es dans cet état, tu peux adorer quelqu’un et ne pas réussir à travailler avec lui.

Le paradoxe McCartney, à cette époque, c’est qu’il produit de la musique comme un acte de survie. La création est sa manière de tenir debout. Donc une collaboration qui se transforme en feu d’artifice improductif, même joyeux, peut vite devenir frustrante. Elle ressemble à un luxe. Et le luxe, dans la tempête, devient un poids.

Le fantasme de la chanson qui n’existe pas

Ce que les fans aiment, dans ce genre d’histoire, c’est l’idée du « et si ». Et si Donovan et Paul avaient vraiment écrit un titre ensemble ? Et si ce titre avait été enregistré, arrangé, produit, publié ? Aurait-il ressemblé à une chanson des Beatles ? À une chanson de Donovan ? À un hybride étrange, comme un animal mythologique ? On peut jouer à ce jeu, mais il est plus intéressant de comprendre pourquoi la chanson n’existe pas.

Parce que l’absence est parfois plus révélatrice que la présence. Une chanson publiée, on la fige, on l’analyse, on la sacralise. Une chanson inexistante, on la rêve. Et ce rêve dit autant sur nous que sur eux. On veut croire que deux grands talents ensemble donnent forcément un chef-d’œuvre. Or, l’histoire de la musique est pleine de collaborations ratées, de rencontres sans suite, de projets avortés. Ce n’est pas honteux. C’est la norme. Le miracle, ce sont les collaborations qui fonctionnent.

Dans le cas Donovan-McCartney, le fantasme est d’autant plus fort que les deux hommes partagent une qualité : la capacité à écrire des chansons qui semblent évidentes. Des chansons qui, une fois entendues, donnent l’impression d’avoir toujours existé. La pop dans sa forme la plus magique : celle qui paraît naturelle alors qu’elle est construite au millimètre. On se dit donc que leur rencontre aurait produit une évidence suprême.

Mais peut-être que l’évidence se fabrique justement par contraste, par limitation, par résistance. Peut-être que McCartney a besoin, pour finir, d’un cadre, d’un contexte, d’une structure. Les Beatles lui offrent ça, même dans le conflit. Donovan, lui, lui offre un miroir d’inspiration pure, sans contrainte. Et sans contrainte, Paul peut se perdre, ou plutôt se disperser. L’évidence, paradoxalement, a besoin de frontières.

C’est aussi ce que raconte l’album White Album lui-même : sa richesse vient de la diversité, mais sa cohérence est fragile. Les Beatles, à quatre, maintiennent une forme de gravité commune. À deux, McCartney et Donovan n’ont peut-être pas trouvé cette gravité. Ils flottaient trop.

Les bootlegs : l’art de surprendre la légende en train de respirer

Il y a une chose que l’ère numérique a changée dans notre rapport aux Beatles : l’accès aux coulisses. Pendant longtemps, le studio était un temple fermé. Les prises alternatives, les bavardages, les essais, tout ça restait invisible. Aujourd’hui, on vit dans une culture où l’on veut tout entendre, tout posséder, tout archiver. Et les Beatles, plus que tout autre groupe, ont été disséqués, exhumés, réédités, analysés.

Les bootlegs liés à Post Card s’inscrivent dans cette logique : une obsession du détail, du moment, de la trace. Ils fascinent parce qu’ils montrent Paul hors du cadre Beatles, Paul en producteur, Paul en camarade, Paul en musicien qui gratte une guitare sans penser à la légende. Ils fascinent aussi parce qu’ils montrent Donovan dans un rôle inhabituel : non pas l’artiste au centre de son propre monde, mais l’artiste invité dans le monde d’un autre, en train de chercher sa place.

Dans ces instants volés, on entend l’essentiel : la musique comme conversation. On entend aussi ce que Donovan décrit : l’étincelle permanente. Ce n’est pas forcément « bon » au sens de « prêt à sortir ». Mais c’est vivant. Et c’est ce vivant qui nous intéresse, parce qu’il nous rappelle que les chefs-d’œuvre ne naissent pas dans un silence sacré. Ils naissent dans des pièces où l’on parle, où l’on rit, où l’on se trompe, où l’on improvise, où l’on tourne en rond.

La non-collaboration McCartney-Donovan devient alors un symbole : celui de toutes les chansons qui auraient pu exister, mais qui ont préféré rester des possibilités. La musique, comme l’amour, est pleine de possibles non réalisés. Et parfois, ces possibles sont plus beaux parce qu’ils restent possibles.

