Dans la longue et tumultueuse carrière de John Lennon, « Here We Go Again » occupe une place singulière. Non seulement parce qu’il s’agit de la seule chanson que Lennon ait écrite en collaboration avec le producteur légendaire Phil Spector, mais aussi en raison de son histoire d’enregistrement et de sa sortie posthume. Cette chanson, enregistrée en 1973 et laissée dans les archives pendant plus de dix ans, raconte bien plus que l’histoire d’un morceau oublié. Elle reflète un moment particulier de la vie de Lennon, pris entre ses propres tourments intérieurs et l’évolution complexe de sa carrière. Pourtant, il ne faudra attendre que 1986 pour que « Here We Go Again » voit enfin le jour, sur l’album posthume Menlove Ave.
Sommaire
- L’Enregistrement du morceau : Contexte et Développement
- L’Influence de Phil Spector : La « Wall of Sound » sur la Musique de Lennon
- Un Témoin de la Période « Lost Weekend »
- Un Titre Posthume : La Libération de la Chanson en 1986
- Un Regard Sur la Chanson : Un Héritage Durable
L’Enregistrement du morceau : Contexte et Développement
À l’automne 1973, John Lennon se trouve dans une période de profonde introspection et de confusion personnelle. À ce moment, il travaille en collaboration avec Phil Spector sur son projet Rock ‘n’ Roll, un album destiné à rendre hommage aux influences rock’n’roll des années 1950. Alors que le travail sur cet album prend forme, Lennon se trouve également dans une phase de recherche créative plus personnelle. C’est dans ce contexte qu’il enregistre deux démos de Here We Go Again au début du mois d’octobre 1973. Un premier enregistrement échoue, mais un second commence à prendre forme, tout en restant inachevé. La question de savoir pourquoi cette chanson, qui semble s’éloigner de l’esprit de l’album Rock ‘n’ Roll, a été mise en boîte reste un mystère.
Si Here We Go Again ne semble pas avoir eu sa place dans le projet Rock ‘n’ Roll, son existence témoigne de la relation complexe entre Lennon et Spector à cette époque. La production de cette chanson pourrait bien avoir été une tentative de Lennon pour recréer une alchimie passée, celle qui l’avait vu collaborer avec Spector sur Instant Karma! et les albums des Plastic Ono Band. Mais cette période marque aussi l’un des points de rupture dans leur relation professionnelle, ce qui explique en partie pourquoi la chanson a été reléguée aux oubliettes.
L’Influence de Phil Spector : La « Wall of Sound » sur la Musique de Lennon
Bien que Here We Go Again soit une composition originale de Lennon, la touche de Phil Spector est indéniable dans la version finale du morceau. Spector, connu pour sa « Wall of Sound », un mur sonore dense et saturé qui définit la production musicale des années 1960, a infusé la chanson d’une orchestration particulièrement dense et grandiose. Cette approche contraste fortement avec les productions plus épurées auxquelles Lennon était habitué à l’époque.
La forte présence de cuivres et de percussions, typique de la production de Spector, imprègne la chanson d’une intensité émotionnelle, amplifiant l’aspect dramatique de l’œuvre. Les souffles des cuivres qui s’élèvent dans les moments clés de la chanson rappellent un peu les épique chœurs d’orchestres utilisés par Spector dans ses plus grandes productions, comme celles des Ronettes. Mais dans le contexte de la vie de Lennon en 1973, cette orchestration prend un tout autre sens.
La combinaison de cette « Wall of Sound » avec la voix brisée et désabusée de Lennon crée un contraste saisissant. Au lieu de véhiculer l’euphorie ou l’optimisme qu’on pourrait attendre d’un tel arrangement, elle dégage un sentiment de résignation. La question qui se pose alors est : pourquoi Lennon a-t-il choisi de laisser cette chanson de côté lors de l’enregistrement de Walls and Bridges ? L’option de la déployer sous cette forme, aux côtés d’autres compositions moins saturées, aurait peut-être dissonné avec l’atmosphère plus personnelle de l’album.
