Magazine Culture

Well Well Well : L’Exploration brutale de John Lennon dans l’univers de la sexualité et du chaos intérieur

Publié le 21 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lors de la sortie de John Lennon/Plastic Ono Band en 1970, John Lennon marquait un tournant radical dans sa carrière musicale. Après avoir quitté les Beatles et après une période tumultueuse, l’artiste choisissait d’exposer ses blessures intimes, ses frustrations et ses convictions politiques à travers une musique plus brute, plus personnelle, et surtout plus dénudée. Dans ce contexte, « Well Well Well » émerge comme une pièce brute, à la fois farouche et provocante, où le cri primal et la recherche du sens s’entrelacent dans une mélodie nerveuse et une énergie inédite.

Cette chanson, qui figure parmi les morceaux les plus remarquables du disque, peut être vue comme une synthèse du chaos personnel de Lennon, une sorte de catharsis où se mêlent révolte, absurdité et quête d’émancipation. À travers des riffs de guitare déchirants, des cris perçants et un rythme effréné, « Well Well Well » incarne la volonté de Lennon de libérer son âme tout en se confrontant aux réalités sociétales de l’époque.

Une chanson brutale et sans compromis

À la première écoute, « Well Well Well » frappe par son intensité sonore. Le morceau s’ouvre sur une section instrumentale crue, menée par une guitare électrique saturée et un accompagnement percussionné et étouffé, tout particulièrement grâce au travail de Ringo Starr à la batterie et de Klaus Voormann à la basse. La tension est palpable. Cette énergie sonique, volontairement rugueuse et impitoyable, s’apparente à un cri primal, comme si Lennon était en train de libérer un poids insupportable qui l’enfermait. Le son, volontairement surchargé, évoque un moment de désespoir mais aussi de catharsis, comme si tout ce qui était enfoui en Lennon devait éclater d’un seul coup.

Les couplets, entre humour acerbe et rebondissements inattendus, sont la signature d’un Lennon qui, après avoir exploré la famille, la politique, la religion et la paranoïa dans le reste de l’album, plonge ici dans les arcanes de la sexualité et des rapports sociaux. Par ses paroles décalées, il se moque ouvertement des idées libérales de l’époque et des stéréotypes liés à la libération sexuelle. À travers des phrases comme « Because she’s looking so much thinner / She looked so beautiful I could wee », Lennon se joue des conventions sociales et explore l’absurde avec un mélange de colère et de légèreté. La chanson ne cherche pas à être un manifeste politique, mais un cri venant de l’intérieur, aussi authentique qu’incontrôlable.

L’impact de la thérapie primal

La genèse de « Well Well Well » est intrinsèquement liée à l’expérience de Lennon avec la thérapie primal, dirigée par le Dr. Arthur Janov. En 1970, Lennon et sa femme Yoko Ono se rendirent en Californie, où Lennon entreprit une série de séances de thérapie visant à relâcher les émotions réprimées de son passé. Bien que Lennon ait souvent nié que ses cris dans la chanson soient directement liés à cette expérience thérapeutique, l’influence de la thérapie sur son approche musicale ne peut être niée. En effet, au cœur de cette chanson, se trouve ce qui pourrait être qualifié de « primal scream », une libération émotionnelle brute qui se manifeste dans le son.

Cependant, dans une interview avec Rolling Stone en 1970, Lennon clarifie : « Ne confondez pas la thérapie avec la musique ». Ses « cris » ne sont donc pas à prendre comme un simple prolongement des séances, mais plutôt comme une expression libre de ses tourments, libérée dans le cadre d’un processus créatif qui s’affranchit de toute forme de contrôle ou de retenue. L’enregistrement de « Well Well Well » semble être un exutoire où Lennon cherche à briser toutes les chaînes de son passé tout en expérimentant des sons primitifs et cathartiques. Son utilisation d’une guitare électrique distordue et ses performances vocales désespérées et décharnées en sont des preuves tangibles.

L’influence musicale et la production de Phil Spector

L’album Plastic Ono Band se distingue par sa production minimaliste et sèche. Si de nombreux morceaux évitent les effets complexes, Well Well Well se distingue par le travail de Phil Spector, qui, sur ce morceau, se laisse aller à une approche plus expérimentale. En effet, c’est sur « Well Well Well » que Spector utilise son approche légendaire de l’écho et du son spatial, ce qui donne au morceau une atmosphère dense et un peu écrasante. À la manière de ses productions passées avec les Ronettes ou les Beatles, l’écho se fait omniprésent, mais dans le cadre de cette chanson, il est moins doux et plus abrasif, ce qui renforce l’intensité émotionnelle de la composition.

Dans les paroles, Lennon s’attaque à des sujets comme l’absurdité du libéralisme, la lutte des sexes et l’ironie de l’émancipation. Ce n’est pas un manifeste idéologique mais plutôt une réflexion, chaotique et humoristique, sur les contradictions de l’époque. Les vers évoquent les « libéraux au soleil », suggérant une critique acerbe de ceux qui prétendent défendre les libertés tout en profitant des privilèges d’un système inégalitaire.

La mise en forme sonore de Well Well Well constitue donc une exploration en soi. Le morceau déploie ses effets comme une décharge d’énergie incontrôlable, puisant dans les racines du rock’n’roll tout en réinventant le concept même de chanson populaire.

La réception et la performance scénique

Lennon a interprété « Well Well Well » en public à deux reprises : lors des concerts One To One à New York en 1972, un événement en faveur des enfants autistes. Ces performances, marquées par l’énergie brute de la chanson et l’implication émotionnelle de Lennon, permettent de saisir la tension palpable entre l’artiste et le public. Lors de ces concerts, Lennon et son groupe, dont Ringo Starr et Klaus Voormann, délivrent une version vivante du morceau, où la musique semble se déchaîner au fur et à mesure que la performance progresse. Ces moments, immortalisés sur l’album Live in New York City, sont d’une intensité rare, où chaque note semble porter l’émotion pure de l’artiste.

Un cri libérateur et universel

Au-delà de sa dimension personnelle, Well Well Well devient aussi un miroir de l’époque. En 1970, le monde vivait des bouleversements sociaux et politiques majeurs. Le mouvement pour les droits des femmes, les luttes pour les droits civiques, les manifestations contre la guerre du Vietnam, et l’explosion des mouvements contre-culturels cherchant à briser les normes étaient à leur apogée. « Well Well Well » peut être perçu comme une satire du désir de libération, tout en étant une déclaration de l’artiste lui-même, qui, dans son désespoir apparent, tente de se libérer des chaînes de son propre passé et de la société qui l’entoure.

À la fois irrévérencieux et émotionnellement déchirant, ce morceau s’inscrit pleinement dans la démarche de John Lennon, un artiste toujours prêt à se confronter à ses démons tout en redéfinissant les contours de la musique populaire. Ce cri primal, mêlé à des éléments de musique déchaînée et à une écriture cryptique, représente le sommet d’une période tumultueuse pour Lennon, mais également un aboutissement d’une recherche sonore et émotionnelle qu’il avait entamée dès les derniers jours des Beatles.

La chanson incarne à la fois une rupture avec le passé et une quête personnelle, un cri de révolte et un appel à la libération. Aujourd’hui, Well Well Well demeure l’un des morceaux les plus intenses et mémorables du répertoire de Lennon, un témoignage de sa capacité à fusionner la douleur et la beauté dans une expression musicale brute et sans compromis.


Retour à La Une de Logo Paperblog