« Boutès monte
sur le pont et saute.
La où la pensée a peur, la musique pense.
La musique qui est là avant la musique, la musique qui sait se
« perdre » n’a pas peur de la douleur. La musique experte en
« perdition» n’a pas besoin de se protéger avec des images ou des
propositions, ni de s’abuser avec des hallucinations ou des rêves.
Pourquoi la musique est-elle capable d’aller au fond de la douleur ? Car
elle y gît.
Le chant qui se tient avant la langue articulée – simplement plonge, plonge
comme Boutès plonge – dans le deuil de la Perdue. »
Pascal Quignard
Boutès, (Galilée)
Boutès est le marin qui sauta vers le chant des sirènes
quand Ulysse boucha ses oreilles et celle de ses passagers avec de la cire.
Boutès voulut entendre le chant des sirènes, Boutès plonge, Boutès se noie. Ce
petit livre très mélancolique de Pascal Quignard, écrit dans une langue brève,
rase et rêche comme la pierre, reprend quelques leitmotivs de l’écrivain, sa
passion de l’asocial (Boutès sort du groupe), la nécessité de la solitude
(Boutès ne peut plonger que seul, de même que Quignard n’écoute de la musique
que seul) et de son corollaire, l’angoisse (séparation originaire, séparation
sociale). Mais le même thème est celui du Jadis (le temps de l’eau dans le
ventre maternel), de la Perdue (la langue d’avant son articulation), de son
retour dans des figures, des instants, des sensations.
« Dernier petit livre voué à la musique » Boutès explore cette figure
de « la vieille mise en alerte d’avant les mots ».
« L’eau vient de l’autrefois »,
la musique cherche à proposer un retour, la musique est orphéique. Sa respiration n’est pas d’air, elle est d’eau,
du son dans l’eau de l’origine, « respirant avec l’ouïe ».
La musique s’écrit, avant tout, ne l’oublions pas. Pascal Quignard était
musicien, l’écriture l’a volé à la musique, il le regrette, ce regret fend le
livre. Quel musicien aurait-il été, je ne le sais pas, mais quel immense
écrivain il est, ça, je le sais.
Isabelle Baladine Howald
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 23 septembre à 07:51
Bonjour. Permettez-moi d'apporter une petite correction à votre article sur Boutès : il n'est pas un compagnon d'Ulysse (qui d'ailleurs n'a jamais eu les oreilles bouchées, contrairement à ses compagnons ; lui peut écouter le chant des Sirènes... voir Odyssée, ch. XII, v. 154-200)), mais de Jason, pendant l'expédition des Argonautes à la recherche de la Toison d'or. Cordialement,
V. Ravasse