Un Témoin de la Période « Lost Weekend »
Les paroles de Here We Go Again reflètent un état d’esprit complexe, marqué par des interrogations existentielles et une sensation de fatalité. Dans une période de sa vie où Lennon est confronté à des problèmes relationnels, à une dépression profonde et à une dépendance à l’alcool, la chanson semble être une contemplation sur le sens de la vie, la récurrence des événements et l’illusion d’un destin inévitable. Cette réflexion sur la nature du karma et de la destinée n’est pas sans rappeler des thématiques déjà explorées par Lennon dans des chansons comme Instant Karma! ou Mind Games. Mais ici, la tonalité semble plus sombre, comme si l’artiste se sentait prisonnier d’un cycle inéluctable.
À la fin des années 1970, Lennon traversait des moments de confusion extrême. Après sa séparation avec Yoko Ono, l’artiste vivait une période qu’il qualifia lui-même de « Lost Weekend », une ère de débauche et d’errance qui allait durer plusieurs années. Ce sentiment de tourment personnel se reflète dans la voix de Lennon, fragile et vibrante de douleur, et dans les instrumentations qui l’entourent.
Lennon, dans cette période de déclin personnel, se sentait en quelque sorte dépassé par les événements de sa vie. Les hauts et les bas de sa carrière, ses relations tumultueuses, et ses batailles intérieures semblaient le prendre dans un tourbillon sans fin. Il semble, à travers ses cris dans le morceau, exprimer sa frustration et son désespoir face à cette spirale descendante. L’abandon de l’idée de retrouver un certain équilibre avec Yoko Ono et l’incertitude qui accompagnait son parcours artistique l’ont poussé à chercher une échappatoire dans la musique. Mais, au lieu de trouver une rédemption, il se retrouvait à se confronter à une réalité plus sombre, symbolisée par ce fameux « Here We Go Again ».
Un Titre Posthume : La Libération de la Chanson en 1986
C’est en 1986, après la tragique disparition de Lennon en 1980, que Here We Go Again est enfin publiée. Le morceau figure en tête de l’album Menlove Ave, une collection d’enregistrements inédits ou rares qui révèle des aspects moins connus de la carrière de Lennon. Le fait que la chanson n’ait pas été publiée de son vivant ajoute une dimension particulière à son écoute : c’est comme si Lennon, même après sa mort, nous offrait un dernier message sur ses tourments personnels.
Menlove Ave marque également un retour en arrière, en rappelant une époque où Lennon, loin des projecteurs, cherchait une direction à sa carrière tout en étant prisonnier de ses propres démons. Here We Go Again devient ainsi un reflet de cette époque où la réconciliation avec soi-même semble une tâche insurmontable, mais où la musique demeure un moyen de donner un sens aux épreuves de la vie.
Un Regard Sur la Chanson : Un Héritage Durable
Malgré son statut de chanson posthume, Here We Go Again est une œuvre incontournable dans le répertoire de John Lennon. Elle offre un aperçu d’une période fragile de l’artiste, qui, tout en étant largement éloigné de l’image publique de l’ancien Beatle, continue d’exprimer ses préoccupations profondes à travers sa musique. La chanson montre également que Lennon, même en ces moments de doute, n’a jamais cessé d’explorer de nouveaux territoires musicaux, tout en restant fidèle à ses propres luttes émotionnelles et existentielles.
Le duo Lennon-Spector, qui a produit une œuvre aussi décalée et expérimentale, démontre bien que la recherche artistique, même à travers la difficulté, reste essentielle. Cette chanson reste, ainsi, un témoignage d’un homme en quête de sens, un artiste qui, même dans l’ombre de ses propres tourments, ne cessait de pousser les limites de la musique et de l’expression personnelle.
Dans l’album Menlove Ave, Here We Go Again devient non seulement un instant figé dans le temps, mais aussi un rappel de l’inévitabilité du cycle de la vie, de la quête incessante d’identité et du regard, douloureux mais lucide, que l’on porte sur ses propres failles. Une pièce du puzzle Lennonesque, aussi touchante qu’infiniment complexe.