George, John, Paul : Donovan témoin des différentes planètes

Donovan, dans ses souvenirs, distingue les Beatles avec une lucidité affectueuse. Il dit que George Harrison était celui avec qui il était le plus proche, notamment à cause des chemins spirituels, des lectures, des quêtes partagées. Il décrit John Lennon comme fascinant, mais sans indulgence pour les imbéciles. Et il décrit Paul comme une source de lumière et d’énergie, toujours dans la blague, dans le jive, dans le mouvement.

Cette triangulation est intéressante parce qu’elle montre à quel point les Beatles, à cette époque, sont déjà des planètes différentes. Donovan n’est pas un membre du groupe, il n’a pas à prendre parti, il n’a pas à gérer la politique interne. Il observe. Et son observation, parce qu’elle est extérieure, capture quelque chose de simple : Paul est celui qui met de l’énergie. John est celui qui tranche. George est celui qui cherche.

Dans cette distribution, la collaboration avec Paul paraît logique. Donovan est aussi un énergique, un inventeur, un mélodiste. Mais c’est précisément parce qu’ils se ressemblent sur le plan du flux créatif que ça bloque. Avec George, Donovan partage une quête, une direction. Avec John, il partage peut-être un goût du verbe, de la formule, de l’ironie. Avec Paul, il partage l’excès de vitalité musicale. Et l’excès, parfois, empêche la construction.

Il y a aussi, dans l’anecdote, un détail psychologique délicieux : Donovan laisse entendre que Paul, en Inde, ne voulait pas admettre qu’il apprenait. Comme si Paul, même dans un contexte détendu, gardait cette fierté de musicien complet, cette posture de celui qui n’a pas besoin d’aide. Et pourtant, il écoute. Il observe. Il prend. Il transforme. Cette contradiction est McCartney tout entier : un homme capable d’humilité dans l’acte, mais pas toujours dans l’affichage.

C’est aussi ça, être Paul McCartney à la fin des années 60 : être coincé entre l’image publique du génie naturel, et la réalité du génie artisanal. Le public veut croire que Paul naît avec les chansons. Paul, lui, sait qu’il travaille. Donovan, par sa seule présence, le rappelle : on peut être un grand et apprendre encore. Mais on peut aussi apprendre si vite qu’on devient « impossible » à suivre.

Pourquoi cette histoire nous obsède encore

On pourrait se demander pourquoi une anecdote de collaboration avortée nous touche autant. Après tout, l’histoire du rock est pleine de sessions qui n’ont rien donné. Mais ici, il y a plusieurs couches de fascination.

D’abord, il y a la période. La fin des années 60 est un moment où la pop britannique semble contenir tout : la révolution esthétique, la révolution sociale, l’explosion des drogues, la quête spirituelle, l’utopie politique, la marchandisation accélérée, la fin de l’innocence. Une simple rencontre dans un studio devient un micro-récit de cette époque.

Ensuite, il y a les personnages. Donovan est l’archétype du songwriter-poète accessible, le type qui peut être célèbre sans être menaçant. Paul McCartney est l’archétype du génie pop hyperactif, le type qui transforme tout en chanson. Leur collision est presque une scène écrite d’avance : le doux et le lumineux, deux lumières différentes, et le court-circuit.

Enfin, il y a la manière dont Donovan raconte. Il refuse le sensationnalisme. Il refuse la caricature du Paul tyrannique, du Paul insupportable. Il propose une version plus subtile, plus vraie : Paul était impossible parce qu’il était trop inspirant. C’est presque une déclaration d’amour déguisée en constat d’échec.

Dans une culture rock qui adore les conflits, les drames, les egos qui s’entre-dévorent, cette version est rafraîchissante. Elle raconte que l’art peut échouer par abondance. Que l’énergie peut être un problème. Que la lumière peut aveugler.

Ce que cela dit de McCartney, au-delà des Beatles

Il y a un piège, quand on parle de Paul : réduire son caractère à la période Beatles, et surtout aux conflits de fin de règne. On en fait un contrôlant, un perfectionniste, un « chef » autoproclamé. Il y a une part de vrai, mais ce portrait est incomplet. Donovan, lui, nous montre un autre Paul. Un Paul joueur. Un Paul qui s’amuse. Un Paul qui jive. Et un Paul qui, parce qu’il s’amuse, produit des idées en rafale.

Ce Paul-là, on le retrouve ailleurs. Dans sa carrière post-Beatles, on voit souvent McCartney fonctionner par enthousiasme, par impulsion, par désir de faire. Il est capable de sortir un disque juste parce qu’il a envie. Il est capable de changer de style comme on change de chemise. Il est capable d’écrire un morceau sur un coin de table. Cette productivité a été moquée parfois, comme si elle était un signe d’inconstance. Mais elle est peut-être la preuve d’une chose : Paul a besoin de créer pour respirer.

Et quand tu as besoin de créer pour respirer, tu peux devenir impossible à « contenir » dans une collaboration égalitaire. Parce que la collaboration suppose un rythme commun, une patience, une négociation. Or, Paul est souvent dans l’élan. Il veut avancer, faire, essayer, enregistrer. Donovan, lui, est un élévateur, un rêveur actif, mais il a peut-être un autre rapport au temps. Son récit laisse entendre que le problème n’était pas la direction artistique, mais la vitesse de réaction.

Cette anecdote, finalement, éclaire un trait fondamental de McCartney : son imagination est conversationnelle. Elle se nourrit de l’autre, mais elle se nourrit tellement qu’elle peut dévorer la conversation. Ce n’est pas une faute morale. C’est une dynamique.

Donovan : l’élégance de celui qui n’écrase pas l’histoire

La dernière chose à dire, c’est que Donovan, dans cette histoire, se montre d’une élégance rare. Il aurait pu raconter l’anecdote comme une preuve d’orgueil : « même McCartney n’arrivait pas à écrire avec moi ». Il aurait pu la raconter comme une plainte : « Paul ne me laissait pas de place ». Il aurait pu la raconter comme un drame. Il ne fait rien de tout ça. Il la raconte comme un phénomène créatif, presque scientifique.

Et c’est pour ça que l’histoire reste. Parce qu’elle ne cherche pas à nous vendre une morale. Elle nous donne une image : deux types qui se stimulent au point de se rendre improductifs. C’est à la fois comique et tragique. C’est rock, mais pas dans le sens cliché du mot. Pas le rock des bagarres et des excès. Le rock comme énergie vitale trop forte pour entrer dans un cadre.

Et si l’on veut être juste, il faut accepter que cette histoire ne parle pas seulement de Donovan et de Paul. Elle parle de la fin des années 60. De ce moment où tout va trop vite. Où la pop invente des mondes et s’effondre sous son propre poids. Où les utopies comme Apple Records veulent changer la musique et se noient dans la gestion. Où les artistes cherchent la paix intérieure et se retrouvent à négocier des contrats. Où les chansons les plus belles naissent dans un bruit de fond de disputes, de fatigue, de pression.

Dans ce tumulte, Donovan et Paul ont essayé, un instant, d’additionner leurs lumières. Et la pièce a disparu dans l’éblouissement.

Épilogue : l’impossible comme indice de grandeur

On aime les histoires où tout se réalise. Les projets qui aboutissent, les albums mythiques, les collaborations historiques. Mais il y a une beauté particulière dans les histoires qui échouent pour de bonnes raisons. L’échec, ici, n’est pas une faiblesse. C’est un symptôme de puissance. Deux grands créateurs ont essayé de se mettre sur la même trajectoire, et leur vitesse a fait dérailler la forme.

La phrase « c’était impossible » devient alors une phrase paradoxalement optimiste. Elle dit : nous étions trop inspirés. Nous étions trop vivants. Nous étions trop connectés. Et dans un monde où l’on confond souvent la productivité avec la valeur, c’est un rappel précieux : la création, parfois, est un feu qui n’a pas besoin de devenir un objet pour être réel.

Les bootlegs qui circulent, les souvenirs qui persistent, les photos de Rishikesh, les fantômes de chansons non écrites, tout cela compose une autre œuvre, plus diffuse : l’œuvre des rencontres. Une œuvre faite de gestes transmis, de patterns de fingerpicking, de blagues, de jives, de moments où deux artistes se reconnaissent sans réussir à se fixer.

Et peut-être que c’est ça, au fond, la plus belle collaboration entre Donovan et Paul McCartney : non pas une chanson signée à deux, mais une époque partagée, une influence réciproque, et cette vérité drôle et lumineuse qu’un jour, travailler ensemble était « impossible » parce que tout, chez eux, se mettait à courir en même temps.


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